2. La perception et la réalité : une fiscalité française complexe et insuffisamment attractive pour les entreprises et les cadres de haut niveau

a) Une enquête d'opinion aux résultats significatifs

Les chefs d'entreprise perçoivent globalement la fiscalité française comme encore complexe, instable et élevée. Une enquête a ainsi été conduite en octobre et novembre 2006 par Ipsos, pour le compte de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, sur la fiscalité dans dix pays de l'UE 262 ( * ) , auprès de 1.000 chefs d'entreprise des secteurs de la construction, du commerce et des services, soit 100 entretiens réalisés dans chaque pays. Elle aboutit en particulier aux résultats suivants, qu'il convient toutefois de considérer avec précaution 263 ( * ) :

- 56 % des chefs d'entreprise interrogés considèrent la fiscalité française comme très élevée, soit le troisième rang des dix pays, et 74 % comme plus élevée qu'ailleurs, soit le deuxième pays après la Suède (79 %). Le sentiment d'une pression fiscale très élevée en France a toutefois fortement diminué par rapport à octobre 2005 (moins 18 points, et moins 24 points pour les Pays-Bas) ;

- la France se situe dans la moyenne européenne quant à la perception de la qualité du service public au regard du niveau de prélèvements (37 % de réponses pour une qualité tout à fait ou plutôt satisfaisante) ;

- 90 % jugent la fiscalité française de plus en plus complexe , soit le troisième rang après le Royaume-Uni et la Hongrie, contre 5 % qui la considèrent comme plus simple (moins 12 points par rapport à octobre 2005) ;

- 89 % des chefs d'entreprise français estiment que la fiscalité française est peu ou pas attractive pour une entreprise étrangère souhaitant s'implanter, soit l'avant-dernier rang devant l'Allemagne. En agrégeant les réponses obtenues dans les différents pays, il apparaît que la France est le pays le moins bien perçu en termes d'attractivité, les premières places étant successivement occupées par la Pologne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Hongrie.

b) Les cotisations patronales et l'impôt sur les sociétés : la France mal placée en Europe

La réalité des chiffres selon différents niveaux d'analyse - malgré les réserves précédemment évoquées - tend à corroborer ce constat. Les tableaux ci-après conduisent à formuler les cinq principales conclusions suivantes :

1) Le taux global de prélèvement obligatoire sur les entreprises (TPOE) 264 ( * ) , selon les données publiées en janvier 2007 par l'Observatoire européen de la fiscalité des entreprises (cf. tableau infra ), est en France le plus élevé de la zone euro après la Suède , en 2000 comme en 2005. Les pays taxant le plus lourdement les entreprises 265 ( * ) sur la période récente sont la France, l'Italie et la Suède. Le Danemark est l'Etat où cette pression est la plus faible , et la Finlande celui qui a le plus allégé l'imposition globale des entreprises.

2) Le niveau du TPOE est en partie positivement corrélé à celui des prélèvements obligatoires , puisque les cinq pays (Belgique, Finlande, France, Italie et Suède) où la fiscalité des entreprises est la plus forte sont aussi ceux affichant les taux de prélèvement obligatoire les plus élevés.

Le Danemark offre néanmoins un contre-exemple : son TPOE est le plus compétitif de l'Union européenne, mais aussi, après la Suède, celui où la pression fiscale globale est la plus forte, en particulier du fait du poids de l'impôt sur le revenu et de la TVA. Cette divergence résulte d'un choix politique , consistant à proposer un haut niveau de service public et à favoriser les entreprises plutôt que les ménages.

Evolution du TPOE* dans la zone euro en 2000-2005

(en % du PIB)

2000

2005 (estimation)

Evolution 2000/2005

Allemagne

9,7

9,1

- 0,6

Autriche

12,5

12,2

- 0,3

Belgique

13,4

13,3

- 0,1

Danemark

4

4,6

+ 0,6

Espagne

13

14,1

+ 1,1

Finlande

15,7

13,1

- 2,6

France

18,2

17,8

- 0,4

Italie

15

15,2

+ 0,2

Luxembourg

12,9

11

- 1,9

Pays-Bas

10,5

9,7

- 0,8

Suède

18,8

18,3

- 0,5

Moyenne zone euro

13,4

13,1

- 0,3

Royaume-Uni

10

9,7

- 0,3

Source : Observatoire européen de la fiscalité des entreprises, CCIP

* Taux global de prélèvement obligatoire sur les entreprises

3) Selon les estimations de la Commission européenne pour 15 configurations d'investissement (cf. tableau infra ), la France occupait en 2005 une des dernières places au sein de l'UE 27 (devant l'Allemagne et l'Espagne) tant pour le taux nominal que pour le taux effectif moyen 266 ( * ) de l'IS , avec respectivement 34,4 % et 34,8 %. Au sein de l'OCDE, le Canada, les Etats-Unis et le Japon se situent toutefois à un niveau supérieur. Les taux effectifs les plus avantageux sont ceux de Chypre (10,6 %), de la Lituanie (12,7 %) et de la Bulgarie (13,2 %).

Il importe néanmoins de souligner que ces estimations résultent d'une actualisation récente de l'étude conduite en 2001 ( Company Tax Study ), qui ne devrait être achevée et publiée que fin 2008, et doivent donc être analysées avec prudence.

Taux légal et estimation du taux effectif moyen de l'IS (moyenne globale des classes d'actifs et sources de financement)

En %

Taux nominal

Taux effectif moyen

1998

2005

1998

2002

2005

Allemagne

45 / 25

39,4

41,2

35,8

35,8

Autriche

34

25

29,7

31

23

Belgique

39

34

34,5

34,5

29,5

Bulgarie

N.D.

15

N.D.

N.D.

13,2

Chypre

N.D.

10

27,5

26,9

10,6

Danemark

34

28

30

26,8

25,1

Espagne

35

40,2

36,5

36,5

36,5

Estonie

N.D.

23

22,4

20,4

18,8

Finlande

28

26

25,9

27,2

24,5

France

41,6

34,4

39,8

34,9

34,8

Grèce

35 / 40

29

30,4

30,4

27,8

Hongrie

N.D.

17,6

19

19,7

16,6

Irlande

32

12,5

9,4

12,3

14,3

Italie

37

37,3

36,9

34,4

31,8

Lettonie

N.D.

15

22,7

20,2

14,3

Lituanie

N.D.

19

23

12,7

12,7

Luxembourg

30

29,6

32,7

26,6

26,6

Malte

N.D.

35

32,2

32,2

32,2

Pays-Bas

35

29,6

32,3

31,9

29,1

Pologne

N.D.

19

32,4

25,3

17,1

Portugal

34

27,5

33,5

29,7

24,6

Rép. tchèque

N.D.

24

26,4

23,6

22,8

Roumanie

N.D.

16

N.D.

N.D.

14,7

Royaume-Uni

31

30

29,7

29,3

29,3

Slovaquie

N.D.

19

36,7

22,3

16,8

Slovénie

N.D.

25

20,9

20,9

22,1

Suède

28

28

23,8

23,1

24,6

Norvège

28

N.D.

N.D.

26,4

Suisse

21,3

19,3

Canada

34,1

35,4

Etats-Unis

35

40,8

39,1

Japon

46,4

40,5

42

Source : Commission européenne ; OCDE

4) La forte diminution du taux nominal de l'IS qu'ont connu certains pays de l'OCDE depuis dix ans n'a en général pas donné lieu à une diminution proportionnelles des recettes , voire a conduit à leur augmentation absolue et relative (en part du PIB), car elle a été accompagnée par un élargissement de l'assiette, et une augmentation du rendement de l'impôt comme du nombre de contribuables.

Ce constat est particulièrement patent pour le Danemark, la Grèce, le Portugal, la République tchèque, la Suisse ou la Turquie, et illustre qu'une politique fiscale attractive pour les entreprises ne compromet pas nécessairement l'équilibre des finances publiques. On constate que la France, en dépit d'un taux nominal élevé en 2005, figure parmi les pays où la part de l'IS dans le PIB est faible ou modérée (2,8 %, contre 4,1 % au Japon, 4,6 % en République tchèque ou 5,5 % au Luxembourg).

Evolution du taux nominal et de la part relative des recettes de l'IS entre 1996 et 2005 dans les pays membres de l'OCDE

5) Enfin au sein de l'UE 27 en 2005, la France est le pays où le poids des cotisations sociales à la charge de l'employeur, rapporté au PIB, est le plus élevé avec 11,1 % (soit le quart des prélèvements obligatoires), devant la Suède (10,8 %) et la République tchèque (10,4 %). Malte, les Pays-Bas et surtout le Danemark, avec des cotisations employeurs quasi nulles, constituent le trio de tête. La France et l'Italie sont également les pays où les impôts sur la production - hors TVA et taxes douanières - sont les plus élevés.

Poids des prélèvements obligatoires et de certaines recettes fiscales
dans l'Union européenne en 2005

(en % du PIB)

Pays

Prélèvements obligatoires

Impôts sur la production, hors TVA et importations

Cotisations sociales effectives à la charge des employeurs

Allemagne

40,2

5,1

7

Autriche

43,6

6,6

6,8

Belgique

47,7

5,9

8,4

Bulgarie

34,8

4,6

7

Chypre

36,2

6,3

6

Danemark

51,2

7,6

0,1

Espagne

36,4

6

8,5

Estonie

31

0,8

10

Finlande

44

5,2

9

France

45,8

8,3

11,1

Grèce

36,7

5,3

5,5

Hongrie

38,6

7,2

9,7

Irlande

32,2

4,1

2,7

Italie

40,8

8,4

8,9

Lettonie

29,6

4,8

6,2

Lituanie

29,2

4

7,4

Luxembourg

39,1

3

4,7

Malte

37,7

7,5

3,2

Pays-Bas

39,2

4,4

4,1

Pologne

34,2

5,7

4,9

Portugal

36,3

N.D.

N.D.

Rép. tchèque

36,3

3,6

10,4

Roumanie

28,8

4,1

6,4

Royaume-Uni

38,6

6,2

4,4

Slovaquie

29,5

4,8

7,1

Slovénie

40,7

7,3

5,8

Suède

52,1

7,8

10,8

Moyenne UE 25

40,9

N.D.

N.D.

Norvège

45

4,5

5,5

N.B : La nomenclature du SEC 95 ne permet pas d'isoler l'impôt sur les sociétés, la catégorie des impôts sur le revenu (D51) couvrant à la fois les revenus individuels des ménages, les bénéfices des entreprises et les gains de détention.

Source : Eurostat

* 262 Allemagne, France, Belgique, Espagne, Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Pologne et Hongrie.

* 263 On peut en particulier relever la limitation des secteurs de l'échantillon, le relativement faible nombre d'entreprises interrogées dans chaque pays, et le fait que chaque entreprise porte avant tout une appréciation sur la fiscalité de son propre pays, ce qui introduit, pour certaines questions, un « biais de dénigrement ».

* 264 Ce prélèvement global regroupe les impositions suivantes, selon la nomenclature de l'OCDE :

- impôts sur le revenu (bénéfices et gains en capital) des sociétés ;

- cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs ;

- impôts sur les salaires ou la main d'oeuvre ;

- impôts périodiques sur la propriété immobilière ;

- impôts sur les transactions mobilières et immobilières ;

- autres impôts sur l'utilisation de biens et sur les véhicules ;

- autres impôts à la charge exclusive des entreprises.

* 265 Ce prélèvement global regroupe les impositions suivantes, selon la nomenclature de l'OCDE :

- impôts sur le revenu (bénéfices et gains en capital) des sociétés ;

- cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs ;

- impôts sur les salaires ou la main d'oeuvre ;

- impôts périodiques sur la propriété immobilière ;

- impôts sur les transactions mobilières et immobilières ;

- autres impôts sur l'utilisation de biens et sur les véhicules ;

- autres impôts à la charge exclusive des entreprises.

* 266 Le calcul du taux effectif moyen d'imposition, selon la méthodologie de MM. Devereux et Griffith, revient à déterminer la valeur actuelle nette des taxes acquittées en proportion de la valeur actuelle nette des flux de revenus. Elle constitue une approche séduisante mais imparfaite car elle repose sur un certain nombre d'hypothèses financières et économiques, parmi lesquelles :

- un taux de rentabilité net d'impôt de l'investissement pour l'actionnaire de 5 % ;

- une inflation de 2 % ;

- des simulations d'investissements dans cinq classes d'actifs (brevets et actifs immatériels, bâtiments industriels, machines, actifs financiers et stocks), assorties de taux réels de dépréciation spécifiques, compris entre 0 % et 17,5 % ;

- pour chaque actif, trois sources de financements sont distinctement retenues puis pondérées, pour le calcul de la moyenne globale, selon les résultats d'une étude de l'OCDE de 1991 : autofinancement (55 %), « nouveau » capital (10 %) et dette (35 %).

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