II. LE CODÉVELOPPEMENT, UNE RÉPONSE NOUVELLE ?
Le co-développement est une pratique ancienne dont la relation avec la maîtrise des flux migratoires est en revanche plus récente.
A. QU'EST CE QUE LE CO-DÉVELOPPEMENT ?
1. Des conceptions très différentes en présence
Si le terme de co-développement a connu une fortune récente, singulièrement lors de la campagne présidentielle en France, force est de constater qu'il ne désigne pas systématiquement la même politique.
Il est tour à tour entendu comme une forme de partenariat, de développement concerté avec les pays bénéficiaires, comme le point de rencontre et d'articulation entre les politiques de développement et les politiques de gestion des flux migratoires, voire comme une forme plus humaine d'accompagnement des retours de migrants dans leur pays d'origine.
Cette ambiguïté se reflète dans le discours des pays d'origine des migrants. Lors de leurs entretiens, vos rapporteurs ont pu constater que le concept faisait l'objet de différences d'interprétation significatives.
Les autorités marocaines retiennent, pour leur part, une définition très large du co-développement et le conçoivent comme un partenariat macro-économique entre les deux rives de la Méditerranée au bénéfice de la compétitivité de l'ensemble dans la mondialisation. Des coopérations dans le secteur textile, une approche concertée des délocalisations, une circulation facilitée des salariés entre les deux espaces ont ainsi été évoquées. Elles s'inscrivent, pour le ministre des finances marocain, M. Oualalou, dans la dynamique de réformes engagées par le Royaume pour se rapprocher des normes européennes tant sur le plan économique que sur la question de la gouvernance.
Cette conception n'est pas très éloignée de la notion de partenariat privilégié, proposé au Maroc dans ses relations avec l'Union européenne, ni de l'intérêt suscité par le projet d'Union de la Méditerranée, évoquée par le président de la République. Elle est cependant beaucoup plus globale que celle mise en oeuvre dans le pays sous le label « co-développement » et vise à la construction d'un espace d'échanges entre les deux rives de la Méditerranée qui s'effectuerait à plusieurs niveaux : entre le Maroc et l'Europe, au sein de l'espace méditerranéen et entre le Maroc et l'Afrique. Le Maroc mène au demeurant une « politique africaine » et accueille quelque 7 000 boursiers sub-sahariens dans ses universités. Il avance des propositions intéressantes de coopération triangulaire avec des pays d'Afrique francophone.
Au Mali, vos rapporteurs ont constaté une lecture du co-développement par les autorités plus proche des projets concrets développés dans le pays, le président du Mali, M. Amadou Toumani Touré, considérant le co-développement comme une « réponse à l'immigration ». L'existence, depuis 1998, d'un ministre des maliens de l'extérieur, témoigne de l'attention portée au potentiel de développement que représentent les migrants. Cette lecture du co-développement est assortie d'attentes très fortes tant sur les questions de développement que sur les questions migratoires. La notion de « migration circulaire », développée par le commissaire européen Louis Michel est examinée avec beaucoup d'intérêt. Le co-développement y est interprété comme un signe d'ouverture, un moyen de « dédramatiser » la question des migrations et de considérer sa contribution au développement.
Au total, l'appropriation du terme de co-développement est réelle, avec des contenus très variables. Un travail d'explication et de clarification est indispensable pour lever les ambiguïtés sur un sujet aussi sensible.
2. Une pratique ancienne : La mobilisation de l'épargne des migrants au service du développement
Dans sa version originelle, le co-développement s'appuie sur le constat de la forte mobilisation des migrants en faveur de leur pays d'origine . Développée dans les années 1960, cette mobilisation s'est progressivement structurée dans les années 1970 et 1980 avec l'appui d'organisations non gouvernementales.
Les transferts financiers des migrants, les « remises », sont importants en volume. Ils sont supérieurs au volume d'aide publique au développement reçus par les Etats africains; ils ont fortement augmenté en l'espace de vingt ans et surtout, ils observent une grande régularité et présentent ainsi une fiabilité supérieure à celle des flux d'APD, exposés à de fortes variations au gré de l'intérêt des bailleurs, et aux investissements directs, sensibles à la conjoncture.
Selon la Banque mondiale, le montant des transferts à l'échelle mondiale, aurait atteint 220 milliards de dollars en 2006, plus du double du montant d'APD. Sur ce total, l'Afrique subsaharienne reçoit une part très limitée, environ 8,1 milliards de dollars, dont une petite partie vient d'Europe, singulièrement de la France.
Cette part très limitée dans l'ensemble des transferts représente néanmoins une véritable manne financière pour les pays d'origine. Au Maroc, ils permettent, avec les revenus du tourisme, d'assurer l'équilibre de la balance des paiements et représentent, avec 4,2 milliards d'euros en 2006, 8,2 % du PIB.
Ces flux sont très mal connus en raison de la part importante du secteur informel et de la faiblesse des appareils statistiques locaux, le tableau 3 ( * ) suivant présente des estimations de transferts depuis la France, validées par les pays d'origine, notamment pour le Mali, mais certainement perfectibles.
En milliards d'euros |
Total |
Formels |
Informels |
Poids des transferts/PNB en % |
Nombre de migrants estimation en millions |
Pays destinataire |
|||||
MAROC (1) 2004 |
2,13 |
1,60 |
0,53 |
5,10 |
1,00 |
ALGÉRIE (2) 2003 |
3,15 |
1,35 |
1,80 |
4,50 |
1,20 |
TUNISIE (3) 2003 |
0,84 |
0,56 |
0,28 |
3,60 |
0,40 |
MALI (4) 2004 |
0,18 |
0,07 |
0,11 |
4,40 |
0,20 |
SÉNÉGAL (5) 2004 |
0,30 |
0,15 |
0,15 |
3,20 |
0,15 |
COMORES (6) 2005 |
0,05 |
0,04 |
0,01 |
15,00 |
0,25 |
TURQUIE (7) 2004 |
0,65 |
0,54 |
0,11 |
0,20 |
0,38 |
CHINE (7) 2004 |
0,30 |
0,06 |
0,24 |
ns |
0,30 |
ASIE S.E. (7) 2004 |
0,35 |
0,07 |
0,28 |
ns |
0,30 |
ENSEMBLE 4 ( * ) |
7,95 |
4,44 |
3,51 |
4,18 |
Par ces transferts, les migrants sont incontestablement des acteurs du développement de leur pays d'origine. Les réalisations dans les régions d'origine, parfois délaissées par leur Etat, sont visibles : équipements collectifs, soins médicaux et scolarisation des enfants sont largement financés par l'argent des migrants. Une étude réalisée sur 31 villages au Mali a ainsi montré que ces villages avaient reçu quelques 9 millions de francs CFA par an, soit 13 000 euros.
Ces transferts peuvent être très organisés : les communautés villageoises maliennes ont mis en place un système de cotisations obligatoires des migrants pour le financement de projets gérés par une structure correspondante dans le pays d'accueil. 400 associations maliennes en France ont ainsi pour objectif statutaire le développement de leur pays d'origine.
Majoritairement, ces transferts sont cependant destinés à la consommation privée des familles restées au pays et sont très faiblement, environ 5 % au Mali, orientés vers l'investissement productif.
L'idée de départ du co-développement est donc de favoriser ces transferts qui font l'objet d'un intérêt croissant de la part des bailleurs bilatéraux et internationaux et de les soutenir par des co-financements afin de mieux les structurer et de mieux les orienter.
On constate que les priorités des actions des migrants évoluent dans un sens plus compatible avec l'aide publique au développement en favorisant progressivement davantage le secteur éducatif plutôt que la construction de lieux de culte.
En outre, l'arrêt de la migration de travail et le vieillissement des expatriés conduisent à une stabilisation des transferts qui conduit les communautés villageoises à rechercher des cofinancements dont la part est passée, pour ce qui concerne le Mali, de moins de 10 % à 35 % en l'espace de 30 ans, en 1975 et 2004. Les retraités ne sont plus soumis au système de cotisations et les transferts des enfants d'émigrés, souvent de nationalité française et dont les liens avec le pays d'origine sont plus distants, sont nettement moins importants. Ce constat illustre un des premiers paradoxes du co-développement, soulignée par la déléguée de l'Union européenne au Mali, Mme Irène Horejs : l'intégration des migrants dans le pays d'accueil réduit notablement les transferts.
L'impact des migrants sur le développement de leur pays d'origine ne se limite pas à leurs seuls transferts financiers, ils transmettent également leur compétence, leur savoir-faire, leur expérience des modes de vie du pays d'accueil.
* 3 Extrait du rapport au gouvernement de M. Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d'épargne, sur l'intégration économique des migrants, remis à l'automne 2006.
* 4 (1) Source Banque Al Maghrib : 3,55 milliards € de transferts officiels des Marocains résidents à l'étranger dont 45 % viennent de France et 25 % d'informels sur le total transféré (source enquête du GERA 1994).
(2) Source : étude FEMIP mars 2006 pour les transferts formels et étude CARIM pour les informels : 90 % de 2 millions €.
(3) Source : étude FEMIP et un ratio informel/formel de 50 % car le chiffre retenu pour les transferts formels contient déjà les échanges des billets et la contre-valeur des véhicules importés par les migrants.
(4) Source : étude CNCE pour le co-développement (MAE) 2004 ; très forte immigration irrégulière.
(5) Source : les flux en provenance de France représentent 1/3 des flux de tous les Sénégalais de l'extérieur, et la moitié des flux sont informels. Ces chiffres résultent de la concordance de sources mises à disposition de la mission. Forte immigration irrégulière.
(6) Source : Banque centrale des Comores citée par CEPACR.
(7) Source : CNCE/MERCER 2006