6. Quelle est leur stratégie de développement ?
Pour s'attaquer à des marchés, comme la France, qui leur sont fermés par des monopoles, des « opérateurs de paris sportifs s'installent dans des pays de l'Union européenne plus libéraux en matière de jeux et proposent leurs services sur le Net » 57 ( * ) .
Tout au long de ces paragraphes apparaissent les grandes lignes de cette stratégie : créations de solides structures techniques et financières, rodage très professionnel de l'offre de jeux, implantations sur des « têtes de pont » en Europe même (voir plus haut), infiltrations patientes dans le domaine du sponsoring des clubs sportifs avec présence dans leur communication sous toute ses formes ; enfin, face aux veto des Etats, attaques frontales contre ces monopoles avec ou sans saisine des institutions européennes, fondées sur les arguments tenant à la libre circulation des services en Europe.
L'énormité des enjeux financiers explique la détermination des « assaillants » de la forteresse Europe et incite à ne pas sous-estimer leurs chances d'obtenir gain de cause.
7. Où sont les risques ? Pour qui sont-ils ?
Le premier risque est d'ordre général, mais il est majeur pour un pays.
Quels que soient les défauts du système français en matière de jeux, il faut lui reconnaître le mérite d'avoir, au prix d'une réglementation draconienne et tatillonne et d'une vigilance de tous les instants, assaini un monde des jeux qui n'était pas spécialement réputé par le passé pour sa transparence et son intégrité .
C'est déjà beaucoup pour ce domaine de la protection de l'ordre public qui est une des fonctions régaliennes de l'Etat.
Or, le cantonnement des jeux entre trois secteurs, commercialement très différents, est efficace même si on peut regretter la multiplicité des tutelles ministérielles et l'absence, pour l'instant, d'une gestion « centralisée » de la politique des jeux de l'Etat.
Les contrôles sont nombreux, parfaitement réglés, l'Etat maîtrise la situation et c'est pour assurer le maintien de cette maîtrise qu'il a refusé jusqu'ici une multiplication déraisonnable des maisons de jeux ou des innovations telles que les machines récréatives à petits gains.
En outre, et c'est suffisamment rare pour être souligné, les alternances politiques en France n'ont jamais modifié cet état de choses.
La perspective de libéraliser du jour au lendemain (sous les injonctions d'une directive européenne ou non) toutes les activités de jeu, d'ouvrir la totalité de ce secteur à un procédé aussi nouveau qu'est internet, sans avoir mis en place un dispositif capable d'apporter les mêmes garanties pérennes de transparence, d'intégrité et de protection des mineurs ou des joueurs dépendants, cette perspective doit paraître insupportable à l'Etat tel que nous le connaissons.
On ne peut que le comprendre et l'approuver, mais cela n'est pas une raison pour refuser le dialogue et la recherche de solutions.
Il y a un autre risque d'ordre moral : les casinos virtuels off shore ou non offrent un risque très réel de blanchiments massif d'argent : les procédés sont nombreux à commencer par la distribution massive de « gains » à des joueurs complices.
On retrouve également là toutes les sources de fraudes, courses et matches truqués, corruption de joueurs isolés, d'arbitres et de dirigeants.
La grande criminalité « adore le jeu », les gains illégaux, les manipulations des sports et des sportifs et, bien sûr, ses possibilités immenses de blanchiment.
Il faut ne jamais oublier que le jeu en ligne (ordinateur, téléphone mobile ou autres) aboutit à une dématérialisation entre les éléments factuels et la réalité qui est aussi dangereuse pour les individus fragiles que délicate à contrôler, d'autant que les sites multiplient les moyens d'attraction, de séduction et de fidélisation des joueurs.
Enfin il ne faut entretenir aucune illusion : dans ce nouveau monde du Net, la lutte est tout aussi féroce qu'ailleurs.
Ainsi, il peut être intéressant (délictueusement) de freiner, voire d'annihiler les activités d'un site concurrent.
Rien de plus facile : il suffira de déclencher un déni de service en saturant le site par envoi massif de spams ; le site agressé, submergé, sera incapable de servir ses clients.
A la fin de l'attaque le site sinistré recevra un courriel offrant une « protection » 58 ( * ) contre ce risque et précisera le montant du loyer exigé pour elle et la garantie que les attaques ne se reproduiront pas.
Mais ces attaques peuvent se poursuivre de manière épisodique : de nombreux apprentis délinquants du Net ont investi le secteur.
Apparemment les risques existent aussi pour les opérateurs nouveaux si l'on en juge par la dépêche diffusée par l'Agence France Presse (AFP) le 8 septembre 2006 (voir annexes diverses) détaillant l'arrestation aux Etats-Unis du président non exécutif de Sportingbet, M. Peter Dicks, pour violation des lois sur les paris en ligne.
Son incarcération, qui suit celle de plusieurs dirigeants de BetonSports en juillet à Dallas (libération de M. David Carruthers, directeur général, contre une caution d'un million de dollars) prouve que l'Amérique a bien l'intention de faire respecter une loi de 1961 interdisant les paris sportifs par voie de télécommunication.
L'encre du paragraphe ci-dessus était à peine sèche que la foudre frappait, cette fois-ci en France, le 16 septembre 2006, d'autres dirigeants de sites de paris en ligne.
L'Equipe de ce jour là, sous la plume de M. Marc Chevrier, relatait l'arrestation musclée et volontairement spectaculaire de deux dirigeants fondateurs autrichiens de Betandwin, M. Mandred Bodner et Norbert Teufelgerger, à la Turbie (territoire français) au moment où ils s'apprêtaient à signer un contrat très médiatique de parrainage de l'AS Monaco (ligue 1).
Comme M. Frédéric Thiriez, président de la ligue de football professionnel (LFP), en prévenait le 29 août 2006 tous les présidents des clubs de Ligue 1, la FDJ avait porté plainte au pénal contre les clubs faisant la promotion de sites de paris en ligne sur leurs maillots, dans les stades ou sur leurs sites de club.
Menottés les dirigeants de Bwin ont été transférés à la maison d'arrêt de Nice dans l'attente d'une éventuelle mise en examen pour « infraction à la législation sur les jeux » selon une information ouverte en novembre 2005 59 ( * ) .
Ainsi éclate au grand jour un litige majeur dont traite ce rapport et qui est un élément majeur de la crise des jeux en Europe.
La guérilla qui opposait la FDJ aux sites internet de paris en ligne (demain le PMU ?) dans la défense de son monopole, devient guerre ouverte. C'est clair : rien ne sera plus comme avant.
Quitte à ce que FDJ et LFP soient bien contraints de s'entendre pour que la première rémunère de nouveau (car elle l'a déjà fait) l'utilisation par elle du calendrier de la Ligue 1.
* 57 Ibid. Bertrand d'Armagnac - Le Monde du 17 décembre 2005.
* 58 Le marchandage de ces « protections » est vieux comme le monde (et même comme le « plus vieux métier du monde »)
* 59 Y aurait-il eu concertation et entente des polices sinon des Etats ?