b) Que penser de cette initiative ?
? En ce qui concerne l'ouverture des questions préjudicielles à l'ensemble des juridictions nationales, on ne peut qu'être favorable à cette idée .
En effet, dès 1995, la Cour de justice avait adressé cette mise en garde : « Limiter la possibilité de saisir la Cour aurait pour effet de mettre en cause l'application et l'interprétation uniformes du droit communautaire dans l'ensemble de l'Union, et risquerait ainsi de priver les particuliers d'une protection juridictionnelle effective et de porter atteinte à l'unité de la jurisprudence (...). Le système de renvoi préjudiciel constitue la véritable clé de voûte du fonctionnement du marché intérieur, puisqu'il est essentiel à la préservation du caractère communautaire du droit institué par les traités et qu'il a pour but d'assurer en toute circonstance à ce droit le même effet dans tous les États membres (...). L'une des missions essentielles de la Cour consiste précisément à assurer une telle interprétation uniforme et c'est en répondant aux questions posées par ces tribunaux nationaux qu'elle s'en acquitte » (3 ( * )) .
Lors de son audition dans le cadre des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, l'ancien Président de la Cour, M. Rodriguez Iglesias, avait regretté la persistance de disparités dans le contrôle juridictionnel au sein de l'Union européenne et il avait recommandé « l'uniformisation du système de protection juridictionnelle sur la base du modèle communautaire » qui constituerait d'après lui « la meilleure voie pour assurer le respect du droit dans tout le domaine de l'Union européenne » .
De plus, comme le relève la Commission européenne, la dérogation introduite à l'article 68 § 1 du TCE intervient dans des politiques qui sont d'une sensibilité particulière au regard des droits fondamentaux. Or, en raison de cette dérogation, les personnes concernées sont contraintes d'épuiser toutes les voies de recours nationales jusqu'au dernier degré de juridiction, pour obtenir qu'un renvoi préjudiciel puisse clarifier leurs droits. En outre, le système actuel aboutit à une situation paradoxale. Étant donné que seule la Cour de justice est compétente pour prononcer l'invalidité d'un acte, un juge national de première instance ou d'appel sera contraint d'appliquer un acte, même s'il était convaincu de l'illégalité de l'acte en question, sans pouvoir saisir la Cour de justice.
La difficulté tient cependant au risque de surcharge de la Cour de justice, en particulier pour les domaines de l'asile et de l'immigration, qui se caractérisent par un contentieux de masse et des fortes contraintes de délais.
Ainsi, le traitement des demandes d'asile est souvent encadré dans de brefs délais au niveau national. Or, le délai moyen de réponse de la Cour de justice à une question préjudicielle était de vingt mois en 2005.
En tout état de cause, une telle mesure devrait donc s'accompagner de la mise en place d'une procédure accélérée au sein de la Cour de justice permettant de traiter dans des délais raisonnables les questions préjudicielles relatives à ces matières.
Le nouveau Président de la Cour de Justice, M. Vassilios Skouris, a d'ailleurs adressé récemment une lettre à la présidence finlandaise et aux États membres, dans laquelle il propose l'introduction d'une nouvelle procédure accélérée au sein de la Cour pour traiter dans un délai rapide les questions préjudicielles relatives aux libertés publiques.
? En revanche, la suppression de la possibilité reconnue à un État membre, à la Commission ou au Conseil, de saisir la Cour d'une demande d'interprétation ne paraît pas souhaitable. Bien que cette faculté n'ait jamais été utilisée jusqu'à présent, elle conserve cependant une réelle utilité. Ainsi, on pourrait imaginer que, lors de l'élaboration d'un texte législatif au niveau national, une difficulté se pose au sujet de sa conformité avec le droit communautaire. Il serait alors utile de saisir la Cour de justice d'une demande d'avis.
? Enfin, la suppression de la réserve d'ordre public pourrait avoir pour conséquence de soumettre au contrôle de la Cour de justice le recours à la clause de sauvegarde de l'article 2 § 2 de la Convention d'application de l'accord de Schengen, qui permet à un État de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace à l'ordre public ou à la sécurité nationale. Or, comme l'a affirmé le Sénat, dans sa résolution du 15 février 2005, « la décision de réintroduire temporairement des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace à l'ordre public, à la santé publique ou à la sécurité nationale doit continuer à relever de la seule appréciation de l'État ou des États concerné(s) par cette menace ». Pour cette raison, elle n'apparaît pas opportune.
Le recours de la « clause passerelle » de l'article 67 § 2 paraît utile et envisageable pour renforcer l'étendue des compétences de la Cour de justice en matière de questions préjudicielles pour toutes les matières relevant du titre IV du TCE à la condition de mettre en place une procédure accélérée au sein de la Cour de justice. |
* (3) Rapport de la Cour de justice sur certains aspects de l'application du traité sur l'Union européenne, 1995.