TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 25 juillet 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a entendu une communication qu'il a présentée avec M. Bernard Seillier , sur la mission d'information de la commission en Inde .

M. Nicolas About, président , a rappelé que dix membres de la commission se sont rendus en Inde, du 15 au 25 mars dernier, pour y étudier les conditions de travail et d'emploi. Il a présidé cette délégation pendant son séjour à Delhi, avant de céder la présidence à Bernard Seillier lorsqu'elle s'est rendue à Chennai et Pondichéry. Son programme de travail a comporté de nombreuses rencontres avec des responsables politiques nationaux et locaux, ainsi que des syndicalistes, des représentants d'organisations patronales et les dirigeants de filiales d'entreprises françaises implantées en Inde.

La délégation a pu constater que l'Inde dispose d'un droit social assez étoffé, mais qui ne s'applique en réalité qu'à une infime minorité de travailleurs employés dans le secteur dit « organisé », c'est-à-dire dans l'administration ou dans de grandes entreprises privées. Sur les 400 millions d'actifs que compte le pays, seuls 7 % appartiennent au secteur organisé. La grande majorité des travailleurs relève du secteur « inorganisé », ou informel, et vit dans un état de grande précarité, sans avoir, bien souvent, la chance de percevoir un salaire régulier.

Le système des castes, bien qu'officiellement aboli depuis 1947, continue d'exercer une influence sur la société indienne, y compris sur le plan professionnel : à chaque caste correspond en effet, dans la société traditionnelle, une spécialisation professionnelle héréditaire. L'apparition de nouveaux métiers, liée au développement d'une économie moderne, a cependant pour mérite de desserrer quelque peu le lien entre caste et profession, ce qui favorise la mobilité professionnelle. Par ailleurs, l'Inde pratique, depuis 1934, une politique de discrimination positive, sous forme de quotas d'embauches dans la fonction publique et pour l'accès à l'université, destinée à améliorer le sort des intouchables.

M. Nicolas About, président , a ensuite présenté les principales protections dont bénéficie la petite minorité de travailleurs employés dans le secteur organisé.

La Constitution indienne apporte aux salariés des garanties essentielles en matière de droit du travail : elle pose un principe de non-discrimination, reconnaît aux citoyens le droit de former un syndicat et d'exercer la profession de leur choix, ou encore interdit le travail des enfants dans les emplois dangereux. La réglementation du travail est un domaine de compétence partagée entre l'Etat fédéral et les Etats composant l'Union indienne. Environ deux cents lois régissent les relations du travail, dont une soixantaine votée au niveau fédéral.

Le droit du travail indien apporte aux salariés un niveau de protection relativement élevé pour un pays en développement. Il prévoit, par exemple, que la durée maximale du travail est de quarante-huit heures par semaine, rend obligatoire une pause d'une demi-heure pour cinq heures de travail et accorde aux salariés un jour de repos par semaine. Le travail de nuit est interdit aux jeunes et aux femmes, et les salariés ont droit à des congés payés, à raison d'un jour de congé pour vingt jours travaillés. S'il n'existe pas de salaire minimum au niveau national, l'Etat impose des minima salariaux dans quarante-six secteurs d'activité. Le fort sous-emploi qui existe en Inde rend cependant les salariés peu exigeants en matière de respect du salaire minimum.

Le droit du licenciement est également très protecteur pour les salariés. Le patronat indien lui reproche même d'être excessivement rigide et demande des mesures d'assouplissement afin de fluidifier le marché du travail. Par exemple, une entreprise de plus de cent salariés ne peut procéder à un licenciement pour motif économique, ni fermer l'un de ses établissements sans avoir obtenu une autorisation préalable de l'administration. Cette autorisation est en général accordée mais le délai pour l'obtenir est assez long et la volonté de certains employeurs d'accélérer les procédures favorise la corruption.

Abordant la question de la protection sociale, M. Nicolas About, président , a fait observer qu'elle présente encore un caractère embryonnaire, dans la mesure où elle ne bénéficie, en tout ou partie, qu'à quelques dizaines de millions de personnes.

Le régime public d'assurance maladie ne couvre que 35 millions de personnes, en comptant les ayants droit. Financé par des cotisations salariés et employeurs, il verse des indemnités journalières et permet un accès gratuit aux soins médicaux. Le régime de retraite de base, auquel sont affiliées 43 millions de personnes, est également alimenté par des cotisations et fonctionne selon un principe de capitalisation. Au-delà de dix années de contribution, les salariés peuvent bénéficier d'un fonds de retraite complémentaire, qui verse une rente.

Les salariés les plus aisés ont cependant la possibilité, en matière de santé comme de retraite, de s'adresser à des assureurs privés.

La forte croissance économique, que connaît l'Inde depuis une quinzaine d'années, a fait naître de nouvelles aspirations en matière sociale. Les partis de gauche, qui soutiennent le Gouvernement dominé par le parti du Congrès, souhaitent notamment une généralisation de l'assurance vieillesse. Le projet de loi élaboré par le Gouvernement, et déposé sur le bureau du Parlement en 2005, propose cependant d'établir un régime facultatif de pure capitalisation, qui suscite de fortes réserves.

Pour lutter contre la précarité des travailleurs agricoles, le Gouvernement a également lancé, en décembre 2004, un programme de garantie d'emploi dans le secteur rural, en vertu duquel chaque chef de famille pauvre est assuré de pouvoir réaliser cent jours de travail rémunérés dans l'année. Les travaux proposés visent prioritairement à améliorer l'irrigation et l'approvisionnement en eau des villages. La faiblesse des crédits alloués à ce programme ralentit cependant sa mise en oeuvre.

M. Nicolas About, président , a insisté sur le fait que la société indienne demeure, en dépit de ces quelques avancées, profondément inégalitaire. On estime ainsi à 26 % la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Selon les statistiques officielles, le nombre d'enfants au travail serait de 12,6 millions, mais certaines organisations non gouvernementales (ONG) l'évaluent plutôt à 50 millions, en se fondant sur le nombre d'enfants non scolarisés.

A l'opposé, les professionnels du secteur de l'informatique et des services aux entreprises bénéficient fortement de la croissance économique indienne. Les quelque 300 000 ingénieurs et 150 000 informaticiens qui arrivent chaque année sur le marché du travail indien n'ont aucune peine à trouver un emploi. La pénurie de personnel qualifié à laquelle sont confrontées les entreprises conduit même à une envolée de leurs rémunérations, qui augmentent de 15 % par an en moyenne.

M. Bernard Seillier, vice-président , a ensuite présenté le paysage syndical indien en insistant sur sa fragmentation : on ne compte pas moins d'une douzaine de grandes centrales syndicales au niveau national, qui regroupent elles-mêmes des dizaines de milliers de syndicats organisés sur une base géographique ou professionnelle. Le syndicalisme indien est par ailleurs très politisé, puisque quatre des cinq centrales syndicales les plus importantes sont affiliées à un parti politique. Le taux de syndicalisation, plus élevé dans le secteur public que dans le secteur privé, est estimé, en moyenne, à moins de 2 %, ce chiffre devant cependant être considéré avec précaution en raison du peu de fiabilité des statistiques en la matière.

Les employeurs sont représentés par quatre grandes organisations, au premier rang desquelles la Confederation of Indian Industry (CII), qui est aujourd'hui l'interlocuteur majeur des pouvoirs publics.

La négociation collective est peu développée en Inde, la culture de l'affrontement prévalant souvent sur celle du dialogue et du compromis. Elle n'est cependant pas totalement absente et porte de manière privilégiée sur les salaires et les conditions de travail. L'intervention de l'Etat est fréquente dans les rapports entre partenaires sociaux, qu'il s'agisse de débattre d'enjeux nationaux ou de questions sectorielles.

Le droit de grève est reconnu depuis 1926, mais il est soumis à certaines restrictions, notamment une obligation de préavis dans les services reconnus d'utilité publique. La législation indienne envisage la grève comme une solution de dernier recours et encourage la concertation. On observe d'ailleurs que la fréquence des conflits sociaux tend à diminuer : 26,4 millions de jours de travail ont été perdus pour cette raison en 1991 contre seulement 23,3 millions en 2005. De plus, il faut savoir que l'employeur a le droit de lock-out, c'est-à-dire la possibilité de fermer son entreprise en cas de conflit.

Enfin, les litiges entre employeurs et salariés font l'objet, comme en droit français, d'une tentative de conciliation avant d'être portés devant un tribunal spécialisé en cas d'échec. Les recours sont cependant peu fréquents, les délais de jugement fort longs et les condamnations d'employeurs indélicats très rares.

Puis M. Bernard Seillier, vice-président , a indiqué que la délégation s'est rendue, durant la dernière étape de sa mission, dans l'ancien comptoir français de Pondichéry, qui appelle, en raison de ses particularismes, quelques développements spécifiques.

La ville de Pondichéry est la capitale d'un territoire qui rassemble quatre des cinq anciens comptoirs français, Pondichéry, Karikal, Yanaon et Mahé. Le cinquième, Chandernagor, fut rattaché à l'Inde quelques années avant les autres et fait désormais partie intégrante du Bengale-Occidental. Le territoire de Pondichéry est éclaté géographiquement en quatre enclaves, peuplées de moins d'un million d'habitants. Il dispose néanmoins, comme les autres Etats de l'Union indienne, de son propre Gouvernement et de son Assemblée provinciale. L'héritage de la présence française y est encore visible. Acquis par la France en 1673, ce territoire fut rattaché à l'Inde en 1954, en vertu d'un traité de cession qui ne fut ratifié par notre pays qu'en 1962.

Sur les quelque 10 000 ressortissants français recensés en Inde, 7 000 environ résident dans le territoire de Pondichéry. Le traité de cession a donné aux nationaux français, nés sur le territoire des comptoirs et y résidant au moment de son entrée en vigueur, un « droit d'option » : ils disposaient de six mois pour choisir, par une déclaration écrite, la nationalité française et acquéraient, à défaut, la nationalité indienne. Plus de 5 000 familles d'ascendance tamoule ont alors exercé le droit d'option.

Le Consulat général de France à Pondichéry et Chennai dispose d'un bureau des affaires sociales qui dispense les aides spécifiques auxquelles ont droit les membres de la communauté française en matière de soins médicaux, d'assurance sociale, d'allocations de courte ou de longue durée, de formation professionnelle ou de recherche d'emploi. En parallèle, le bureau des bourses scolaires instruit et présente aux commissions nationales les demandes d'aides destinées, sous condition de ressources, aux enfants français résidant avec leurs parents au sein de la circonscription consulaire et scolarisés au Lycée français de Pondichéry ou à l'école élémentaire de Karikal.

M. Bernard Seillier, vice-président , a conclu en indiquant que les autorités locales souhaitent renforcer leur coopération avec la France. Il serait judicieux de répondre favorablement à cet appel, afin que Pondichéry constitue, à l'avenir, une tête de pont de l'influence française en Inde du sud.

M. Nicolas About, président , a indiqué que le gouvernement indien, pour remédier à la faiblesse du taux de scolarisation, a mis en place un programme visant à garantir à chaque enfant scolarisé le bénéfice d'un repas gratuit à midi.

M. Paul Blanc a déclaré avoir été frappé par la présence de bidonvilles au pied des chantiers, les ouvriers préférant résider dans des conditions insalubres sur leur lieu de travail plutôt que de s'imposer des temps de transport, souvent aléatoires lorsqu'ils habitent dans les campagnes.

M. Guy Fischer a indiqué que Delhi, comme les autres villes indiennes, est en pleine transformation. L'Inde développe en effet des zones économiques spéciales, destinées à attirer les investisseurs. La délégation a visité la zone de Mahindra et a pu observer que des entreprises françaises y ont délocalisé une partie de leur production, dans le textile notamment. Il a également regretté que STMicroelectronics ait fermé des unités près de Grenoble pour développer ses activités en Inde.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a indiqué que les entrepreneurs français présents dans le sud de l'Inde ont attiré l'attention de la délégation sur les difficultés qu'ils rencontrent pour obtenir les visas nécessaires à l'expatriation de salariés français en Inde. Elle a également insisté sur la grande jeunesse de la population indienne, qui n'est pas sans conséquences en matière d'emploi. Elle a enfin évoqué le développement du « tourisme médical » vers l'Inde, qui s'explique par la qualité des soins offerts dans ce pays à un prix avantageux.

M. Nicolas About, président , a proposé d'ajouter ces différentes observations au rapport écrit que la commission a approuvé et dont elle a autorisé la publication .

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