N° 23

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 octobre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l' aide juridictionnelle ,

Par M. Roland du LUART,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Christian Gaudin, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

INTRODUCTION

L'aide juridictionnelle (AJ) est en crise.

Une crise financière doublée d'une crise morale . L'heure n'est plus aux « replâtrages » et encore moins aux effets d'annonce. Le système appelle, bien au contraire, une « remise à plat », qui tienne compte des attentes comme des responsabilités de chacune des parties prenantes. Dans un contexte budgétaire contraignant, cette indispensable réforme ne pourra être conduite que dans le respect de la philosophie d'origine de ce dispositif : l'aide aux plus démunis. Mais elle doit aussi s'appuyer sur deux principes perdus de vue au fil du temps : la transparence et la responsabilisation .

En réalité et d'une certaine façon, l'AJ est victime de son succès . Alors qu'on dénombrait, en 1991, 348.587 admissions, ce nombre s'est élevé, en 2006, à 904.532. Peu de dispositifs d'aide publics ont connu, sur une période aussi courte, une si forte progression, avec toutes les répercussions qu'elle implique sur les acteurs de l'institution judiciaire et les montants financiers concernés.

Lorsqu'en 1991 le législateur forgeait la pierre angulaire du dispositif actuel, la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique , il n'imaginait certainement pas l'ampleur que prendrait cette politique visant à un égal accès au droit et à la justice, quelque soient les ressources des justiciables.

La loi de 1991 s'inscrivait, en effet, dans une continuité et dans une logique déjà ancienne. Dès 1851, le souci de garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice trouvait son inscription dans la loi 1 ( * ) . Rompant avec une vision de l'accès au droit proche d'une mission humanitaire d'assistance, la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972 instituant l'aide judiciaire reconnaît un droit à l'aide judiciaire, totale ou partielle, subordonné à un seuil de revenu.

Ce principe guide encore l'esprit de la loi de 1991 qui ouvre toutefois plus largement le champ de l'accès au droit. Désormais, il ne s'agit plus seulement de réfléchir en termes d'AJ, entendue comme une prise en charge totale ou partielle des frais du procès, mais d'informer et de conseiller, notamment sur les modes de résolution des conflits alternatifs au procès. Ainsi, l'accès à la justice se complète d'un accès au droit au sens large , comme l'illustre notamment la création des conseils départementaux de l'aide juridique (CDAJ).

Si elle se révèle assurément favorable aux justiciables avec les plus faibles ressources en leur garantissant un accès au prétoire et une défense de qualité, cette montée en puissance du dispositif ne va pas sans soubresauts, menaçant parfois de paralyser l'appareil judiciaire dans son ensemble. Ainsi, en 2000, de premiers mouvements dans les barreaux témoignent du mécontentement de la profession d'avocat . La charge assumée par les avocats devient toujours plus lourde sous l'effet de l'augmentation considérable des admissions à l'AJ. Parallèlement, la rétribution correspondante à ces missions couvre de plus en plus difficilement les frais de cabinets soumis à une contrainte de rentabilité financière.

L'année 2006 marque un point de rupture . Longtemps tempérées, les craintes des avocats se font plus vives à l'approche de l'examen du projet de loi de finances pour 2007. La revalorisation de l'unité de valeur (UV), servant de référence pour la rétribution des missions à l'AJ, cristallise les mécontentements. Partout sur le territoire, des barreaux se mettent en grève et manifestent dans la rue. L'augmentation finalement obtenue de la valeur de l'UV (+ 8 %), par un amendement cosigné par votre rapporteur spécial et notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois, apaise le conflit, sans toutefois y apporter de solutions de long terme.

Les enjeux du débat sont lourds de conséquences au regard de l'accès au droit et à la justice comme de l'idée que chacun se fait de l'institution judiciaire dans son ensemble. Le spectre du désengagement de l'Etat , conçu ici comme un soutien financier se réduisant comme « peau de chagrin » sous l'effet de la contrainte budgétaire, est régulièrement agité, notamment par une profession d'avocat consciente de son devoir d'aide aux plus démunis mais légitimement désireuse de ne pas supporter seule le fardeau de cette « mission de service public ». Le souci compréhensible des justiciables bénéficiant de l'AJ de ne pas pâtir d'une défense « au rabais » , de moindre qualité car assurée par des avocats démobilisés, doit également être pris en compte. Tout comme doit être justement mesuré le malaise diffus au sein de classes dites « moyennes » déplorant d'être toujours trop riches pour être aidées, y compris en matière de justice, et toujours trop pauvres pour engager sereinement, c'est-à-dire sans obstacle financier, une action devant les tribunaux pour défendre leurs droits.

Parce que le système mis en place par la loi de 1991 a assurément trouvé ses limites, votre rapporteur spécial a souhaité conduire une mission de contrôle, sur pièce et sur place, dans le cadre de la mission qui lui a été conférée en application de l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Sans une courageuse remise en plat du dispositif de l'AJ, c'est l'existence même de cette aide pour les plus démunis qui pourrait être remise en cause. Il y a urgence à agir !

* 1 Loi du 22 janvier 1851 créant l'assistance judiciaire pour les personnes dépourvues de ressources.

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