C. UNE RECETTE AFFECTÉE EN FAVEUR DES MONUMENTS HISTORIQUES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Proposition n° 7 : Envisager la création, à l'horizon 2008, en faveur des monuments classés et inscrits des collectivités territoriales, d'une seconde recette d'au moins 90 millions d'euros, assise sur le produit de la Française des jeux
Ce mode de financement a fait ses preuves en Grande-Bretagne où les fonds de la loterie nationale constituent la première source de financement public de la restauration des monuments protégés.
Les responsables du « Heritage Lottery Fund » que la mission d'information a rencontrés au cours de son déplacement à Londres, lui ont précisé que, depuis sa création en 1994, la loterie anglaise a drainé vers le patrimoine monumental anglais public plus de 3 milliards de livres sterling, soit près de 4,5 milliards d'euros, soit une moyenne de 375 millions d'euros par an. Le succès de cette formule a conduit les autorités italiennes à l'imiter et à consacrer à la culture -au cinéma mais aussi au patrimoine architectural- une partie des recettes du loto.
En France, le produit de la Française des jeux fait déjà l'objet d'un certain nombre de prélèvements publics, au profit du budget de l'Etat, des comptes sociaux, et au profit du sport. Compte tenu de l'importance du chiffre d'affaires de la Française des jeux -près de 9 milliards d'euros en 2005- un très faible taux garantit un apport financier appréciable : le taux de 2,8 % a ainsi permis au sport de bénéficier, en 2005, de 250 millions d'euros.
Un taux de 1 % permettrait aux monuments publics que sont les monuments des collectivités territoriales, de bénéficier, à l'image des monuments nationaux, d'une recette affectée de 90 millions d'euros.
D. LE PATRIMOINE PRIVÉ : DES MESURES SPÉCIFIQUES POUR REMÉDIER À UNE CRISE DANS LA CRISE
Les monuments historiques privés représentent une partie importante du patrimoine monumental. Sur les 41 000 immeubles protégés (35 % des monuments classés et 65 % des monuments inscrits), la moitié environ appartient à des propriétaires privés.
Ces monuments ont pâti, au même titre que les monuments « publics » appartenant aux collectivités territoriales ou à l'Etat, de la crise financière de la politique du patrimoine.
Cette crise a contribué à l'aggravation d'une autre crise, chronique et spécifique aux monuments privés. Celle-ci tient à l'aggravation des coûts d'entretien et de restauration qui accentue le caractère déficitaire de leur gestion, au point de faire peser une sourde menace sur la propriété et la transmission de ce patrimoine.
Votre mission d'information ne sous-estime pas le risque que constitue la tentation, pour certains propriétaires, de céder un patrimoine auquel ils sont certes d'autant plus attachés qu'il est dans leur famille depuis des générations, et que leur histoire se nourrit de la sienne, mais qui représente une charge financière et une dépense de temps et d'énergie intimidantes pour eux, et plus encore pour leurs éventuels héritiers.
Elle estime, en conséquence, qu'il convient de compléter les aides, déjà très significatives, consenties aux propriétaires de monuments, par quelques mesures, pour conjurer des risques de ventes qui ne pourraient être que préjudiciables à la collectivité.
Le changement de propriétaire d'un monument entraine, en effet, souvent des inconvénients :
- soit l'acheteur est une personne publique (Etat ou collectivité territoriale), et la reprise du monument entraîne un alourdissement des charges : l'entretien et la restauration sont alors intégralement couverts par des fonds publics, et les tâches d'animation, de gestion et d'entretien qu'assuraient bénévolement les anciens propriétaires, doivent être assurées par des personnels rémunérés ;
- soit l'acheteur est une personne privée, et celle-ci risque d'être tentée de fermer au public le monument ; car les nouveaux acheteurs, plus fortunés que les anciens, estiment souvent ne pas avoir besoin des recettes d'appoint et des avantages fiscaux que procurent l'ouverture à la visite, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de non résidents.
Votre mission formulera trois propositions pour confirmer et compléter l'aide significative que l'Etat apporte déjà aux propriétaires privés :
- la garantie d'un minimum de subventions d'entretien et de fonctionnement ;
- la confirmation d'un régime fiscal favorable ;
- l'accès à des financements privés grâce à une extension des dispositions relatives au mécénat.
Proposition n° 8 : Garantir aux monuments historiques privés une proportion minimale -fixée à 10 %- des crédits du « patrimoine monumental et archéologique » leur permettant de bénéficier à l'avenir d'une enveloppe d'au moins 30 millions d'euros
La réforme du Centre des monuments nationaux et la recette affectée qui l'accompagne intéressent exclusivement les monuments historiques appartenant à l'Etat.
Ceux-ci ne représentent cependant qu'une proportion minoritaire de l'ensemble des 41 000 monuments protégés même s'il s'agit, en général, de monuments particulièrement importants, comme, par exemple, les cathédrales.
Or votre mission d'information a relevé avec une certaine inquiétude dans le projet de budget pour 2007 de la mission culture une diminution de 18,5 % des crédits d'intervention inscrits au titre 6 destinés à subventionner les travaux d'entretien ou de restauration sur des monuments n'appartenant pas à l'Etat et dont les propriétaires -collectivités territoriales ou personnes privées- assurent eux-mêmes la maîtrise d'ouvrage.
Ces considérations l'ont conduite à recommander la création d'une recette affectée en faveur des monuments historiques publics que sont les monuments des collectivités territoriales.
S'agissant des monuments privés, elle estime que le montant des subventions consacrées chaque année à leur entretien et à leur restauration devrait atteindre 30 millions d'euros ce qui représenterait, actuellement, 10 % des crédits inscrits au projet de budget pour 2007 du ministère en faveur de l'action 1 « Patrimoine monumental et archéologique » du programme 175.
Proposition n° 9 : Étendre à la conservation et à l'entretien des monuments privés les dispositions fiscales relatives au mécénat
Les entretiens qu'a eus votre mission d'information au cours de ses travaux, et notamment à l'occasion de ses déplacements en province, l'ont confirmée dans l'idée que la conservation et l'entretien des monuments privés représentaient une charge de plus en plus lourde pour les propriétaires privés.
Compte tenu des limites du financement public, elle estime qu'il convient de rechercher de nouvelles sources de financement , à travers une extension du dispositif relatif au mécénat .
Celui-ci repose actuellement sur deux dispositions du code général des impôts, qui autorisent des réductions d'impôt au bénéfice des personnes physiques et des sociétés :
- l'article 200 du code général des impôts permet aux personnes physiques de soustraire de leur impôt sur le revenu 66 % des sommes versées au titre du mécénat, dans la limite de 20 % de leurs revenus imposables ;
- l'article 238 bis , qui en constitue le pendant pour les entreprises, autorise celles-ci à soustraire de leur impôt 60 % de leurs versements au titre du mécénat, dans la limite de 5 pour mille de leur chiffre d'affaires.
Ces deux régimes fiscaux jumeaux sont ouverts pour les sommes versées, notamment, à des fondations ou associations reconnues d'utilité publique, ou à des oeuvres et à des organismes d'intérêt général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique.
Votre mission souhaite que ce dispositif puisse également bénéficier à la restauration et à la conservation des monuments historiques privés, classés ou inscrits, dès lors qu'ils sont ouverts à la visite ou à l'accueil du public lors de manifestations culturelles, ou organisés à des fins d'activités scientifiques ou pédagogiques.
A cette fin, le bénéfice des dispositions des articles 200 et 238 bis du code général des impôts pourrait être étendu aux sommes versées, par exemple, à la Fondation du patrimoine.
La mission souhaite vivement que la Fondation du patrimoine se donne à cette occasion les moyens d'assurer une véritable péréquation géographique de son aide de façon à ce que les fonds qu'elle draine ne se concentrent pas exclusivement sur les monuments situés dans les grandes villes mais puissent bénéficier aux monuments privés présents sur l'ensemble du territoire.
Bien entendu, cette réforme supposerait une modification des statuts de la Fondation du patrimoine pour lui permettre d'intervenir également sur les monuments classés et les monuments inscrits, qui échappent actuellement à ses attributions.
Proposition n° 10 : Préserver le dispositif fiscal lié à la « loi Malraux » en faveur des secteurs protégés
Le projet de loi de finances pour 2006 a institué un plafonnement global des avantages fiscaux dont les contribuables sont susceptibles de cumuler les bénéfices.
Notre commission s'était réjouie que le Gouvernement ait fait le choix d'exclure de ce plafond global les déductions et les exonérations intéressant la politique du patrimoine décrites dans l'annexe du présent rapport, et qui, dans le cas contraire, auraient été vidées d'une grande partie de leur contenu.
Elle s'était en revanche inquiétée de ce que les dispositions de l'article 156-1-3° du code général des impôts relatif aux secteurs sauvegardés et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) devaient, au terme d'une courte période de transition, être assujetties à ce plafond.
Elle avait jugé d'autant plus regrettable cette décision que ce dispositif fiscal est strictement encadré, puisqu'il ne concerne que les déficits provenant de dépenses autres que les intérêts d'emprunt effectués sur des locaux d'habitation, en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti, situé dans un secteur sauvegardé ou dans une ZPPAUP et sous réserve que le propriétaire prenne l'engagement de les louer nus pendant une durée de six ans.
Elle redoutait que, compte tenu de l'importance du montant de ces travaux de restauration, le plafonnement envisagé ne vide de sa portée un dispositif qui joue un rôle important dans la restauration des centre-villes historiques, en incitant des investisseurs à s'intéresser à des immeubles dont la remise en état est généralement coûteuse, compte tenu des contraintes particulières qu'ils doivent respecter.
Elle avait, en conséquence, défendu un amendement excluant ce dispositif du plafonnement estimant qu'il serait d'autant plus regrettable d'affaiblir un pan significatif de notre politique en faveur des secteurs protégés, que le ministère de l'économie et des finances admettait lui-même être dans l'incapacité d'évaluer le coût fiscal de cette mesure.
Cet amendement a été repoussé, mais la décision du Conseil constitutionnel qui a annulé cette disposition pour excès de complexité lui a, fort heureusement, finalement donné gain de cause.
Votre mission tient à réaffirmer ici son hostilité de principe au plafonnement du dispositif « Malraux » tant que les ministères compétents seront incapables d'avancer un chiffrage fiable et précis de la dépense fiscale qu'il représente.
Proposition n° 11 : Mieux évaluer la dépense fiscale afférente aux différents dispositifs en faveur du patrimoine monumental et des secteurs protégés
Lors de son audition par votre mission d'information, la direction de la législation fiscale a expliqué qu'elle n'était pas en mesure, pour des raisons techniques, de réaliser une évaluation systématique et précise de la dépense fiscale afférente aux dispositifs en faveur du patrimoine architectural, faute de pouvoir procéder à une ventilation des différentes exonérations auxquelles peuvent prétendre les personnes physiques.
Votre mission juge cependant anormal que l'administration fiscale ne puisse évaluer le coût de ces mesures fiscales et que le Parlement doive légiférer à l'aveugle dans ces matières sensibles. Il lui paraît indispensable que le ministère de l'économie et des finances se dote des outils pertinents de façon à ce qu'il soit à l'avenir possible d'évaluer ce qui, de l'avantage fiscal, ou de la subvention budgétaire, constitue le levier le plus efficace pour la sauvegarde du patrimoine monumental privé.
Proposition n° 12 : Examiner les difficultés qui résultent, pour les propriétaires privés de monuments historiques ouverts à la visite, de l'évaluation de la valeur de leurs biens
Les monuments historiques ne sont pas exonérés de l'impôt de solidarité sur la fortune, contrairement aux oeuvres d'art, auxquelles ils sont cependant apparentés et qui bénéficient depuis l'origine, en 1981, d'un régime de faveur.
Leur intégration dans l'assiette de l'impôt soulève des difficultés pratiques, qui tiennent à la détermination de la valeur nette de ces biens, difficilement évaluable, faute de marché véritable, et de point de comparaison pertinent
En outre, dès lors qu'il est ouvert au public, la partie du monument qui est accessible à la visite échappe , en quelque sorte, à la jouissance privative du propriétaire. Doit-elle dans ces conditions figurer dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune ?
La mission invite donc le Gouvernement à examiner les difficultés qui résultent , pour les propriétaires de monuments historiques privés ouverts au public, de l'évaluation de la valeur vénale du bien, et plus particulièrement de l'assujettissement à l'impôt de solidarité sur la fortune de la partie du monument ouvert à la visite.
Proposition n° 13 : Étendre le bénéfice du chèque emploi-service au recrutement des guides saisonniers
Les propriétaires privés contribuent au développement de l'emploi, notamment lorsque, ouvrant à la visite leurs monuments, ils recrutent des guides saisonniers parfois pour des périodes assez courtes.
Certains des interlocuteurs de la mission ont insisté sur la lourdeur et le coût de procédures qui leur sont imposées par l'administration et notamment celle de l'emploi, à l'occasion du recrutement de ces guides.
Est-il vraiment indispensable d'imposer, préalablement au recrutement d'un étudiant pour un emploi à temps partiel et pour une période de deux ou trois semaines, l'ensemble des formalités liées à l'embauche et à l'emploi d'un salarié, et notamment celles de la médecine du travail ?
Votre mission considère plutôt que ce type d'emploi, dès lors qu'il est à temps partiel, particulièrement lorsqu'il porte sur des recrutements saisonniers, doit être intégré dans le champ du chèque emploi-service .
Cette solution a le mérite de la simplicité même s'il convient de rappeler que, à l'occasion de la discussion de la loi du 19 mai 2003, une autre voie avait été explorée avec la création, à l'initiative du Sénat, d'un dispositif spécifique : le « chèque emploi jeune été ». La mise en oeuvre effective de ce dispositif qui se proposait de faciliter les emplois saisonniers d'étudiants a cependant été paralysée par l'absence de décret d'application.
Votre mission invite donc de façon pressante le Gouvernement à prendre en compte la volonté déjà exprimée par le Parlement en privilégiant la voie d'une solution plus simple à travers l'extension aux emplois de guides saisonniers du bénéfice du chèque emploi-service.
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Au cours de sa réunion du mardi 24 octobre 2006, la commission des affaires culturelles a approuvé à l'unanimité les conclusions de la mission d'information et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.