b) Les principaux résultats en matière de contrôle du capital
L'examen des critères constitutifs d'un contrôle stable et de mesures de protection du capital d'une entreprise fait apparaître les résultats suivants :
- seules 5 sociétés (Bonduelle, Hermès International, Lagardère, Michelin, Groupe Steria) ont la forme de société en commandite par actions , qui constitue un des principaux obstacles à un changement de contrôle, compte tenu de la dissociation entre gestion par les commandités et détention du capital par les commanditaires ;
- l'Etat et les institutions publiques détiennent au moins le quart du capital de 9 sociétés 208 ( * ) . Une seule société, Thalès, est protégée par une « golden share » de l'Etat , conférant à celui-ci des droits d'opposition, d'agrément et de nomination définis par l'article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations (cf. infra ) ;
- 3 sociétés (Areva, Safran et Thalès) relèvent avec certitude des neuf « secteurs protégés » définis par les articles L. 151-3 et R. 151-2 (introduit par le décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005) du code monétaire et financier, c'est-à-dire les domaines stratégiques et « sensibles » 209 ( * ) , de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, et participant, même à titre occasionnel, de l'exercice de l'autorité publique. Tout investissement d'une personne non résidente dans ces secteurs est soumis à une autorisation préalable du ministre chargé de l'économie. Les sociétés Accor, Alcatel et Sanofi-Aventis ne sont sans doute pas intégralement protégées par ce dispositif, compte tenu du caractère relativement marginal de leurs activités relevant desdits secteurs. Une OPA sur ces groupes serait donc sans doute recevable, pour autant qu'elle n'inclue pas les activités considérées comme sensibles 210 ( * ) ;
- la société Renault est de facto protégée par le dispositif d'offre publique étendue de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier. Le coût d'une offre sur Renault serait en effet considérablement renchéri par l'inclusion de Nissan, dont la capitalisation boursière (environ 36 milliards d'euros) est supérieure à celle de Renault (environ 32,5 milliards d'euros au 15 juin 2007). De même, le groupe Air France-KLM bénéficie du régime strict des compagnies aériennes 211 ( * ) , et le contrôle du capital de TF1 et M6 par un actionnaire français ou étranger est très encadré par la loi du 30 septembre 1986 sur les entreprises audiovisuelles 212 ( * ) ;
- l'actionnariat salarié ( via des véhicules de placement collectif), généralement considéré comme plus fidèle au management et à la stratégie en place, représente au moins 10 % du capital de 7 sociétés 213 ( * ) . L'actionnariat « flottant » (personnes physiques hors fondateurs et investisseurs institutionnels), plus volatil et perméable à une offre jugée suffisamment attractive, représente moins de la moitié du capital 214 ( * ) dans 37 % de l'échantillon (soit 44 sociétés) ;
- 33 sociétés peuvent être considérées comme relativement peu liquides , avec une rotation annuelle de leur capital inférieure à 50 %. Une rotation faible ou modérée, signe que le titre est peu actif sur le marché, demeure néanmoins une information ambiguë car elle peut être interprétée à la fois comme la manifestation d'un relatif manque d'attrait de la société pour des prédateurs, ou comme un obstacle à la réussite d'une offre ;
- les dispositifs statutaires et conventionnels sont fréquemment utilisés. On constate ainsi que 77 % des sociétés de l'indice SBF 120 ont statutairement prévu des déclarations de franchissement pour des seuils (en général dès 0,5 %) inférieurs au seuil légal minimum de 5 %, en particulier pour prévenir la montée rapide de fonds spéculatifs au capital. Plus de 60 % des sociétés de l'échantillon ont également recours aux droits de vote doubles pour « récompenser » la fidélité de certains actionnaires . Un quart des émetteurs font l'objet de pactes d'actionnaires 215 ( * ) et 11 sociétés ont prévu des clauses statutaires de plafonnement des droits de vote . Une société telle que Pernod-Ricard dispose d'un arsenal particulièrement étoffé de dispositifs juridiques ;
- enfin les « bons d'offre » introduits par la loi du 31 mars 2006 sur les OPA connaissent un certain succès, puisque les actionnaires de près du quart de l'échantillon (soit 27 sociétés) ont adopté ou se sont vus proposer en assemblée générale des résolutions portant sur l'introduction de ce dispositif de défense. Rappelons que ces BSA ont un effet dilutif sur l'assaillant et ne constituent pas une protection décisive contre une OPA non sollicitée, mais contribuent à en augmenter le coût et à inciter à la négociation, et donc, le cas échéant, à convertir une « OPA hostile » en « OPA amicale ».
* 208 France Telecom, Safran, Thalès, Aéroports de Paris, Areva, CNP Assurances, EdF, Gaz de France et Icade.
* 209 Ces secteurs sont les jeux d'argent et de hasard, les activités réglementées de sécurité privée, les biotechnologies utilisées dans la lutte contre le terrorisme, la conception de moyens d'interception et de détection de conversations, les activités de sécurité informatique, les technologies duales, les activités de cryptage, la production d'armements, et les activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d'études ou de fourniture d'équipements au profit du ministère de la défense.
* 210 Le II de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier dispose ainsi que « l'autorisation donnée peut être assortie le cas échéant de conditions visant à assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux ».
* 211 Permettant de suspendre, révoquer ou limiter l'autorisation d'exploitation accordée à une compagnie aérienne si une part substantielle de la propriété du capital et le contrôle effectif de la compagnie viennent à être détenus par des intérêts étrangers.
* 212 Qui prévoit notamment que :
- aucune personne physique ou morale ne peut détenir individuellement plus de 49 % du capital ou des droits de vote d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre, dont l'audience moyenne est supérieure à 2,5 % ;
- aucune personne de nationalité étrangère ne peut procéder à une acquisition de titres de capital ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, la part détenue par des actionnaires non-résidents à plus de 20 % du capital d'une société de télévision.
* 213 Air France-KLM, Bouygues, Iliad, Eiffage, Groupe Steria, Nexity et Safran.
* 214 Rappelons qu'aux termes des articles 231-44 et 231-45 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, les éventuelles restrictions statutaires et conventionnelles à l'exercice des droits de vote comme les droits extraordinaires de nomination ou de révocation du management et des membres de l'organe d'administration ou de direction doivent être suspendus lorsque l'initiateur de l'offre, agissant seul ou de concert, vient à détenir, à l'issue de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre, plus de la moitié du capital ou des droits de vote de la société visée.
Ces articles constituent les seules dispositions impératives de la règle dite de la « percée » (« breakthrough rule », soit la neutralisation des restrictions statutaires et conventionnelles au transfert des titres et à l'exercice des droits de vote, à l'issue d'une offre qui a réussi), introduite par la directive sur les offres publiques d'acquisition, et dont la transposition en droit français prévoit, pour l'essentiel, l'application optionnelle par la société cible.
* 215 Dont les termes peuvent prévoir des mesures de défense et de politique actionnariale concertées telles qu'un dépôt sous séquestre d'une partie du capital, l'inaliénabilité ou l'incessibilité d'une ou plusieurs participations pendant une période déterminée (par exemple Bouygues en tant qu'actionnaire d'Alstom, ou les titres de Legrand détenus par Wendel Investissement et KKR), le maintien des poids respectifs de certains actionnaires, la sortie conjointe, ou un droit de préemption au profit d'un ou de plusieurs signataires du pacte.