b) Des finalités protectrices
La politique française des jeux privilégie clairement la protection de l'ordre public par rapport à d'autres considérations, telles que la contribution de ces activités au développement économique, notamment à travers le tourisme, mises en avant, par exemple, par le Portugal et le Royaume-Uni dans leur réponse à l'institut suisse auteur de l'étude précitée.
D'autres pays évoquent la « passion du jeu » pour affirmer, soit qu'elle doit, soit être « satisfaite » (Pays-Bas, Hollande), soit qu'il faut éviter qu'elle ne s'accroisse et soit exploitée à des fins mercantiles.
L'Italie est le seul Etat où le législateur et le juge se réfèrent expressément aux implications morales de l'action des pouvoirs publics qui doit, entre autres objectifs, éviter d'encourager des comportements réprouvés par la société.
Les autorités irlandaises, quant à elles, rappellent que de donner aux pauvres l'espérance d'un gain substantiel illusoire est un mal qui doit être prévenu.
Les Etats, comme la France, où le jeu est interdit par principe, sous réserve d'exceptions, sont nombreux (Allemagne, Belgique, Pays-Bas...).
Notre pays indique que « cette interdiction de principe repose sur les dangers inhérents aux activités de jeux d'argent », les dérogations autorisées étant justifiées par l'affectation du produit des jeux à des « nobles causes » (c'est-à-dire à des dépenses d'intérêt général via le budget de l'Etat ou celui d'autres collectivités publiques).
La jurisprudence française récente citée, en réponse aux questions de l'institut de Lausanne, justifie souvent par la protection de l'ordre public les restrictions apportées au libre exercice de l'activité d'opérateur de jeux 96 ( * ) .
Il faut reconnaître que cette notion d'ordre public n'a jamais été définie par le Conseil constitutionnel, bien qu'il ait fait de sa sauvegarde un objectif de valeur constitutionnelle.
Elle recouvre, en droit administratif français, le « bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique », présentant ainsi un lien assez fort avec l'intérêt général (dont la défense peut légitimer, selon la Cour de justice européenne, pour des « raisons impérieuses », des restrictions, au sein de chaque Etat, à la libre prestation de services relatifs à l'offre de jeux).
L'ordre public correspond, en effet, à de grands principes qui touchent à l'organisation de la société, à la défense de ses valeurs et aux moyens d'assurer une vie sociale harmonieuse et paisible.
C'est donc une notion très large qui concerne la protection sociale, les activités économiques, des politiques publiques aussi bien préventives que répressives...
Sa protection peut requérir, dans l'intérêt général, la limitation de certaines libertés comme celle du commerce et de l'industrie.
Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas reconnu à celle-ci de valeur constitutionnelle mais à la seule liberté d'entreprendre 97 ( * ) .
Il n'a pas non plus intégré le principe de libre concurrence au bloc de constitutionnalité, bien qu'il s'agisse d'un fondement de la construction communautaire.
Le préambule de la Constitution de 1946, repris par celle, en vigueur, du 4 octobre 1958, légitime, pour sa part, d'éventuelles limitations à la libre entreprise et au droit de propriété quand l'exploitation d'une activité « acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait ».
Mais le juge constitutionnel français n'a, de toute façon, jamais été amené à appliquer ces grands principes au droit des jeux.
Ainsi, dans un pays qui a le goût et la tradition du monopole et ne place pas le principe de libre concurrence au sommet de sa hiérarchie des normes juridiques, la défense de l'ordre public prévaut contre toute autre considération en matière de jeu .
Mais la protection de l'ordre public (en Italie) ou social (Belgique), ou celle des intérêts de l'individu et de la société (Suède), sont également mises en avant par le législateur et le juge, ailleurs que chez nous, pour justifier des restrictions au principe européen de la libre prestation de service.
Dans sa réponse au questionnaire de l'institut suisse précité, la France invoque plus particulièrement la nécessité de surveiller à la fois :
- l'offre (intégrité, sécurité, fiabilité, transparence) ;
- la demande, qui doit être « encadrée » (pour prévenir la dépendance) et « canalisée », afin d'empêcher le blanchiment d'argent ou toute autre fraude.
Le jeu est donc perçu par les pouvoirs publics français, comme par les autorités d'autres pays, comme une activité dangereuse dont il faut prévenir ou sanctionner les dérives éventuelles, dans l'intérêt du jeu lui-même (en préservant son intégrité) et de la société (en empêchant qu'il soit exploité à des fins criminelles).
* 96 - Arrêt du Conseil d'Etat n° 202666 du 15 mai 2000, confédération française des professionnels en jeux automatiques, s'agissant du monopole de la Française des jeux dans l'exploitation des jeux de loterie.
- Arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 janvier 2006, n° 05/15773 - PMU contre Zeturf.
* 97 Sur la base de l'article IV de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel « la liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ».