N° 305
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 février 2007 Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 mai 2007 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) à la suite d'une mission effectuée du 9 au 17 septembre 2006 par une délégation chargée d' étudier les évolutions du système de protection sociale en Argentine,
Par Mme Jacqueline ALQUIER, MM. Gilbert BARBIER, Paul BLANC, Mmes Françoise HENNERON, Raymonde LE TEXIER, Anne-Marie PAYET, Janine ROZIER, Michèle SAN VINCENTE-BAUDRIN et M. Alain VASSELLE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mme Catherine Procaccia, M. Thierry Repentin, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi.
Amérique du Sud |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Une délégation de la commission des affaires sociales du Sénat s'est rendue en Argentine du 9 au 17 septembre 2006 afin d'étudier les évolutions du système de protection sociale. Lors de la présidence de M. Alain Vasselle, elle était composée de Jacqueline Alquier, Gilbert Barbier, Paul Blanc, Françoise Henneron, Raymonde Le Texier, Janine Rozier, et Michèle San Vicente.
Dans le cadre du programme très complet préparé par l'Ambassade de France, la délégation a rencontré les ministères en charge des questions sociales : santé, travail et développement social, ainsi que les responsables régionaux qui disposent, en Argentine, de compétences étendues en matière de santé et d'organisation de l'offre de soins.
Ce programme prévoyait également des déplacements sur le terrain, dans le quartier de la villa Miseria Palito à La Matanza, bidonville en cours de réhabilitation, à l'hôpital Marie Curie de Buenos Aires, établissement spécialisé dans la prise en charge du cancer, à l'hôpital public de Salta, qui est conçu et géré dans le cadre d'un partenariat public privé, ainsi qu'au Comedor Casa Nazareth à Salta, centre d'accueil pour les enfants d'un des quartiers les plus défavorisés de la ville. Ces visites ont permis à la délégation une meilleure perception du système de protection sociale argentine.
Elle s'est également entretenue longuement avec Daniel Scioli, président du Sénat et vice-président de la Nation, ce qui témoigne de l'intérêt porté par les autorités argentines à la venue d'une délégation du Sénat français.
Nombre des questions abordées se sont révélées être des sujets d'une actualité brûlante au regard des défis que la sécurité sociale argentine doit relever après la crise politique économique et sociale qui a frappé le pays en 2001 et 2002.
La délégation souhaite, par ce rapport, contribuer à alimenter la réflexion sur les mutations nécessaires des systèmes de protection sociale. L'étude du système argentin contribue à cette démarche à la fois en raison des profondes réformes engagées dans ce pays depuis le milieu des années quatre-vingt-dix et par le regard renouvelé que cette analyse permet de porter sur le fonctionnement de notre propre système de sécurité sociale.
La délégation tient à remercier les services de l'Ambassade de France en Argentine pour leur contribution précieuse à l'organisation du programme de travail de la mission et au parfait déroulement de ce déplacement.
I. UN SYSTÈME DE SANTÉ COMPLEXE ET FRAGMENTÉ
L'organisation du système de santé argentin est à l'image de l'histoire politique et institutionnelle du pays.
Politique, car les premières structures de prévoyance sont apparues dans le cadre du mouvement ouvrier.
Institutionnelle, car l'Argentine est un pays fédéral et que la santé y est une compétence partagée entre l'Etat central et les régions.
Le système d'assurance maladie et de santé s'est donc progressivement intégré dans ce cadre institutionnel, ce qui explique son manque d'homogénéité. Après une première tentative dans les années soixante-dix, les autorités argentines ont lancé dans les années quatre-vingt-dix une réforme globale visant à rendre plus efficient le système d'assurance maladie et à développer une politique de santé publique moderne.
A. UN SYSTÈME D'ASSURANCE MALADIE INSUFFISANT POUR GARANTIR L'ACCÈS AUX SOINS
En Argentine, le système d'assurance maladie s'organise autour de trois catégories distinctes d'opérateurs : les obras sociales , le secteur privé aussi appelé médecine prépayée et le secteur public.
La répartition des rôles entre les acteurs fait que cette organisation n'est pas comparable aux systèmes de couverture maladie que nous connaissons en France :
- premièrement, il ne s'agit pas d'un dispositif à plusieurs étages au sein duquel les interventions des opérateurs se compléteraient. En Argentine, les opérateurs privés ne sont pas des assureurs complémentaires dont l'intervention s'articule avec celle du régime obligatoire d'assurance maladie : ils assurent les mêmes prestations que le régime de base ;
- deuxièmement, la sécurité sociale et les assureurs privés se comportent comme des acheteurs de soins, c'est-à-dire qu'ils adressent leurs assurés à des professionnels de santé avec lesquels ils ont passé des contrats ; ils ne peuvent donc pas être comparés à nos organismes d'assurance maladie obligatoire ou complémentaire qui prennent en charge des demandes de remboursement ;
- troisièmement, le secteur public a une mission précise : la prise en charge médicale des personnes ne disposant d'aucune couverture santé, c'est-à-dire les franges les plus démunies de la population. Cet accueil est exclusif de tout rattachement à une caisse d'assurance maladie.
1. Les obras sociales : socle du régime d'assurance maladie
Les premières structures de protection sociale ont été créées en Argentine dès le début du XX e siècle. Ces structures d'origine ouvrière ont d'abord pris en charge les risques liés aux accidents du travail.
Il faut attendre les années quarante pour voir se développer des organismes dédiés à la prise en charge de la santé, puis le second plan quinquennal (1953-1957) pour que la protection de la santé devienne un objectif politique majeur. Ces structures sont au coeur du compromis social conclu entre les organisations syndicales et le gouvernement de Juan Peron. Ce développement d'un système d'assurance maladie coïncide avec la création, depuis 1949, d'un ministère de la santé.
a) Les étapes conduisant à la création du système d'assurance maladie
Les mutuelles ouvrières, devenues obras sociales, ont servi de base à l'essor d'une branche maladie au sein d'un système de sécurité sociale professionnelle.
Initialement réservé aux salariés du secteur privé, le bénéfice de l'assurance maladie a été étendu par étapes à de larges pans de la population : fonctionnaires gouvernementaux et locaux, cadres, retraités.
Le recours à des structures sectorisées n'a fait qu'ajouter à la complexité du système. Cette fragmentation est encore palpable aujourd'hui puisqu'au sein de cette fraction du régime obligatoire d'assurance maladie cohabitent différentes catégories d'obras sociales gérées par les organisations syndicales, les entreprises, l'état fédéral ou encore les régions.
Il faut attendre les années soixante-dix pour que les pouvoirs publics mettent en place les premières politiques de régulation des obras sociales et ébauchent les grandes lignes d'un système d'assurance maladie moderne et solidaire.
La loi 18610 de février 1970 assigne à l'Etat un pouvoir de contrôle sur le fonctionnement des obras sociales. Un Institut national des obras sociales (INOS) est chargé de la régulation du secteur.
Un fonds de solidarité ( Fondo de Redistribucion ), alimenté par une cotisation spécifique, assure une péréquation financière entre les différentes structures.
La couverture offerte par les différentes structures est harmonisée, l'affiliation des salariés au régime d'assurance maladie devient obligatoire et le bénéfice de cette couverture santé est systématiquement étendu à leurs familles. On organise l'unification des modes de financement et la fixation des règles de cotisations salariales et patronales.
En 1971, le développement du régime d'assurance maladie se poursuit avec la création d'obras sociales spécifiques pour les cadres ainsi que la constitution d'une structure spécifique pour les retraités - Instituto Nacional de Servicios Sociales para Jubilados y Pensionados connu sous le nom de PAMI ( Programa de Atencion Medical Integral ).
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Ces obras sociales , fruit d'une longue histoire, constituent aujourd'hui la pierre angulaire du système d'assurance maladie argentin et assurent la couverture d'environ 52 % de la population . A la fin des années soixante, elles ne bénéficiaient qu'à 3,5 millions de personnes, soit 27 % de la population.
Elles relèvent de trois catégories différentes :
- les obras sociales nationales ( Obras Sociales Nacionales - OSN) gérées par les administrations publiques nationales. Sur les 285 OSN inscrites sur le registre national de la Seguridad Social de Salud (SSS), les dix plus importantes regroupent 55 % des assurés, 134 d'entre elles rassemblent moins de 10 000 bénéficiaires et quarante-quatre moins de 1 000 ;
- les obras sociales régionales ( Obras Sociales Provinciales - OSP) gérées par les exécutifs régionaux. On en dénombre vingt-quatre, soit une par région ; les OSP assurent la couverture des agents publics employés dans la région. On constate une très grande disparité puisque, suivant les cas, elles couvrent entre 8 % et 40 % de la population active d'une région ;
- les obras sociales syndicales (OSS) gérées par les représentants du patronat et des employés. Il s'agit de structures organisées par branche professionnelle.