B. LES INTERROGATIONS SUR L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME CLIMATIQUE

Comment le système climatique de la planète peut-il évoluer au cours du siècle prochain ?

Les scénarios établis par le GIEC sont commandés par deux variables qui comportent des degrés d'incertitude :

• la « facture climatique » énergétique des économies mondiales,

• et la physique du climat.

1. La « facture climatique » de l'économie mondiale

Actuellement, 85 % des besoins en énergie de l'humanité sont assurés par la transformation de combustibles générateurs d'émissions de CO 2 .

L'extrapolation des tendances actuelles aboutirait, d'après les évaluations moyennes, à augmenter massivement les émissions annuelles de gaz carbonique en 2050. Et si on se fie à la seule pente du développement des économies asiatiques et nord-américaines, les évaluations les plus pessimistes conduisent plutôt à une multiplication de ces émissions par un facteur supérieur à 5 à cet horizon.

Or, compte tenu de l'inertie du système, la simple stabilisation de la teneur en CO 2 de l'atmosphère autour de 550 ppm 2 ( * ) - contre 380 ppm actuellement - exigerait une diminution par 2 des émissions actuelles .

Le facteur anthropique est donc une des variables de commande de l'évolution du climat de la planète . La forme de cette activité se traduira par une stabilisation, puis un ralentissement du réchauffement ou au contraire par son accélération avec des surprises climatiques dévastatrices dans bien des zones très peuplées.

2. La physique du climat

Par le nombre de paramètres dont elle dépend, la physique du climat est un phénomène d'une très grande complexité.

Mais les spéculations sur l'avenir du climat de la planète peuvent se résumer à deux questions principales :

• Quelle sera, au cours de ce siècle, le poids du changement climatique déjà acquis et programmé d'ici 2050 ?

• Quels sont les risques de dérapage du système climatique de la planète en cas d'accroissement des gaz à effet de serre ?

a) La vitesse acquise

Ni les modélisations effectuées sur le climat passé, ni l'exploitation des retours d'information sur les modélisations prédictives effectuées depuis 1990 ne génèrent un optimisme excessif quant aux effets futurs du réchauffement climatique déjà enregistré.

Un premier constat peu réjouissant , que l'on peut opérer grâce aux forages glaciaires (qui nous permettent de remonter jusqu'à 650.000 ans) est que, sur longue période, la force globale des puits de carbone (biomasse, océan) évolue en proportion inverse de la température.

Les modélisations prédictives indiquent parallèlement, sur courte période, que le réchauffement climatique va induire un affaiblissement progressif des puits :

- dans l'océan, en particulier parce que le réchauffement des couches superficielles y diminue les capacités de dissolution du gaz carbonique,

- dans la biomasse, en particulier parce que le réchauffement augmente la dégradation bactérienne des matières organiques du sol et donc accélère le volume des émissions.

Ces acquis théoriques sont confirmés par un retour d'expérience fort :

• au regard des modèles prédictifs antérieurs, ce sont, à chaque ajustement par les experts, les fourchettes hautes d'estimation qui se confirment,

• toute une série de faits particulièrement inquiétants matérialisent les effets du réchauffement :

- huit des dix années qui viennent de s'écouler sont parmi les plus chaudes du siècle dernier, 2005 étant la plus chaude et la température dans l'hémisphère nord s'est accrue de 0,4° C (#177; 0,1° C) en une dizaine d'années ;

- la fonte des glaces s'accélère aux deux pôles, diminuant ainsi le pouvoir réfléchissant de la calotte glaciaire et donc les capacités d'atténuation du réchauffement,

- le nombre des cyclones demeure à peu près constant, mais le nombre de cyclones graves (événements de catégories 4 à 5), s'est accru de 30 % entre 2000 et 2004.

L'ensemble de ces modélisations et de ces observations montre bien que même si l'on stabilisait immédiatement les émissions acquises de gaz à effet de serre à l'échelon mondial, nous ne sommes probablement qu'au début des problèmes climatiques que va induire la seule vitesse acquise par le réchauffement climatique déjà enregistré .

b) Les évolutions en cas de poursuite de la croissance des émissions de gaz à effet de serre

Que pourrait-il arriver si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas maîtrisées ?

Les réponses dans ce domaine ne sont pas uniques, compte tenu de la complexité des phénomènes. Elles ne relèvent pas non plus des mêmes horizons temporels. Mais elles peuvent être regroupées en trois rubriques : les risques d'emballement du système, les interrogations sur la dissymétrie de la physique du climat et les risques de dérèglement global du système climatique .

(1) Les risques d'emballement du système

Il existe deux possibilités principales d'emballement du système climatique, c'est-à-dire d'accélération des effets du réchauffement sur les puits à carbone, celles qui affectent le rôle de la végétation et celles qui concernent les sols.

• S'agissant de la végétation, deux points doivent être relevés.

D'une part, on a observé qu'en cas de très fortes chaleurs accompagnées de stress hydrique, les arbres ont tendance à restreindre leur activité de recyclage du gaz carbonique.

D'autre part, on a récemment mis en évidence le fait que les émissions de méthane que l'on croyait limitées aux zones humides proviennent aussi des forêts. D'où autant de questions sur le comportement de ces puits potentiels de carbone en situation de réchauffement.

• Concernant les sols, deux études récentes peuvent être mentionnées :

- D'une part, les zones arctiques et panarctiques dont le permafrost stocke du CO 2 et du méthane - qui pourraient être libérés en cas de réchauffement climatique - contiendraient beaucoup plus de CO 2 qu'estimé auparavant (de l'ordre de 11 milliards de tonnes, contre 2,7 milliards de tonnes dans les évaluations précédentes).

- D'autre part, des simulations faites en serre depuis 1978 montrent que le CO 2 dans les sols se libère plus rapidement qu'on ne le pensait en cas de réchauffement. Une modélisation effectuée en serre montre qu'un accroissement des émissions de gaz à effet de serre supérieur à 200 ppm (actuellement on atteint 380 ppm avec l'objectif de stabiliser cette teneur à 550 ppm en 2050) fait chuter le bilan de captation/émission du CO 2 par les sols.

(2) La dissymétrie des phénomènes climatiques

Les prévisions d'augmentation des températures sont des prévisions moyennes ; elles n'excluent pas des phénomènes extrêmes autour de cette moyenne.

Par exemple, aussi bien les observations que les modélisations donnent à penser que l'élévation des températures pourrait être plus forte dans le nord et l'extrême nord de l'Europe. C'est ainsi qu'en Sibérie l'augmentation des températures a été beaucoup plus accentuée depuis 150 ans (2,5° C contre  0,8° C en moyenne sur la planète). Ces données sont confirmées par les dernières modélisations prédictives du GIEC.

Par ailleurs, des études montrent, sans que l'on ait déterminé pourquoi, que la végétation de l'hémisphère Nord est un puits à carbone beaucoup plus important par unité que celle de l'hémisphère Sud. De même, le CO 2 est-il quatre fois plus stocké dans l'Atlantique Nord que dans l'Atlantique Sud.

Les variations à la moyenne, la dissymétrie du système climatique planétaire sont autant de problèmes non résolus dont on mesure encore mal les conséquences sur les interrelations d'un système climatique en voie d'évolution.

(3) L'éventualité d'un dérèglement climatique profond

Deux éléments de la physique du climat pourraient y contribuer ou, en tout cas, amorcer ces dérèglements profonds avant la fin du siècle.

• La fonte des glaces du Groenland (dont on constate les prémices dans l'hémisphère Nord) représente un double danger :

- celui d'une élévation du niveau des eaux, non pas de l'ordre de 10 cm à 90 cm en 2100, comme dans la prévision du GIEC dont nous rappelons qu'elle ne tient pas compte d'événements tels que libération de gaz par le permafrost et augmentation de la libération du CO 2 par les sols, mais de l'ordre de 6 mètres pour le Groenland 3 ( * ) auxquels s'ajoutent 6 mètres pour l'Antarctique - même si l'inertie thermique due à l'épaisseur de la couche antarctique donne à penser que ce dernier risque est plutôt d'ordre millénaire, sauf effondrements massifs,

- et celui d'un amoindrissement du pouvoir réfléchissant de ces deux zones.

• Les premières perturbations dans la circulation de la dérive Nord-Atlantique du Gulf Stream ont été observées . Le débit des eaux refroidies s'enfonçant dans les couches profondes de l'océan et alimentant les remontées du Gulf Stream a diminué de 50 % depuis 1957. Ce qui signifie, à rebours, que la force du courant remontant du Gulf Stream, qui garantit au nord-ouest de l'Europe un climat tempéré, est en passe de s'affaiblir.

Une modélisation, couplant les modèles de circulation de l'atmosphère et ceux de l'océan, a abouti aux résultats suivants :

• si l'on injecte 1 % de CO 2 par an dans le modèle jusqu'à 80 ans (doublement du CO 2 de l'océan), on fait diminuer la circulation océanique qui ne se rétablit qu'après 500 ans 4 ( * ) ;

• mais si l'on poursuit cette injection de 1 % au-delà de 80 ans (on aboutit au quadruplement du CO 2 injecté dans l'océan en 160 ans), la circulation thermohaline ne se rétablit pas.

Dans le cas de commencement de réalisation, d'ici 2050, de chacun des risques de dérèglement décrits ci-dessus, les conséquences sur le climat de la planète pourraient être très sérieuses.

En définitive, que l'on s'attache à considérer les premiers effets du changement climatique, ses effets à venir sur la seule vitesse de réchauffement dès maintenant acquise, ou ses effets éventuels en cas d'absence de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, on se trouve confronté à des évènements à conséquences lourdes et probablement plus proches que ne peut le suggérer l'inertie du système.

* 2 Parties par million.

* 3 D'après un rapport commandé par le Gouvernement britannique, la fonte du bouclier glaciaire du Groenland s'accélèrera à compter d'une augmentation de la température de 1,5° C. Une étude très récente, mais dont les résultats sont controversés, établit qu'à la dernière interglaciation (- 130.000 ans) le niveau des mers était de 4 à 6 mètres plus élevé, à cause d'un réchauffement beaucoup plus fort de l'hémisphère Nord.

* 4 De 1987 à 2000, on a mesuré une diminution de cette circulation en Islande.

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