ANNEXES DE LA DEUXIÈME PARTIE
Annexe 1 : Comptes rendus des auditions
Annexe 2 : Compte rendu du déplacement à Dunkerque
ANNEXE 1 - COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
I. Audition de Mme Nicole Roth,
sous-directrice de l'observation de la solidarité à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement,
de Mme Elisabeth Algava, ancienne chargée d'études à la DREES,
et de M. Laurent Toulemon,
directeur de recherches à l'Institut national d'études démographiques (INED)
(8 novembre 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Après avoir présenté les intervenants, Mme Gisèle Gautier, présidente , a indiqué que la réunion de la délégation serait consacrée à une approche statistique des « nouvelles familles » que sont les familles monoparentales et recomposées.
Mme Elisabeth Algava , procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a abordé, sur la base de deux publications de la DREES, de février 2003 et mars 2005, l'aspect démographique des familles monoparentales, précisant que celles-ci sont définies comme comprenant un seul parent et au moins un enfant de moins de 25 ans.
Elle a fait observer que le nombre de familles monoparentales avait considérablement augmenté à partir des années 1980 et au cours des années 1990, passant de 680.000 en 1962 à 1,5 million en 1999, date du dernier recensement de la population, soit 17 % de l'ensemble des familles. Le taux de familles monoparentales se situe, pour la France, dans la moyenne européenne ; il s'établit à 10 % en Espagne mais atteint 25 % au Royaume-Uni. Mme Elisabeth Algava a par ailleurs souligné la diminution de la proportion d'hommes chefs de familles monoparentales, passée de 20 % en 1968 à 14 % en 1999, notamment en raison du recul du nombre de veufs. Elle a noté que les familles monoparentales comportaient en moyenne moins d'enfants que les autres, que plus les enfants étaient âgés, plus la proportion de ceux vivant dans une telle famille augmentait, et qu'un nombre croissant d'enfants vivaient au sein de ce type de familles (15 % des moins de 25 ans en 1999, contre 11 % en 1990).
Mme Elisabeth Algava a ensuite mis en évidence les limites du concept de famille dite monoparentale, qui se fonde sur le parent absent du logement mais pas nécessairement de la vie des enfants dans la mesure où ce parent continue, le plus souvent, d'entretenir des relations avec eux. En outre, certains parents apparaissant isolés au moment de l'enquête ne le sont pas en réalité, le nombre de couples non co-résidents étant présumé en augmentation, par exemple en raison d'un éloignement géographique. D'ailleurs, 8 % des femmes habitant seules avec leurs enfants disent vivre « en couple », ce pourcentage atteignant 25 % chez les hommes. Mme Elisabeth Algava a par ailleurs fait observer que la cohabitation intergénérationnelle était plus fréquente s'agissant des familles monoparentales.
Elle a ensuite abordé la place de la monoparentalité dans les trajectoires familiales et a fait observer que les femmes devenaient mères de famille monoparentale de plus en plus tôt, en raison de séparations précoces plus fréquentes. Elle a noté que, si les comportements actuels se maintenaient à l'identique, la proportion de personnes qui connaîtraient au moins un épisode d'une année seule avec leur(s) enfant(s), s'établirait à 4 % pour les hommes et à 31 % pour les femmes, dans une estimation basse, et respectivement à 5 % et 43 % dans une estimation haute. Elle a souligné que ces chiffres traduisaient une situation généralement transitoire car les personnes l'ayant connue sont bien plus nombreuses que celles qui la vivent à un moment donné.
Elle a, enfin, souligné l'évolution des histoires familiales et indiqué que le statut matrimonial des familles monoparentales s'était modifié : entre 1962 et 1999, la proportion des veufs ou des veuves a diminué, passant de 55 % à 11 %, celle des divorcé(e)s s'est accrue, de 15 % à 47 %, et celle des célibataires a considérablement augmenté, passant de 9 % à 32 % et ayant même plus que doublé depuis 1982. Elle a également noté que la séparation des parents était à l'origine des trois quarts des familles monoparentales, la moitié de ces familles étant issues de la séparation de parents mariés et un quart de la séparation de parents vivant en union libre.
Mme Nicole Roth a ensuite abordé les conditions de vie des familles monoparentales. Elle a indiqué que la proportion des mères de familles monoparentales occupant un emploi était de 68 %, soit la même que celle des mères en couple, alors que le taux de chômage était presque deux fois plus élevé chez les mères de familles monoparentales, s'établissant à 15 %, et que leur taux d'activité était donc plus élevé, soit 80 % contre 74 % pour les mères en couple. Elle a fait observer que le taux d'activité des mères de familles monoparentales dépendait plus fortement du nombre et surtout de l'âge des enfants. Elle a également noté que 26 % d'entre elles travaillaient à temps partiel, contre 36 % des mères en couple et que, pour les mères de familles monoparentales, le temps partiel était moins souvent un temps partiel choisi.
Mme Nicole Roth a indiqué que, lorsque les femmes avaient un emploi, la répartition par catégorie socioprofessionnelle était sensiblement la même pour les mères de familles monoparentales et pour les mères en couple, mais qu'il existait cependant des différences pour les femmes de moins de 35 ans, les mères en couple de cette génération occupant davantage des emplois de cadres et étant moins souvent employées que les mères de familles monoparentales.
S'agissant des modes de garde des enfants de moins de six ans, elle a précisé que les mères de familles monoparentales renonçaient à leur activité professionnelle plus fréquemment que les mères en couple. Elle a fait observer que le recours à une garde payante était aussi fréquent, que les mères de familles monoparentales combinaient davantage des modes de garde formels et informels, tels que la famille ou les voisins, et qu'elles utilisaient aussi plus souvent les centres aérés et les garderies, qui sont moins coûteux.
Mme Nicole Roth a indiqué qu'un tiers des familles monoparentales percevaient des pensions alimentaires, d'un montant moyen de 170 euros, et que 78 % déclaraient des revenus d'activité professionnelle. Elle a ajouté que 14 % de ces familles bénéficiaient d'une pension de retraite (ou d'une pension de réversion pour les veuves) et 24 % des allocations chômage, contre, respectivement, 7 % et 27 % pour les couples avec enfants, 8 % des familles monoparentales n'ayant aucune ressource initiale, cette proportion atteignant presque un quart en présence d'un enfant de moins de trois ans. Elle a noté qu'avant transferts, 42 % des familles monoparentales se trouvaient sous le seuil de pauvreté, contre 18 % des couples avec enfants.
Elle a expliqué que les revenus de transfert augmentaient de 20 % le niveau de vie des familles monoparentales, alors que cette progression n'était que de 1 % pour les couples avec enfants. Elle a attribué ce phénomène au rôle des allocations spécifiques telles que l'allocation de parent isolé (API), mais aussi à un barème de l'impôt sur le revenu plus favorable et à des ressources initiales moindres qui expliquent l'importance du rôle des prestations sous conditions de ressources. Elle a fait observer que les transferts réduisaient donc le taux de pauvreté des familles monoparentales. Ainsi, si 42 % des familles monoparentales se trouvaient en situation de pauvreté avant transferts, cette proportion n'était plus que de 14 % après ces transferts, contre, respectivement, 18 % et 6 % pour les couples avec enfants, cette réduction de la pauvreté étant spectaculaire pour les familles monoparentales comprenant des enfants de moins de trois ans, dont le « taux de pauvreté » passe de 70 % avant transferts à 8 % après transferts.
Mme Nicole Roth a ajouté que l'intensité de la pauvreté était également réduite, tout particulièrement pour les familles ayant des enfants nombreux ou jeunes, du fait des minima sociaux. Elle a en revanche constaté que le risque de pauvreté demeurait élevé lorsque les revenus d'activité sont nuls ou inférieurs à un demi-SMIC. Elle a indiqué que, fin 2003, 480.000 parents isolés étaient allocataires de minima sociaux, dont 188.000 au titre de l'API et 290.000 au titre du revenu minimum d'insertion (RMI), soit plus du quart de l'ensemble des allocataires du RMI. Enfin, elle a noté que les reprises d'emploi concernaient des emplois aidés, à hauteur du tiers, et des activités à temps partiel pour les trois quarts.
M. Laurent Toulemon , procédant également à l'aide d'une vidéo-projection, a ensuite évoqué la question des familles recomposées.
Il a d'abord insisté sur les limites de la définition de la famille recomposée, qui est loin d'être évidente, en raison des multiples formes qu'elle peut prendre, l'existence d'au moins un enfant né avant l'union, d'un seul des conjoints pouvant se traduire par la présence de beaux-enfants co-résidents avec le couple, tandis que les familles recomposées peuvent également vivre « à distance » et que l'âge des enfants et des beaux-enfants doit être pris en considération. Il s'est également interrogé sur les différences éventuelles entre les familles recomposées et les autres couples avec enfants, notant, par exemple, que tous les enfants d'une famille ne portaient plus nécessairement le même nom aujourd'hui. Il a également fait observer que les relations au sein des familles recomposées pouvaient être conflictuelles en raison des nombreuses configurations possibles, par exemple entre un beau-parent et un ou plusieurs beaux-enfants, entre les demi-frères et demi-soeurs ou « quasi-frères » et « quasi-soeurs », ou encore entre les parents biologiques (non gardiens), leurs conjoints (beaux-parents non gardiens) et leurs enfants.
Il a indiqué qu'au moment du recensement de 1999, les familles recomposées constituaient 10 % des familles avec enfants, soit environ deux fois moins que les familles monoparentales. Ainsi, si 12,5 millions d'enfants de moins de 18 ans vivaient avec leurs deux parents, 1,1 million vivaient avec un parent et un beau-parent et 2,7 millions avec un parent non en couple. Il a précisé que, pour 100 enfants vivant avec leurs parents, 10 % vivaient en famille recomposée et 17 % en famille monoparentale. Il a fait observer que la croissance du nombre des familles recomposées avait été limitée à 1,4 % entre 1990 et 1999, contre une hausse de 3,8 % des familles monoparentales. Au total, a-t-il ajouté, la France comptait, en 1999, 6,47 millions de familles dites « simples », soit 73 %, 1,64 million de familles monoparentales, soit 19 %, et 708.000 familles recomposées, soit 8 %, ces chiffres devant être maniés avec précaution compte tenu des limites de définition indiquées, les familles recomposées « à distance » et celles comprenant des enfants de plus de 25 ans n'étant pas prises en compte. Il a également noté que les enfants en famille recomposée vivent moins souvent avec leur mère que les enfants en famille monoparentale, cette situation concernant 84 % des enfants en famille monoparentale, mais seulement 63 % des enfants en famille recomposée.
Il a fait observer que les femmes se trouvant dans une situation de famille monoparentale cherchaient moins souvent que les hommes à retrouver une vie de couple dans une famille recomposée, dans la mesure où il était devenu plus facile qu'autrefois pour une femme de vivre seule avec ses enfants.
M. Laurent Toulemon a ensuite évoqué la fréquence de la recomposition familiale. Il a indiqué que, pour 100 adultes, 20 passeraient une période de leur vie en famille recomposée. Il a également noté qu'en moyenne, les hommes avaient un peu moins d'enfants que les femmes, ne serait-ce que parce qu'ils ont la possibilité de ne pas tous les reconnaître (6 % des enfants n'étant pas reconnus par leur père), mais qu'ils vivaient plus souvent qu'elles avec leurs beaux-enfants et qu'ils déclaraient plus souvent les « avoir élevés » quand ils ont vécu avec eux. D'ailleurs, a-t-il précisé, la relation des hommes avec leurs beaux-enfants apparaît généralement plus solide que celle des femmes avec les leurs, les beaux-pères co-résidents ayant des beaux-enfants plus jeunes et qui quittent le foyer familial plus tard que ceux qui vivent avec une belle-mère. En revanche, du fait des ruptures conjugales, les hommes sont plus précocement séparés de leurs enfants que les femmes. Il a également indiqué que les femmes étaient souvent les « pivots » des familles recomposées, mais plus rarement des belles-mères co-résidentes.
Il a estimé que la co-résidence constituait une notion floue, et a constaté l'augmentation des gardes partagées. Il a souligné la « mode » actuelle en faveur de la garde alternée, mais a rappelé qu'elle posait des problèmes pratiques, le choix de l'école par exemple. Il a également noté que les juges demeuraient réticents pour confier la garde au père, surtout si les enfants sont jeunes, précisant toutefois que peu d'hommes demandaient la garde de leurs enfants.
M. Laurent Toulemon a ensuite abordé le point de vue des enfants. Après avoir rappelé que, dans une famille recomposée, les adultes « héritaient » des enfants de leurs conjoints, il a expliqué que les enfants, indépendamment des relations que chaque enfant peut avoir avec les adultes, construisaient des relations de « germanité » qui peuvent se fonder sur la co-résidence ou sur le lien du sang, entre « quasi-frères » et « quasi-soeurs » vivant ensemble ou entre demi-frères et demi-soeurs « à distance ».
Soulignant la fragilité du lien conjugal et la permanence du lien parental, il a considéré que le principal enjeu pour les familles recomposées consistait à renforcer le lien entre bel-enfant et beau-parent sans casser le lien avec le parent biologique non gardien. Plus généralement, il a estimé que les familles recomposées posaient la question d'une définition actualisée des fratries, dans un contexte où les relations familiales deviennent multiformes et où le jeu des différents acteurs complique le travail des juges aux affaires familiales.
Puis un débat s'est engagé.
Abordant la question des minima sociaux dont les familles monoparentales comptent 480.000 allocataires, femmes pour la plupart, Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur la mesure et le montant du seuil de pauvreté.
Mme Nicole Roth a rappelé la définition du seuil de pauvreté - la moitié du niveau de vie médian - en précisant qu'il s'agit d'une construction statistique. Elle a ensuite distingué cet outil de mesure de la pauvreté et le montant des diverses allocations avant de préciser que le montant du revenu minimum d'insertion (RMI) était inférieur au seuil de pauvreté.
A propos des familles recomposées, Mme Gisèle Printz s'est ensuite interrogée sur les difficultés qui peuvent survenir en cas de succession.
M. Laurent Toulemon a indiqué que la loi ignorait le lien entre les beaux-parents et les beaux-enfants, sauf en cas d'adoption simple. Rappelant que les réformes récentes du droit de la famille manifestaient la volonté du législateur de préserver les relations entre les pères et leurs enfants, il s'est interrogé sur le bien-fondé de la prééminence, au plan juridique, du parent biologique sur le parent social.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz , M. Laurent Toulemon a ensuite indiqué que, du point de vue juridique, les relations sexuelles entre « quasi frères » et « quasi soeurs » ne sont pas incestueuses. Revenant sur le fait que la loi ignore les liens entre beaux-parents et beaux-enfants, il s'est interrogé sur la nécessité et sur la difficulté d'élaborer un statut spécifique des beaux-parents.
Il a ensuite évoqué l'évolution des mentalités à l'égard des familles recomposées en rappelant que s'était manifestée, dans les années 1950, une tendance à essayer de cacher l'appartenance à une famille recomposée, et que certains préjugés concevaient le beau-père comme un violeur potentiel de ses beaux-enfants. Il a précisé qu'en l'absence d'un statut juridique explicite pour le « beau-parent », le lien unissant un adulte aux enfants de son conjoint pouvait prendre des formes très diverses.
Mme Gisèle Gautier, présidente , revenant sur la difficulté de certains pères à obtenir la garde des enfants, a annoncé, sur ce thème, l'audition prochaine de représentants d'une association de pères. Elle s'est ensuite interrogée sur l'évolution statistique des familles recomposées et monoparentales depuis 1999.
M. Laurent Toulemon a estimé que les pères ne souhaitaient pas, la plupart du temps, la garde des enfants et précisé que les pères qui en faisaient la demande en justice l'obtenaient une fois sur deux. Il a ensuite regretté de ne pas disposer des moyens d'actualiser l'enquête réalisée en 1999 et évoqué les difficultés concrètes de l'interrogation de certaines personnes sur leurs liens familiaux ou leurs enfants.
Mme Monique Cerisier ben Guiga s'est demandé si on pouvait estimer statistiquement le risque de pauvreté d'un enfant vivant dans une famille monoparentale, dans le but d'en tirer des conséquences concrètes en matière d'aide scolaire ou sociale.
Mme Nicole Roth a indiqué que le risque de pauvreté dans les familles monoparentales était élevé et apparaissait comme une conséquence majeure du chômage ou de l'inactivité qui les frappe. Après avoir insisté sur le facteur fondamental que constitue l'emploi, elle a noté que les familles monoparentales subissaient, plus que les autres, les difficultés de la garde des enfants.
Evoquant le cas de certaines familles recomposées de Français de l'étranger, Mme Monique Cerisier ben Guiga a exposé la situation de certains enfants qui, conformément aux usages, portent le nom de leurs beaux-parents à l'étranger et se voient ensuite contraints par la justice française à porter le nom de leurs parents biologiques lorsqu'ils reviennent sur le territoire national.
M. Laurent Toulemon a indiqué que la récente réforme du droit du nom s'articulait autour du principe selon lequel les enfants d'une même fratrie porteraient le même nom, en précisant que l'application de ce texte était cependant complexe. Il a fait ensuite observer que l'adoption simple pouvait constituer une solution pour reconstituer une fratrie au sein d'une famille recomposée et que chacun avait la possibilité de porter comme nom d'usage le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien. D'une façon plus générale, il a souligné que les enfants n'échappaient pas à leur histoire familiale, l'essentiel étant qu'ils puissent l'assumer.
Il a ensuite estimé que la notion de handicap social était particulièrement complexe et que, de ce point de vue, les familles recomposées ne présentaient pas plus de risques que les autres.
Mme Gisèle Printz a évoqué la persistance d'un certain nombre de préjugés à l'égard des familles monoparentales, en regrettant que cette appellation conserve une dimension péjorative.
Mme Annie David a estimé que le regard de la société française devrait évoluer à l'égard des familles recomposées. Elle a, en particulier, évoqué les problèmes concrets qui se posent dans le cadre de la scolarité des enfants qui vivent dans ces familles. Elle a témoigné de la persistance d'une certaine stigmatisation des familles recomposées qui se manifeste, notamment, à l'occasion des réunions de parents d'élèves. Elle a, en conséquence, estimé souhaitable de lancer des campagnes de sensibilisation à ce sujet.
Abordant ensuite la question de la pauvreté des familles monoparentales, Mme Annie David s'est demandé si les difficultés de garde d'enfants ne constituaient pas un obstacle majeur à l'emploi des mères.
Evoquant des situations concrètes de cohabitation de familles issues de couples séparés dans des logements sous dimensionnés, Mme Annie David s'est ensuite inquiétée des risques relatifs aux relations entre « quasi frères » et « quasi soeurs » amenés à dormir dans la même chambre, et s'est interrogée sur l'existence de protections juridiques applicables à de telles situations.
M. Laurent Toulemon a indiqué que seule l'élaboration d'un statut juridique de « bel-enfant » ou de « beau-parent » permettrait d'apporter une réponse adaptée. Il a fait observer que la naissance, au sein du couple recomposé, d'un nouvel enfant avait un certain effet de restructuration de la famille puisque ce dernier devient le demi-frère des autres enfants.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur les modalités financières d'une éventuelle séparation d'un couple recomposé, notamment en matière de pension alimentaire.
M. Laurent Toulemon a précisé que le « beau-parent », gardien ou non, n'avait plus aucun droit ni aucun devoir à l'égard des beaux-enfants, après une rupture du couple formant la famille recomposée.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz , il a enfin indiqué que l'existence éventuelle d'un pacte civil de solidarité n'avait pas d'incidences sur la nature juridique des liens entre beaux-enfants et beaux-parents.
Audition de M. Dominique de Legge,
délégué interministériel à la famille,
accompagné de Mme Géraldine Chicanot-Rousset,
chargée de mission à la délégation interministérielle à la famille
(Mardi 15 novembre 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente, a d'abord informé la délégation que l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, adoptée à l'unanimité par le Sénat le 29 mars dernier, était envisagée pour la séance du 13 décembre prochain. Puis, rappelant que la précédente réunion de la délégation avait été consacrée à l'approche statistique des familles monoparentales et recomposées, elle a rappelé les grandes étapes de la carrière du délégué interministériel à la famille.
M. Dominique de Legge a d'abord présenté la délégation interministérielle à la famille, créée à l'issue de la conférence de la famille de 1996 et opérationnelle depuis 1998. A cet égard, il a souligné l'intérêt que les gouvernements, par-delà les alternances politiques, portent à la famille.
Il a rappelé les trois principales missions de la délégation interministérielle à la famille :
- la préparation, l'organisation et le suivi de la conférence annuelle de la famille, cette mission étant inscrite dans le décret constitutif de la délégation ;
- une vocation interministérielle qui consiste à s'assurer que la dimension familiale est prise en compte dans l'activité de l'ensemble des départements ministériels. La délégation interministérielle est ainsi régulièrement sollicitée par d'autres ministères que celui en charge de la famille pour apporter son éclairage, par exemple, sur l'assiduité des élèves pour le ministère de l'éducation nationale, sur les enfants fugueurs à la demande du garde des Sceaux, ou encore sur l'exploitation sexuelle des enfants pour le ministère du tourisme ;
- une activité quotidienne avec le ministère en charge de la famille.
Il a cependant noté que la délégation interministérielle à la famille ne gérait aucun crédit budgétaire et que ses moyens en ressources humaines étaient limités à une dizaine de personnes au total, d'origine diverse, essentiellement des fonctionnaires mis à disposition.
M. Dominique de Legge a ensuite fourni quelques données chiffrées sur les familles monoparentales. Il a indiqué qu'entre les deux recensements de la population de 1990 et de 1999, le nombre de familles monoparentales comprenant au moins un enfant de moins de 25 ans était passé de 1,175 million à 1,495 million, soit une augmentation de 27,2 %. Il a ajouté qu'entre ces deux dates, le nombre d'enfants vivant au sein d'une famille monoparentale avait augmenté de 22 %, passant de 2,248 millions à 2,747 millions. Il a noté qu'en France, une naissance sur deux avait lieu hors mariage et a rappelé qu'un tiers des mariages en France, et la moitié en région parisienne, se terminait par un divorce. Il a précisé que les parents de familles monoparentales sont plus souvent des femmes, à hauteur de 86 %, et que ces familles sont moins fréquemment des familles nombreuses, seules 14 % d'entre elles comportant trois enfants ou plus contre 22 % pour l'ensemble des familles. Il a indiqué que les familles monoparentales sont deux fois plus touchées par le chômage que les autres. Enfin, il a rappelé que 186.000 familles monoparentales bénéficiaient de l'allocation de parent isolé (API) et que 50 % des bénéficiaires de ce minimum social percevaient le revenu minimum d'insertion (RMI) une fois leurs droits à l'API épuisés.
Sur la base de certaines études, dont celle de Mme Marie Choquet de l'INSERM, il a indiqué que les performances scolaires des enfants de familles monoparentales étaient moins bonnes que celles des autres enfants, sans que la monoparentalité soit nécessairement la cause directe de cette situation, les conditions de la séparation des parents pouvant également avoir des répercussions sur les résultats scolaires.
Il a noté que le veuvage ne concernait plus que 11 % des situations de monoparentalité, celle-ci étant de plus en plus fréquemment la conséquence de la rupture d'unions formalisées ou non. Dans certains cas, la monoparentalité peut même apparaître comme « choisie », par exemple par certaines femmes cadres.
M. Dominique de Legge a ensuite abordé la question des familles recomposées. Il a noté que leur nombre était passé de 646.000 en 1990 à 708.000 en 1999, soit une hausse de 9,6 %. Il a précisé que le nombre d'enfants vivant au sein de familles recomposées avait progressé de 10 % sur la même période, passant de 1,429 million à 1,583 million. Il a également indiqué que, contrairement à la situation constatée pour les familles monoparentales, les parents des familles recomposées étaient souvent plus jeunes que dans les familles traditionnelles, ce qui s'explique notamment par la plus grande fréquence des ruptures à des âges plus jeunes qu'auparavant, rendant plus facile la possibilité de former une nouvelle union. Il a par ailleurs observé une surreprésentation des familles nombreuses parmi les familles recomposées, celles-ci regroupant des enfants issus de plusieurs unions. Enfin, il a noté la présence plus grande du père au sein des familles recomposées et précisé que 37 % des enfants se trouvant dans une famille recomposée vivaient avec leur père et leur belle-mère.
M. Dominique de Legge a ensuite abordé la question des conditions de vie de ces nouvelles formes de famille.
S'agissant des familles monoparentales, il a indiqué que 30 % à 40 % des femmes connaîtraient, pendant au moins un an, à un moment de leur vie, une situation de monoparentalité. Il en a déduit qu'une famille monoparentale n'était pas appelée à perdurer et qu'elle avait vocation à se recomposer, beaucoup de familles recomposées ayant d'ailleurs connu préalablement une période de monoparentalité.
M. Dominique de Legge a insisté sur trois caractéristiques des familles monoparentales.
Il a d'abord fait observer que les mères de familles monoparentales rencontraient plus de difficultés dans l'organisation au quotidien, notamment en termes de garde des enfants. Il a estimé qu'une femme seule avec ses enfants n'était pas encouragée à retourner vers l'emploi, surtout si celui-ci est organisé selon des horaires atypiques. Il a fait observer que ces femmes avaient davantage recours à un mode de garde, formel ou informel, pour s'occuper de leurs enfants quand elles travaillaient. Notant que le recours aux crèches pouvait poser problème, notamment pour le respect du rythme des enfants, il a considéré qu'il conviendrait de développer des systèmes de garde adaptés aux horaires atypiques et des services à la personne tels que des assistantes maternelles pour aller chercher les enfants à l'école.
Il a ensuite abordé la question de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle des mères de familles monoparentales, ce sujet ayant été inscrit à l'ordre du jour de la dernière conférence de la famille, en septembre dernier. Il a fait observer que la France était le pays où le congé parental était le plus long, mais pas le mieux rémunéré, cette situation pouvant durablement éloigner les femmes du marché du travail. Il a indiqué que la dernière conférence de la famille avait proposé l'institution, à titre expérimental, d'un congé parental court, d'un an au lieu de trois dans le régime de droit commun, mais mieux rémunéré, à hauteur de 750 euros par mois au lieu de 500 euros, étant rappelé que le montant du SMIC est d'environ 1.000 euros par mois. Il a noté que cette proposition était reprise dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, en cours d'examen devant le Parlement, et qu'elle devrait faire l'objet d'une évaluation.
En ce qui concerne les ressources des familles monoparentales, il a rappelé que l'API, minimum social mis en place en 1976, bénéficiait actuellement à 186.000 personnes, contre 70.000 en 1982. Il a estimé que la condition de l'isolement n'était pas toujours facile à vérifier, certains allocataires s'installant dans leur situation afin de continuer à percevoir l'API, alors même que leur isolement n'est pas toujours avéré. Il a également posé la question de la nécessité de mieux articuler l'API et le RMI, notant qu'une personne seule avec un enfant percevait 722 euros par mois au titre de l'API mais 638 euros au titre du RMI. Il s'est dès lors demandé si l'API était incitative à la recherche d'une insertion professionnelle.
S'agissant des familles recomposées, M. Dominique de Legge a fait observer que les problèmes rencontrés par ces familles étaient quelque peu différents et se posaient essentiellement en termes juridiques, eu égard aux relations qu'entretiennent les enfants avec leurs beaux-parents. Il a également considéré qu'il conviendrait de procéder à l'évaluation des modalités de la garde alternée. Il a estimé que l'évolution de la législation sur la famille depuis vingt ans avait privilégié les relations entre les parents mais avait négligé les enfants, alors que ces derniers se trouvent livrés à eux-mêmes au moment de la séparation de leurs parents, ce qui n'est pas sans conséquence, notamment sur leurs résultats scolaires.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a remercié le délégué interministériel pour la qualité de son exposé.
Mme Annie David a présenté un certain nombre d'observations générales sur les familles monoparentales et recomposées connaissant des situations difficiles. Elle s'est, en particulier, interrogée sur le lien entre le malaise de ces familles et la fréquence du suicide des adolescents. S'agissant des modes de garde des enfants, elle a souhaité que les entreprises fassent évoluer leurs horaires de travail pour tenir compte des rythmes de vie de leurs salariés. En ce qui concerne le congé parental, elle a marqué sa préférence pour le maintien d'un congé parental de longue durée, articulé avec un effort de formation professionnelle permettant au salarié de réintégrer l'entreprise dans des conditions adaptées à l'issue d'un congé parental. Elle a également jugé souhaitable de ne pas se focaliser sur la « chasse aux tricheurs » en matière d'API et de se concentrer sur l'amélioration des moyens attribués aux familles pour leur assurer un niveau de vie décent.
Mme Sylvie Desmarescaux , à propos des horaires atypiques, a évoqué les contraintes de travail en milieu hospitalier et indiqué que le bon fonctionnement de certains services publics, plus encore que celui des entreprises du secteur privé, nécessitait un recours à des horaires de travail inhabituels. Elle a précisé que le Sénat, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, venait d'adopter une mesure permettant de réduire la durée du congé parental tout en augmentant sa rémunération. Evoquant son expérience professionnelle dans le secteur des caisses d'allocations familiales, elle a souligné les difficultés de réinsertion des mères de famille parfois tentées, selon leur propre témoignage, de préférer une nouvelle maternité accompagnée du prolongement du versement de l'API à une insertion professionnelle. Elle a enfin évoqué les conséquences trop souvent néfastes des recompositions familiales sur la vie des enfants.
Mme Gisèle Printz a regretté que le nouveau dispositif de congé parental, raccourci mais mieux rémunéré, soit limité aux parents de trois enfants et plus. Puis elle a insisté sur la nécessité de prévoir une formation professionnelle en fin de congé parental pour permettre une reprise d'activité dans des conditions satisfaisantes. Elle s'est enfin intéressée à la réalité que recouvre la notion de monoparentalité choisie.
Mme Janine Rozier a fait observer que la formation professionnelle constituait d'ores et déjà un droit pour le salarié en congé parental.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur la proportion de familles monoparentales qui ne se recomposent pas par la suite.
En réponse aux diverses intervenantes, M. Dominique de Legge a apporté les précisions suivantes.
Il a précisé que le congé parental demeurait d'un an renouvelable deux fois et que la réforme en cours introduisait une souplesse supplémentaire sous la forme du versement d'une allocation majorée articulé avec un congé non renouvelable d'une durée plus courte, fixée à un an dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
S'agissant de la limitation de l'accès à ce nouveau dispositif aux parents de trois enfants et plus, il a indiqué qu'à l'heure actuelle aucune analyse ne permettait de prévoir l'impact d'un élargissement du champ d'application de cette mesure aux parents de deux enfants. Il a expliqué que c'était la raison pour laquelle les pouvoirs publics avaient décidé, dans un premier temps, une expérience sur un nombre limité de familles, celles de trois enfants et plus. Il a à cet égard rappelé qu'il avait été procédé à l'extension de l'allocation parentale d'éducation (APE) et de la PAJE progressivement, du troisième au second enfant, puis au premier.
En ce qui concerne la formation professionnelle, il a souligné le caractère incitatif de l'éligibilité au crédit d'impôt famille des dépenses consenties dans ce domaine.
Il a ensuite fait observer qu'en matière d'API, la notion d'isolement était difficile à cerner et estimé peu satisfaisant que cette allocation, à la différence du RMI, ne comporte aucune dimension d'insertion, en précisant à nouveau qu'un grand nombre d'allocataires de l'API perçoivent par la suite le RMI.
Il a par ailleurs indiqué qu'aucune statistique ne permettait de mesurer la durée moyenne de la monoparentalité, Mme Géraldine Chicanot-Rousset précisant que les enfants âgés de plus de 25 ans n'étaient plus pris en compte, leurs parents isolés n'étant donc plus considérés comme rattachés à la catégorie des familles monoparentales.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué la question du logement des couples séparés et s'est demandé si le critère de la garde des enfants était pris en compte dans l'attribution des logements sociaux.
M. Dominique de Legge a indiqué que, de façon générale, les conditions de logement des familles monoparentales étaient moins satisfaisantes que celles des autres familles. Il a fait observer, en faisant référence à sa pratique de maire, que les logements sociaux de sa commune étaient en grande partie attribués à des familles monoparentales. Il a ensuite indiqué, sur la base de son expérience en la matière, que les commissions d'attribution prenaient en considération la qualité de famille monoparentale pour l'accès au logement social.
Mme Sylvie Desmarescaux a cité des cas dans lesquels la priorité est donnée à des familles avec enfants au détriment de pères devant accueillir leurs enfants de manière non permanente, généralement le week-end.
Mme Catherine Troendle a confirmé que l'accueil des enfants au cours du week-end posait des problèmes aux parents isolés qui n'ont pas d'accès privilégié à des logements sociaux de superficie suffisante.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz sur le niveau de vie et la pauvreté des familles monoparentales, M. Dominique de Legge a indiqué que l'équation entre monoparentalité et pauvreté n'était pas systématique. Il a insisté sur les problèmes de garde d'enfants, d'insertion professionnelle et de moindre potentiel de revenu des familles monoparentales. Il a cependant contesté l'idée selon laquelle les familles monoparentales devraient avoir systématiquement plus de droits que les autres familles.
Mme Janine Rozier a fait observer que le montant généralement faible des pensions alimentaires consécutives à un divorce, qui s'élève en moyenne à 150 euros, entraînait mécaniquement des problèmes financiers pour les familles monoparentales principalement gérées par les mères.
Puis Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé le délégué interministériel sur sa position à l'égard de l'idée d'un « statut » des beaux-parents.
M. Dominique de Legge a convenu qu'il pouvait paraître choquant que la société ne reconnaisse pas en tant que tels les beaux-parents qui font pourtant souvent preuve de dévouement à l'égard des enfants de leur conjoint. Il a ensuite souligné la difficulté de créer une nouvelle autorité parentale en leur faveur, ce qui nécessiterait de définir un nouvel équilibre entre les droits des parents biologiques et des beaux-parents, au risque de générer des conflits d'autorité.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a suggéré qu'une éventuelle réforme pourrait s'efforcer de mieux reconnaître la situation des beaux-parents sans enlever de droits aux parents biologiques.
Mme Janine Rozier a estimé qu'avant de légiférer sur une réforme du divorce, il aurait été opportun de chercher à consolider le mariage et à favoriser une meilleure prise de conscience des obligations des conjoints, en particulier à l'égard de leurs enfants.
M. Dominique de Legge , tout en acquiescant à cette analyse, a rappelé qu'une naissance sur deux avait désormais lieu hors mariage.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a conclu la réunion en remerciant à nouveau le délégué interministériel pour la qualité de son intervention.
Audition de Mme Chantal Lebatard,
administratrice à l'Union nationale des associations familiales (UNAF),
de M. François Edouard,
secrétaire général de la Confédération syndicale des familles (CSF),
et de Mme Patricia Augustin,
secrétaire confédérale de la Fédération syndicale des familles monoparentales
(Mardi 29 novembre 2005)
Présidence de Mme Janine Rozier, vice-présidente
Mme Janine Rozier, présidente , après avoir excusé l'absence de Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation, a présenté les intervenants et évoqué brièvement les actions de l'Union nationale des associations familiales.
Mme Chantal Lebatard a tout d'abord rappelé que le législateur avait confié à l'UNAF, par l'ordonnance du 3 mars 1945 et la loi du 11 juillet 1975, la mission de représenter l'ensemble des familles vivant en France. Elle a précisé que, selon les termes de la déclaration des droits de la famille, adoptée par l'UNAF le 11 juin 1989, la famille se définissait comme une unité composée de personnes, fondée sur le mariage, la filiation ou l'exercice de l'autorité parentale.
Elle a ensuite évoqué la multiplicité des modes de vie familiaux en insistant sur le fait que la distinction entre la conjugalité et la parentalité constitue un des traits majeurs de l'évolution intervenue au cours des dernières décennies. Elle a ensuite abordé la question des droits de l'enfant, en insistant sur l'importance de la famille et le droit de l'enfant d'être élevé par ses deux parents. Elle a précisé que cette conception correspondait au principe de coparentalité inscrit dans la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, et à la définition d'un ensemble de droits et de devoirs des parents à l'égard de leurs enfants.
S'agissant des familles monoparentales ou recomposées, elle a souligné la diversité des situations vécues avant de rappeler que dans les années 70, l'UNAF avait décidé d'accueillir en son sein une fédération de « familles monoparentales », aux côtés des associations plus anciennes comme la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC) et l'Association d'entraide des veuves et orphelins de guerre (AEVOG)
Elle a décrit les situations de monoparentalité en distinguant trois grands phénomènes à l'origine de ces situations : le veuvage, le divorce ou la séparation et les mères célibataires.
Elle a noté que les associations familiales, les sociologues, et plus généralement les institutions avaient moins de recul pour analyser les familles recomposées et en cerner la réalité. Elle a précisé que les familles recomposées ou « mosaïque » étaient bien souvent dans des situations de fait qui ne correspondent pas à des catégories juridiques bien déterminées.
En réponse à une question de Mme Gisèle Printz sur la prise en compte du pacte civil de solidarité (PACS), Mme Chantal Lebatard a indiqué que le PACS n'avait pas de conséquence juridique sur la famille et n'interférait pas avec l'exercice de l'autorité parentale à l'égard des enfants.
Puis elle a signalé la toute récente admission par l'UNAF du mouvement « SOS Papa », une association de pères divorcés ou séparés.
Mme Chantal Lebatard a ensuite indiqué que les familles monoparentales s'étaient regroupées en association pour défendre des intérêts communs, notamment au sein de la Fédération syndicale des familles monoparentales. Elle a en revanche noté qu'il n'existait pas, à l'heure actuelle, d'association de familles recomposées, en expliquant que la diversité de leurs situations ne leur avait pas permis de dégager une approche commune. Elle a cependant fait observer que les préoccupations de ces familles « mosaïque » étaient prises en compte par l'UNAF avec une attention particulière.
Au titre des problèmes spécifiques aux familles monoparentales, elle a souligné que ces familles étaient bien souvent fragilisées au plan économique. Les questions des ressources et de l'accès à l'emploi sont cruciales, ce qui explique et justifie l'intervention spécifique du législateur dans ce domaine. Elle a ajouté que l'exercice de l'autorité parentale par un seul parent pouvait également constituer une source de difficultés dans certaines familles. Pour compléter ce cadrage général, elle a brossé un panorama des difficultés spécifiques à ces familles en termes de logement, de cadre de vie, d'autorité parentale et de réorganisation familiale.
S'agissant des familles recomposées, elle a signalé que des réflexions étaient conduites sur la définition d'un éventuel statut des beaux-parents, ou plus exactement des nouveaux conjoints du parent.
M. François Edouard a tout d'abord rappelé qu'au sein de la CSF avait été créée, dans les années 60, une association intitulée « femmes chefs de famille » et qui représentait non seulement les veuves, mais aussi les femmes divorcées et les « filles mères ». Il a précisé que la reconnaissance des familles monoparentales avait nécessité un combat long et difficile contre une tendance à la stigmatisation qui a longtemps perduré.
Il a indiqué qu'aujourd'hui les familles monoparentales avaient évolué et qu'à la différence des situations de monoparentalité permanente vécues dans les années 1970, la monoparentalité actuelle était bien souvent une phase transitoire.
Après avoir estimé qu'il existait un lien entre les familles monoparentales et les familles recomposées concernant le problème de l'exercice de la coparentalité, il a exposé les diverses difficultés que rencontrent ces familles. Il a placé au premier plan des priorités dans les revendications de la CSF l'amélioration des conditions de logement de ces familles, bien souvent à faible revenu. Il a souligné la difficulté pour les parents séparés de trouver, notamment dans les grandes agglomérations, des logements suffisamment vastes pour accueillir leurs enfants, notamment au titre de leur droit de visite. A ce sujet, il a évoqué la mise à la disposition par la CSF de lieux permettant aux parents de retrouver leurs enfants dans des conditions convenables.
M. François Edouard a ensuite analysé l'insuffisance des ressources des familles monoparentales, à plus de 95 % conduites par des femmes. Il a particulièrement souligné les difficultés de ces familles en termes d'emploi, en citant le cas des métiers à horaires atypiques, comme ceux de caissière ou de personnel d'entretien. Il a également fait observer que les mères soumises à des horaires atypiques rencontraient des difficultés particulières en matière de garde d'enfants, les horaires d'ouverture des structures existantes ne correspondant pas à leurs besoins.
S'agissant de l'allocation de parent isolé (API) et de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), il a signalé un certain nombre de dysfonctionnements générateurs d'une insuffisance de ressources. À ce titre, il a préconisé l'attribution de la PAJE dans son intégralité aux bénéficiaires de l'API. Il a également souligné les difficultés d'accès aux crèches pour les mères de familles monoparentales sans emploi percevant l'API ou le revenu minimum d'insertion (RMI), les places étant réservées aux parents qui travaillent.
Il a ensuite souligné la nécessité d'accompagner les séparations par un dispositif de médiation adaptée qui permet de pacifier très largement, comme en témoigne la pratique, les relations ultérieures entre les parents.
Puis, il a évoqué l'influence bénéfique des grands-parents dans les recompositions familiales : après avoir souligné l'importance du rôle des grands-parents, il s'est interrogé sur l'opportunité de leur conférer un « statut » particulier.
Mme Janine Rozier, présidente, a alors fait observer que les grands-parents disposaient d'un droit de visite prévu par le code civil et dont l'application pouvait être ordonnée par les tribunaux.
M. François Edouard a acquiescé à cette remarque, tout en précisant que la mise en oeuvre du droit de visite des grands-parents n'était pas toujours aisée. S'agissant des difficultés scolaires rencontrées par les enfants de ces familles, il a signalé que, selon les enquêtes conduites au sein du réseau de la CSF, les parcours scolaires cahoteux des enfants étaient davantage imputables à l'insuffisance des ressources financières de ces familles qu'à la nature de la structure familiale, monoparentale ou recomposée.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Printz a souhaité connaître les compétences des associations affiliées à l'UNAF et la manière dont elles pouvaient être sollicitées par les familles.
Mme Patricia Augustin a indiqué que toutes les associations pratiquaient la tenue de permanences permettant de délivrer des informations juridiques et administratives aux familles qui les sollicitent, de plus en plus souvent avant la séparation du couple. Elle a ajouté que les associations étaient confrontées également à une forte demande de rencontres de la part de ces familles et qu'afin de les aider à sortir de leur isolement, elles étaient amenées à organiser des sorties, des divertissements, ou encore des débats avec les intervenants extérieurs, destinés surtout aux mères célibataires ou divorcées.
M. François Edouard a précisé que cette évolution était relativement récente, les associations étant par le passé surtout sollicitées pour apporter des informations juridiques. Il a expliqué que les familles connaissaient aujourd'hui beaucoup mieux leurs droits, mais que la difficulté à les mettre en oeuvre dans la pratique les poussait à vouloir agir de façon collective.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les modalités de financement des associations, et notamment sur le rôle des conseils généraux en la matière.
Mme Patricia Augustin a déclaré que la Fédération syndicale des familles monoparentales « vivotait » grâce aux subventions qu'elle recevait de l'UNAF et qu'elle percevait également les cotisations de ses adhérents. Elle a ajouté que diverses demandes de financement extérieur avaient été présentées, mais qu'aucune réponse positive n'avait encore été apportée. Elle a donc considéré que le fonctionnement de la Fédération n'était actuellement possible que grâce à la tutelle de la Confédération syndicale des familles (CSF).
M. François Edouard a précisé que les communes et les conseils généraux versaient des subventions à la CSF, qui permettaient de mettre en place des lieux d'accueil tels que les crèches et les haltes-garderies, ainsi que d'assurer des permanences juridiques sur des problèmes relatifs à la consommation, au logement ou au surendettement.
Mme Chantal Lebatard a insisté sur le rôle des associations pour favoriser l'échange d'expériences communes. Elle a indiqué que ces échanges pouvaient notamment intervenir dans le cadre de réseaux d'écoute et d'appui à la parentalité. Elle a précisé que, dans quelques départements, par exemple dans le sud de la France, il existait même des groupements de parole permettant aux enfants vivant en famille monoparentale de s'exprimer, éventuellement avec l'aide d'un éducateur.
Mme Françoise Henneron s'est interrogée sur la façon dont les associations apportaient une aide matérielle et morale aux personnes vivant au sein de familles monoparentales, en particulier les enfants.
Mme Chantal Lebatard a indiqué que l'aide matérielle apportée aux familles n'était pas assurée au niveau de l'UNAF, mais à celui des unions départementales des associations familiales (UDAF), qui regroupent des associations ou participent à la création de services au niveau départemental. Elle a ainsi fait observer que les fonctions d'information des familles étaient également assurées au niveau départemental, par les UDAF et les caisses d'allocations familiales, en particulier pour les orienter vers des associations spécifiques. Elle a dès lors souligné l'intérêt de l'implantation départementale de la CSF et de la Fédération syndicale des familles monoparentales.
Elle a noté que l'UNAF intervenait pour sa part au niveau national et qu'elle présentait, par exemple, des recommandations sur l'importance du logement, notamment pour les familles séparées, chaque parent souhaitant pouvoir accueillir convenablement ses enfants, sur l'accompagnement au travail ou sur la conciliation des temps, qui est une question essentielle pour les familles monoparentales. Elle a ajouté que l'UNAF abordait aussi la question des ressources des mères isolées ou célibataires et celle des pensions alimentaires.
M. François Edouard a indiqué que la CSF comptait environ 200 groupes d'aide à la parentalité qui permettent aux familles d'un quartier de se rassembler pour discuter des difficultés d'être parent, concernant par exemple l'exercice de l'autorité, la scolarité ou les rythmes de vie. Il a fait observer que ce cadre d'échanges avait permis de s'apercevoir d'une manière générale, que les familles étaient de plus en plus considérées par les enfants comme un « self-service » et que le partage des repas en famille devenait de plus en plus difficile, ce qui contribue à désorienter certains parents. Il a estimé que ces débats mettaient en relief des difficultés vécues au sein de l'ensemble des familles et non seulement au sein des familles monoparentales. Il a également indiqué que les enfants pouvaient prendre la parole dans ces groupes d'aide à la parentalité, ce qui permet de concrétiser la solidarité familiale. Il a ainsi souligné que ces groupes produisaient du bien-être et redonnaient des perspectives à des familles déstructurées.
Mme Sylvie Desmarescaux a abordé le problème du logement, en particulier du point de vue des pères de famille qui sollicitent fréquemment les maires pour obtenir des logements suffisamment grands pour pouvoir accueillir leurs enfants le week-end. Elle a fait observer que la monoparentalité était vécue parfois toute la vie, certaines personnes changeant régulièrement de partenaire, ce qui peut contribuer à déstabiliser les enfants. Enfin, elle a estimé que les enfants ne vivaient pas la recomposition familiale de la même manière selon qu'elle intervenait après un veuvage ou après un divorce.
M. François Edouard a indiqué que la recomposition familiale la plus fréquente actuellement intervenait après un divorce, mais que le veuvage pouvait aussi déstabiliser des enfants qui ont l'impression que leur beau-père ou leur belle-mère a pris la place de leur parent défunt. Il a estimé que les modalités de la recomposition familiale étaient surtout différentes selon qu'il y avait ou non conflit entre les parents.
Mme Chantal Lebatard a estimé que la question la plus difficile posée par la recomposition familiale consistait en la recherche d'un nouvel équilibre quant au mode de vie familiale et à l'exercice de l'autorité parentale, dès lors que la structure de vie familiale est instable dans le temps. Elle a considéré que cette situation exigeait de grandes qualités de conciliation et que beaucoup de parents exprimaient leur désarroi, ainsi d'ailleurs que les enseignants. Evoquant la question des familles « puzzle » ou « mosaïque », elle a fait observer que la question du statut à donner à la personne qui assure une fonction de parent comme conjoint du parent, sans exercer l'autorité parentale, était à travailler. Elle a également indiqué que les associations intervenaient fréquemment pour aider les adultes à éviter que les enfants ne se sentent victimes de leurs choix. Elle a estimé qu'il convenait de penser d'une nouvelle manière la question des familles nombreuses dans le contexte d'une recomposition familiale, par exemple à l'occasion du temps des vacances.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les éventuels risques de relations sexuelles entre les beaux-parents et les enfants au sein des familles recomposées.
M. François Edouard a estimé que la recomposition familiale exigeait des parents de grandes qualités en termes de responsabilité et de pédagogie, afin de fixer un nouveau cadre à la vie familiale et que ce phénomène « redonnait de la force au métier de parent », tout en admettant que certains parents pouvaient se trouver désorientés dans de telles situations.
Mme Chantal Lebatard , notant que, lorsqu'il y avait maltraitance au sein de la famille, le nouveau conjoint de la mère était, semble-t-il, plus fréquemment auteur de maltraitances à enfant que le père biologique, a constaté que les recompositions familiales contribuaient à brouiller les interdits et les repères.
Mme Janine Rozier, présidente , abordant le problème des pensions alimentaires, a souligné la modicité de leur montant, soit en moyenne 150 euros par enfant et par mois, ce qui est très peu, en particulier si la mère a une situation professionnelle précaire. Elle a estimé que les juges devraient prendre conscience de ce problème, et ne plus se satisfaire d'une déclaration sur l'honneur du père quant à la réalité de ses revenus. Elle a en effet considéré que les pères divorcés devraient participer de façon plus équitable à l'éducation de leurs enfants.
Mme Gisèle Printz a précisé que la pension alimentaire était fixée en fonction des revenus du père et qu'elle était établie sur la base de la communication de la fiche de paie et de la déclaration de revenus.
M. François Edouard a fait observer que l'allocation de parent isolé (API), était une allocation différentielle et que les autres prestations familiales, et notamment les éventuelles pensions alimentaires, venaient en déduction de son montant.
Mme Chantal Lebatard s'est interrogée sur la possibilité de contraindre le parent défaillant à payer sa pension alimentaire et a fait observer que l'allocation de soutien familial (ASF), destinée à compenser une pension alimentaire défaillante, était de 80,91 euros par mois, et que lorsque les pensions alimentaires étaient inférieures à ce montant, la différence n'était pas compensée. Elle a par ailleurs rappelé que plus de 20 % des enfants pauvres vivaient au sein d'une famille monoparentale.
Audition de M. Frédéric Marinacce,
directeur des prestations familiales,
et de Mme Hélène Paris,
directrice des statistiques, études et recherches
de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)
(Mardi 6 décembre 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente, a tout d'abord accueilli les intervenants.
Après avoir prié de vouloir bien excuser l'absence de M. Philippe Georges, directeur général, retenu par le conseil d'administration de la CNAF, M. Frédéric Marinacce a dressé un panorama des principales activités de la CNAF en précisant que celle-ci exerce un service public qui constitue une composante essentielle de la politique familiale, même si son activité ne recouvre pas l'intégralité de cette politique.
Il a rappelé qu'en 2004, le total des prestations versées par les caisses d'allocations familiales pour le compte de l'Etat ou des conseils généraux s'élevait à près de 59 milliards d'euros et que les 123 caisses d'allocations familiales (CAF) qui distribuent ces prestations étaient perçues comme un service public de proximité par les quelque 10,5 millions d'allocataires.
M. Frédéric Marinacce a indiqué que les aides à la famille se répartissaient en quatre catégories : les prestations d'entretien, parmi lesquelles figurent les allocations familiales, les aides à la naissance et à l'accueil du jeune enfant, les aides au logement et les prestations destinées à la lutte contre la précarité. Il a précisé que 6,5 millions de familles bénéficiaient de prestations logement, dont il a rappelé l'importance et la réactivité. Il a également fait observer que les CAF versaient trois prestations de solidarité parmi les huit minima sociaux existant en France : le revenu minimum d'insertion (RMI), l'allocation de parent isolé (API) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Il a noté que le RMI, géré par les CAF pour le compte des départements, et l'API étaient révisables trimestriellement.
Après avoir indiqué que la proportion de familles monoparentales avoisinait 40 % dans certains départements et que le nombre de familles recomposées était en constante augmentation, Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé les intervenants sur les actions mises en oeuvre par la CNAF en direction de ces familles.
M. Frédéric Marinacce a fait observer que le système actuel des prestations et les outils d'observation disponibles ne permettaient pas de dresser un profil précis des familles recomposées. Il a, en revanche, indiqué que les CAF avaient une bonne connaissance des familles monoparentales, dont le nombre augmente progressivement depuis 20 ans. Il a précisé qu'en 1999, 2,7 millions d'enfants vivaient au sein de familles monoparentales et 1,6 million au sein de familles recomposées.
Il a souligné que, comme les CAF peuvent le constater, les familles monoparentales avaient généralement des ressources moindres que les couples avec enfants, et il a illustré ce propos en indiquant que plus de 30 % d'entre elles étaient bénéficiaires d'un minima social.
S'agissant de l'allocation de parent isolé (API), M. Frédéric Marinacce a évoqué une réflexion en cours tendant à incorporer dans ce dispositif une dimension d'insertion et d'orientation professionnelle. Rappelant qu'en 1976, l'API avait été créée dans le souci de permettre à certaines personnes de faire face à court terme à un accident de la vie générateur d'isolement, il a ensuite indiqué que l'API avait pris une seconde dimension à plus long terme, pour répondre à la nécessité de ne pas laisser sans ressources des parents isolés. Il a noté qu'à l'heure actuelle, on distinguait l'API courte, octroyée pendant un an maximum après le fait générateur de l'isolement, en l'absence de grossesse ou d'enfant en bas âge, et l'API longue, versée jusqu'au troisième anniversaire du benjamin.
Faisant observer que les bénéficiaires de l'API devenaient par la suite, dans un grand nombre de situations, des bénéficiaires du RMI, il a évoqué la nécessité de réexaminer le lien entre le versement de l'API et l'insertion du bénéficiaire.
Il a ensuite évoqué la réforme de l'intéressement - qui permet de cumuler un minimum social et des revenus d'activité - en faisant remarquer qu'à l'heure actuelle, seuls 13 % des bénéficiaires du RMI et 5 % des bénéficiaires de l'API bénéficiaient de ce dispositif.
Mme Hélène Paris a tout d'abord confirmé que la CNAF ne disposait que de peu d'informations sur les familles recomposées. Sur ce thème, elle a fait référence à une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) retraçant le profil de ces familles : en 1999, 1,6 million d'enfants appartenaient à une famille de ce type. Elle a indiqué que cette statistique permettait de déduire qu'environ 10 % des familles étaient alors recomposées, et elle a fait observer que cette proportion avait vraisemblablement augmenté.
Mme Hélène Paris a ensuite rappelé la définition de la famille monoparentale retenue par la CNAF : un adulte sans conjoint présent, avec un enfant à charge, en précisant qu'il existait 1,5 million de familles monoparentales rassemblant 2,7 millions d'enfants à charge et que la part des familles monoparentales parmi les allocataires était beaucoup plus élevée dans les départements d'outre-mer (31 %) qu'en métropole (de l'ordre de 15 %).
Elle a indiqué que ces familles étaient plus modestes, en termes de revenus, que les couples avec enfant, plus de la moitié d'entre elles se situant au voisinage du seuil de pauvreté et à ce titre allocataires à bas revenus, contre 18 % pour les couples avec enfants, précisant à nouveau que près de 30 % des familles monoparentales étaient bénéficiaires d'un minima social.
S'agissant des familles monoparentales bénéficiaires de l'API, elle a indiqué que seules 6 % de ces bénéficiaires étaient en situation d'intéressement, et donc sur la voie de la reprise d'emploi.
En ce qui concerne les trajectoires suivies par les bénéficiaires de l'API, elle a noté que la CNAF était en train de se doter d'un outil permettant d'analyser les parcours de ces bénéficiaires à l'aide d'un panel des allocataires.
Elle a souligné que plus de la moitié des allocataires de l'API devenaient bénéficiaires du RMI. Rappelant la formule selon laquelle « l'API est l'antichambre du RMI », elle a évoqué les difficultés éprouvées par les familles monoparentales en matière de réinsertion professionnelle, notamment liées aux problèmes d'accès aux modes de garde des enfants en bas âge.
Mme Bariza Khiari s'est enquise de la situation spécifique des migrants et des gens du voyage. Elle a souhaité savoir si ceux-ci étaient bénéficiaires des allocations logement et comment ils percevaient les allocations familiales.
M. Frédéric Marinacce a indiqué que les dossiers de prestations des gens du voyage étaient gérés par les CAF de manière différente selon qu'ils circulent dans la France entière - ils sont alors pris en charge par la CAF de Paris - ou qu'ils circulent dans un seul département - ils sont alors gérés par la CAF de celui-ci. Il a expliqué qu'en principe, les gens du voyage ne percevaient pas d'allocations logement, mais qu'ils pouvaient toutefois être susceptibles de les obtenir en fonction du caractère mobile ou non de leur habitation. Il a ainsi précisé qu'une caravane fixe, devenant un immeuble par destination, ouvrait droit aux allocations logement.
Mme Bariza Khiari a rappelé qu'une jurisprudence de la Cour de cassation d'avril 2004 permettait aux enfants de migrants de bénéficier des allocations familiales, quel que soit leur mode d'entrée en France. Elle s'est interrogée sur la façon dont les différentes CAF appliquaient cette décision de justice, notant qu'une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2006 tendait à modifier la législation sur ce point. Elle a également souhaité savoir combien d'enfants étaient concernés.
M. Frédéric Marinacce a indiqué que les CAF appliquaient l'article D. 511-2 du code de la sécurité sociale, selon lequel l'étranger demandant à bénéficier de prestations familiales doit justifier de la régularité du séjour de son enfant par la production d'un certificat de l'Office des migrations internationales (OMI) délivré dans le cadre d'une procédure de regroupement familial. Il a noté que le PLFSS pour 2006 tendait à modifier cette disposition d'ordre réglementaire en lui conférant une valeur législative. Il a expliqué que cette modification ouvrait des droits à quatre catégories supplémentaires d'étrangers dont les enfants ne sont pas entrés en France par la procédure du regroupement familial : ceux qui ont la qualité d'apatride, ceux qui ont la qualité de scientifique, ceux qui se sont vu attribuer la protection subsidiaire et ceux qui ont été régularisés au titre des « lois Chevènement ». Il a toutefois fait observer que cette nouvelle disposition n'allait pas jusqu'à permettre le versement des allocations familiales lorsque les parents disposent de seuls documents de circulation pour leurs enfants mineurs. Il a rappelé que la jurisprudence de la Cour de cassation d'avril 2004 semblait indiquer que le paiement des prestations familiales était de droit, sans qu'il soit besoin de demander de pièce justificative, dès lors que les enfants étrangers se trouvaient en situation régulière. Il a néanmoins précisé que la doctrine était divisée sur cette jurisprudence et a formé le voeu que les contentieux en cours, notamment devant le Conseil d'Etat, permettent de la stabiliser. Enfin, il a déclaré que le nombre d'enfants de migrants potentiellement concernés par le bénéfice des allocations familiales n'était pas connu, en raison de l'interdiction de statistiques fondées sur la base de l'origine ethnique dans les fichiers des CAF.
Mme Gisèle Printz a souhaité obtenir des précisions sur les modalités de suspension des allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire, et sur l'ampleur de ce phénomène, ainsi que sur la proportion des familles monoparentales concernées.
M. Frédéric Marinacce a rappelé qu'avant la loi du 2 janvier 2004 sur l'accueil et la protection de l'enfance, les CAF, sur le signalement de l'académie, devaient suspendre, voire supprimer les prestations familiales, en cas d'absentéisme scolaire. Mais il a estimé que ce dispositif était à la fois désuet, les académies transmettant peu de signalements, et injuste, puisque le système n'était pas universel, dans la mesure où il ne concernait pas les familles avec un seul enfant, les allocations familiales n'étant versées qu'aux familles comptant au moins deux enfants. Il a en outre souligné le caractère non conforme de ce dispositif à la Convention européenne des droits de l'Homme, faute d'avoir prévu une procédure contradictoire en faveur des familles sanctionnées. Il a fait observer que ce système avait été abrogé par la loi du 2 janvier 2004, à la suite d'un important travail de concertation effectué par la délégation interministérielle à la famille. Il a expliqué que le nouveau système était axé sur des sanctions, prenant la forme d'amendes, mais aussi sur la prévention, grâce à la constitution dans chaque département d'une commission de suivi de l'assiduité scolaire, qui permettait aux parents d'être entendus et, le cas échéant, de suivre des modules d'accompagnement aux fonctions parentales. Il a enfin indiqué que le gouvernement avait présenté au conseil d'administration de la CNAF un projet visant à réformer ce dispositif et à instituer un contrat de responsabilité parentale, qui renoue avec la suspension des allocations familiales par les CAF, sur demande du président du conseil général. Il a toutefois précisé que le conseil d'administration n'avait pas souhaité se prononcer ce jour sur ce sujet, ayant été saisi beaucoup trop tardivement.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur le bien-fondé de certaines propositions visant à sanctionner des familles dont les enfants étaient les auteurs présumés d'actes de violences.
M. Frédéric Marinacce a déclaré que le conseil d'administration de la CNAF estimait que le problème des incivilités ne devait pas être traité par le service public des allocations familiales. Il a fait observer que les conditions de mise sous tutelle des prestations familiales étaient définies par le code de la sécurité sociale et qu'elles visaient le cas de prestations détournées de leur objet. Il a ainsi indiqué que la tutelle prestations sociales enfant (TPSE) était une mesure judiciaire prononcée par le juge des enfants, ayant pour conséquence de confier la gestion des prestations à un délégué de tutelle, qui administre certaines de ces prestations dans l'intérêt de l'enfant.
Mme Gisèle Printz a noté que les familles monoparentales bénéficiaient de l'API jusqu'à ce que le benjamin ait atteint l'âge de 3 ans. Elle s'est dès lors enquise de ce qu'il advenait ensuite et s'est interrogée sur la question de la mise sous condition de ressources des prestations familiales.
M. Frédéric Marinacce a indiqué que la situation des allocataires de l'API en fin de droits dépendait de leur niveau de ressources à ce moment de leur vie, mais a rappelé que plus de 50 % d'entre eux percevaient ensuite le RMI. Il a par ailleurs estimé que le système d'allocations familiales français était neutre par rapport aux modes de vie et aux choix familiaux. Il a également souligné son caractère à la fois universel, puisque toutes les familles perçoivent les allocations familiales quels que soient leurs revenus, et ciblé, d'autres prestations familiales spécifiques étant versées sous conditions de ressources. Il a d'ailleurs fait observer que, dans le passé, un gouvernement avait eu l'intention de s'engager sur la voie d'allocations familiales versées sous condition de ressources, mais y avait finalement renoncé.
Mme Annie David s'est étonnée de ce que les CAF ne versaient plus l'aide personnalisée au logement (APL) en dessous d'un montant de 24 euros par mois.
M. Frédéric Marinacce a rappelé que le conseil d'administration de la CNAF, d'ailleurs soutenu sur ce point par le Médiateur de la République, était hostile au non-paiement de l'APL en dessous de ce niveau, notant que la somme annuelle pouvait être d'un montant important pour les bénéficiaires.
Mme Bariza Khiari s'est interrogée sur le devenir de la politique, impulsée par les CAF, d'accès aux vacances pour tous, prenant par exemple la forme de « bons vacances ».
M. Frédéric Marinacce a indiqué que ce sujet relevait des aides individuelles versées par les CAF et a constaté que celles-ci réorientaient désormais leur politique vers l'accueil des jeunes enfants en structures collectives, comme les crèches ou les haltes-garderies. Il a précisé qu'il s'agissait de prestations d'action sociale et non de prestations légales, mais que le mouvement général tendait à un meilleur ciblage des « bons vacances ».
Mme Gisèle Gautier, présidente, relevant la complexité croissante de la situation des familles recomposées, a noté une fréquente fragilité psychosociale des parents et a relevé que le cumul de facteurs d'exclusion pouvait conduire les CAF à mener des actions d'urgence de plus en plus fréquentes sur les conditions minimales d'existence. Elle s'est inquiétée de cette progression de la précarité familiale.
M. Frédéric Marinacce a indiqué que les CAF aidaient depuis longtemps les allocataires en situation de grande détresse et qu'à cet égard, le RMI, institué en 1988, avait profondément bouleversé le paysage de la demande sociale et la logique de besoin. Il a expliqué que les CAF cherchaient désormais à prendre en charge trois incapacités majeures pour les personnes en grande difficulté : celle de faire seul, le renseignement de formulaires administratifs, par exemple ; celle de faire dans les temps, le bénéfice des minima sociaux étant conditionné au respect de certains délais ; celle de faire comprendre le droit applicable, les modalités de calcul des aides au logement, par exemple, étant particulièrement complexes. Il a fait observer qu'au début des années 1990, était apparu un public très démuni qui n'était connu d'aucun service social, et que les CAF avaient dès lors dû adapter leurs méthodes de gestion et donner la priorité à certains dossiers afin d'éviter la formation d'interminables files d'attente.
Mme Hélène Paris a indiqué que la proportion des personnes en grande détresse s'était sans aucun doute accrue. Elle a souligné la progression considérable depuis 10 ans du nombre de bénéficiaires de minima sociaux parmi les familles monoparentales, soit une hausse de 12 % des allocataires de l'API et de 53 % de ceux du RMI. Elle a en outre noté la déconnexion de ces familles de la conjoncture économique générale, rappelant qu'à la fin des années 1990, le nombre de RMIstes avait diminué, sauf parmi les familles monoparentales. Elle a précisé que 500.000 familles monoparentales étaient actuellement bénéficiaires de minima sociaux, soit 200.000 au titre de l'API et 300.000 au titre du RMI.
Mme Anne-Marie Payet a fait observer que le nombre de mariages à la Réunion était en proportion moindre qu'en métropole. Elle a toutefois estimé qu'en raison des séquelles de la polygamie, les plus grandes difficultés en matière de familles monoparentales concernaient Mayotte, dont la population est à 99 % de confession musulmane. Elle a en effet rappelé que la polygamie y était désormais interdite, mais qu'elle ne pouvait s'éteindre que progressivement. Elle a fait observer que certains hommes avaient répudié leurs femmes, qui se retrouvent désormais seules, alors que l'API n'existe pas à Mayotte. Elle a également précisé que les allocations familiales étaient jusque-là plafonnées à trois enfants par allocataire, ce qui s'expliquait notamment par le souci de ne pas donner l'impression de cautionner la polygamie. Elle s'est toutefois réjouie de ce que le PLFSS pour 2006 tende à mettre un terme à cette situation, de même qu'il tend à instituer désormais l'allocation de rentrée scolaire à Mayotte.
Mme Annie David, soulignant les difficultés structurelles des familles monoparentales, qui ne retrouvent pas facilement un emploi même en cas de reprise de l'activité, s'est interrogée sur la possibilité de développer le volet insertion de l'API et sur les actions que pourraient entreprendre les CAF à cette fin.
Mme Hélène Paris a rappelé que le nombre de familles monoparentales bénéficiaires du RMI n'avait pas diminué à la fin des années 1990, alors que d'autres catégories de bénéficiaires avaient vu leurs effectifs se réduire. Elle en a déduit un retour à l'emploi plus difficile pour certains types de publics, mais aussi des difficultés propres aux familles monoparentales, qui nécessitent un accompagnement particulier en vue de leur parcours de réinsertion. Elle a indiqué que les CAF allaient davantage accompagner les allocataires de minima sociaux, en lien avec de nouveaux partenaires plus spécialisés en matière de réinsertion professionnelle.
M. Frédéric Marinacce, relevant l'absence actuelle de volet insertion de l'API, a estimé que la situation ne pouvait que s'améliorer. Il a toutefois rappelé qu'il existait un débat en cours sur l'avenir de l'API et que sa fusion avec le RMI à court terme était sérieusement évoquée, ces deux minima sociaux s'étant beaucoup rapprochés au cours des dernières années, le montant de l'API étant toutefois plus élevé que celui du RMI. Il a considéré qu'en cas de fusion, il y aurait un avantage certain à faire bénéficier les allocataires de l'API des mécanismes d'insertion, en particulier du contrat d'insertion qui ne leur est pas ouvert jusqu'à présent.
Mme Bariza Khiari, notant que de nombreuses banques excluaient de plus en plus de personnes à revenus modestes de leur clientèle, s'est interrogée sur le problème de la gestion par ces personnes des moyens accordés au titre des prestations familiales.
M. Frédéric Marinacce a fait observer que l'instauration d'un service bancaire universel avait pour objectif d'éviter un tel problème. Il a toutefois relevé qu'il arrivait aux responsables des CAF de solliciter les banques pour faire ouvrir un compte aux allocataires modestes.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est demandé si la difficulté des mères de familles monoparentales à retrouver un emploi n'était pas en partie liée aux conditions de garde des enfants.
Mme Hélène Paris a indiqué que plus de la moitié des allocataires de l'API ne recherchait pas d'emploi. Elle a estimé que trouver un emploi supposait, au préalable, l'identification d'une solution de garde des enfants. Elle a, à cet égard, évoqué la possibilité d'offrir aux allocataires de l'API un accès prioritaire aux structures collectives, comme les crèches.
En conclusion, Mme Gisèle Gautier, présidente, a souhaité connaître la place qu'occupait la politique familiale française comparativement aux politiques familiales menées dans les autres pays européens.
M. Frédéric Marinacce a estimé que la France, qui a privilégié les aides directes aux familles, de même que les pays du Benelux, occupait une situation intermédiaire entre les pays nordiques, très en avance en matière de services à la personne et de proximité, et des pays comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, dont la politique familiale n'est guère développée. Il a estimé que la politique familiale nécessitait la réunion d'une volonté politique, qui existe en France par-delà les clivages, d'acteurs sociaux, comme les CAF, mais aussi les entreprises et les collectivités territoriales, et de ressources, les CAF versant 50 milliards d'euros par an au titre des prestations familiales.
Mme Bariza Khiari a rappelé qu'il existait une corrélation entre le développement de la politique familiale et l'importance du travail des femmes.
M. Frédéric Marinacce a fait observer que des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, dont la population vieillit rapidement, étaient très intéressés par les modalités de notre politique familiale, qui, selon eux, serait en partie à l'origine du taux de fécondité élevé observé en France, notre pays occupant la première place en Europe avec l'Irlande.
Audition de M. Alain Cazenave, président,
accompagné de M. Gérard Révérend,
membre du bureau national, de l'association SOS Papa,
et de M. Stéphane Ditchev,
secrétaire général du Mouvement de la condition paternelle
(Mercredi 18 janvier 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente,
puis de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, secrétaire
Mme Gisèle Gautier , présidente , a accueilli les intervenants en indiquant que l'examen en séance publique, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes contraignait la délégation à limiter à une heure la durée de l'audition.
M. Stéphane Ditchev , secrétaire général du Mouvement de la condition paternelle , a tout d'abord rappelé que cet organisme avait été créé il y a 32 ans et rassemblait désormais 50 associations ou délégations régionales. Il a indiqué que, par conséquent, ses propos ne constituaient pas des analyses désincarnées, mais le reflet des témoignages de milliers de personnes.
Il a ensuite évoqué, dans une perspective historique et sociologique, les circonstances de l'apparition, vers 1982, des termes de « familles monoparentales » et « familles recomposées », au moment précis où se manifestait une tendance à l'accentuation des divorces et des séparations.
Il a estimé que ces deux expressions étaient artificielles, principalement parce qu'elles masquent l'existence de l'autre parent du ou des enfants. Prolongeant cette analyse, il a distingué le point de vue de certains parents « gardiens » des enfants qui considèrent en avoir la charge quasi exclusive, et celui d'autres parents qui souhaitent maintenir l'idée de famille au-delà de la séparation et pour cette raison se sont tournés vers le Mouvement de la condition paternelle.
Insistant sur le fait que la notion de famille monoparentale tend à nier l'existence de l'autre parent, M. Stéphane Ditchev a évoqué les diverses étapes de la réforme du droit de la famille, en rappelant qu'avant la loi du 4 juillet 1970 sur l'autorité parentale qui a supprimé la notion de chef de famille, l'enfant était « confié » à l'un des parents.
Puis il a évoqué la situation des adhérents au Mouvement de la condition paternelle qui souhaitent être mieux reconnus comme parent, en regrettant que, dans bien des cas, la « garde » puisse servir de support à une véritable « appropriation » de l'enfant. Dans cette optique, il a rappelé que la loi du 22 juillet 1987 dite « Malhuret » avait introduit la notion de résidence de l'enfant et que la loi du 8 janvier 1993 avait généralisé ensuite l'exercice en commun de l'autorité parentale, tout en soulignant que dans la pratique le parent chez lequel résidait habituellement l'enfant se comportait fréquemment comme s'il avait « tous les droits » sur cet enfant.
Faisant observer que la création du Mouvement de la condition paternelle avait été contemporaine de celle du secrétariat d'État à la condition féminine en 1974, il a précisé que les femmes connaissant des difficultés relatives à la résidence de leurs enfants à la suite d'un divorce ou d'une séparation étaient de plus en plus nombreuses à s'adresser à cette association, pour y trouver notamment un lieu de discussion. Il a à cet égard fait valoir que l'association avait pour préoccupation première l'intérêt de l'enfant, qui a besoin de ses deux parents.
Il a par ailleurs noté que l'expression de famille monoparentale était paradoxalement apparue au moment où le veuvage était en régression, alors que les veuves et les veufs constituent la majorité des parents réellement isolés.
Puis M. Stéphane Ditchev a déploré que, même lorsque les parents s'efforcent de rester en bons termes dans l'intérêt des enfants, les diverses institutions, et notamment l'école, le fisc, les caisses d'allocations familiales, les hôpitaux ne considèrent comme interlocuteur que l'un seul des deux parents, celui chez qui réside l'enfant.
Il a considéré, du point de vue statistique, que le nombre des familles monoparentales était en réalité non pas d'1 ou 2 millions, mais du double, en rappelant que celui des parents qui assure toujours une part de la charge financière des enfants, même si ceux-ci ne résident pas chez lui, constituerait également une famille monoparentale.
Il a souhaité, par conséquent, qu'au-delà des mesures législatives existantes, on réfléchisse sur de nouvelles mesures sociales permettant de mieux reconnaître l'existence des deux parents.
Après avoir évoqué les dernières réformes de l'autorité parentale et du divorce, il a considéré que le dialogue entre les parents relevait plus de la médiation familiale que des tribunaux.
M. Alain Cazenave, président de l'association SOS Papa , a tout d'abord indiqué que les hommes étaient victimes de discriminations au niveau de la justice familiale, faisant valoir que l'égalité des chances entre les hommes et les femmes devait s'appliquer dans tous les domaines. Par exemple, l'accès des femmes aux responsabilités professionnelles sans discriminations par rapport aux hommes passe probablement par la prise en compte d'une partie des tâches non professionnelles (l'éducation des enfants par exemple) par les hommes, déchargeant ainsi leurs partenaires.
Après avoir approuvé les propos du secrétaire général du Mouvement pour la condition paternelle, il a rappelé que l'association SOS Papa faisait désormais partie de l'UNAF et que cette adhésion reposait notamment sur l'idée que la famille se définit comme une entité regroupant la mère, le père et les enfants, ainsi que les lignées paternelles et maternelles sans notion de lieu.
Il a insisté, à ce titre, sur l'importance fondamentale des liens du sang entre les membres de la famille ; en effet les liens de sang commencent avant la naissance et perdurent souvent après la mort, contrairement aux autres liens qui ne sont que fugitifs et ne résistent en général pas à l'éloignement.
M. Alain Cazenave s'est déclaré choqué par l'emploi de l'expression de « famille monoparentale » et a jugé nécessaire de revoir cette terminologie. Il a en effet indiqué que le terme de « famille monoparentale » devrait être réservé à la désignation des cas dans lesquels l'un des parents est décédé ou a complètement disparu.
Il a estimé qu'en fait, dans la majorité des cas, l'un des parents cherchait à éliminer l'autre. Rappelant que l'enfant constituait un trait d'union indélébile entre les parents, il a contesté le recours à la notion de « famille monoparentale » pour désigner les situations dans lesquelles l'un des parents cherche à « s'approprier » les enfants, notamment en refusant à l'autre parent d'exercer son droit de visite ; en effet, la famille n'est pas liée à un lieu (contrairement au « foyer »), tant que les deux parents existent, la famille est complète. A ce titre, il a évoqué la multiplicité des plaintes pour non-représentation d'enfant, en illustrant à l'aide d'exemples concrets le fait qu'un certain nombre de parents sont, en pratique, dissuadés de recourir à cette procédure et que lorsqu'ils utilisent cette procédure, cela n'a aucun effet.
Il a également souligné la multiplication des accusations mensongères d'attouchement sexuel, utilisées comme une arme pour exclure l'autre parent dans une proportion estimée à plus de 50 % par Mme Danièle Ganancia, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre, et entre 25 et 75 % par Mme Claire Brisset, défenseure des enfants. Il a à cet égard mentionné les observations selon lesquelles, en cas de divorce et de séparation, on constate une augmentation de la fréquence des cas d'affabulation de la part des enfants (cf. « Les Cahiers de la Sécurité Intérieure » n° 28 de 1997, page 40).
Il a ensuite indiqué que le parent gardien des enfants pouvait également chercher à exclure l'autre parent par le biais d'un déménagement dans une région éloignée de la France ou à l'étranger. Il a fait observer que l'exercice de la coparentalité était difficilement praticable dans le cadre d'une séparation géographique de plusieurs centaines de kilomètres et qu'il était donc nécessaire que les parents gardent un lien se traduisant notamment par des relations de voisinage pour exercer effectivement leur coparentalité.
Il a rappelé que la garde de l'enfant en bas âge était, en pratique, une occupation dans bien des cas incompatible avec une activité professionnelle. Évoquant ensuite la psychologie de l'enfant, il a notamment indiqué que l'enfant était une « véritable éponge » des ressentis et des émotions de ses parents : une difficulté des parents (ou du parent) à assumer cette lourde tâche perturbe immédiatement l'enfant (même nouveau né, voire de façon prénatale).
M. Alain Cazenave a estimé qu'élever un enfant seul constituait un risque majeur et qu'il était important d'être deux pour exercer l'autorité parentale, soulignant que le phénomène de « démission » des parents se manifestait fréquemment dans les familles monoparentales.
De façon générale, il a estimé que la monoparentalité subie devait bénéficier d'une assistance grâce à la mobilisation des ressources publiques et de l'aide des institutions sociales, mais il a, en revanche, redouté l'encouragement à la « fausse » monoparentalité (exclusion de l'autre parent) qui pourrait être la conséquence de mise en place de dispositifs d'aide spécifique aux parents isolés se voyant confier la garde des enfants à l'issue d'une séparation.
S'agissant des familles recomposées, il a estimé que le nouveau conjoint du parent ne pourrait jamais remplacer le parent biologique et il a souhaité que le beau-parent puisse trouver une place et un statut spécifiques qui tiennent compte de cette réalité et aussi de l'éventualité d'une nouvelle séparation du couple recomposé.
A l'issue de cet exposé, Mme Gisèle Gautier , présidente , revenant sur la distinction entre monoparentalité subie et monoparentalité issue d'une séparation, a demandé aux intervenants leurs suggestions concrètes en matière de réforme de la terminologie employée.
M. Alain Cazenave a évoqué le terme de « famille désunie », notamment par la mission d'information sur le droit de la famille mise en place à l'Assemblée nationale.
Mme Gisèle Gautier , présidente , s'est ensuite interrogée sur l'application concrète des procédures prévues en matière de non-représentation d'enfant.
M. Alain Cazenave a résumé la situation en estimant que la non-représentation d'enfant était en principe « sanctionnable », mais en pratique « quasiment impunie », rappelant que les plaintes déposées étaient fréquemment classées sans suite.
De même, M. Stéphane Ditchev a rappelé l'existence des sanctions prévues à l'article 227-5 du code pénal, puis a donné des exemples concrets montrant que celles-ci n'étaient pas appliquées.
M. Alain Gournac a tout d'abord salué le caractère remarquablement mesuré des propos des intervenants. Puis il a souligné l'importance vitale des questions abordées, en rappelant que certains pères allaient jusqu'à se suicider de désespoir en raison de la souffrance due à la séparation d'avec leurs enfants, la justice privilégiant souvent le choix de la mère pour la garde des enfants. Puis il a évoqué les départs à l'étranger de parents isolés après une séparation, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis, ainsi que la souffrance des enfants qui en résulte.
M. Alain Gournac a enfin insisté sur l'importance du sujet traité par la délégation, compte tenu notamment de la fréquence croissante des divorces, et sur la nécessité de trouver des solutions permettant de diminuer la souffrance des pères, des mères et des enfants, tout en reconnaissant la complexité de la question.
M. Yannick Bodin a estimé que des solutions existaient pour gérer dans l'harmonie les relations entre les parents séparés et leurs enfants et que ces solutions étaient avant tout humaines. Il a indiqué en revanche que le problème était beaucoup plus complexe dans un contexte d'hostilité entre les parents, l'enfant devenant alors « une bombe à retardement » utilisée dans le conflit parental. Il s'est ensuite interrogé sur une éventuelle modification de l'appellation « famille monoparentale », considérant que le terme de « famille désunie » n'était pas satisfaisant, tout en reconnaissant la pertinence des objections formulées par les intervenants.
Mme Christiane Kammermann a rappelé que, dans la réalité vécue la plupart du temps par les familles séparées, l'un des parents ne s'occupait pas ou peu des enfants.
M. Alain Cazenave a répondu en faisant observer que, quand la famille était unie, un certain partage des tâches s'instaurait. Il a cependant expliqué que ce partage se faisait souvent de façon concertée en fonction de ce qui est le plus facile ou efficace dans le couple : par exemple, le parent qui conduit les enfants à l'école est le plus souvent celui dont l'école est sur le chemin du travail et correspond aux horaires ; en revanche, lorsque le couple est séparé, les « règles du jeu » n'ont plus aucune raison d'être les mêmes.
Mme Christiane Kammermann a estimé fondamental d'encourager les parents qui le souhaitent à porter plainte pour non-représentation d'enfants et demandé davantage d'information sur le rôle des associations auditionnées par la délégation. Elle a par ailleurs soulevé le problème des déplacements illicites d'enfants à l'étranger.
Mme Hélène Luc a fait part de son extrême préoccupation à l'égard de l'évolution de la famille. Elle s'est dite convaincue que le divorce ou la séparation demeurait un traumatisme. Saluant le courage des associations de pères, elle a évoqué des informations communiquées au moment de la dernière réforme du divorce, selon lesquelles les pères divorcées ne s'occupaient généralement pas des enfants dont ils n'avaient pas la garde, même lorsqu'ils payaient régulièrement les pensions alimentaires.
M. Stéphane Ditchev a indiqué que le recours à la notion de « parent isolé » permettait de cerner les deux parents et de favoriser une conception coparentale de la famille, même séparée. Il a estimé nécessaire de contrecarrer la tendance à un encouragement de la monoparentalité préjudiciable à l'équilibre familial.
Puis il a souligné que l'essentiel n'était pas tant le divorce que la façon dont il se passe. A ce titre, il a regretté que la réaction des institutions face aux difficultés qui se manifestent au sein des couples soit de faciliter la séparation, plutôt que de favoriser la médiation familiale en dehors de procédures judiciaires qui tendent à aggraver les tensions.
M. Gérard Révérend , membre du bureau national de SOS Papa , a souligné que les compétences parentales ne dépendaient pas du sexe, comme le démontrent des travaux expérimentaux irréfutables sur le développement de l'enfant jeune. Il a rappelé que de nombreux sociologues démontraient que les injonctions représentationnelles contradictoires des rôles sexués et parentaux entraînaient une très grande diversité d'implications parentales dont il n'est pas tenu compte lors des jugements de séparation impliquant des enfants : en effet, en dehors de la bonne fortune des accords amiables, on se retrouve avec des décisions quasi-systématiques de garde confiée à la mère, quels que soient les conditions du dossier et les éléments objectifs d'investissement de chaque parent.
M. Gérard Révérend a fait part de son expérience de terrain, avec une grande fréquence de dossiers de familles concernant des mères qui se sont peu investies pour l'enfant très jeune, le père étant alors amené à s'occuper quasi exclusivement de l'enfant ; au cours des procédures, ces dossiers se terminent par une garde classique confiée à la mère.
Il a souligné l'indissociabilité de l'égalité parentale et de l'égalité des sexes, ainsi que la nécessité d'une campagne de revalorisation du rôle du père associée à des mesures incitatives efficaces dans ce sens, à commencer par une distribution équitable pour l'enfant du temps passé avec chaque parent après la séparation quand un père s'est bien investi, pour éviter le « parent démissionné » par le système : ces mesures agiraient également positivement sur les démissions paternelles qui sont à considérer comme une auto-exclusion d'origine culturelle. En tout état de cause, il convient d'agir également, selon lui, en amont contre les « représentations manichéennes des sexes ».
Après avoir remplacé à la présidence Mme Gisèle Gautier , contrainte de se rendre en séance publique, Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souhaité synthétiser l'ensemble des interventions. Estimant tout d'abord que la notion de « famille désunie » comportait des connotations négatives, elle a suggéré de retenir le terme de « résidence monoparentale ».
A propos des déplacements illicites d'enfants à l'étranger, elle a évoqué son expérience en la matière et indiqué qu'elle avait beaucoup travaillé sur ce dossier, notamment dans le cadre d'une commission de médiation franco-allemande, en insistant sur la nécessité d'accélérer les procédures et de diminuer leur coût qui demeure excessif, en particulier aux Etats-Unis. Elle a en outre rappelé qu'elle avait interrogé le Gouvernement en vue d'une meilleure sensibilisation aux stipulations de la Convention de la Haye et que celui-ci avait pris un certain nombre de mesures d'information et d'affichage de ce texte trop souvent inappliqué.
Elle a en outre insisté, d'une manière générale, sur l'importance des actions de sensibilisation des juges et des psychologues sur les problèmes posés par la garde des enfants à l'issue d'une séparation.
Elle a enfin félicité la présidente de la délégation d'avoir pris l'initiative de cette audition et indiqué qu'elle s'était toujours efforcée, pour sa part, de respecter l'équilibre entre les droits et les chances des femmes et des hommes.
M. Stéphane Ditchev a indiqué que le déménagement de l'un des parents, même s'il est considéré comme légal, avait parfois les mêmes conséquences que les enlèvements illégaux.
Il a insisté sur les notions de famille, de droits des enfants et de devoirs des parents, et sur le principe de précaution qui consiste à l'égard des enfants à préserver leurs relations avec leurs deux parents. Il a précisé qu'environ 300 000 enfants étaient concernés cette année par une procédure en divorce engagée par leurs parents. Il a enfin souligné que la démarche de son association prenait aussi en compte l'intérêt des femmes, car il n'est pas normal qu'un parent ait seul la charge entière des enfants, et ce n'est pas l'intérêt des enfants.
M. Gérard Révérend , approuvant ce propos, a rappelé que d'après les statistiques, les femmes reconstruisaient une nouvelle vie de couple deux fois moins fréquemment que les hommes après une séparation, et se trouvaient donc plus souvent dans une situation d'isolement.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, présidente , a conclu en souhaitant une revalorisation de la place des deux parents dans l'intérêt des enfants et des structures familiales.
Audition de Mme Claire Brisset,
Défenseure des enfants
(Mercredi 25 janvier 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente , a présenté les grandes étapes de la carrière de l'intervenante et a rappelé que la situation des familles monoparentales et des familles recomposées avait de fortes incidences sur le sort des enfants.
Mme Claire Brisset a indiqué qu'elle allait traiter le sujet des familles monoparentales et recomposées à travers le biais des droits des enfants, dont elle est chargée par la loi d'assurer la défense. Elle a rappelé qu'elle avait d'abord été journaliste sur les questions sociales et qu'elle avait, à ce titre, notamment couvert la loi libéralisant l'avortement en France, puis qu'elle avait travaillé pour l'UNICEF, dont le mandat concerne à la fois les enfants et leurs mères, pendant 12 ans au cours desquels elle avait été très fréquemment au contact de femmes de divers horizons.
Elle a indiqué que la loi avait fixé quatre missions au Défenseur des enfants :
- recevoir des plaintes individuelles concernant le non-respect des droits de l'enfant ;
- relever les dysfonctionnements qui peuvent affecter de façon collective les droits des enfants ;
- formuler des propositions de modification des textes et des pratiques afin de faire cesser ces dysfonctionnements. Mme Claire Brisset a évoqué, au titre de la modification des textes, sa proposition de relever l'âge minimum du mariage des filles de 15 à 18 ans afin de lutter contre les mariages forcés, que le Sénat a votée dans le cadre de la proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein du couple, ou encore de sanctionner pénalement les clients de prostituées mineures. Elle a considéré qu'il était plus difficile de modifier des pratiques, qui sont par définition très décentralisées, que des textes, et a cité, à titre d'exemple, la nécessité pour la France de mener une véritable politique de l'adolescence, notamment en étendant le champ de la pédiatrie à l'hôpital jusqu'à l'âge de 18 ans, et non plus de 15 ans, ou en créant des unités réservées aux adolescents au sein des hôpitaux ;
- diffuser des informations en faveur des droits des enfants, comme le prévoit la Convention internationale relative aux droits des enfants, ces informations devant être orientées en priorité vers les familles qui sont très souvent à l'origine de la violation des droits des enfants.
Mme Claire Brisset a indiqué que, depuis 2000, début de son mandat de six ans, elle avait été saisie de la situation de 11 000 enfants au total, et a souligné la croissance de 30 % du nombre de saisines entre 2004 et 2005. Elle a rappelé que le législateur avait tenu à ce que le Défenseur des enfants puisse être saisi directement et non par l'intermédiaire d'un parlementaire, comme c'est le cas pour le Médiateur de la République. Elle a précisé que les enfants, qui interviennent à la fois par écrit et par message électronique, étaient à l'origine d'environ 10 % du nombre de saisines, de même que les associations. Elle a noté que les 80 % de saisines restantes étaient le fait des parents, ces saisines étant réalisées à hauteur de 11 % par des couples, par des pères pour 16 % et par des mères pour 35 %. Elle a précisé que 61 % des adultes auteurs de ces saisines étaient des parents célibataires, divorcés ou séparés et que 10 % d'entre eux étaient veufs. Elle a donc fait observer que 71 % des auteurs des saisines, soit une proportion écrasante, vivaient seuls avec leurs enfants ou avec des personnes qui ne sont pas leurs parents. Elle a également indiqué que certaines personnes saisissaient le Défenseur des enfants, même si la loi ne l'avait pas prévu, par exemple des médecins, des magistrats, des avocats, ainsi que des grands-parents, ces derniers représentant 5 % des auteurs des saisines - dont deux fois plus de grands-parents maternels que de grands-parents paternels. Elle a expliqué que, dans ces éventualités, elle décidait de s'autosaisir si elle l'estimait nécessaire et a cité l'exemple de l'action qu'elle avait entreprise suite à la saisine de grands-parents ayant signalé l'incapacité de leur fille malade mentale à élever l'enfant qu'elle avait eu d'un père inconnu.
Mme Claire Brisset a ensuite exposé l'objet de ces saisines. Elle a indiqué qu'un tiers des saisines concernait, de façon constante, des conflits familiaux inextricables et souvent marqués par une extrême violence, tels que des enlèvements d'enfants, transnationaux ou vers l'outre-mer, ainsi que des décisions de justice inappliquées. Elle a ensuite noté que, pour la première fois en 2005, la situation d'enfants étrangers constituait le deuxième motif de saisine, qu'ils arrivent seuls sur le territoire national ou en famille, notamment dans le cadre d'une procédure de demande d'asile. Elle a précisé que les conflits avec l'éducation nationale arrivaient en troisième position, et qu'ils laissaient apparaître une évolution marquée par une forte diminution des mauvais traitements infligés par des enseignants à leurs élèves, mais, en revanche, par une hausse des saisines liées à la situation des enfants handicapés à l'école, regrettant l'absence de structures d'accueil adaptées, en particulier pour les enfants polyhandicapés, qui oblige les familles à avoir recours à des établissements spécialisés à l'étranger, notamment en Belgique. Selon elle, la faiblesse de la prise en compte des enfants handicapés par notre société a pu mériter la qualification de scandale national. Enfin, elle a souligné l'existence d'autres causes de saisine, telles que des problèmes de logement, de placement d'enfants ou encore liés à l'incarcération d'un parent, voire à l'influence de sectes. Elle a conclu en insistant sur le fait que les femmes et les enfants se trouvant dans des situations familiales difficiles constituaient la source majoritaire des saisines du Défenseur des enfants.
Mme Claire Brisset a cité l'étude conjointe de l'Institut national d'études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 1998 sur les familles monoparentales, qui fait ressortir que plus d'un million et demi d'enfants vivaient alors au sein de familles monoparentales, dont 84,8 % avec leurs mères. Elle a estimé que la solitude de ces mères était la source de différents problèmes, en particulier le regard social porté sur elles, qui peut s'apparenter à une stigmatisation, même si celle-ci a indéniablement reculé depuis une cinquantaine d'années. Elle a également souligné la précarité et la pauvreté qui affectent très souvent les familles monoparentales et a attiré l'attention, à ce sujet, sur le récent rapport de M. Martin Hirsch, président d'Emmaüs France. Elle a également évoqué les problèmes juridiques auxquels sont confrontées ces femmes, en particulier leurs difficultés d'accès aux droits qui leur sont ouverts au titre de très nombreuses allocations, qui forment aujourd'hui un « maquis » complexe. Elle a également fait observer que beaucoup de ces femmes rencontraient des difficultés liées à leurs horaires de travail, en particulier dans le milieu hospitalier et la grande distribution.
Mme Claire Brisset a ensuite évoqué la question de la scolarité à deux ans, constatant que la France était le seul pays industrialisé à envoyer des « bébés » à l'école. Elle a en effet considéré que cette situation constituait souvent un pis-aller, faute de moyens pour placer les enfants dans une crèche, notamment en cas de chômage des parents. Elle a souligné l'absence d'études solides sur les avantages d'une scolarité à deux ans, comme le lui avaient d'ailleurs fait remarquer plusieurs pédopsychiatres, enseignants et linguistes. Elle a précisé que le processus d'acquisition du langage pouvait être perturbé par une scolarisation trop précoce, faute pour l'enfant d'avoir un contact suffisant avec des adultes, d'autant plus que les enseignants ne recevaient pas de formation adaptée à cette classe d'âge et que les besoins de sommeil des enfants pendant la journée ne pouvaient être respectés dans le cadre de l'école. Selon elle, l'école à deux ans est donc une « fausse bonne idée », qui peut être à l'origine d'un retard linguistique important et parfois difficilement rattrapable. Elle a conclu en indiquant que de nombreuses femmes élevant seules leurs enfants les envoyaient à l'école dès l'âge de deux ans parce qu'elles n'avaient, en réalité, pas le choix, faute de modes de garde adaptés.
Elle a expliqué que l'absence de référence paternelle pouvait également être source de difficultés pour les familles monoparentales, rappelant que 85 % des enfants de parents séparés étaient placés chez leur mère et qu'un tiers d'entre eux n'avait plus de contacts avec leur père. Elle a donc appelé de ses voeux le développement d'actions en faveur du soutien à la parentalité.
Mme Claire Brisset a fait observer que les familles recomposées étaient confrontées à des difficultés différentes, dont les germes sont par nature présents au sein de ce type de familles. Elle a considéré que l'insécurité psychologique et l'instabilité dans lesquelles vivent parfois les familles recomposées trouvaient leurs sources dans des conflits structurels qui peuvent conduire à des violences parfois très vives.
Puis elle a souligné les problèmes causés par l'absence de statut juridique des beaux-parents, indiquant, par exemple, que la seule solution pour faire naître des liens de droit entre un beau-père et l'enfant de sa femme était de l'adopter. A ce titre, elle a noté que la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les droits de la famille et de l'enfant allait remettre très prochainement ses conclusions, qui devraient comporter un certain nombre de recommandations relatives à l'institution d'un statut du beau-parent.
Mme Christiane Kammermann a souhaité savoir si le Défenseur des enfants était saisi de cas d'enfants de Français résidant à l'étranger et recevait des femmes battues.
Mme Claire Brisset a indiqué avoir signé avec le ministère des affaires étrangères un protocole d'accord concernant la situation des enfants français vivant à l'étranger, ou binationaux, n'ayant plus de parent, aux termes duquel le consulat s'assurait, sur place, qu'il n'y avait pas de titulaire de l'autorité parentale, avant que le Défenseur des enfants ne sollicite un conseil général, compétent pour accueillir un enfant à son arrivée en France. Elle a précisé que, pour des raisons matérielles, l'accueil des parents et des enfants était assuré par les 45 correspondants territoriaux du Défenseur, ses services ne recevant que très rarement des particuliers. Enfin, elle a indiqué qu'elle n'était pas compétente à l'égard des femmes battues, même si elle a constaté que les hommes violents frappaient également très souvent leurs enfants.
M. Jacques Pelletier s'est inquiété des très mauvaises conditions d'accueil des enfants handicapés en France en raison du manque de places dans des institutions spécialisées, et il a fait observer que le problème était identique s'agissant des établissements accueillant des personnes âgées, dont les familles se trouvent souvent obligées de rechercher une structure adaptée à l'étranger.
Mme Claire Brisset a déploré que le droit à l'éducation de tout enfant, quel que soit son handicap, soit très souvent bafoué. Elle s'est interrogée sur la manière de mettre effectivement en oeuvre ce droit, réaffirmé par la loi de 2005, dans un contexte marqué par une pénurie de moyens adaptés, citant l'accueil par défaut d'enfants autistes dans un milieu scolaire ordinaire. Elle a noté que cette situation était ancienne et que le retard s'était accumulé au fil des années, à tel point que les parents d'enfants handicapés avaient parfois été contraints de créer eux-mêmes des structures d'accueil adaptées.
Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la manière de faire progresser les droits des enfants, notamment en cas de violences conjugales. S'agissant de l'affaire dite d'Outreau, elle a constaté que certains enfants avaient parfois été séparés pendant plusieurs années de leurs parents mis en examen, et s'est demandé quels types d'actions pouvaient être entrepris dans leur direction. Notant que la loi sur le handicap de 2005 avait permis de créer 800 postes d'auxiliaires pour accueillir des élèves handicapés, elle s'est toutefois interrogée sur les conséquences, en termes de qualité de l'accueil de ces élèves, de la suppression éventuelle de postes d'auxiliaires dans certains établissements. Elle a enfin estimé qu'il convenait d'éviter des positions trop tranchées sur la scolarisation des enfants de deux ans, celle-ci lui paraissant préférable à une absence d'encadrement, en particulier dans les milieux défavorisés.
Mme Claire Brisset a considéré que, dans son mode d'organisation actuel, l'école n'était pas en mesure d'accueillir, de façon satisfaisante, les enfants de deux ans. Elle a précisé que si l'alternative ne se trouvait pas seulement entre l'école ou la famille, la scolarisation à deux ans nécessitait cependant des structures adaptées, inexistantes aujourd'hui, telles que des groupes limités à dix enfants, encadrés par deux adultes formés et disposant de véritables lits. S'agissant des enfants handicapés, elle s'est inquiétée du suivi de la mise en application de la loi de 2005. Elle a rappelé que les mesures de protection des femmes victimes de violences conjugales et de leurs enfants devaient être prises par le procureur de la République et a précisé, à ce sujet, que le Gouvernement préparait une réforme de la protection de l'enfance qui pourrait être achevée au mois d'avril, les consultations, notamment au niveau des départements, étant actuellement en cours.
En ce qui concerne l'affaire d'Outreau, Mme Claire Brisset a indiqué s'être déplacée aux procès ayant eu lieu à Saint-Omer puis à la cour d'appel de Paris. Elle a estimé que les enfants victimes auraient dû être interrogés avec des précautions extrêmes, ce qui n'a pas été le cas. Elle a également rappelé qu'en méconnaissance de la loi, l'identité de ces enfants avait été révélée par la presse et qu'une conférence de presse, dont elle avait pris l'initiative, avait permis d'éviter le renouvellement de cette situation lors du procès d'Angers, avant d'évoquer la situation des enfants placés dans des familles d'accueil à la suite de l'incarcération de leurs parents.
Par ailleurs, elle a fait part de l'expérience tirée de son déplacement à la prison de Clairvaux, qui n'accueille que les condamnés à de longues peines, et elle a souhaité que, dans certains cas, soit respecté le souhait d'un enfant de ne plus voir son père. Après avoir indiqué que le président du tribunal de grande instance compétent avait pris l'initiative de mettre en place un lieu d'accueil pour permettre aux familles des détenus d'exercer plus facilement leur droit de visite, elle a évoqué la situation du parloir de cet établissement pénitentiaire qui, selon elle, « dépasse l'imagination ». Elle a en effet qualifié de « cloaque » ce parloir, constitué d'une trentaine de petits boxes individuels entre lesquels les enfants circulent librement et dont les conditions matérielles d'installation lui ont paru « attentatoires à la dignité humaine ». Elle a d'ailleurs considéré qu'il était traumatisant pour des enfants de rencontrer leur père dans de telles conditions.
Après avoir évoqué la question de la scolarisation des enfants de deux ans, Mme Annie David a regretté que, lors de l'examen de la loi sur le handicap, les amendements présentés par son groupe, afin d'introduire des modules de formation à l'accueil d'enfants handicapés en direction des enseignants, n'aient pas été acceptés par le Gouvernement. Elle a partagé l'appréciation de la Défenseure des enfants sur les conditions déplorables de l'accueil de ceux-ci dans le cadre des parloirs au sein des établissements pénitentiaires. Elle s'est par ailleurs interrogée sur les conséquences, au sein des familles monoparentales, de l'instauration éventuelle de l'apprentissage dès 14 ans, qui donnerait lieu à une rémunération. De même, elle s'est inquiétée des dispositions du projet de loi relatif à l'égalité des chances visant à mettre sous condition les allocations familiales et à instituer un contrat de responsabilité parentale.
Mme Claire Brisset a indiqué être favorable à l'apprentissage à 14 ans, dès lors que la vérification des acquis de base aurait été effectuée et que l'apprenti demeurerait sous statut scolaire. Elle a en effet estimé qu'il s'agissait d'une voie d'accès à la vie professionnelle et sociale qui pourrait être empruntée par des enfants déscolarisés, parfois dès l'âge de 12 ans. Elle a recommandé, par ailleurs, d'avoir recours plus fréquemment à la tutelle aux prestations sociales, qui existe déjà, et a proposé qu'elle soit étendue à l'outre-mer. Elle a considéré que la signature d'un contrat de responsabilité parentale impliquerait la mise en place d'actions de soutien à la parentalité.
Mme Monique Cerisier ben Guiga s'est inquiétée de la précarité affectant les enfants vivant au sein des familles monoparentales qui résident à l'étranger. Elle a par ailleurs estimé qu'un élève handicapé avait besoin d'une monitrice spécialisée qui le suive en permanence à l'école.
Mme Claire Brisset a conclu en appelant de ses voeux la création de délégations parlementaires aux droits des enfants dans les deux assemblées.
Audition de
Mmes Hélène Poivey-Leclercq et Marie-Claude Habauzit-Detilleux,
membres du Conseil national des barreaux,
de Mme Laurence Mariani et de M. Olivier Cousi,
membres du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris,
de Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau,
ancien bâtonnier du Val-de-Marne,
membre du bureau de la Conférence des bâtonniers,
et de Mme Nadine Duval,
ancien bâtonnier de Compiègne, membre de la Conférence des bâtonniers
(Mardi 7 février 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé le déroulement ainsi que l'état d'avancement des travaux de la délégation. Puis les intervenants ont successivement présenté les principaux axes de leur carrière et de leurs activités.
Abordant ensuite la question de la précarité des familles monoparentales, Mme Hélène Poivey-Leclercq a estimé que cette précarité pouvait être considérée comme l'une des conséquences du divorce ou de la séparation. Elle a noté, d'une part, que le divorce fragilisait presque systématiquement la situation économique des deux membres du couple et, d'autre part, que l'absence d'activité professionnelle de l'un des conjoints était l'une des causes fondamentales des situations de précarité provoquées par les séparations.
Elle a jugé encore insatisfaisantes les modalités de règlement financier du divorce en dépit des améliorations apportées par les réformes récentes, en précisant que le principe du versement d'un capital au titre de la prestation compensatoire ne permettait pas suffisamment aux époux divorcés de compenser une éventuelle impossibilité ou difficulté de reprendre une activité. Elle a évoqué, par exemple, le cas des épouses qui suivent leur mari expatrié et sacrifient de ce fait, dans bien des cas, leur avenir professionnel.
Au titre des solutions envisageables pour remédier à ce problème, Mme Hélène Poivey-Leclercq a suggéré comme piste de réflexion un partage entre les époux des droits à la retraite acquis pendant la durée du mariage, en faisant observer qu'une telle réforme ne coûterait rien à l'État et n'entraînerait pas d'augmentation des charges des caisses de retraite. Rappelant que bien souvent la carrière du mari s'effectue grâce à la mobilisation des deux membres du couple, elle a jugé équitable et sécurisant, à la fois pour les individus et pour la société, cet éventuel partage des droits à la retraite acquis par le couple. Se référant à des expériences étrangères dans ce domaine, Mme Hélène Poivey-Leclercq a évoqué la prise en compte au Québec d'une notion de patrimoine familial comprenant essentiellement la résidence principale, les meubles et les droits à la retraite du ou des époux.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a, pour sa part, estimé que la récente réforme du divorce n'avait pas suffisamment permis aux couples de concentrer leur attention non pas sur le conflit conjugal, mais sur l'organisation et la gestion prévisionnelle de l'après divorce. Elle a cependant précisé que l'on ne disposait pas encore du recul suffisant pour évaluer les effets de cette réforme, en précisant qu'elle n'avait pu connaître que de quelques cas concrets soumis à la nouvelle législation. Puis elle a souligné que les problèmes de fixation de la prestation compensatoire et de la pension alimentaire demeuraient complexes et conflictuels.
Mme Laurence Mariani a ensuite évoqué concrètement les difficultés que rencontre souvent le parent non gardien pour obtenir des informations au sujet de l'orientation scolaire de ses enfants. Elle a également relaté les difficultés des parents qui souhaitent déposer plainte pour non-représentation d'enfants, en faisant notamment observer que les services de police orientent souvent les demandeurs vers une main-courante qui n'a pas la même portée juridique qu'une plainte, puisque seule cette dernière permet de mettre l'action publique en mouvement.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a fait observer qu'une difficulté similaire se rencontrait en matière de violences conjugales.
A propos de la précarité des familles monoparentales, Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a rappelé qu'à la base, une séparation entraînait mécaniquement le doublement de certaines charges fixes, notamment de logement. S'agissant des modalités de fixation de la pension alimentaire, elle a indiqué que les enfants n'avaient pas les mêmes besoins en termes d'éducation et de loisirs et que les parents pouvaient effectuer des choix extrêmement variables dans ce domaine. En conséquence, elle a souligné la nécessité de maintenir le principe fondamental de la fixation de la pension alimentaire par le juge au cas par cas, et non pas selon une proportion mécanique des revenus. Elle s'est déclarée défavorable à une mutualisation du recouvrement ou du paiement des pensions alimentaires, en estimant qu'il n'appartenait pas à la société de pallier les insuffisances des parents. Elle a ajouté qu'il convenait plutôt de responsabiliser les parents et de les encourager à s'investir dans l'éducation de leurs enfants.
M. Alain Gournac a approuvé ce propos.
Abordant le thème de la résidence alternée, M. Olivier Cousi a estimé qu'il s'agissait d'une bonne mesure devant être favorisée autant que possible, sous réserve de la difficulté de l'appliquer à un enfant trop jeune. Il a cependant regretté que les décisions puissent être parfois prises plus dans l'intérêt des parents que dans celui des enfants. Il a insisté sur le besoin de stabilité de ces derniers, tout particulièrement lorsqu'ils ont un âge inférieur à cinq ans. Il a enfin précisé que la résidence alternée était une solution plus particulièrement prisée par les couples aisés qui ont les moyens de mettre en place plus facilement une garde alternée dans des conditions satisfaisantes.
Puis Mme Nadine Duval a évoqué les bienfaits du recours à la médiation familiale pour permettre au couple de diminuer l'intensité du conflit conjugal. Elle a précisé qu'une fois le principe de la séparation admise, la médiation permettait de rompre l'escalade du conflit pour établir un dialogue sur la gestion prévisionnelle de l'après divorce.
M. Alain Gournac a jugé que, même si le succès de la médiation n'était pas garanti dans la totalité des séparations conflictuelles, il était essentiel d'y recourir le plus souvent possible.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a rappelé le pouvoir incitatif, mais non coercitif, du juge à l'égard du recours à la médiation. Tout en rappelant que l'on manquait encore de recul sur l'application de la dernière réforme, elle a ensuite fait apparaître une tendance de fond à la pacification du divorce. Elle a estimé, qu'à l'horizon de quelques années, la prise de conscience par les conjoints que la mise en avant d'une faute n'avait plus d'incidence sur les conditions matérielles du divorce aurait nécessairement un effet modérateur sur l'effervescence conflictuelle de la séparation.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a fait observer que, même dans les cas où le conflit passionnel s'apaisait, le conflit financier pouvait persister. Elle a estimé essentiel de prendre le plus tôt possible, en amont de la procédure, des mesures permettant d'évaluer le patrimoine du couple, en ayant recours, notamment, aux experts ou à toute personne qualifiée pour effectuer les estimations nécessaires (immobilier, actifs, valeurs mobilières et de sociétés). Puis elle a insisté sur l'importance particulière de cette évaluation patrimoniale pour les couples cinquantenaires, en soulignant le rôle essentiel, dans ce domaine, de l'établissement du projet liquidatif, de la détermination du montant prévisible de la prestation compensatoire et de l'attribution, ou non, du domicile conjugal à l'épouse, car l'incertitude et l'insécurité alimentent le climat conflictuel. Elle a souligné cette nécessité particulièrement au profit des femmes qui ont sacrifié leur carrière pour favoriser celle de leur mari.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a précisé que le conflit naissait le plus souvent de la dissimulation de ressources ou d'éléments d'actif par l'un des conjoints et, qu'à cet égard, les notaires n'étaient pas mieux armés que les avocats. Puis elle a centré son propos sur l'incertitude qui plane au début de la procédure sur le montant de la future prestation compensatoire et sur l'évaluation de certains biens. Dans ces conditions, elle s'est demandé s'il ne conviendrait pas de réfléchir à nouveau à la question de la dissociation ou non du divorce et de ses conséquences matérielles pour les époux.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a abordé la question de l'éventuelle définition d'un statut juridique du beau-parent, en précisant qu'aucune proposition concrète ne se dégageait pour l'instant des précédents travaux de la délégation.
Résumant l'opinion partagée par l'ensemble des intervenants, Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a estimé que la définition d'un statut juridique du beau-parent n'était pas souhaitable. Elle a justifié cette appréciation en indiquant, notamment, que les familles recomposées étaient elles-mêmes sujettes à séparation et à recomposition. Elle a redouté les conséquences de la définition d'un tel statut, en mentionnant le risque de dissolution de l'esprit de famille. Elle a également insisté sur la nécessité, pour l'enfant, de conserver des liens avec son parent biologique et, plus généralement, de sauvegarder l'architecture et la stabilité de la cellule familiale.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a précisé, en outre, que l'adoption constituait, dans le droit en vigueur, la solution juridique permettant de matérialiser la force des liens affectifs qui peuvent se créer entre les beaux-parents et les enfants de leur conjoint.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , sur l'éventuelle prise en compte du phénomène de l'homoparentalité dans le droit de la famille, les intervenants ont estimé qu'il s'agissait d'un débat de société et qu'ils n'avaient pas, en tant que représentants de la profession d'avocat, à émettre une opinion à ce sujet.
M. Alain Gournac a rappelé qu'il y a une vingtaine d'années, l'intervention des avocats avait parfois tendance à envenimer les conflits conjugaux. En conséquence, il a tenu à rendre hommage aux intervenants pour leurs propos responsables et leur analyse tournée vers la pacification du divorce. Puis il les a interrogés sur les différences entre la séparation des couples mariés et celle des couples non unis par les liens du mariage. Il a estimé fondamental de tout faire pour pacifier le divorce et a enfin évoqué la détresse des femmes divorcées qui n'ont jamais eu d'activité professionnelle car elles se sont consacrées à l'éducation de leurs enfants.
S'agissant des conditions de la séparation des couples mariés et non mariés, Mme Hélène Poivey-Leclercq a indiqué, qu'en pratique, pour les couples mariés, la procédure avait un effet de catharsis, alors que, pour les couples non mariés, le contentieux se déplaçait pour se focaliser sur les enfants et, singulièrement, sur les modalités du droit de visite et d'hébergement. Elle a par ailleurs évoqué l'incertitude qui planera, à l'avenir, sur les pactes civils de solidarité non liquidés et les risques qui en résulteront au moment du règlement des successions.
Elle a ensuite mentionné les réflexions sur la contractualisation des rapports entre les époux en vogue dans le droit anglo-saxon, établissant, à titre schématique, un parallèle entre la prestation compensatoire et une forme d'« indemnité de licenciement conjugale ». Elle a estimé qu'un minimum de garanties devrait être prévu quant à la fixation de cette « indemnité ». Elle a en effet insisté sur la formation, au sein des couples, d'une sorte de « pacte conjugal » selon lequel certaines femmes sacrifiaient leur carrière au profit de celle de leur mari.
Prolongeant cette analyse du « prenuptial agreement », Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux s'est interrogée sur l'utilité d'une telle démarche étant donné la difficulté, pour un couple, de se projeter dans l'avenir et, notamment, d'évaluer quelle sera la situation professionnelle des conjoints plusieurs dizaines d'années à l'avance.
Mme Hélène Luc a rappelé le débat sur la nécessité de maintenir ou non le concept de faute au moment de la dernière réforme du divorce, et a approuvé que cette notion ait été, sinon supprimée, du moins affaiblie quant à ses conséquences sur les conditions matérielles de la séparation. Elle a souhaité que soit dressé un bilan d'application de la réforme du divorce dans les cinq années suivant son adoption. Elle a ensuite souligné le désarroi qui s'empare de certaines femmes divorcées ou en attente de divorce, et a, en particulier, insisté sur la nécessité de mieux les informer du droit applicable dès qu'elles souhaitent entamer des démarches pour divorcer. Elle a ensuite interrogé les intervenants sur les modalités pratiques de l'évaluation financière des ressources et du patrimoine du couple. Elle a souhaité que soit pris en compte, au premier rang des priorités, l'intérêt des enfants pour la fixation des conditions matérielles du divorce. Elle a enfin évoqué les difficultés d'accès au crédit pour les conjoints divorcés.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a fait observer que la vente de la résidence acquise à crédit par le couple était souvent une conséquence de la diminution de la solvabilité des conjoints séparés, les banques pouvant être conduites à refuser la reprise d'un emprunt par un seul des conjoints en raison de la réduction des garanties financières.
Acquiesçant à l'idée de mieux renseigner les femmes sur la législation applicable au divorce, Mme Hélène Poivey-Leclercq a également insisté sur la nécessité d'une information des futurs époux préalable à la célébration du mariage.
Évoquant notamment son expérience personnelle, M. Alain Gournac a montré l'intérêt d'une adaptation du contrat de mariage pour tenir compte de l'évolution de la situation du couple et pour sécuriser le conjoint.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur l'opportunité de délivrer un livret d'information aux époux au moment du mariage.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a alors fait observer que l'information organisée en Suède au moment du mariage permettait de rendre les divorces moins douloureux.
Mme Annie David a souhaité que cet échange de vues puisse être recentré en prenant en considération la situation des familles modestes. Elle a souligné la contradiction entre, d'une part, la mise en place de politiques d'incitation financière visant à encourager, en leur fournissant une allocation, les femmes qui restent à domicile pour élever leurs enfants et, d'autre part, le constat de la détresse à laquelle celles-ci doivent faire face en cas de divorce. Elle a estimé que l'idée d'un « prenuptial agreement » n'était envisageable que pour des familles aisées. Revenant sur l'idée d'une mutualisation des pensions alimentaires, elle a évoqué le cas des femmes séparées d'un conjoint insolvable, en se demandant si la société n'avait pas le devoir de les secourir autrement que par le biais des minima sociaux. A propos du statut des beaux-parents, elle s'est enfin interrogée sur la nécessité d'une réflexion complémentaire, en prenant l'exemple d'un enfant vivant dans une famille recomposée dont le parent gardien meurt et dont l'autre parent biologique est violent, le beau-parent n'ayant alors aucun droit pour protéger cet enfant.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a rappelé le rôle du juge des enfants qui, en cas de péril ou d'urgence, a la possibilité de prendre une ordonnance de placement pour protéger un enfant d'un parent violent. Elle a également évoqué la possibilité, pour un parent, de prendre des dispositions testamentaires pour organiser les modalités de l'exercice de l'autorité parentale sur un enfant mineur et la gestion de ses biens.
Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a estimé que l'examen au cas par cas de la relation entre les enfants et le beau-parent devait être préservé car il permet d'ajuster la décision à la diversité des situations.
Évoquant son expérience en matière d'aide juridictionnelle, Mme Nadine Duval a insisté sur la nécessité d'une responsabilisation des parents. Elle a en effet indiqué que, selon ses observations concrètes, un certain nombre de femmes divorcées s'inquiétaient avant tout des conditions d'attribution de l'allocation de parent isolé et projetaient un éventuel remariage et la venue d'un nouvel enfant, mais ne songeaient pas à reprendre une activité professionnelle.
Mme Hélène Poivey-Leclercq s'est, pour sa part, indignée des cas dans lesquels les parents n'exerçaient pas leur droit de visite et d'hébergement. Elle s'est interrogée sur l'idée d'une éventuelle pénalisation du non-exercice de ce droit, ou d'une déchéance de l'autorité parentale dans cette hypothèse.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a cependant estimé que les sanctions pénales n'étaient pas nécessairement les plus appropriées dans ce cas, et a plutôt suggéré un accroissement du montant de la pension alimentaire pour sanctionner ce type de comportement.
A propos de la résidence alternée, Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé que ce mode de garde était contesté et a évoqué les difficultés financières ou matérielles qu'il entraînait, ainsi que les atteintes à la stabilité du mode de vie de l'enfant qui pouvaient en résulter.
Mme Marie-Dominique Bedou-Cabau a indiqué que la résidence alternée exigeait des conditions matérielles strictes pour pouvoir fonctionner de manière satisfaisante. Elle a en effet précisé que l'enfant devait pouvoir conserver le même établissement scolaire et qu'il convenait de ne pas multiplier les contraintes de transport. Elle a fait observer qu'à ces critères objectifs s'ajoutaient des considérations plus subjectives dépendant de la psychologie spécifique de chaque enfant. En réponse à une question de Mme Annie David , elle a rappelé que c'était le juge qui prenait la décision de résidence alternée.
Mme Marie-Claude Habauzit-Detilleux a insisté sur le fait que la garde alternée n'était, en général, pas souhaitable pour les enfants en bas âge, et qu'elle devait être examinée au cas par cas pour les enfants au-delà de cinq ans.
Concluant la réunion, Mme Gisèle Gautier, présidente , a vivement remercié les divers intervenants pour la richesse et la densité de leurs témoignages.
Audition de Mme Anne-Marie Lemarinier,
vice-présidente, responsable du service des affaires familiales,
et de Mme Morgane Le Douarin,
juge aux affaires familiales, au tribunal de grande instance de Paris
(Mardi 21 février 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Morgane Le Douarin a présenté un certain nombre d'observations sur les familles monoparentales.
Elle a, tout d'abord, indiqué qu'au plan statistique, 25 % des enfants, c'est à dire environ 3 millions vivaient avec un seul de leurs parents, 85 % d'entre eux vivant avec leur mère. Elle a ajouté que 34 % de ces enfants ne voyaient jamais leur père, tout en faisant observer que les pères ne devaient pas nécessairement être considérés comme « démissionnaires ».
Elle a ensuite évoqué les travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants et mentionné en particulier certaines des recommandations formulées dans son rapport, destinées à favoriser l'exercice de la coparentalité par l'amélioration de la mise en oeuvre de la résidence alternée, le développement de la médiation familiale et le renforcement des outils destinés à mieux assurer le respect par les parents de leurs obligations.
Mme Morgane Le Douarin a estimé que la notion de famille monoparentale ne devait pas conduire à nier ou à fragiliser la place des pères, avant de rappeler les principaux axes de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, fondée sur le principe de coparentalité, selon lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents.
Abordant la question de la résidence alternée, elle a regretté que ce mode de garde, qui comporte dans son mécanisme un principe d'équilibre et de coparentalité durable, soit utilisé comme une mesure d'égalité arithmétique entre parents séparés et ne fasse dans ces conditions l'objet que d'une utilisation limitée. S'agissant des enfants en bas âge, elle a signalé que les spécialistes ne recommandaient pas ce mode de garde, avant de considérer qu'une interdiction de portée absolue serait sans doute trop rigide, rappelant que le juge aux affaires familiales statuait en tenant compte du degré de maturité de l'enfant.
Puis elle a noté une certaine corrélation entre le choix du mode de garde alternée et le divorce par consentement mutuel, avant d'indiquer qu'en pratique, la résidence alternée n'avait connu qu'un développement limité en raison également des coûts assez élevés induits par ce mode de vie.
Mme Morgane Le Douarin a alors abordé la question des droits du parent non gardien à entretenir des relations personnelles avec son enfant. Rappelant que les parents sont désormais placés sur un pied d'égalité en matière d'exercice de l'autorité parentale, elle s'est interrogée sur la création d'un délit spécifique d'entrave à l'exercice de l'autorité parentale, au-delà du délit de non-représentation d'enfant aujourd'hui inscrit dans le code pénal. Elle a estimé que le droit en vigueur fournissait d'ores et déjà au juge un certain nombre d'outils pour sanctionner le comportement du parent gardien qui fait obstacle aux relations de l'enfant avec l'autre parent. Elle a évoqué à ce titre la possibilité pour le juge de transférer la résidence de l'enfant chez l'autre parent, d'instaurer la résidence alternée, d'élargir les droits de visite ou d'hébergement du parent non gardien, d'ordonner une médiation, ou encore de saisir le juge des enfants qui peut imposer un suivi psychologique s'il détecte un syndrome d'aliénation parentale. Elle a également estimé que la définition de nouvelles incriminations pénales serait de nature à attiser les conflits et à susciter de nouvelles procédures.
Puis elle s'est interrogée sur la nécessité de sanctionner le parent non gardien qui refuse d'accueillir l'enfant et en laisse la charge exclusive au parent gardien. Elle a fait observer que le dispositif en vigueur permettait au juge de modifier les conditions d'exercice de l'autorité parentale ou de décider une augmentation de la pension alimentaire, compte tenu des charges supplémentaires pour le parent gardien. Elle a, en outre, estimé envisageable, au titre de sanction, un retrait partiel ou total des attributs de l'autorité parentale en cas de non-exercice répété et volontaire du droit d'hébergement. Elle s'est cependant déclarée défavorable à la définition d'une sanction pénale, en faisant observer que les raisons qui conduisent un parent non gardien à ne pas exercer son droit d'hébergement sont souvent complexes et douloureuses.
S'agissant de la pension alimentaire, Mme Morgane Le Douarin a rappelé que celle-ci était fixée lors de la séparation par une convention homologuée ou par une décision du magistrat. Elle a ensuite fait observer, à propos de l'insuffisance du montant des pensions qui est généralement relevé, qu'il convenait de tenir compte de l'augmentation des coûts d'hébergement supportés par le parent non gardien pour accueillir son enfant.
Elle a noté que l'appauvrissement résultant de la séparation n'était pas suffisamment pris en compte par les conjoints au moment de la rupture, ce qui tend à accroître, par la suite, leur sentiment d'insatisfaction et la conflictualité qui s'exprime à propos des enfants. Elle a estimé souhaitable l'élaboration d'un barème mis à la disposition des juges pour les aider à fixer le montant des pensions alimentaires, ce qui permettrait d'améliorer, pour les couples, la prévisibilité des modalités de la séparation et de favoriser la conclusion d'accords. Elle a précisé que ces barèmes devraient, à son sens, demeurer indicatifs, le juge devant pouvoir s'en écarter pour pouvoir régler au cas par cas les situations spécifiques.
En ce qui concerne le recouvrement des pensions alimentaires, elle a rappelé l'existence d'un système de solidarité familiale qui bénéficie aux plus démunis en leur permettant de se voir verser une allocation de soutien familial par la Caisse d'allocations familiales, celle-ci pouvant par la suite recouvrer les sommes versées auprès du débiteur défaillant. Elle a craint qu'une éventuelle création d'un fonds de solidarité se chargeant du recouvrement des pensions alimentaires non payées en versant une avance au créancier, comme en Belgique, n'ait pour effet de déresponsabiliser les débiteurs.
A propos de la médiation familiale, Mme Morgane Le Douarin a rappelé que la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale avait posé le principe de la primauté de l'accord pour l'organisation de la vie de l'enfant. Elle a noté que le recours à la médiation n'avait pas eu les effets escomptés en raison de son coût, ainsi que de son caractère facultatif et de la réticence des parties à son égard. Elle a fait observer que certains pays comme le Canada ou la Norvège avaient rendu obligatoire la médiation préalable à la saisine du juge et souligné qu'en Norvège, cette médiation avait permis de diminuer de 40 % le contentieux familial. Pour ce qui concerne la France, elle a noté que l'idée d'instaurer une séance d'information préalable à la saisine du juge se heurterait à l'insuffisance des structures existantes pour absorber quelque 300 000 entretiens par an. Elle a en outre posé le problème de la gratuité éventuelle de cet entretien, qui nécessiterait une prise en charge par le contribuable. Elle a estimé que le traumatisme initial de la séparation faisait parfois obstacle au recours à la médiation familiale et justifiait une intervention judiciaire pour fixer des règles permettant par la suite d'engager le dialogue.
Elle a indiqué que, dans la plupart des cas, la question de l'exercice de l'autorité parentale, à la différence de la fixation de la pension alimentaire, ne faisait pas l'objet d'une nouvelle saisine du juge, ce qui laisse à penser que l'équilibre initialement trouvé était satisfaisant.
Elle a conclu en indiquant que le dispositif actuel lui apparaissait globalement satisfaisant, même si certaines mesures comme la médiation et la résidence alternée n'étaient pas suffisamment utilisées. Elle a ajouté que la tendance générale était orientée dans le sens d'une culture de l'accord, amplifiée par la récente réforme du divorce, dont l'effet d'apaisement et de gestion prévisionnelle de la séparation est d'ores et déjà perceptible.
Après avoir présenté ses activités juridictionnelles, Mme Anne-Marie Lemarinier a évoqué le problème de la définition et de la reconnaissance des beaux-parents au sein de la cellule familiale. Rappelant que l'autorité parentale appartient exclusivement au père et à la mère, ce qui ne laisse aucun espace juridique spécifique au beau-parent de nature à ménager son individualité, elle a constaté qu'en 1999, 25 % des enfants ne vivaient pas avec leurs parents et qu'au total, 1,6 million d'enfants vivaient dans des familles recomposées. Elle a constaté que les beaux-parents étaient amenés à exercer une autorité de fait à l'égard de leurs beaux-enfants.
Elle a ensuite examiné les droits que la loi est susceptible d'accorder au beau-parent en sa qualité de tiers, en commentant les dispositions de l'article 371-4 du code civil permettant au juge aux affaires familiales de fixer les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en fonction de l'intérêt de l'enfant.
Elle a précisé que le tiers pouvait également participer, sous certaines conditions, à l'exercice de l'autorité parentale, même si celle-ci ne peut faire l'objet d'aucune renonciation ou cession. Elle a énuméré les exceptions à ce principe d'indisponibilité de l'autorité parentale avec, en premier lieu, la délégation de l'autorité parentale qui peut être prononcée par le juge, si les circonstances l'exigent, et en second lieu, la possibilité de partage de l'autorité parentale pour les besoins de l'éducation de l'enfant qui nécessite l'accord du ou des parents. Elle a précisé que, dans des circonstances exceptionnelles, une disposition adoptée à l'époque où certaines mères atteintes du sida souhaitaient protéger leurs enfants après leur décès, prévoyait la possibilité de confier l'enfant, non pas au parent survivant, mais à une autre personne. Elle a enfin évoqué la possibilité pour les parents de choisir un tuteur pour leurs enfants, à condition de prévoir cette nomination par testament ou par déclaration spéciale devant un notaire, notant qu'à défaut d'un tel choix, la tutelle de l'enfant était déférée à l'ascendant le plus proche.
Mme Anne-Marie Lemarinier a ensuite abordé la possibilité pour un tiers d'acquérir la qualité de parent, en distinguant la filiation de complaisance et l'adoption.
S'agissant de la filiation de complaisance, ou dite mensongère, parce qu'elle ne correspond pas à la vérité biologique, elle a précisé que seuls les pères pouvaient être concernés par ce mécanisme, une belle-mère reconnaissant l'enfant de son conjoint étant passible des peines sanctionnant la simulation d'enfant. Elle a rappelé que l'acte de reconnaissance constituait un acte de volonté qui n'est assorti d'aucun contrôle préalable, mais que la reconnaissance pouvait s'avérer difficile à mettre en oeuvre lorsque l'enfant bénéficiait déjà d'une filiation préalable, la comparaison des empreintes génétiques pouvant permettre de résoudre les conflits de paternité. Elle a par ailleurs précisé que la possession d'état constituait un mode autonome d'établissement de la filiation.
Puis, Mme Anne-Marie Lemarinier a abordé le régime juridique de l'adoption plénière, ainsi que ses effets d'anéantissement de tout lien avec la famille d'origine, sauf lorsqu'il s'agit de l'enfant du conjoint, auquel cas l'adoption laisse subsister la filiation à l'égard du conjoint et de sa famille, l'adoptant partageant alors l'exercice de l'autorité parentale avec celui-ci.
Elle a ensuite évoqué le régime de l'adoption simple qui, à la différence de l'adoption plénière, laisse subsister les liens entre l'enfant et sa famille d'origine, l'adoptant étant investi de tous les droits d'autorité parentale et privant ainsi le parent biologique de ses attributions, sauf s'il s'agit de l'adoption simple de l'enfant du conjoint dans un couple marié.
Mme Anne-Marie Lemarinier a insisté sur le fait qu'en présence d'un couple qui n'est pas uni par les liens du mariage, le parent qui consent à l'adoption de son enfant par son partenaire perd l'autorité parentale dont est alors seul investi l'adoptant, ce qui explique la rareté des adoptions dans ce cas de figure. Au plan judiciaire, elle a souligné l'importance pour le tribunal de s'assurer que l'adoption est bien conforme à l'intérêt de l'enfant.
Insistant sur cette dimension de l'intérêt de l'enfant, elle s'est interrogée, en conclusion, sur les risques de confusion qui pourraient naître de la définition éventuelle d'un nouveau statut des beaux-parents, en évoquant la possibilité de développer les outils offerts par le droit en vigueur et en insistant sur l'utilisation trop peu répandue de la délégation de l'autorité parentale. Elle a en revanche évoqué la possibilité de modifier les conditions de l'adoption simple en permettant un exercice conjoint de l'autorité parentale, même entre parents non mariés, alors que le droit en vigueur prive le parent biologique de l'autorité parentale.
Par ailleurs, elle a signalé que, si le droit civil ignorait les liens entre les beaux-parents et les beaux-enfants, il n'en allait pas de même du droit fiscal, du droit pénal ou du droit social, qui comportent un certain nombre de dispositifs prenant en compte leurs interactions. Elle a également fait référence au droit suisse et au droit anglais qui reconnaissent un droit de regard aux beaux-parents à l'égard de leurs beaux-enfants.
M. Jean-Guy Branger , après avoir rendu hommage à la qualité de l'exposé des deux intervenantes, a insisté sur les difficultés de l'exercice de leur mission. Tout en se félicitant de la multiplication des cas dans lesquels les conséquences de la séparation font l'objet d'un certain consensus entre les époux, il a rappelé que, lorsque le divorce était conflictuel, la garde des enfants était en règle générale confiée à la mère. Il a ensuite évoqué les problèmes concrets qui se posent dans l'hypothèse où un père décide, à l'improviste, de ne pas exercer son droit d'hébergement et il a interrogé les intervenantes sur les solutions envisageables pour y remédier.
Mme Morgane Le Douarin a fait observer, sur la base de son expérience pratique, que la plupart des pères étaient soucieux de se conformer à leurs obligations dans des conditions satisfaisantes et qu'un certain nombre d'entre eux étaient même demandeurs d'une augmentation de la fréquence de leur droit de visite.
Mme Anne-Marie Lemarinier a, pour sa part, observé que le droit d'hébergement pouvait parfois rester un voeu pieu. Elle a ajouté que le juge n'avait pas de moyen réellement coercitif pour faire face aux hypothèses dans lesquelles le droit d'hébergement n'est pas exercé par le parent non gardien. Elle a cependant constaté, au cours des années récentes, une évolution allant dans le sens d'une plus forte implication des pères dans les soins donnés aux enfants.
M. Jean-Guy Branger a souhaité que des moyens plus coercitifs soient prévus par la loi pour contraindre les parents non gardiens à respecter leurs obligations à l'égard de leurs enfants.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait observer qu'en pratique le déclenchement des procédures pénales pour non-représentation d'enfant se heurtait à des obstacles, ne serait-ce qu'au moment du dépôt de la plainte.
Mme Morgane Le Douarin s'est interrogée sur l'opportunité de définir de nouvelles sanctions, civiles ou pénales.
Mme Anne-Marie Lemarinier s'est demandé si un éventuel emprisonnement du père serait conforme à l'intérêt de l'enfant.
Mme Hélène Luc a également remercié les intervenantes, en soulignant la complexité et l'humanité que requiert l'exercice de leur mission. Elle s'est déclarée émue par le comportement exemplaire d'un certain nombre de pères à l'égard de leurs enfants. En revanche, elle a évoqué l'attitude plus désinvolte d'autres ex-maris, qui aboutit à alourdir la responsabilité des mères. Elle a évoqué les sacrifices consentis par ces femmes pour élever leurs enfants, en soulignant le fait que l'adolescence constitue un moment extrêmement difficile à gérer pour un parent isolé.
Mme Morgane Le Douarin a réaffirmé que toute séparation entraînait une baisse du niveau de vie.
Puis Mme Hélène Luc s'est interrogée, d'une part, sur la continuité du suivi judiciaire, en se demandant si le juge saisi à l'origine d'une séparation était par la suite désigné pour statuer sur une nouvelle procédure et, d'autre part, sur les statistiques relatives à l'exercice du droit de visite par les parents, en évoquant une proportion de 70 % de pères qui ne s'occuperaient plus de leurs enfants après le divorce.
Mme Anne-Marie Lemarinier a estimé que ce dernier chiffre paraissait un peu élevé, Mme Morgane Le Douarin rappelant, pour sa part, le seul chiffre dont elle disposait : 34 % des enfants n'ont plus aucun contact avec leur père. Elle ajouté que certaines mères refusaient que les pères exercent leur droit de visite et d'hébergement.
Mme Gisèle Gautier, présidente , soulignant la progression du nombre de familles recomposées, a interrogé les intervenantes sur la question du statut des beaux-parents, en demandant des précisions sur d'éventuelles modifications à apporter au régime de l'adoption.
Mme Anne-Marie Lemarinier a indiqué qu'en l'état actuel du droit, la preuve biologique pouvait détruire une parentalité de complaisance. Elle a également rappelé que l'adoption plénière obéissait à des conditions strictes et que l'adoption simple privait le parent biologique de ses droits, sauf dans le cas de conjoints mariés.
Elle a estimé parfois gênant que le parent biologique soit nécessairement privé de ses droits avant d'évoquer les adoptions effectuées à l'âge adulte, en rappelant d'une part, l'importance de l'existence de liens de nature filiale et d'autre part, les obligations de l'enfant adopté à l'égard du parent adoptif.
En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente , relative à l'âge à partir duquel était prise en compte la volonté de l'enfant lors de l'adoption, Mme Anne-Marie Lemarinier a précisé qu'un enfant âgé de plus de 13 ans devait consentir à son adoption et qu'en pratique, le juge auditionnait souvent l'enfant, le recours à un psychologue pouvant contribuer à la manifestation de la volonté de l'enfant, même assez jeune.
Mme Morgane Le Douarin a précisé que la convocation des enfants même très jeunes par la psychologue affectée au service des affaires familiales à Paris permettait de prendre la mesure de l'interaction entre l'enfant et les parents.
En réponse à une interrogation de Mme Catherine Troendle concernant la notion de possession d'état, Mme Morgane Le Douarin a insisté, en matière d'adoption, sur la nécessité de prendre en considération l'épreuve du temps qui permet de déterminer la force des liens entre les beaux-parents et les beaux-enfants. Elle a précisé que le juge faisait procéder à une enquête pour déterminer l'intensité des liens de nature filiale.
Mme Hélène Luc, rappelant qu'il était souvent avancé qu'en région parisienne un mariage sur deux aboutissait à un divorce, s'est interrogée sur les statistiques précises existant dans ce domaine. Elle a complété son propos en se demandant si les médias ne jouaient pas un rôle dans cette évolution.
Mme Morgane Le Douarin a estimé que, seules, les mairies en charge de l'état civil étaient en mesure de mesurer avec précision la proportion de mariages aboutissant à une séparation. De façon plus générale, elle a évoqué la montée de l'individualisme qui contribue à une fragilité accrue de la cellule familiale.
Audition de M. Martin Hirsch,
maître des requêtes au Conseil d'État, président d'Emmaüs France
(Mardi 28 février 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Après que la présidente eut présenté les grandes lignes de la carrière de l'intervenant, M. Martin Hirsch a rappelé qu'il avait présidé une commission sur le thème de la pauvreté des familles, installée par le Gouvernement dans le cadre de la préparation de la réunion de la conférence de la famille, mais que ce thème avait finalement été retiré de l'ordre du jour de cette conférence.
Il a estimé que l'assistance n'était plus en mesure d'apporter des solutions adaptées à une situation marquée par l'existence d'un à deux millions d'enfants vivant dans la pauvreté, et qu'il convenait de mieux articuler le travail et les prestations sociales.
Il a souligné l'évolution de la pauvreté, qui a été réduite de moitié depuis 30 ans, en particulier en ce qui concerne les personnes de plus de 60 ans, grâce au système des retraites et au développement du travail des femmes. Il a en revanche insisté sur l'augmentation de la paupérisation à l'âge actif, qui est d'autant plus marquée qu'elle concerne des familles avec des enfants, des couples dont aucun des deux membres ne travaille ou encore des parents isolés au chômage ou vivant de minima sociaux. Il a estimé que les dispositifs sociaux devraient être adaptés à ce nouveau contexte, également marqué par la crise du logement et l'évolution des conditions de travail. A ce titre, il a cité l'exemple des femmes travaillant à mi-temps et dont le salaire constituait, autrefois, un revenu d'appoint pour le ménage, mais ne permet plus aujourd'hui à une femme divorcée de vivre dans des conditions décentes avec ses enfants.
M. Martin Hirsch , soulignant le développement de la pauvreté des personnes ayant un emploi, qui concerne désormais la moitié des situations de pauvreté, a considéré qu'il convenait d'agir à la fois au niveau de l'emploi et des salaires, et à celui des dispositifs sociaux. Il a ainsi noté qu'une femme ayant deux enfants à charge pouvait voir ses revenus diminuer en reprenant une activité professionnelle, de nombreuses prestations sociales étant supprimées lors de la reprise d'un emploi, lequel engendre en outre de nouvelles dépenses. Il a ainsi expliqué que la commission qu'il avait présidée avait abouti à la conclusion que les minima sociaux devaient être transformés en compléments différentiels des revenus du travail, ce qui suppose une modification radicale de la philosophie des prestations sociales.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est enquise des expériences étrangères en matière de lutte contre la pauvreté affectant notamment les familles monoparentales, celles du Canada et de la Grande-Bretagne en particulier, qui paraissent donner de bons résultats.
M. Martin Hirsch a fait observer que la pauvreté n'était généralement pas liée à un seul facteur causal mais à plusieurs facteurs aggravants. A cet égard, il s'est déclaré plutôt hostile à la mise en place de politiques spécifiques à une situation familiale particulière, qui peuvent conduire leurs bénéficiaires à adopter des stratégies perverses, citant le cas de l'allocation de parent isolé (API). Il a également noté le risque lié au retard pris pour instruire les dossiers par les services sociaux de certains départements, dont la pratique consiste à ouvrir les droits deux mois après le dépôt d'une demande, afin de vérifier que l'allocataire potentiel remplit bien toutes les conditions requises, alors qu'un tel délai, suffisamment long pour prendre les habitudes liées à l'inactivité, peut être particulièrement dommageable pour l'intéressé. S'agissant des expériences étrangères, il a indiqué que plusieurs pays pratiquaient l'expérimentation en matière sociale, ce qui n'existe pas en France, afin d'adapter leur politique sociale sur la base du constat des résultats obtenus sur un territoire ou un dispositif social donné. De ce point de vue, il a mentionné la proposition de la commission qu'il avait présidée, tendant à instaurer un revenu de solidarité active, qui consisterait à permettre la dégressivité des aides complémentaires au revenu au fur et à mesure que celui-ci augmente à la suite de la reprise d'un emploi. Il a néanmoins insisté sur l'impossibilité d'importer en France un « modèle » étranger, seule la méthodologie utilisée pouvant être transposée. Observant, en comparaison, que notre pays multipliait les lois à caractère social depuis plusieurs années, il s'est déclaré favorable à l'adoption d'une loi permettant de mettre en place des dispositifs expérimentaux en matière sociale.
Mme Gisèle Gautier, présidente , notant les particularités du contexte économique et social français, a regretté un certain immobilisme dans notre pays.
Mme Hélène Luc a abordé la question des conditions de logement des familles monoparentales, citant le cas de certaines d'entre elles, obligées de dormir dans leur véhicule. Faisant observer que la réforme du divorce résultant de la loi de 2004, en prévoyant l'éviction du conjoint violent du domicile du couple, avait permis d'améliorer la situation de certaines femmes, elle a néanmoins rappelé que celles qui étaient locataires ne pouvaient pas toujours conserver leur logement faute de moyens suffisants pour payer le loyer. Elle s'est interrogée sur les solutions qui pourraient être envisagées afin de lutter efficacement contre la pauvreté au sein des familles monoparentales.
M. Martin Hirsch , évoquant le « couple infernal » constitué par le logement et l'emploi, a expliqué que le déficit de l'offre de logements par rapport à la demande provoquait une explosion des prix, qui nécessite, selon lui, l'intervention de l'Etat afin qu'il joue un rôle de régulateur. Il a indiqué qu'il transmettrait à la délégation des propositions en vue d'une modulation des minima sociaux.
Mme Hélène Luc a souhaité obtenir des précisions sur la proposition consistant non à voter des dispositifs sociaux spécifiques, mais plutôt à prévoir des expérimentations dérogeant aux dispositifs généraux.
M. Martin Hirsch a pris l'exemple du contrat de responsabilité parentale, prévu par le projet de loi pour l'égalité des chances actuellement en discussion au Sénat, qui tend à suspendre le versement des allocations familiales lorsque le mineur est en situation d'absentéisme scolaire et, plus largement, en cas de carence éducative manifeste, qui, selon lui, aurait dû être institué en suivant une logique inverse à celle retenue. Il a estimé qu'il conviendrait de conduire une expérimentation en la matière dans trois ou quatre départements représentatifs, et d'en tirer les conséquences avant de légiférer à partir des résultats observés. De ce point de vue, il a considéré que le contrat de responsabilité parentale, institué immédiatement comme un dispositif général, ne fonctionnerait probablement pas de manière satisfaisante dans les conditions prévues, ne serait-ce qu'en raison de sa complexité, de la multiplicité des intervenants et d'un présupposé stigmatisant des familles concernées. Il a par ailleurs déploré l'« agitation stérile » consistant à multiplier les effets d'annonce.
Mme Hélène Luc a considéré que la mise en place d'expérimentations en matière d'aide sociale risquerait de conduire à des disparités très importantes entre les départements, dont les ressources ne sont pas illimitées, et a cité l'exemple du revenu minimum d'insertion (RMI).
Soulignant les avantages du recours à l'expérimentation, Mme Gisèle Gautier, présidente , a évoqué l'exemple du transfert, à titre expérimental, de la gestion des trains express régionaux (TER) à la région Pays-de-Loire, puis de son extension à l'ensemble du territoire national. Elle a regretté que le vote des lois aboutisse de plus en plus à un « empilement » de textes ne donnant généralement pas les résultats escomptés.
M. Martin Hirsch a fait observer que les projets de loi n'étaient toujours pas accompagnés de véritables études montrant, sur la base d'expérimentations, l'efficacité présumée des mesures envisagées. Il a en revanche noté que les lois votées nécessitaient la rédaction et la publication d'un nombre impressionnant de décrets d'application, généralement pris avec beaucoup de retard. Il a réaffirmé la nécessité d'adopter une nouvelle méthode reposant sur l'expérimentation.
Mme Christiane Kammermann a fait part de son admiration pour l'oeuvre accomplie par Emmaüs et pour l'action de ses bénévoles. Evoquant son expérience de sénateur représentant les Français établis hors de France, elle a souhaité savoir si Emmaüs était amené à accueillir des familles françaises de l'étranger en situation de détresse, notamment des familles monoparentales, à leur retour en France.
Après avoir rappelé qu'Emmaüs était attaché à la tradition de l'exercice concomitant d'une activité professionnelle et d'une activité militante, dans un souci de décloisonnement, M. Martin Hirsch a indiqué qu'Emmaüs avait mis en place des dispositifs permettant aux personnes aidées de travailler. Il a précisé que l'association était plus souvent confrontée à des personnes étrangères qu'à des Français provenant de l'étranger, mais qu'Emmaüs serait susceptible d'aider ces derniers si le cas se présentait, car aucune discrimination n'était effectuée dans l'accueil des personnes en détresse. Il a, à cet égard, souligné que les structures d'accueil et d'hébergement avaient été adaptées pour permettre de venir en aide à une population en situation précaire composée non plus seulement d'hommes seuls comme autrefois, mais également de femmes, le cas échéant avec des enfants.
Avant de conclure, Mme Gisèle Gautier, présidente , a souhaité connaître les mesures de moyen et long terme préconisées par M. Martin Hirsch en faveur des parents isolés.
M. Martin Hirsch a insisté sur la nécessité, pour les pouvoirs publics, de prendre conscience que les minima sociaux actuels avaient été conçus pour lutter contre les formes de pauvreté existant dans les années 1980, lorsque la pauvreté résultait du chômage. Il a estimé qu'il convenait désormais de mettre en place de nouvelles prestations sociales qui ne soient plus des minima mais des compléments de revenus adaptés, par exemple, à la situation de mères élevant seules leurs enfants. Il a considéré qu'en matière de logement, la construction de logements sociaux était naturellement indispensable, mais qu'il était également nécessaire de rendre les loyers plus accessibles grâce à des dispositifs de conventionnement.
Audition de Mme Josèphe Mercier,
présidente de la Fédération nationale solidarité femmes,
accompagnée de
Mme Marie-Dominique de Suremain, directrice de la veille,
et de Mme Christine Clamens, directrice des ressources humaines
et du service de la formation professionnelle
(Mardi 7 mars 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Josèphe Mercier a rappelé que la Fédération nationale solidarité femmes regroupait 59 associations réparties sur le territoire national, qui ont pour vocation l'accompagnement des femmes victimes de violences au sein de leur couple, notamment en matière de procédures administratives et d'hébergement d'urgence. Elle a ainsi relevé que, si la Fédération n'avait pas pour objet principal l'étude des familles monoparentales et des familles recomposées, elle était nécessairement amenée à s'y intéresser, car le rejet par les femmes des violences dont elles sont victimes au sein de leur couple signifie également pour elles l'entrée dans la monoparentalité. Elle a en effet fait observer que les femmes quittaient leur conjoint ou compagnon violent dans des conditions généralement dramatiques, qui sont la source de procédures civiles et pénales complexes, de traumatismes pour ces femmes et leurs enfants, et de précarité.
Elle a regretté une mauvaise articulation et même, parfois, une certaine incohérence entre les procédures civiles, en particulier celles liées aux lois sur le divorce et sur l'autorité parentale, et les procédures pénales susceptibles d'être mises en oeuvre en cas de violences au sein du couple, et elle a dénoncé leurs conséquences négatives pour les enfants.
Mme Josèphe Mercier a estimé que le législateur conservait du modèle familial une conception traditionnelle, reposant sur le mariage d'un homme et d'une femme qui ont ensuite des enfants, et qui n'est plus, selon elle, adaptée à la réalité de la société française actuelle. Elle a d'ailleurs rappelé la formule de la sociologue Irène Théry, selon laquelle la société considère les familles monoparentales et recomposées comme de la « fausse monnaie », et elle a regretté la persistance d'une certaine stigmatisation de ces formes de famille.
Elle a considéré que cette conception traditionnelle se retrouvait chez les juges qui, dans leurs décisions, privilégient le couple conjugal au détriment du couple parental. Elle a également déploré que l'application de la loi relative à l'autorité parentale du 4 mars 2002 conduise à ignorer le comportement des parents entre eux, en prenant en compte uniquement celui qu'ils ont vis-à-vis de leurs enfants. Illustrant ses propos par la propension du juge à recommander une médiation pénale aux couples en proie à la violence, qui n'est pourtant pas un conflit conjugal anodin, elle a conclu à une trop fréquente méconnaissance du phénomène des violences au sein du couple par le juge, tant du point de vue des victimes que de celui des agresseurs.
Elle a rappelé que la séparation du couple était le moment le plus dangereux pour des femmes fragilisées et menacées par leur conjoint ou compagnon qui, bien souvent, n'accepte pas leur départ. Elle a expliqué que la transformation de l'enfant, placé au centre du rapport de forces, en enjeu de la séparation pouvait entraîner un sentiment de culpabilité chez la mère. Elle a ajouté que la procédure civile mise en oeuvre au moment de la séparation, qui tend à rendre « neutre » la relation entre les conjoints, pouvait conduire la femme à renoncer à déposer plainte contre son conjoint violent, par crainte des conséquences pour ses enfants. Elle a conclu à une certaine inadaptation des procédures civiles aux situations de violences conjugales.
Mme Josèphe Mercier a constaté que la notion de l'intérêt de l'enfant était au centre du dispositif issu de la loi du 4 mars 2002 sur l'autorité parentale, plaçant les deux parents sur un pied d'égalité, alors que l'enfant est fréquemment le seul témoin des violences subies par sa mère. Citant un extrait du rapport du Professeur Henrion de 2001 concernant les conséquences de ces violences pour les enfants, elle s'est dès lors interrogée sur le point de savoir s'il est possible d'être un bon père sans être un bon compagnon. Elle a estimé que la conception dite « modernisée » des relations entre les parents, consacrée par la loi, était une conception idéalisée et que les procédures civiles niaient la réalité des violences au sein du couple, alors que cette forme de violence est précisément la cause la plus fréquente de séparation. Aussi bien a-t-elle souhaité qu'un effort soit porté sur le moment de la séparation, en donnant un minimum de repères aux femmes et aux enfants. Elle a en effet indiqué qu'une même affaire de violence pouvait revenir plusieurs fois devant le juge aux affaires familiales qui, selon elle, ne tient pas suffisamment compte de la spécificité de la violence conjugale, alors qu'il devrait systématiquement procéder à un rappel à la loi au sein de la famille en insistant sur le caractère délictuel de ce type de violences.
Elle a conclu à une insuffisance de l'articulation des procédures pénales et des procédures civiles, qui a également pour conséquence de ne pas indiquer clairement à l'enfant que la violence est sanctionnée par la loi, au risque de perpétuer cette violence dans l'avenir. Elle a en effet constaté que de nombreux jeunes auteurs d'actes de violence avaient grandi dans un contexte familial extrêmement tendu.
Mme Josèphe Mercier a dénoncé l'existence de plus en plus fréquente de situations familiales pouvant être qualifiées de « gravissimes » en termes de non-droit pour les femmes victimes de violences et leurs enfants. Elle a estimé que certaines décisions de justice telles que la résidence alternée n'étaient pas adaptées à des situations de violences au sein du couple, faisant observer que certains hommes, condamnés pénalement pour violence sur leur conjointe, avaient paradoxalement pu bénéficier de la garde de leur enfant.
Elle a également regretté que les parents séparés fussent tenus, pour organiser l'exercice de l'autorité parentale partagée sur les enfants, de faire connaître leur adresse à l'autre parent, cette obligation constituant une aubaine pour un homme violent n'acceptant pas la séparation. Elle a appelé de ses voeux la création de lieux-relais adaptés qui permettraient aux pères violents d'exercer leur droit de visite sans avoir accès au domicile de la mère. Elle a regretté que, trop souvent, les travailleurs sociaux, confrontés aux violences au sein du couple, confondent l'application de la loi et la « prise de parti » pour les femmes, en ayant l'impression de cautionner le discours de la mère. Rappelant que 99 % des victimes de violences au sein du couple étaient des femmes, elle a conclu à la nécessité pour la société, par l'intermédiaire de la justice, de refuser une vision idéalisée de la parentalité et de renvoyer clairement chaque parent à ses responsabilités.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a demandé aux intervenantes si elles disposaient de statistiques précises sur les familles monoparentales constituées par des femmes ayant été victimes de violences psychologiques ou physiques et sur la proportion de séparations consécutives à des violences conjugales.
Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que ces chiffres n'existaient pas, mais qu'ils mériteraient d'être élaborés. Elle a précisé que les ordres de grandeur généralement retenus étaient certainement sous-estimés, tout se référant à l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), qui permet de prendre conscience de l'ampleur du phénomène. Puis elle a évoqué l'insuffisance du traitement pénal de la violence qui débouche sur une sous-estimation statistique, et estimé qu'il y avait, au plan civil, encore moins d'identification des cas de violences conjugales, notamment à l'occasion des divorces, rappelant qu'en dépit du maintien du divorce pour faute, beaucoup de femmes hésitaient à y recourir, car elles craignaient d'avoir à affronter leur conjoint. Elle a enfin souligné la nécessité de l'élaboration de statistiques précises sur les victimes de violences conjugales, notamment à l'occasion des procédures de divorce.
Mme Josèphe Mercier a complété ce propos en évoquant une représentation très idéalisée de la famille, qui a tendance à prédominer dans les esprits, et la propension qui en résulte à fermer les yeux sur les réalités susceptibles de saper les fondements de cette illusion.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a tenu à souligner très fermement que les problèmes de violences à l'égard des femmes étaient trop souvent minorés dans notre pays, y compris, parfois, par les médias. Elle s'est en particulier déclarée choquée qu'à l'occasion d'une récente émission télévisée au cours de laquelle elle avait dénoncé la réalité statistique de ces violences qui sont à l'origine de la mort d'une femme tous les quatre jours, un journaliste ait pu faire un commentaire tendant à relativiser ce phénomène par rapport à d'autres drames de la souffrance sévissant à travers le monde, notamment dans certains pays d'Afrique comme le Rwanda.
Mme Josèphe Mercier a approuvé ce propos, en soulignant que le féminisme ne devait pas être identifié à un combat contre les hommes, mais plutôt à un combat pour une humanité meilleure.
Mme Gisèle Gautier, présidente, revenant sur la question de savoir si l'on pouvait être un bon père lorsqu'on était un mauvais compagnon, soulevée par les intervenantes, s'est interrogée sur la prise en compte de cette approche au moment des procédures de divorce et des décisions prises en matière de garde des enfants.
Mme Josèphe Mercier , après avoir souligné la nécessité de maintenir des liens entre un père, même violent à l'égard de son épouse, et ses enfants, a néanmoins insisté sur le devoir de vérité à l'égard des enfants, qui doit conduire à ne pas occulter les agressions commises par le père.
Au sujet d'un cas concret particulièrement douloureux concernant un enfant dont la mère avait été assassinée par le père, elle a analysé les dégâts psychologiques susceptibles d'être causés par le secret et la coupure des liens entre un enfant et son père. Puis elle a affirmé la fonction réparatrice du dialogue, permettant de lever le voile sur l'histoire familiale.
Mme Marie-Dominique de Suremain a insisté sur la nécessité de ne pas éduquer les enfants selon la « loi du plus fort », ni dans une atmosphère de dénigrement de la mère. Elle a ajouté qu'en pratique, la stigmatisation des femmes victimes de violences tendait à leur rendre plus difficile l'accès à un nouveau logement, en raison de la crainte de voir ressurgir des difficultés. Or elle a fait état d'observations précises selon lesquelles les femmes seules ayant réorganisé leur vie faisaient preuve d'une stabilité très satisfaisante, les taux de loyers impayés qui leur étaient imputables se révélant inférieurs à la moyenne.
Mme Catherine Troendle , revenant sur les propos des intervenantes concernant la tendance des juges à raisonner principalement en fonction de l'intérêt de l'enfant, s'est demandé dans quelle mesure le silence des femmes ne plaçait pas le juge dans l'impossibilité de relever l'existence de violences conjugales et d'en tirer toutes les conséquences. Puis elle a rappelé l'introduction, dans le cadre de la réforme du divorce, d'un nouveau dispositif d'éviction du logement familial du conjoint violent.
Mme Josèphe Mercier a répondu que beaucoup d'acteurs du monde judiciaire ou social pouvaient apparaître comme démunis de moyens suffisants pour remédier à la situation difficile des victimes de violences conjugales.
Puis, insistant sur l'intensité du drame vécu par certaines femmes, elle a souligné l'importance de l'interactivité entre le comportement du juge et celui de l'épouse violentée. Elle a estimé essentiel que les femmes soient mises en confiance par le juge et placées dans des conditions propices à parler de ce qu'elles sont enclines à taire, ce silence étant dans leur esprit avant tout destiné à préserver toutes leurs chances de conserver la garde de leurs enfants.
Mme Catherine Troendle s'est demandé si cette confiance ne devait pas être insufflée aux femmes victimes de violences à un stade préalable à l'entrevue avec le juge.
Mme Josèphe Mercier a évoqué à ce sujet la participation de la Fédération nationale solidarité femmes à l'élaboration d'une convention visant à l'amélioration de l'accueil des femmes victimes de violences dans les commissariats de police.
Prolongeant ce propos, Mme Gisèle Gautier, présidente, a cité le cas exemplaire du commissariat de police de Tours, en précisant qu'un déplacement de la délégation sur le terrain avait permis de constater tout ce que la qualité de l'accueil des victimes de violences conjugales devait à la personnalité du commissaire de police en charge de ce service.
Mme Annie David a ensuite évoqué les travaux de la délégation sur les violences conjugales, en regrettant que les propositions que celle-ci avaient formulées n'aient pas été plus largement prises en compte dans le cadre de la proposition de loi tendant à renforcer la prévention et la répression des violences au sein du couple.
Prenant toute la mesure du constat dressé par les intervenantes, elle a manifesté son pessimisme à l'égard de la possibilité d'une véritable mobilisation de la société française en faveur de la lutte contre les violences conjugales, en faisant observer, d'une part, que toutes les couches sociales étaient concernées par ce phénomène et, d'autre part, que la parole des femmes était trop souvent considérée avec une certaine désinvolture, y compris, parfois, au sein des hémicycles parlementaires.
Elle s'est ensuite interrogée sur le risque de reproduction du schéma de la violence par les enfants témoins de brutalités à l'égard de leur mère.
Mme Annie David a enfin souhaité que soient mis en place, dès la classe maternelle, des modules de sensibilisation à l'interdiction de la violence, en insistant sur leur utilité préventive.
Puis Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué, sur la base de son expérience d'assistante sociale, des cas concrets qui tendent à démontrer, même en cas de conflit violent entre les parents, qu'il est préférable de ne pas couper les liens entre les enfants et leur père.
Mme Josèphe Mercier a acquiescé à cette conclusion en précisant que son propos visait essentiellement, sur ce point, à souligner la nécessité de ne pas nier la réalité des violences et de condamner en toute clarté les actes qui méritent de l'être.
Mme Gisèle Gautier, présidente, prolongeant le propos de Mme Annie David , a rappelé qu'au cours de ses travaux sur les violences conjugales, la délégation avait manifesté le souhait d'un recensement plus précis de ces violences et, en particulier, d'une adaptation de l'appareil d'analyse statistique des divorces pour mettre en évidence l'influence des faits constitutifs de violence.
Mme Marie-Dominique de Suremain a évoqué, en matière de garde alternée et de droit de visite, la nécessité de concilier le maintien des liens entre le père et les enfants avec les mesures permettant de garantir la sécurité des mères victimes de violences. Elle a rappelé que le moment de la séparation était particulièrement sensible et que se manifeste, au cours de cette période, une propension élevée au déclenchement d'agressions.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, Mme Christine Clamens a ensuite brossé un panorama des actions entreprises par la Fédération solidarités femmes ayant pour objectif de sensibiliser les acteurs de l'emploi à la problématique des femmes victimes de violences conjugales, afin de faciliter la réinsertion professionnelle de ces femmes. Elle a constaté la difficulté de mobiliser sur ce thème les différents partenaires et réseaux concernés par la formation professionnelle et l'accès à l'emploi des femmes victimes.
Mme Annie David s'est interrogée sur le problème de la préservation de l'anonymat de l'adresse des femmes victimes de violences dans le cas de résidence alternée des enfants.
Mme Marie-Dominique de Suremain a évoqué la difficulté pratique de s'opposer à la volonté du père de connaître l'adresse du lieu de vie de ses enfants, avant de souligner la nécessité du maintien de l'anonymat pour assurer la sécurité des femmes.
Mme Josèphe Mercier a salué les avancées de la législation en matière d'éviction du conjoint violent du domicile familial, tout en faisant observer que certaines femmes ne souhaitaient pas conserver le domicile conjugal, ces lieux restant chargés de souvenirs douloureux.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a conclu en rendant hommage à la qualité des propos des intervenantes et en manifestant sa volonté de poursuivre le combat contre le fléau des violences conjugales.
Mme Josèphe Mercier a considéré qu'il fallait, dans ce domaine, confronter l'« optimisme de la volonté » au « pessimisme de la réalité ».
Audition, dans le cadre d'une table ronde,
de M. Stéphane Clerget, pédopsychiatre,
de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez,
doyen de la faculté de droit de l'université de Lille II,
membre du Haut conseil de la population et de la famille,
de Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF),
de M. Didier Le Gall, professeur de sociologie à l'université de Caen,
et de Mme Jacqueline Phelip,
présidente de l'association « L'enfant d'abord »
(Mardi 14 mars 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente , a introduit les débats en indiquant que cette table ronde était destinée à enrichir les travaux de la délégation sur le thème des familles monoparentales et recomposées. Justifiant brièvement le choix de ce sujet de réflexion, elle a fait observer que la physionomie des familles françaises avait profondément évolué au cours des dernières décennies.
Elle a rappelé deux séries de chiffres particulièrement éloquents à ce titre :
- d'une part, de 1990 à 1999, le nombre de familles monoparentales est passé de 1,40 à 1,64 million et le nombre d'enfants vivant dans ces familles de 2,248 à 2,747 millions ;
- d'autre part, au cours de la même période, le nombre de familles recomposées a fortement augmenté, passant de 646 000 en 1990 à 708 000 en 1999, le nombre d'enfants vivant dans ce type de famille ayant également progressé, passant de 1,43 à 1,59 million.
Mme Jacqueline Phelip, présidente de l'association « L'enfant d'abord » , a tout d'abord décrit l'activité de son association et manifesté d'emblée son inquiétude particulière à l'égard des enfants soumis par les juges à des résidences alternées qui bouleversent leurs conditions de vie. Puis elle a indiqué que la majorité des appels adressés à son association concernait des enfants de 0 à 9 ans. Analysant les causes des situations difficiles portées à la connaissance de l'association, elle a précisé qu'il s'agissait, dans 50 à 60 % des cas, de séparations provoquées par des violences physiques ou psychologiques et, dans 20 % des cas environ, de séparations dues à un désintérêt du père à l'égard de sa famille.
Elle a ensuite rappelé que la loi du 4 mars 2002 permettait au juge d'imposer la résidence alternée dans un contexte sociologique où des séparations ont lieu de plus en plus tôt, y compris, dans certains cas, pendant que la femme est encore enceinte.
Mme Jacqueline Phelip a ensuite constaté un certain nombre de dérives résultant de l'application de cette loi, à partir d'exemples tels que celui d'un enfant d'un mois et demi soumis à une résidence alternée entre Paris et Bastia ou celui d'un enfant de 24 mois subissant une résidence alternée entre la France et les États-Unis. Abordant ensuite l'influence néfaste du conflit parental sur l'équilibre des enfants, elle a déploré qu'en cas de résidence alternée, les enfants puissent être placés dans des milieux familiaux parfois hermétiques, et notamment fréquenter alternativement deux crèches différentes. Elle a ajouté que certains enfants étaient suivis par deux médecins différents, au risque d'une éventuelle double médication, ou bien scolarisés dans deux écoles différentes. Elle a ensuite déploré que des résidences alternées soient trop souvent encore imposées par les juges dans un contexte de violences physiques entre les ex-époux, la loi ne comportant aucun « garde-fou » à ce sujet.
Puis Mme Jacqueline Phelip a décrit les symptômes des enfants subissant les dérives de la résidence alternée qui expriment leur malaise notamment par la détresse, l'insomnie, l'agressivité à l'égard de la mère lorsqu'ils la rejoignent, puis le refus de la quitter, et qui somatisent leur angoisse. Elle a précisé qu'on pouvait même constater, de la part d'un certain nombre d'enfants, dès l'âge de 7 à 9 ans, des menaces de fugue et de suicide. Rappelant que les juges avaient à leur disposition des outils d'évaluation, comme l'enquête sociale ou l'expertise psychologique, elle a déploré leur peu de fiabilité. Puis elle a souligné que, bien souvent surchargés de dossiers, les juges aux affaires familiales n'avaient pas de formation suffisante en matière de développement psychoaffectif de l'enfant. Tout en reconnaissant que la majorité des juges faisaient preuve de prudence, elle a estimé que se manifestaient, ici ou là, des prises de décisions idéologiques. Elle a également indiqué que trop peu d'enfants ayant atteint « l'âge de discernement » étaient entendus comme le permet la loi.
S'agissant des conséquences néfastes des séparations, Mme Jacqueline Phelip a tout d'abord évoqué le cas des mères qui avaient préalablement abandonné leur carrière pour suivre leur mari en cas de mutation professionnelle. Puis elle a rappelé que la résidence alternée exonérait fréquemment le mari du versement de la pension alimentaire, tandis qu'un certain nombre de mères isolées devaient faire face au chômage ou, à l'inverse, craignaient qu'une reprise d'emploi les contraignant à s'éloigner du domicile du père ne risque de leur faire perdre la garde de leurs enfants. Elle a également souligné, en cas de garde alternée, la prise en charge d'un certain nombre de frais, médicaux notamment, exclusivement par la mère, en observant, par ailleurs, que certaines « gardes alternées » se déroulaient, dans la réalité, entre la mère, d'une part, et les grands-parents paternels ou la nouvelle compagne du père de l'enfant, d'autre part. Elle a rappelé que les séparations paupérisaient souvent les ex-conjoints et évoqué la situation de nombreux parents en grande difficulté financière. Soulignant l'importance du maintien des liens entre les enfants et leur père, elle a regretté que les juges s'orientent de plus en plus vers la solution de la résidence alternée, en dépit de l'intensité de certains conflits parentaux qui s'exacerbent au fil du temps. Elle a souligné l'échec patent de cette orientation, dont les enfants font les frais. Insistant sur les phénomènes de pathologie que provoquent ces résidences alternées prescrites sans précautions, elle a dénoncé le non-sens qui consiste à « partager » l'enfant au nom de l'égalité entre les femmes et les hommes ou du principe de parité entre les mères et les pères.
En conclusion de son intervention, Mme Jacqueline Phelip a fait référence à des études conduites aux États-Unis qui, avec un recul de vingt ans, ont analysé les inconvénients de certaines gardes alternées imposées et conduit à remettre en cause la systématisation de ce mode de garde préconisé dans les années 1980. Puis elle a évoqué des travaux reposant sur l'idée d'un calendrier de progressivité des visites chez le père, pour mettre en harmonie la garde alternée avec le développement de l'enfant. Elle a enfin mentionné des études conduites au Québec sur les troubles du comportement d'enfants qui apparaissent comme de véritables « cobayes » de la garde alternée. Elle a en effet considéré que, malgré l'arrivée des « nouveaux pères », il incombait encore très majoritairement aux mères de s'occuper des jeunes enfants.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a remercié l'intervenante et insisté sur la nécessité de rechercher des solutions adaptées en la matière.
Après avoir rappelé le sujet de deux de ses ouvrages intitulés « Comment survivre à la séparation de ses parents » et « Séparons-nous... mais protégeons nos enfants », M. Stéphane Clerget, pédopsychiatre , a tout d'abord évoqué le nombre croissant de femmes qui « font des enfants toutes seules », en faisant observer que, dans de telles situations, l'enfant était amené à se poser des questions sur l'existence de son père et se retrouvait dans la situation d'un enfant né sous X. Il a cependant précisé que les familles monoparentales étaient le plus souvent issues de séparations ou de divorces, soulignant que si deux fois sur trois la femme demandait la séparation, les hommes se remettaient en couple plus fréquemment que leurs ex-épouses. Il a fait observer, à ce sujet, que la charge des enfants, supportée dans la plupart des cas par la mère, rendait celle-ci moins disponible pour de nouvelles rencontres.
Il a ensuite évoqué l'augmentation du nombre de consultations de psychologues ou psychiatres préalables à la séparation, qui donnent aux conjoints les moyens de mieux gérer cette situation et les conduisent, parfois, à la réconciliation. Il a souligné que les séparations conflictuelles, et tout particulièrement les attaques personnelles entre les parents, étaient extrêmement difficiles à vivre pour les enfants, qui intériorisent celles-ci comme si elles leur étaient directement adressées.
Rappelant que la garde était encore le plus souvent accordée à la mère à l'issue des séparations, il a insisté sur le principal inconvénient de cette décision, qui donne le sentiment à l'enfant que l'un des parents est plus important que l'autre, le rôle du père apparaissant alors comme nié par la justice et la société.
Il a ensuite décrit le processus de rupture des liens entre les enfants et leur père susceptible de survenir notamment lorsque ce dernier se remarie et fonde une nouvelle famille. Il a estimé que la loi autorisant la résidence alternée allait dans le sens d'un rééquilibrage et constituait, dans bien des cas, un moindre mal pour prévenir le délitement des liens entre l'enfant et son père. Il a cependant insisté sur la nécessité de prévoir une certaine souplesse dans sa mise en oeuvre, un parent pouvant s'avérer ne pas être apte à s'occuper de son enfant pour une raison ou une autre.
En ce qui concerne les recompositions familiales, M. Stéphane Clerget a tout d'abord indiqué que certaines femmes sacrifiaient leurs possibilités de vivre une nouvelle aventure, en préférant se consacrer à leurs enfants. Analysant la place des enfants dans la configuration familiale monoparentale ou recomposée, il a estimé plutôt sain pour l'enfant de constater que ses parents pouvaient s'inscrire à nouveau dans une histoire d'amour épanouissante. Il a précisé que les psychologues pouvaient délivrer des conseils utiles aux femmes pour qu'elles s'autorisent une nouvelle vie de couple, en soulignant l'importance d'aménager une installation progressive du nouveau conjoint.
Il a ensuite indiqué que les beaux-parents ne savaient pas toujours comment se positionner par rapport à l'enfant sans provoquer de conflit de loyauté chez celui-ci, entre son père et son beau-père par exemple. Insistant sur les bienfaits d'une démarche progressive en la matière, il a également souligné l'utilité d'expliquer à l'enfant qu'il ne devait à son beau-père le respect et l'obéissance, par exemple, que par délégation de l'autorité de sa mère biologique, ce qui permet de lui faire comprendre que l'autorité du beau-père ne se substitue pas à celle du père biologique. Sur la base d'exemples concrets, il a insisté sur la vertu apaisante à l'égard des beaux-enfants de cette explication, d'ailleurs en harmonie avec la logique juridique.
Il a ensuite fait observer que, dans une famille recomposée, la situation se compliquait fréquemment lors de l'arrivée d'un nouvel enfant. Évoquant le risque que le beau-parent ne s'investisse dans des liens avec son nouvel enfant, aux dépens des autres enfants, il a cependant considéré comme dynamisant et porteur d'harmonie l'arrivée d'un nouveau descendant dans une famille recomposée, tout en montrant que l'accompagnement d'un enfant de parents divorcés nécessitait un tact particulier.
En conclusion de son propos, M. Stéphane Clerget a estimé que, globalement, la recomposition familiale était positive pour l'enfant, car elle lui procure, notamment, une multiplication des possibilités d'identification à des adultes, qui lui sont largement bénéfiques.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a remercié l'intervenant de ses propos, tout en indiquant que 84 % des enfants étaient encore confiés à leur mère.
Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) , a tout d'abord rappelé que les centres d'information sur les droits des femmes, nés en 1972, s'étaient fortement développés dans les années 1980 et, qu'aujourd'hui, le réseau rassemblait 115 associations et 980 points d'information implantés sur l'ensemble du territoire. Elle a précisé que ce réseau avait développé son activité dans le champ des services de l'accès des femmes au droit, de l'aide aux victimes de violences, du soutien à la parentalité et de l'accès à la formation professionnelle. En 2005, le réseau a accueilli 338 000 personnes et traité 661 000 demandes d'information, une attention particulière ayant été portée aux familles monoparentales qui représentent 23 % des personnes informées.
Centrant son intervention sur trois aspects, la paupérisation des mères isolées, les difficultés relationnelles consécutives à la séparation et la persistance des violences après la séparation, Mme Annie Guilberteau a tout d'abord insisté sur la solitude extrême des femmes en situation de monoparentalité qui s'adressent au réseau. Évoquant les témoignages recueillis sur le terrain, elle a indiqué que, selon les représentations dominantes, l'homme élevant seul ses enfants avait droit à la considération de son entourage, tandis que la femme, dans la même situation, souffrait d'une certaine stigmatisation. Elle a ajouté que les revenus des mères isolées étaient largement constitués de minima sociaux, cette tendance s'étant aggravée au cours des dix dernières années. Elle a rappelé que la rupture d'un couple engendrait la plupart du temps un appauvrissement de ses deux membres et estimé que ce phénomène était insuffisamment pris en compte au moment de la séparation.
Elle a fait observer que les femmes en situation de monoparentalité qui sollicitaient le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) disposaient toutes de revenus insuffisants et devaient repenser leur temps de travail : souvent désireuses de l'augmenter lorsqu'elles travaillaient auparavant à temps partiel, ces femmes sont souvent confrontées à des situations qui reflètent les inégalités persistantes entre hommes et femmes dans les structures professionnelles, leur volonté en effet d'investir ou réinvestir une vie professionnelle nécessaire à la sécurité financière de la famille étant confrontée au risque de laisser les enfants livrés à eux-mêmes.
Mme Annie Guilberteau a insisté sur le fait que des freins d'ordre psychologique sont à prendre en considération dans les démarches d'accompagnement vers l'emploi : la peur de laisser les enfants seuls et d'être tenue pour responsable face au père et à la société si un problème ou un accident arrivait, reste un obstacle majeur à la réinsertion professionnelle de nombreuses femmes qui ont intégré, pour des raisons culturelles et sur un mode identitaire, l'idée qu'un statut de « bonne mère » passait inévitablement par un investissement permanent auprès des enfants.
Elle a précisé que les CIDFF conduisaient de nombreuses actions pour favoriser l'exercice de la coparentalité et qu'un travail important était à faire pour faire prendre conscience que les compétences parentales ne relèvent pas de la différence biologique des sexes.
Mme Annie Guilberteau a également souligné que les séparations, notamment pour les jeunes couples, étaient souvent concomitantes au déroulement ou à la fin d'un congé parental et qu'il était difficile pour les femmes de reprendre une activité à l'issue de ce congé, en dépit de la législation en vigueur.
Puis elle a évoqué les difficultés des mères en termes d'accès aux modes de garde, en particulier pour les femmes occupant un emploi précaire ou travaillant dans des secteurs à horaires atypiques (grande distribution, hôtellerie, restauration, milieu hospitalier...). Elle a souligné le désarroi des femmes recherchant un emploi qui, confrontées à la complexité de la législation, sont parfois conduites à abandonner leur démarche de recherche d'emploi compte tenu du risque de perte des minima sociaux que peut provoquer une reprise d'emploi à temps très partiel. Elle a souhaité qu'il puisse être remédié à cette difficulté et a fait observer que l'allocation de parent isolé (API) n'était pas assortie d'une obligation d'insertion, et ne pouvait pas remplacer une autonomie économique propre. Ajoutant que le réseau des CIDFF encourageait les femmes à la reprise d'activité, elle a néanmoins souligné que l'accès aux crèches était impossible pour les femmes allocataires poursuivant, dans cet objectif, un cursus de formation.
Mme Annie Guilberteau a par ailleurs signalé qu'une grande partie des demandes reçues par les CIDFF étaient liées aux difficultés de recouvrement des pensions alimentaires non versées ou versées irrégulièrement. Précisant que ce problème était fréquemment évoqué, elle a reconnu que l'impossibilité de payer invoquée par le père pouvait parfois justifier une telle situation, mais souligné qu'il s'agissait en réalité souvent de la persistance d'une forme de domination ultime de l'époux sur son ex-femme par le biais du versement irrégulier de la pension. Relevant que, dans un grand nombre de cas, le montant de la pension alimentaire avait été fixé à un niveau inférieur à celui de l'allocation de soutien familial (ASF) qui s'élève à 80,90 euros par enfant et par mois, elle a considéré que le montant de la pension alimentaire devrait être au moins égal à celui de l'ASF.
De manière plus générale, elle s'est dite convaincue que notre société vivait un « choc de cultures », dans lequel certains couples se séparaient dans un contexte égalitaire certes tendu, mais gérable, et que d'autres rompaient après avoir vécu dans une configuration traditionnelle. Elle a insisté sur le traumatisme que constitue la rupture pour certaines femmes non préparées à assumer une autonomie financière et une identité propre en dehors de leur vie familiale. Elle a estimé qu'une évolution de la famille vers une configuration plus égalitaire était de nature à limiter les traumatismes en cas de séparation.
Mme Annie Guilberteau a enfin souligné que le réseau des CIDFF était régulièrement confronté à des situations catastrophiques dans lesquelles des résidences alternées sont décidées lors de la rupture de couples, alors même que des faits de violences conjugales sont avérés et perdurent après la séparation. Elle a estimé que le choix de la résidence alternée n'était pas adapté lorsque les causes de la rupture sont relatives à des violences conjugales, insistant sur le fait qu'insulter, frapper, déconsidérer la mère de ses enfants remet fondamentalement en cause la compétence d'un auteur de violence à être un bon parent.
Elle a par ailleurs manifesté son désaccord à l'égard du discours sur le thème des accusations mensongères de violence qui ne seraient destinées qu'à exclure le conjoint de l'autorité parentale en cas de séparation. En effet, elle a fait observer qu'il était plus facile de révéler les violences ou les faits d'inceste à partir du moment où une certaine distance s'était instaurée entre les victimes et l'auteur de violences conjugales ou incestueuses. Insistant sur la nécessité de jeter un regard dépassionné sur ces questions, elle a témoigné du fait que bon nombre de femmes ayant conservé le silence sur des faits graves pendant une longue période sont en mesure de les révéler après la séparation, parce que la pression exercée par l'auteur des faits est moindre.
Après avoir remercié l'intervenante pour son propos, Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé la récente adoption d'une proposition de loi sanctionnant les violences conjugales et a souligné l'afflux de courriers reçus sur cette question depuis le début du débat sur ce texte au Parlement.
M. Didier Le Gall, professeur de sociologie à l'université de Caen , a rappelé que l'expression « famille monoparentale », qui désigne un ménage constitué d'une personne vivant seule et ayant un ou plusieurs enfants à charge, avait été importée, au milieu des années 1970, des pays anglo-saxons, où existaient déjà de nombreux travaux sur les conséquences économiques et psychologiques du divorce, par des sociologues féministes qui souhaitaient, à l'époque, éviter la stigmatisation des foyers dont le chef est une femme et qui avaient pour objectif de faire passer les situations monoparentales du registre de la « déviance » à celui de la simple « variance » et de souligner l'appauvrissement relatif que connaissaient les foyers monoparentaux féminins, ce dont les pouvoirs publics commençaient à prendre conscience. Il a précisé, qu'au même moment, était apparue, dans la législation sociale et familiale, la catégorie de « parent isolé », qui traduit la prise en compte par l'Etat du risque de pauvreté encouru par ces familles : si hier l'on devenait parent seul à la suite du décès du conjoint, c'est désormais, aujourd'hui, principalement en raison de la séparation conjugale.
Il a fait observer que les trois-quarts des familles monoparentales se constituaient en effet à la suite d'une séparation après un mariage ou une union libre, celles fondées suite à une naissance par des femmes qui ne vivaient pas en couple, ou consécutives à un veuvage ne représentant respectivement que 15 % et 11 % de l'ensemble de ces familles. Il a précisé qu'entre les recensements de 1990 et de 1999, l'augmentation des familles monoparentales comprenant au moins un enfant de moins de 25 ans, en France métropolitaine, s'était poursuivie à un rythme relativement élevé, passant de 1,175 million de familles à 1,495 million. Alors que ces familles représentaient 10,2 % de l'ensemble des familles ayant au moins un enfant en 1982 et 13,2 % en 1990, cette proportion, a-t-il ajouté, s'établit désormais à 16,7 %. Il a ainsi noté que la monoparentalité concernait aujourd'hui plus d'une famille avec enfants sur six et qu'un enfant sur sept était élevé dans une famille monoparentale, le plus souvent par sa mère, les foyers monoparentaux masculins ne représentant que 14 % des foyers monoparentaux.
M. Didier Le Gall a indiqué que, la séparation constituant désormais très majoritairement le fait générateur de l'entrée en situation monoparentale, les parents seuls étaient aujourd'hui un peu plus jeunes et, plus souvent encore que par le passé, des femmes. Il a précisé que ces foyers monoparentaux féminins résultant d'une séparation ou d'un divorce étaient susceptibles de connaître une certaine vulnérabilité économique, en particulier quand les mères n'avaient aucune qualification professionnelle ou qu'elles se retrouvaient déqualifiées pour s'être trop longtemps tenues à l'écart du marché de l'emploi, du fait notamment de leur implication dans le mariage. Il a fait état de comparaisons effectuées entre foyers monoparentaux et foyers biparentaux ayant au moins un enfant à charge qui avaient effectivement montré que le niveau et les conditions de vie des premiers étaient, dans l'ensemble, moins élevés, et que l'entrée en situation monoparentale se traduisait presque toujours par une baisse, parfois brutale, du niveau de vie. Il a constaté que, dans une société entièrement structurée sur le modèle biparental, l'entrée en situation monoparentale engendrait inéluctablement des difficultés, tout particulièrement quand le parent seul est une femme.
M. Didier Le Gall a souligné le facteur de modification du tissu relationnel que constitue la dissolution conjugale, près de la moitié des enfants ne voyant plus ou très peu leur père par la suite. Il a fait observer que l'autorité parentale conjointe était pourtant entrée dans la loi en 1987, puis devenue la norme en 1993, faisant ainsi disparaître la notion de garde qui pouvait laisser entendre que l'appropriation exclusive par l'un des parents était possible. Il s'est interrogé sur le caractère réaliste du principe de coparentalité systématisé par la loi de mars 2002, en dépit de l'intention louable consistant à protéger les relations entre parents et enfants par delà la dissociation conjugale. Il a estimé que, si la coparentalité relevait d'une représentation moderne de la famille et venait satisfaire les militants de la cause paternelle, elle reposait sur l'idée que le couple parental pouvait survivre au couple conjugal et imposait aux parents de négocier, alors qu'ils se sont séparés. Il s'est interrogé sur la promotion d'un modèle unique d'exercice de la parentalité dans un contexte où l'on prend acte de la diversité des familles et de leur culture et a évoqué le risque de faire violence aux parents et de se détourner un peu plus de ce que l'on souhaite pourtant préserver, l'intérêt de l'enfant.
M. Didier Le Gall a également expliqué que, en même temps que le conjoint et sa famille, les relations amicales du parent seul s'estompaient aussi parfois, voire disparaissaient, et que le degré d'insertion sociale au sein d'un réseau d'entraide s'affaiblissait et n'était plus, de ce fait, toujours en mesure de compenser la vulnérabilité économique. Or, il a fait observer que le soutien relationnel dont bénéficient les parents gardiens au moment de la rupture, ou par la suite, variait en fonction du milieu social, les mieux positionnés socialement étant aussi ceux qui ont le plus de chances de maintenir leur réseau relationnel et d'obtenir de l'aide de leur entourage.
Il a estimé que, si la dissociation familiale ne précipitait pas tous les parents seuls dans la vulnérabilité économique et relationnelle, la désunion apparaissait néanmoins, notamment pour les moins bien dotés, comme un des nouveaux risques familiaux, d'autant plus qu'il n'était pas certain que, même dans les milieux les mieux pourvus, la séparation parentale n'ait aucune incidence. Il a ainsi cité des travaux qui montrent que, quel que soit le milieu social, la rupture du couple parental est associée à une réussite scolaire plus faible chez l'enfant.
Abordant la question des familles recomposées, M. Didier Le Gall a rappelé les problèmes juridiques, psychologiques ou encore pratiques que connaissent ces familles issues d'une ou de deux unions fécondes défaites, au niveau de leur fonctionnement quotidien. Il a indiqué qu'entre 1990 et 1999, le nombre des familles recomposées s'était accru de près de 10 %, passant de 646 000 en 1990 à 708 000 en 1999, soit 8 % des familles ayant au moins un enfant de moins de 25 ans. Il a ainsi précisé qu'aujourd'hui 1,1 million d'enfants de moins de 25 ans vivaient avec l'un de leurs parents et un beau-parent - 63 % avec leur mère et son nouveau compagnon, et 37 % avec leur père et sa nouvelle compagne - alors que 513 000 vivaient avec leurs deux parents et des demi-frères ou soeurs et que 1,6 million d'enfants de moins de 25 ans étaient ainsi concernés par la recomposition familiale.
Il a rappelé que, si vivre avec un beau-parent n'était pas nouveau, dans le passé ces situations étaient issues du veuvage, alors qu'elles résultaient aujourd'hui de la séparation conjugale : or, à la différence du veuvage où le beau-parent vient, d'une certaine manière, occuper une place « vacante », la désunion fait de celui-ci un acteur supplémentaire du contexte familial. Il a ainsi expliqué que le rôle du beau-parent ne pouvait, dès lors, se jouer exclusivement sur le mode de la substitution. Il a fait observer que la recomposition de la famille à la suite d'une désunion, avec enfant(s) de la précédente union, nécessitait de revoir l'organisation familiale selon des modèles inédits de comportement, notamment en ce qui concerne les devoirs et obligations des acteurs, et que, dans une société où le modèle nucléaire reste la référence, ces familles ne disposaient pas de modèles de conduite préétablis pour gérer leur spécificité, y compris dans le cadre du remariage.
Il a mis en évidence le relatif silence du code civil au sujet des familles recomposées, tout particulièrement pour ce qui concerne la prise en compte des liens entre beau-parent et beaux-enfants. Il a également constaté qu'au niveau du langage courant, ces acteurs ne disposaient pas de vocables adéquats pour s'interpeller, les termes « parâtre » et « marâtre », étymologiquement appropriés pour le nouveau conjoint du parent gardien, étant tombés en désuétude en raison des représentations négatives liées aux remariages après veuvage. Reprenant à son compte les analyses d'Irène Théry, il a noté que la marâtre était représentée comme ne pouvant posséder l'instinct maternel, mais que le parâtre était, en revanche, un peu moins stigmatisé car sa venue contribuait souvent à re-stabiliser économiquement le foyer de la mère seule.
Par ailleurs, M. Didier Le Gall a fait observer que, à la suite du divorce, c'étaient majoritairement les femmes qui vivaient avec des enfants, mais que celles-ci reformaient moins fréquemment un couple, un homme ayant 23 % de chances de plus qu'une femme de revivre en couple, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il en a déduit que l'enfant du divorce avait, de ce fait, plus de chances d'être confronté à une recomposition familiale du côté de son père que de sa mère et a indiqué que les enfants de « premier lit » ont plus fréquemment une « belle-mère par intermittence » qu'un « beau-père au quotidien ». Or, il a constaté que ces foyers comprenant une « belle-mère par intermittence », bien que statistiquement plus nombreux, étaient moins « visibles » que les autres familles recomposées.
Il a indiqué que s'était posée avec acuité la question de savoir s'il fallait ou non offrir aux familles recomposées un cadre juridique adapté à leur situation, le principal point portant, à partir du début des années 1990, sur la reconnaissance éventuelle d'un « statut de beau-parent ». Il a considéré que le problème du partage de l'autorité parentale entre parents et beaux-parents paraissait délicat à trancher, les parents séparés assumant conjointement l'exercice de l'autorité parentale, d'autant plus que l'hétérogénéité des secondes unions rendait vaine toute recherche a priori d'un cadre juridique adapté, la majorité des recompositions familiales après divorce ayant d'ailleurs pour cadre une cohabitation, et non un remariage.
M. Didier Le Gall a fait observer que, du fait de l'augmentation du nombre des familles recomposées, le rôle de beau-parent avait gagné en visibilité et que, en dehors de tout encadrement juridique, il tendait aujourd'hui à s'instituer sous la forme d'un lien électif pouvant s'apparenter à un « amical parrainage », c'est-à-dire un lien social, certes inédit, mais qui semble s'ériger comme référence dès lors que le beau-parent a un rôle éducatif qui ne concurrence pas les fonctions dévolues à la parenté en ce domaine. Il a néanmoins constaté que ce rôle « quasi parental » n'advenait et ne s'imposait en tant que tel qu'au terme d'une co-résidence prolongée.
Il a estimé qu'aujourd'hui, la question de la reconnaissance du beau-parent s'inscrivait dans un cadre plus large, celui de la pluriparentalité, car les familles recomposées n'étaient pas les seules à ajouter des « parents sociaux » aux « parents par le sang », et a constaté que des relations parentales avec des enfants dont les parents ne sont pas les géniteurs étaient à l'oeuvre dans un nombre croissant de familles.
M. Didier Le Gall a fait observer que, si l'élection affective avait de plus en plus droit de cité dans la parenté aujourd'hui, notre système de filiation n'était guère enclin à reconnaître ces coparentalités, en raison de la prégnance de la norme de l'exclusivité de la filiation. Il s'est dès lors interrogé sur le rôle des parents « en plus », surtout lorsque ceux-ci jouent à l'évidence un rôle actif auprès des enfants. Il a cité le récent rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits de l'enfant qui suggère que les parents aient « la possibilité de donner à un tiers (dont le beau-parent) une « délégation de responsabilité parentale » pour les actes usuels de la vie de l'enfant, soit par acte authentique devant notaire et directement exécutoire, soit par acte sous seing privé homologué par le juge ». Il a estimé que cette proposition permettrait certes de faciliter au quotidien la vie de ces familles et constituerait une petite ouverture allant dans le sens d'une reconnaissance du rôle de beau-parent et, au-delà, de la pluriparentalité, mais a fait observer que l'accord des deux parents serait requis et a craint que ceux qui pourraient en avoir le plus besoin ne puissent s'entendre pour en bénéficier et que ceux qui auto-régulent déjà leurs rapports n'en voient pas l'intérêt.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyen de la faculté de droit de l'université de Lille II, membre du Haut conseil de la population et de la famille , a estimé qu'en matière de droit de la famille, il était parfois préférable de s'en tenir au statu quo plutôt que d'engager des réformes irréfléchies, faisant observer que les attentes exprimées dans ce domaine l'étaient parfois par des groupes minoritaires, ou sur le mode du non-dit. Elle a ainsi pris l'exemple de la reconnaissance éventuelle d'un « statut du beau-parent » et a considéré que les problèmes pratiques qu'une telle reconnaissance permettrait de résoudre étaient en fait réduits et qu'il convenait de s'interroger sur l'opportunité de confier au beau-parent l'exercice de l'autorité parentale, car les raisons de son manque d'autorité à l'égard de l'enfant de son nouveau conjoint sont en partie objectives. Elle a estimé que l'autorité du beau-père n'était jamais qu'une délégation de celle de la mère et qu'investir le beau-père de l'autorité parentale nécessiterait l'accord des deux parents biologiques, alors que ceux-ci sont précisément dans une situation de désaccord tel qu'il a bien souvent été la cause de la séparation. Elle a noté que l'autorité parentale s'exerçant à deux, les propositions visant à instituer un statut du beau-parent n'ont pour l'instant pas eu de succès, par exemple le parrainage, en 1998, ou la délégation de l'autorité parentale, en 1999.
Elle a expliqué ces échecs successifs par l'existence d'une ambiguïté sur les objectifs poursuivis, l'institution du statut du beau-parent nécessitant, selon elle, l'existence d'un lien de droit au sein du couple, tel que le mariage. Or, elle a fait remarquer que le beau-parent qui vient habiter au domicile du parent devait être accepté par l'enfant, alors qu'en fait celui-ci le considère souvent comme un intrus, parfois pendant très longtemps. Elle a d'ailleurs indiqué que les enfants vivant au sein d'une famille recomposée quittaient le foyer familial plus tôt que les autres.
S'agissant de la proposition parfois formulée d'un mandat donné au beau-parent lorsque le parent doit s'absenter et lui laisser la garde de son enfant, elle a estimé qu'il nécessiterait un document institutionnalisé, par exemple un acte souscrit devant notaire, ou devant les services de l'état-civil. Elle a ajouté que l'éventualité de la délégation par un parent de son autorité parentale au profit d'un beau-parent nécessitait une décision de justice.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a fait observer que le juge était souvent obligé de décider en fonction de stéréotypes, alors qu'il était appelé à se prononcer, sans avoir reçu de formation appropriée, sur « l'intérêt de l'enfant », qui n'est pas une question de droit, mais de fait. Rappelant que le père avait très longtemps exercé la puissance paternelle alors que la mère assurait en fait la garde de l'enfant, elle a indiqué les grandes étapes du droit du divorce et du régime de garde des enfants : réforme du divorce en 1975, premier arrêt de la Cour de cassation sur la garde alternée en 1983, reconnaissance de la coparentalité en 1993, loi de mars 2002 autorisant la résidence alternée. Estimant que celle-ci était une « fausse bonne idée » et qu'elle ne pouvait constituer une solution généralisable, elle a rappelé que, lors des débats parlementaires, il avait même été envisagé de rendre obligatoire la résidence alternée, cette proposition ayant notamment pour origine, d'après elle, l'influence du lobby des pères.
Elle a considéré que la résidence alternée illustrait le paradigme, selon elle erroné, de la possibilité d'une séparation des parents qui n'aurait pas de conséquences défavorables pour les enfants, alors qu'il s'agit toujours d'une situation très délicate à gérer. De ce point de vue, elle a souhaité une plus grande lucidité et estimé qu'il fallait avoir le courage de dire qu'il est parfois plus satisfaisant pour un enfant de rester avec un seul parent.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a également dénoncé un autre paradigme consistant à supposer que la séparation d'un couple permettrait à chacun de reprendre son autonomie, alors qu'il existe des femmes qui sont économiquement dépendantes de leur conjoint et pour lesquelles le divorce est lourd de conséquences. Elle a estimé que la société contribuait à entretenir ces situations sous différentes formes, citant le congé parental, qui peut devenir, selon elle, une mesure dangereuse dès lors que la séparation du couple est juridiquement aisée, ainsi que le projet, parfois évoqué, de congé filial qui permettrait à des personnes, en fait essentiellement à des femmes, de s'occuper de leur(s) parent(s) âgé(s). Elle s'est dès lors interrogée sur la portée effective de l'autonomie des femmes. Elle a conclu en appelant de ses voeux une démarche faisant davantage de place au réalisme et moins à l'idéologie.
Un débat général s'est ensuite instauré.
M. Stéphane Clerget a fait observer que de grandes difficultés pour les enfants pouvaient également apparaître à l'occasion d'une garde exercée par un seul parent, et non seulement au cours d'une résidence alternée. Estimant qu'un mauvais mari pouvait quand même être un bon père, il a insisté sur le droit de ce dernier à voir ses enfants vivant avec leur mère, dans l'intérêt même de ceux-ci.
En réponse à une interrogation portant sur le rôle social de la mère, M. Didier Le Gall a estimé qu'il existait une sorte de consensus social, manifestant la domination masculine, selon lequel une mère de famille devait avant tout demeurer une mère, plutôt que de continuer à exister en tant que femme.
M. Stéphane Clerget a ajouté que la manière dont les enfants voient vivre leur mère influe sur la façon dont les futures femmes vont vivre leur vie adulte.
Mme Annie David a dit partager les différents points de vue exprimés sur la résidence alternée, qui constitue une solution intéressante mais qui ne peut être généralisée et demande une appréciation par le juge au cas par cas. Elle a fait observer que la paupérisation des femmes se retrouvant seules était accentuée par les inégalités professionnelles existant sur le marché du travail. Considérant que l'intérêt de l'enfant devait toujours être privilégié, elle a jugé que l'enfant ne devait en principe pas être séparé de son père, même s'il convenait naturellement de prendre en considération un contexte de violences au sein du couple. Enfin, elle a appelé de ses voeux une évolution de la société qui prenne mieux en compte la progression du nombre de familles monoparentales et recomposées, les femmes élevant seules leurs enfants étant encore trop souvent stigmatisées.
M. Stéphane Clerget a considéré qu'un homme violent démontrait son incompétence à exercer son autorité de père et qu'un enfant ne pouvait être confié qu'à un parent compétent pour s'en occuper.
Mme Jacqueline Phelip a réaffirmé qu'il n'était pas question d'exclure le père de l'éducation de son enfant. Elle a approuvé l'autorisation de la résidence alternée par la loi de mars 2002, mais elle a fait remarquer que les enfants pouvaient mal supporter une résidence alternée, même bien organisée. Elle a par ailleurs estimé que les mères dont les enfants ne vont pas bien ne cherchaient pas à refaire leur vie, dans la mesure où elles ne se sentaient pas disponibles pour le faire.
Mme Hélène Luc a estimé que le développement de la précarité constituait un obstacle à l'épanouissement des couples. Elle a déclaré avoir apprécié les propos tenus sur la résidence alternée, et a noté que le juge ne devrait jamais prendre parti pour le père ou la mère, d'autant plus que la plupart des enfants n'acceptaient jamais la séparation de leurs parents. Elle a constaté la difficulté pour le juge de se prononcer sur le bien-fondé d'une résidence alternée et s'est demandé si une telle décision ne devrait pas être prise par deux juges. Enfin, elle a considéré que les femmes qui prennent des responsabilités le faisaient généralement pour leurs enfants.
Mme Janine Rozier , après avoir salué la qualité de l'ensemble des interventions, a estimé préférable de parler de complémentarité, plutôt que de stricte égalité, entre homme et femme. Elle a considéré qu'un couple était une relation contractuelle engageant l'honneur de ses membres, et non la réunion de deux égoïsmes. Elle a conclu sur la responsabilité des parents, que les procédés de contrôle des naissances rendent encore plus grande aujourd'hui.
Audition de Mme Fatima Lalem,
membre du bureau national du Mouvement français
pour le planning familial
(Mardi 21 mars 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Après avoir prié de bien vouloir excuser l'absence de Mme Françoise Laurant, présidente du Mouvement français pour le planning familial, empêchée, Mme Fatima Lalem a indiqué qu'elle avait une formation de sociologue et qu'elle était plus particulièrement chargée, au sein du Mouvement, des dossiers relatifs à l'éducation à la sexualité et à la contraception. Elle a rappelé que le Planning familial avait récemment fêté son 50 e anniversaire et que cette célébration avait été l'occasion de débattre de nombreuses questions de société avec l'ensemble des partenaires du Planning. Elle a ainsi noté qu'une table ronde avait été organisée sur le thème des acquis du féminisme, dont certains demeurent fragiles, à l'exemple du droit à l'avortement, actuellement remis en cause dans certains Etats américains ainsi que dans plusieurs pays européens, voire en France, de façon indirecte, comme l'avait montré le débat sur l'amendement dit « Garraud », qui tendait à permettre l'indemnisation des femmes enceintes ayant perdu leur enfant dans un accident de la circulation. Elle a également fait observer que, si la grande majorité de la population française était attachée à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), certains droits des femmes étaient bafoués, citant les violences sexistes et le sexisme en général, dont l'acuité est réelle dans certaines banlieues. A cet égard, elle a rappelé qu'une femme mourait tous les quatre jours sous les coups de son conjoint ou compagnon et s'est félicitée de l'adoption récente d'une proposition de loi d'initiative sénatoriale tendant à renforcer la lutte contre les violences au sein du couple, même si elle a estimé que le volet prévention, notamment dès le plus jeune âge, restait à élaborer.
Elle a fait observer que la monoparentalité concernait très majoritairement des femmes qui doivent élever seules leurs enfants. Elle a regretté que certains acteurs sociaux aient souligné la carence éducative de ces mères dans les violences urbaines qui ont touché la France en novembre 2005 et a indiqué qu'il n'existait aucun lien déterminant entre la structure familiale monoparentale et les difficultés connues ou causées par les enfants, telles que la délinquance juvénile. Elle a estimé qu'il convenait plutôt de rechercher ce lien dans la situation économique et sociale des femmes vivant en situation de monoparentalité.
Mme Fatima Lalem a indiqué que le Planning familial, grâce aux groupes de parole qu'il organise, par exemple sur la contraception et la prévention du sida, rencontrait de nombreuses femmes en difficulté, aussi bien dans les banlieues que dans des zones rurales isolées. Elle a constaté que le principal enseignement à tirer de cette expérience consistait à porter une attention particulière à l'accompagnement de ces femmes, et notamment aux mères de familles monoparentales, en particulier en matière d'activités périscolaires, car beaucoup d'entre elles sont confrontées à la gestion du temps partiel subi. Elle a également insisté sur la nécessité d'aborder la question des rythmes de vie et celle de la prise en charge de la petite enfance, la France ayant, selon elle, un retard considérable dans ce domaine, qui accentue les difficultés quotidiennes des familles monoparentales.
Enfin, elle a indiqué que, lors de son dernier congrès, le Mouvement français du planning familial avait adopté une motion d'orientation abordant les droits des parents homosexuels et réclamant la levée des discriminations dont les couples de même sexe continuent d'être les victimes.
Mme Gisèle Gautier, présidente , évoquant l'« amendement Garraud », finalement retiré, a insisté sur le fait qu'il ne visait absolument pas à remettre en cause l'IVG.
Par ailleurs, elle a annoncé que la délégation entendrait très prochainement des représentants de l'association des parents gays et lesbiens et a noté que, dans une décision récente, la justice n'avait pas reconnu le bénéfice du congé de paternité à un couple de femmes élevant un enfant.
Mme Fatima Lalem a estimé que l'attribution de droits parentaux à un couple homosexuel ne paraissait pas illégitime, un tel couple partageant les rôles éducatifs des parents comme un couple hétérosexuel. A cet égard, elle a regretté que la loi, élaborée pour les couples et parents hétérosexuels, occulte la situation des homosexuels envers les enfants, ce qui peut paraître paradoxal depuis l'institution du pacte civil de solidarité.
Mme Annie David a estimé que la vigilance s'imposait sur les acquis du féminisme, et a fait observer que l'inquiétude exprimée à l'occasion de la discussion de l' « amendement Garraud » apparaissait légitime, compte tenu des intentions des associations qui étaient favorables à cet amendement.
Elle a insisté, par ailleurs, sur la nécessité d'accorder à toute personne salariée les moyens effectifs d'élever ses enfants. S'agissant de la prise en charge de la petite enfance, elle a fait part de sa méfiance à l'égard des mesures qui tendent à favoriser le congé parental, celui-ci étant, en pratique, quasiment toujours pris par la femme, qui risque de ce fait de se retrouver dans une situation de précarité en cas de rupture du couple. Afin d'améliorer la prévention des violences envers les femmes, elle a appelé de ses voeux le développement de la formation des enseignants à la lutte contre les stéréotypes sexués, dès l'école maternelle. Enfin, elle a également réfuté le lien parfois établi entre la monoparentalité et la délinquance.
Mme Hélène Luc a d'abord exprimé sa gratitude envers le Planning familial pour le travail qu'il accomplit. Evoquant le drame vécu par la jeune Sohane, brûlée vive à Vitry-sur-Seine, elle a rappelé l'expérience menée au niveau des collèges, en collaboration avec l'inspection académique du Val-de-Marne, pour insister sur l'importance du caractère précoce de la prévention des violences sexistes. Elle a déploré la pénurie de logements, en particulier en région parisienne et dans les grandes villes, qui entraîne des difficultés supplémentaires pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants. Elle a qualifié d' « encourageantes » les statistiques qui démontrent l'inexistence d'un lien entre la monoparentalité et la délinquance des enfants et a noté que de nombreuses femmes élevant seules leurs enfants s'investissaient dans la vie associative ou syndicale. Elle s'est interrogée sur la possibilité de recourir davantage à la télévision pour réaliser des émissions éducatives sur les familles monoparentales et recomposées. Enfin, elle s'est enquise de l'évolution de la contraception chez les jeunes filles, notant que le Norlevo, médicament destiné à une contraception d'urgence, serait utilisé de plus en plus fréquemment et pour une fonction qui n'était pas la sienne.
Mme Fatima Lalem a estimé que les familles monoparentales et les familles recomposées étaient confrontées à des difficultés différentes, la recomposition familiale pouvant provoquer une crise, en particulier au moment de l'adolescence. Sur la question de la contraception médicamenteuse sans hospitalisation, qui existe depuis 2004, elle a indiqué que le Planning familial effectuait un travail important, en relation avec les médecins. Elle a néanmoins regretté que les centres de planification n'aient pas pour mission d'effectuer des IVG médicamenteuses, qui sont actuellement réalisées dans ces centres de façon très limitée, par exemple dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Mme Annie David a estimé que les missions des centres de planification devraient être étendues et que la solution la plus efficace pour ce faire consisterait en un conventionnement avec le conseil général. Elle a également regretté que les IVG médicamenteuses ne puissent être réalisées que par des médecins libéraux, ce qui oblige les femmes qui y recourent à leur régler directement leurs honoraires. Elle s'est aussi interrogée sur la possibilité d'administrer des médicaments moins coûteux dans les centres de planification.
Mme Fatima Lalem a insisté sur la nécessité pour les centres de planification de disposer de personnels bien formés et en nombre suffisant. Elle a indiqué que le Norlevo devait être prescrit à des fins de contraception d'urgence, mais que son efficacité n'était pas totale, la marge de risque étant évaluée à 5 %. Elle a précisé que cette contraception d'urgence était une stratégie de rattrapage : s'il n'y a pas de risque pour la santé à la prendre plusieurs fois, elle ne peut remplacer une contraception régulière. Elle a donc souhaité que les pharmaciens, en particulier, orientent les jeunes filles vers les centres de planification.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a indiqué qu'un appel à témoignages avait été lancé en vue d'un prochain numéro de l'émission télévisée « Ça se discute », consacré aux familles recomposées. Elle a ensuite souhaité savoir à quelles difficultés étaient principalement confrontées les mères de familles monoparentales.
Mme Fatima Lalem a indiqué que les difficultés évoquées par ces femmes dépendaient fortement de leur situation économique et sociale. Elle a estimé que l'accent devait être porté sur les structures d'accueil de la petite enfance et sur la question des rythmes de vie, et en particulier l'adaptation des horaires des crèches et des écoles au travail des femmes, la précarisation des horaires de travail engendrant des coûts importants en termes de garde d'enfants.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé que Mme Catherine Vautrin avait annoncé l'élaboration d'un projet de loi destiné à lutter contre la précarité du travail des femmes, le temps partiel notamment, en collaboration avec les services du ministère du travail. Elle s'est interrogée sur la difficulté, rencontrée par les femmes élevant seules leurs enfants, à refaire leur vie, plus grande que pour les hommes après une séparation.
Mme Fatima Lalem a indiqué que les conditions de vie de ces femmes étaient la source d'un stress important et qu'elles leur laissaient peu de place pour leur vie personnelle, ce qui constitue une grande différence avec les hommes. Elle a toutefois estimé que les hommes étaient également l'objet de fortes contraintes, prenant davantage la forme d'une importante pression professionnelle, et que beaucoup d'entre eux pourraient être intéressés par un rééquilibrage de leur vie professionnelle et de leur vie privée, au bénéfice de leur épanouissement personnel.
Audition de Mme Mireille Brioude, membre,
de M. Mathieu Peycéré, responsable juridique,
et de M. Franck Tanguy, porte-parole,
de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
(Mardi 28 mars 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Mireille Brioude , membre de l'Association des Parents et futurs Parents Gays et Lesbiens (APGL) , a tout d'abord présenté cette association fondée en 1986 à l'initiative d'un groupe de pères gays divorcés qui, après s'être progressivement développée, compte aujourd'hui 1 600 membres.
S'agissant des activités de l'APGL, elle a notamment mentionné deux colloques tenus en 1997 et en 1999, ainsi qu'une conférence internationale sur l'homoparentalité organisée en octobre 2005.
Puis elle a défini le terme « d'homoparentalité » qui désigne, selon elle, toutes les situations familiales dans lesquelles au moins un adulte s'autodésignant comme homosexuel est le parent d'au moins un enfant.
Mme Mireille Brioude a indiqué qu'au plan statistique il n'existait pas de recensement officiel des familles homoparentales, mais que, sur une base prospective, on pouvait en dénombrer environ 100 000, le nombre d'enfants élevés au sein de ces familles avoisinant 200 000.
Elle a ensuite présenté une typologie distinguant cinq formes de familles homoparentales regroupées en deux grandes catégories, pluriparentale ou biparentale.
S'agissant des structures pluriparentales, elle a tout d'abord mentionné celles qui s'organisent autour d'enfants nés d'une union hétérosexuelle antérieure, le parent gardien vivant avec une personne de même sexe après séparation d'avec l'autre parent biologique. Elle a assimilé ces structures à des familles recomposées où se pose le problème du statut, ou plutôt de l'absence de statut, du beau-parent.
Puis elle a présenté le cas de la « coparentalité » où la famille est composée d'un père et d'une mère biologiques ayant chacun une compagne ou un compagnon, l'éducation de l'enfant faisant alors l'objet d'un accord qui prévoit un mode de garde réparti entre les deux couples de parents, exactement comme le font des parents divorcés.
Mme Mireille Brioude a ensuite analysé trois formes de structure biparentale, en commençant par celle où les enfants sont nés d'une insémination artificielle avec donneur. A ce sujet, elle a précisé que la loi française interdisait cette forme de conception aux lesbiennes et aux célibataires. Elle a indiqué que les enfants étaient, dans ces conditions, conçus à l'étranger, en Belgique, Hollande, Angleterre ou Espagne, et vivaient entourés de leur mère biologique et de la compagne de celle-ci, qui s'investit dans leur éducation sans aucun statut légal. Elle a fait observer qu'en cas de décès de la mère biologique, rien ne garantissait à l'enfant de pouvoir rester avec sa seconde mère qui l'avait pourtant élevé et, qu'en cas de fratrie constituée dans le même contexte, aucune garantie n'existait pour maintenir sa cohésion ultérieure. Elle a précisé que les seules solutions juridiques à ce problème, selon elles insuffisantes, étaient le recours à la tutelle testamentaire ou, depuis une jurisprudence récente, la possibilité de demander le partage de l'autorité parentale.
Elle a indiqué qu'une seconde forme de structure biparentale était constituée par l'adoption : l'agrément étant, en pratique, refusé en cas d'homosexualité avérée de l'adoptant, l'adoption est alors obtenue sous couvert de célibat et ne permet aucune reconnaissance du parent partenaire impliqué dans la démarche initiale.
Elle a enfin évoqué la « maternité pour autrui », abusivement appelée maternité par mère porteuse, qui pouvait être la solution choisie par un couple d'hommes pour concevoir, toujours à l'étranger, un enfant, en précisant que, dans ce cas, le compagnon du père n'avait lui non plus aucun statut légal.
Mme Mireille Brioude a fait observer que ces formes diverses de parentalité désignées sous le vocable unique de « famille homoparentale » constituaient, au regard de la loi, des formes atypiques de foyer. Elle a souligné que l'essentiel des revendications des « homoparents » se ramenait à des réformes juridiques, nécessitant au préalable de clarifier un certain nombre de problématiques d'ordre moral, intellectuel et idéologique.
Elle a regretté que l'adoption du pacte civil de solidarité (PACS) en novembre 1999 se soit faite au détriment des couples homosexuels vivant avec des enfants, qui revendiquaient une reconnaissance juridique.
Puis elle a brossé un panorama de nombreuses études et recherches en psychologie tendant à confirmer le fait que les familles homoparentales n'ont plus à justifier de l'équilibre psychique de leurs enfants, mais qu'elles constituent une sorte de champ d'expérimentation de la pluriparentalité.
Mme Mireille Brioude a observé que, le débat ayant évolué grâce à ces études et ces réflexions, les familles homoparentales étaient devenues, au fil des années, plus visibles et plus nombreuses, certains parlant de « gayby boom ». Elle a ajouté que l'image de l'enfant déstructuré uniquement à cause de sa particularité familiale était en passe de devenir un fantasme ne correspondant pas aux réalités et aux témoignages, maintenant publiés, d'enfants élevés par des parents gays. Elle a noté que les homoparents rencontraient les mêmes problèmes que les autres parents et constaté que la famille homoparentale, visible et bien assumée, ne faisait plus peur.
Mme Mireille Brioude a souligné que les principales difficultés rencontrées par ces familles étaient de deux ordres : d'une part, l'homophobie latente ou déclarée d'une partie de la société qui rend nécessaire un dialogue des homoparents avec leur entourage, leurs propres parents, ainsi qu'avec les professionnels de santé et de l'éducation et, d'autre part, le problème de la reconnaissance juridique des homoparents. Elle a sur ce dernier point considéré que la France était désormais, avec l'Italie, isolée parmi les pays européens occidentaux qui ont généralement adopté des formes légales d'union des couples homosexuels, en étendant les prérogatives de cette union à leurs enfants. Elle a ajouté que plusieurs Etats américains avaient institutionnalisé les unions de couples gays en organisant l'adoption, la transmission du patrimoine et l'autorité parentale partagée. Elle a également observé que, depuis 2002, le Québec protégeait les citoyens homosexuels vivant avec des enfants et leur autorisait l'adoption. Elle a estimé que, dans ces pays, le droit évoluait, non plus en fonction du primat du biologique, mais conformément à une éthique de l'engagement et de la responsabilité.
Elle a conclu en considérant qu'il serait souhaitable que la législation évolue pour permettre aux enfants d'être protégés juridiquement et socialement des accidents de la vie et de se sentir comme les autres en assumant leur différence de milieu familial.
Puis M. Mathieu Peycéré, responsable juridique de l'association, a souhaité mettre l'accent sur quelques aspects des discriminations entre hommes et femmes, ainsi que sur les familles recomposées, en se fondant sur son expérience de juriste au service de l'APGL. Il a estimé, de manière générale, que la focalisation de la loi française sur la dimension biologique de la parentalité ralentissait l'émergence de la prise en compte des réalités pratiques dans notre système juridique. Il a fait observer que des progrès législatifs simples permettraient une meilleure adaptation à la réalité en soulignant que l'amélioration de la sécurité juridique des adultes permettait également de protéger, par ricochet, les enfants.
A ce titre, il a estimé que le mariage homosexuel constituerait une des solutions les plus simples et les mieux adaptées. En effet, - a-t-il précisé - le mariage permet l'adoption et, en outre, clarifie la situation du beau-parent homosexuel à l'égard des enfants du conjoint. En revanche, il a rappelé que les tribunaux refusaient aujourd'hui systématiquement l'adoption simple par le compagnon homoparental.
Il a ensuite souligné l'importance qui s'attache à trouver un meilleur équilibre entre les parents biologiques et le « parent social », en précisant que le dispositif de la loi du 4 mars 2002 relatif au partage de l'autorité parentale constituait un premier pas dans ce sens. Il a cependant rappelé que le juge conservait la possibilité de ne pas accorder ce partage de l'autorité parentale, notamment à la compagne de la mère biologique. Il a déploré les effets potentiellement néfastes pour l'enfant d'une telle décision du juge le privant de la possibilité d'avoir un second repère parental et posant des problèmes pratiques, par exemple dans le cas où le « parent social » doit accompagner l'enfant lors d'une sortie du territoire ou pour une intervention médicale. Il a insisté, à ce titre, sur la nécessité d'une reconnaissance juridique et sociale des deux parents, dans l'intérêt de l'enfant et de la structuration de la famille.
Evoquant ensuite les possibilités de droit de visite susceptible d'être accordé au conjoint non parent en cas de séparation, M. Mathieu Peycéré a estimé nécessaire de s'inspirer de ce mécanisme pour élaborer un statut du beau-parent et pacifier les séparations, en tenant compte de la mobilité accrue des familles.
A propos de l'adoption simple, il a regretté que les tribunaux l'interdisent, en pratique, au compagnon homoparental, ce qui condamne l'un des membres du couple homosexuel à la solitude, au moins juridique, à l'égard de ses enfants.
S'agissant de la persistance des discriminations entre hommes et femmes, il a rappelé la jurisprudence récente écartant la compagne d'une mère du bénéfice du congé de paternité, en estimant que ce congé était pourtant nécessaire du point de vue de l'égalité entre les sexes, mais aussi dans l'intérêt de l'enfant et pour faciliter la vie du couple.
Résumant son propos, il a souligné qu'une évolution législative dans ce domaine aurait le mérite de clarifier la situation des familles homoparentales, dans l'intérêt des enfants et des adultes qui en prennent soin. Il a d'ailleurs fait observer que, du point de vue de l'administration fiscale ou de la sécurité sociale, ces familles n'étaient que rarement considérées comme monoparentales, alors qu'elles l'étaient juridiquement.
Un débat s'est ensuite instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé les intervenants sur leurs réflexions et leurs demandes précises en matière de statut des beaux-parents.
M. Mathieu Peycéré a estimé que les familles homoparentales avaient, en grande partie, les mêmes préoccupations que l'ensemble des familles recomposées hétérosexuelles, à cette différence près que deux homosexuels ne peuvent pas se marier en l'état actuel du droit. Il a donc souhaité une clarification générale du rôle des beaux-parents.
Mme Mireille Brioude a précisé qu'en cas de séparation, la garde des enfants était rarement confiée à un parent qui s'avère être homosexuel.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé que des objections avaient été émises par certains juristes à propos de la définition d'un statut des beaux-parents, notamment au regard des complications que peuvent entraîner les recompositions familiales successives.
M. Mathieu Peycéré a répondu que le partage de l'autorité parentale pouvait se faire et se défaire et a fait observer que le mariage était également soumis au risque d'une éventuelle rupture. Pour illustrer la souplesse du droit de la famille, il a signalé que l'adoption simple pouvait être révoquée pour des motifs graves, et notamment en cas de changement de partenaire.
Puis il a insisté sur la nécessité de solenniser certains actes pour structurer les familles et l'autorité des adultes, en faisant observer que les récents événements de violence urbaine traduisaient notamment un défaut de points de repères familiaux.
M. Franck Tanguy, porte-parole de l'association , a pour sa part combattu le préjugé selon lequel les couples homosexuels se sépareraient plus fréquemment que les couples hétérosexuels.
Mme Muguette Dini , après avoir constaté que certains enfants vivaient dans des couples homosexuels, s'est tout d'abord interrogée, en matière de terminologie notamment, sur la question de savoir s'il était normal de dire à un enfant qu'il a deux pères ou deux mères. Elle s'est dite perturbée par cette situation, en se demandant si les enfants ne pouvaient pas l'être à plus forte raison. Puis elle a évoqué les difficultés juridiques communes à toutes les familles recomposées.
Mme Muguette Dini a ensuite rappelé qu'il était particulièrement traumatisant pour un enfant d'avoir été abandonné et adopté et s'est demandé si l'adoption par un couple homoparental ne pourrait pas constituer une perturbation supplémentaire de son équilibre.
S'agissant de la terminologie employée par l'enfant dans le cadre d'une famille homoparentale, Mme Mireille Brioude a indiqué que, dans certaines familles lesbiennes, l'enfant pouvait appeler « maman » à la fois la mère biologique et sa compagne, tandis que, dans d'autres familles, celle-ci pouvait être appelée par son prénom, notamment si le couple lesbien est de formation plus récente. Elle a précisé qu'en tout état de cause, il ne s'agissait pas de mentir à l'enfant sur la façon dont il a été conçu, mais de constater qu'il est élevé par deux personnes. Puis elle a constaté que, dans la pratique, les enfants parvenaient eux-mêmes à trouver la terminologie qui leur est la plus confortable.
M. Mathieu Peycéré a, pour sa part, indiqué que l'APGL n'avait aucun credo précis, ni aucune consigne autoritaire en la matière. Puis il a fait observer que, dans la réalité vécue, les enfants opéraient eux-mêmes un travail d'ajustement terminologique.
Evoquant l'épisode au cours duquel l'enfant se trouve nécessairement confronté à la société, il a indiqué que les nombreuses études effectuées sur le sujet faisaient apparaître que les enfants vivant avec des couples homosexuels ne présentaient pas de traumatisme particulier.
Par ailleurs, il a regretté que l'adoption par un couple homosexuel puisse être considérée comme à l'origine d'un traumatisme, sur le même plan que le traumatisme de l'abandon, en estimant que le facteur essentiel n'était pas l'orientation sexuelle des parents adoptifs, mais l'affection qui est portée à l'enfant.
Mme Muguette Dini a précisé qu'en dehors de toute considération sur l'orientation sexuelle des parents, son expérience en matière de délivrance d'agrément pour l'adoption la conduisait à insister sur l'importance de donner à l'enfant un référent homme et un référent femme dans son entourage, ce qui conduit généralement à prendre des précautions pour confier un enfant à un célibataire.
Mme Mireille Brioude a précisé que cet argument était invoqué de manière systématique et que son association travaillait à montrer que ce facteur hétérosexuel n'était pas essentiel à la structuration de l'enfant, tout en soulignant le rôle fondamental de l'affection qui lui est portée.
M. Mathieu Peycéré , citant le résultat d'un certain nombre d'études, a indiqué que les enfants élevés par deux femmes trouvaient très tôt des références stables : leurs jeux ne se distinguent pas de ceux des autres enfants et ils ne présentent pas de tendance particulière à devenir homosexuels eux-mêmes, ce qui constitue des indices assez significatifs.
Mme Muguette Dini a fait observer que les enfants abandonnés se trouvaient fréquemment dépourvus de repères et qu'il lui semblait préférable de les confier à une famille hétérosexuelle. Elle a ajouté que l'adoption comportait toujours un risque et a constaté qu'en pratique, les échecs étaient plus fréquents en cas d'adoption par un parent célibataire.
Elle a précisé qu'en France, très peu d'enfants étaient proposés à l'adoption et que l'adoption était très difficile à obtenir à l'étranger par un célibataire ou par un couple homosexuel.
M. Franck Tanguy , après avoir analysé les préjugés défavorables aux familles homoparentales et estimé souhaitable de tenir compte avant tout de l'intérêt de l'enfant, a indiqué que seuls trois pays au monde acceptaient, à l'heure actuelle, l'adoption par un parent célibataire.
Evoquant la perspective d'une évolution de ce contexte juridique, il a souhaité que la France puisse prendre des mesures d'avant-garde en matière d'adoption par des parents homosexuels.
Mme Christiane Kammermann s'est déclarée, au risque de décevoir les intervenants, opposée à la parentalité homosexuelle, en évoquant à la fois ses convictions religieuses et personnelles.
Elle s'est, en revanche, déclarée pleinement favorable à l'adoption des enfants abandonnés, en évoquant les actions qu'elle avait pu conduire pour leur venir en aide.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a salué le courage de Mme Christiane Kammermann dans l'expression de ses convictions.
M. Mathieu Peycéré a indiqué qu'il comprenait parfaitement ce point de vue, en rappelant que de nombreux homosexuels étaient passés par une phase au cours de laquelle ils avaient estimé impossible à des couples de même sexe d'élever des enfants. Il a cependant considéré que la meilleure démonstration a contrario consistait à observer des situations vécues par des enfants élevés dans des conditions normales par des couples homosexuels, constatant que dans la pratique ces enfants étaient des enfants « comme les autres ».
Mme Christiane Kammermann a estimé qu'il était particulièrement difficile pour ces enfants d'être « comme les autres ».
M. Frank Tanguy , citant Mme Elisabeth Roudinesco, a considéré que les enfants de parents homosexuels étaient dans une situation comparable à celles des enfants de parents divorcés il y a plusieurs décennies. Puis il a évoqué les transformations de la cellule familiale qui, aujourd'hui, contribuent à une meilleure acceptation des différences.
Mme Christiane Kammermann a rappelé que les enfants de parents divorcés avaient un père et une mère, ce qui n'est pas le cas des enfants vivant dans des familles homoparentales.
M. Mathieu Peycéré a estimé fondamental de s'interroger, de manière générale, sur le caractère traumatisant ou non des séparations ou de la situation familiale sur les enfants, plutôt que de focaliser le débat sur le seul critère de l'homoparentalité. S'agissant des problèmes identitaires, il a rappelé que l'APGL militait de longue date pour la reconnaissance des origines.
Mme Muguette Dini a estimé choquant de considérer comme des parents deux personnes de même sexe, en précisant par ailleurs que, dans les familles recomposées, l'enfant distinguait parfaitement le père et le beau-père, qui n'avait jamais la même place et le même rôle que le père.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est demandé, en analysant ce point de vue, si le point de blocage ne se situait pas dans la terminologie, auquel cas il conviendrait de trouver des termes adéquats pour préciser les rôles respectifs des parents ou des beaux-parents homosexuels.
Puis, interrogé par Mme Gisèle Gautier, présidente , sur la création d'un « livret de famille de l'enfant » proposée par l'APGL, M. Mathieu Peycéré a indiqué que cette proposition correspondait au souci d'une reconnaissance sociale des personnes qui élèvent l'enfant, en clarifiant leur situation, et permettrait également de répondre à un souci de transparence des origines.
Mme Muguette Dini s'est demandé si la révélation des origines ne risquait pas de restreindre le nombre de donneurs.
M. Mathieu Peycéré a précisé qu'en Hollande, depuis quelques années, la loi qui permet à l'enfant de connaître ses origines n'assortit cette connaissance d'aucun droit ni pour l'enfant, ni pour le parent.
En réponse à une demande de précision de Mme Muguette Dini à l'égard des inégalités en matière de prestations sociales, M. Mathieu Peycéré a constaté par exemple que les personnes vivant au sein d'un couple homosexuel n'avaient pas le droit de bénéficier de l'allocation au parent isolé (API).
Mme Gisèle Gautier, présidente, a remercié les intervenants pour la qualité et le caractère concret de leurs propos, tout en leur rendant hommage pour avoir placé au centre de leur analyse le bonheur de l'enfant.
Audition de M. Marc Guillaume,
directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice
(Mardi 11 avril 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Après que Mme Gisèle Gautier, présidente , eut présenté l'intervenant, M. Marc Guillaume a d'abord indiqué que la conception propre au ministère de la justice du droit de la famille suivait un « fil conducteur » consistant à préserver la cohérence d'ensemble de ce droit.
Il a rappelé que le mariage restait le seul fondement juridique de l'institution familiale, même si la loi du 15 novembre 1999 avait reconnu le concubinage dans le code civil et institué une relation contractuelle ouverte aux couples hétérosexuels ou homosexuels, le pacte civil de solidarité (PACS). Après avoir noté qu'environ 170.000 PACS avaient été conclus en six ans, il a indiqué que le rapport établi par le groupe de travail installé par la Chancellerie pour dresser un bilan du PACS avait insisté sur le caractère purement contractuel du PACS qui n'a pas vocation à servir de fondement à une famille. Il a ajouté que la mission d'information sur la famille et les droits des enfants de l'Assemblée nationale avait repris à son compte cette position et a fait observer que le gouvernement avait présenté un certain nombre d'amendements tendant à améliorer le PACS à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux successions et libéralités par l'Assemblée nationale.
M. Marc Guillaume a insisté sur le fait que le mariage, qui donne lieu à environ 280.000 célébrations chaque année, demeurait l'institution fondamentale du droit de la famille en France. Il a rappelé que le garde des Sceaux n'était pas favorable à l'adoption par un couple de personnes non mariées, l'adoption ayant pour vocation de donner une famille à un enfant qui en est privé. Or, a-t-il fait remarquer, les concubins forment bien un couple mais non une famille, estimant que la rupture d'un concubinage pouvait survenir à tout moment et s'avérer préjudiciable à l'intérêt de l'enfant adopté. Relevant que le concubinage n'impliquait pas nécessairement l'altérité sexuelle du couple, il a estimé qu'il ne serait pas conforme à l'intérêt de l'enfant de lui donner une filiation ne comportant pas cette altérité. Il a considéré qu'il convenait donc de ne pas modifier les équilibres actuels du code civil, qu'il a jugé satisfaisants. Il a ajouté que, si l'adoption par une personne seule était possible, quoique limitée dans les faits, il s'agissait d'un cas de figure bien spécifique, cette procédure étant le plus souvent utilisée pour permettre à un époux d'adopter l'enfant de son conjoint.
M. Marc Guillaume a ensuite abordé la question de la résidence alternée, instituée par la loi du 4 mars 2002. Il a fait état de premiers éléments statistiques établis à partir d'une enquête auprès des juges aux affaires familiales, sur la base d'un échantillon représentatif de 7.700 décisions de justice concernant la garde des enfants, dont il ressort que 797 d'entre elles, soit un peu plus de 10 %, ont instauré une résidence alternée. Il a fait observer que la proportion de demandes de résidence alternée demeurait donc assez modeste, et a noté que, dans l'immense majorité des cas, une telle demande était formée par les deux parents, le plus souvent à la suite d'un divorce par consentement mutuel, le juge homologuant une convention des parties dans 95 % des cas. Il a ainsi estimé que ces premiers chiffres démentaient les polémiques parfois évoquées au sujet de la résidence alternée, et a souligné que l'intérêt de l'enfant devait être préservé, grâce à l'appréciation au cas par cas par le juge. Il a par ailleurs considéré qu'il serait très arbitraire de fixer un âge en dessous duquel la résidence alternée serait interdite.
Puis le directeur des affaires civiles et du Sceau a indiqué que les ministres de la justice successifs s'étaient montrés favorables au développement de la médiation familiale, qui permet généralement de parvenir à des décisions négociées. Il a d'ailleurs fait observer que les crédits alloués aux associations de médiation familiale avaient plus que doublé en quelques années et que ces associations étaient incitées à travailler en relation avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) afin de favoriser l'accès à la médiation. En revanche, il a estimé qu'un recours obligatoire à la médiation allongerait inutilement les procédures.
M. Marc Guillaume a ensuite noté que les critères de fixation du montant des pensions alimentaires étaient simples et correspondaient aux ressources respectives des parents et aux besoins des enfants. Il a cependant fait observer que les décisions de justice en la matière pouvaient être divergentes selon les juridictions, car les juges n'appliquent pas un barème automatique, ce qui peut parfois faire naître un sentiment d'inégalité. Il a estimé qu'un divorce était généralement une cause d'appauvrissement à la fois des parents et des enfants. Il a expliqué l'existence de décisions de justice fixant le montant de la pension alimentaire à un niveau inférieur à celui de l'allocation de soutien familial (ASF) par la diversité des situations individuelles, certains pères pouvant être amenés à payer une pension alimentaire pour des enfants de plusieurs lits. Il a considéré que, pour parvenir à plus d'équité dans ces décisions de justice, il serait utile que le juge dispose d'outils à la décision fondés sur des indicateurs objectifs, par exemple le coût de l'éducation d'un enfant, et a évoqué l'existence d'expérimentations en ce sens. Il a par ailleurs indiqué que le garde des Sceaux n'était pas favorable à la création d'un fonds de recouvrement permettant de mutualiser le risque des pensions impayées, qui porterait atteinte au principe de la solidarité familiale sur lequel repose l'obligation alimentaire, la solidarité nationale ne pouvant jouer qu'afin d'éviter une extrême précarisation des familles.
Constatant que l'émergence des familles recomposées était une réalité sociale incontournable et posait le problème de la place du beau-parent, M. Marc Guillaume a observé qu'il n'existait aucun obstacle juridique à ce qu'un parent donne à un tiers l'autorisation d'effectuer des actes concernant la vie quotidienne de son enfant, l'intervention du juge n'étant nécessaire qu'en cas de désaccord entre les parents. Il a rappelé que la délégation et le partage de l'autorité parentale, institués par la loi du 4 mars 2002, permettaient de régler les cas où un tel mandat s'avérait insuffisant, sans porter atteinte au principe de coparentalité. De ce point de vue, il a attiré l'attention sur les risques d'éviction du parent biologique non gardien que pourrait entraîner l'institution d'un statut spécifique du beau-parent.
Un débat s'est instauré à l'issue de cet exposé.
Mme Janine Rozier a rappelé que certains pédopsychiatres évoquaient les « ravages » que la résidence alternée était susceptible de provoquer chez les enfants, ce mode de garde pouvant constituer une cause de fragilité pour des enfants qui ne se sentent plus chez eux ni chez leur mère, ni chez leur père. Elle a fait observer que la résidence alternée était généralement choisie par les personnes les plus aisées, qui peuvent de surcroît avoir recours en permanence à une nourrice accompagnant l'enfant. Par ailleurs, elle s'est dite favorable au développement de la médiation familiale, qui permet à des parents divorcés de renouer le dialogue sur l'essentiel, c'est-à-dire l'éducation des enfants. Elle a enfin rappelé que le montant mensuel moyen de la pension alimentaire, de 150 euros par enfant, représentait une somme trop faible pour permettre de couvrir l'ensemble des besoins d'un enfant, et a estimé que la pension devrait être fixée en fonction des revenus du père.
M. Marc Guillaume a indiqué que les statistiques disponibles montraient que les deux parents demandant une résidence alternée avaient presque toujours fait l'effort de se mettre d'accord sur les modalités pratiques de l'éducation de l'enfant. Se référant à l'enquête précédente auprès des juges aux affaires familiales, il a précisé que l'âge moyen des enfants concernés était de sept ans au moment de la décision prononçant une résidence alternée. Il a estimé que celle-ci ne pouvait être la simple conséquence d'une revendication égalitaire des droits des parents, mais qu'il ne serait pas satisfaisant pour autant de revenir à une situation où la mère se verrait systématiquement confier le droit de garde. Il a insisté sur la nécessité pour le juge de faire prévaloir l'intérêt de l'enfant sur tout autre critère et a considéré que l'âge de celui-ci ne devait pas constituer le critère essentiel à prendre en compte. Enfin, il a estimé que la cause des difficultés rencontrées lors d'une résidence alternée pouvait aussi être recherchée dans la souffrance provoquée chez l'enfant par le divorce de ses parents. Au total, il a considéré qu'il pourrait être dangereux de modifier un dispositif récent dont l'application ne peut pas encore être complètement évaluée.
Par ailleurs, il a constaté les bons résultats de la médiation familiale, mais a reconnu qu'ils demeuraient difficiles à généraliser, une médiation pouvant être proposée à des parents certes en cours de divorce, mais dont le conflit n'est pas tel qu'il empêcherait tout dialogue. Il a en outre expliqué que le montant modique des pensions alimentaires pouvait être lié à la faiblesse des ressources du père, parfois également obligé de verser une prestation compensatoire.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur la pertinence d'une résidence alternée pour de très jeunes enfants.
M. Marc Guillaume a confirmé que si, au vu de l'enquête effectuée par le ministère de la justice, l'âge moyen des enfants concernés par une résidence alternée était de sept ans, certains d'entre eux étaient effectivement plus jeunes.
Mme Sylvie Desmarescaux s'est tout d'abord déclarée favorable aux orientations tendant à ne pas permettre l'adoption par les couples homosexuels et à veiller à maintenir les relations entre le père biologique et ses enfants.
S'agissant de la résidence alternée, elle a rappelé que, d'après les indications recueillies par la délégation, certains juges prononçaient aujourd'hui ce mode de garde de façon régulière et peut-être excessive. Elle a insisté, à ce sujet, sur la nécessité de respecter l'intérêt de l'enfant et suggéré d'entourer de suffisamment de précautions la décision de recourir à ce mode de garde. Elle s'est enfin interrogée sur la possibilité pour les familles de saisir à nouveau le juge afin de modifier les conditions de la résidence alternée en cas de difficultés.
M. Marc Guillaume a estimé qu'il serait utile de procéder à une nouvelle enquête de terrain pour évaluer les transformations de la pratique judiciaire au cours des dernières années et disposer de données statistiques globales. Il a rappelé que, du point de vue juridique, le juge pouvait prononcer une mesure d'alternance provisoire avant de statuer au fond. Il a également souligné que le juge avait la possibilité d'utiliser des outils d'évaluation et d'expertise, comme l'enquête sociale ou médico-psychologique, afin de prendre une décision fondée sur une analyse précise du contexte familial.
Mme Christiane Kammermann s'est associée aux remarques formulées par Mmes Janine Rozier et Sylvie Desmarescaux et a montré, sur la base d'exemples concrets, que la résidence alternée pouvait bouleverser les habitudes de l'enfant. Lorsque la mère s'occupait habituellement des enfants dans un couple, il lui a semblé plus aisé, en cas de séparation, de prévoir un droit de visite du père limité au week-end, et une résidence chez la mère pendant la semaine. Puis elle s'est félicitée des réponses apportées par l'intervenant, en soulignant qu'elles reposaient sur le principe de la primauté de l'intérêt de l'enfant.
Mme Sylvie Demarescaux a néanmoins insisté sur la nécessité de ne pas pénaliser le père en le privant des attributs de la parentalité.
Mme Annie David a fait part de ses divergences par rapport à la conception de la famille exposée par les précédents intervenants. Tout d'abord, elle a indiqué qu'elle ne partageait pas l'idée selon laquelle seul le mariage est juridiquement adapté à la fondation d'une famille. Elle a évoqué, pour illustrer son propos, le cas des mariages forcés et des mariages fondés sur l'intérêt pécuniaire. Elle a ensuite estimé préférable pour un enfant, plutôt que de vivre en orphelinat, d'être adopté par un couple, même non marié.
Par ailleurs, elle a regretté que les couples homosexuels ne soient pas reconnus en tant que famille et a rappelé que le groupe communiste, républicain et citoyen avait pris l'initiative du dépôt d'une proposition de loi tendant à permettre l'adoption d'un enfant par un couple homosexuel. Elle a déploré l'attitude qui consiste, sous couvert de l'intérêt de l'enfant, à véhiculer une image passéiste de la famille, s'interrogeant sur la possibilité offerte à une personne seule d'adopter un enfant alors que l'adoption n'est pas autorisée à un couple non marié.
Elle s'est, en revanche, ralliée à la conception selon laquelle l'enfant ne doit pas devenir l'instrument du conflit entre les parents et la résidence alternée ne peut être retenue qu'après un examen attentif de la situation familiale.
Puis elle a souligné qu'en cas de violences conjugales, la médiation familiale pouvait s'avérer inadaptée, les deux parties n'étant pas placées sur un pied d'égalité. Enfin, elle s'est interrogée sur la place respective à accorder au père biologique et au beau-parent dans le cadre d'une famille recomposée.
M. Marc Guillaume a rappelé la détermination du gouvernement à lutter contre les mariages non consentis, en précisant que les mesures contenues dans la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises sur des mineurs seraient prolongées par les dispositions d'un projet de loi tendant à un meilleur contrôle de la validité des mariages consentis à l'étranger, manifestant ainsi une convergence de vues sur ce point avec Mme Annie David.
Il a ensuite rappelé qu'en France le nombre d'enfants en attente d'adoption était très faible. Soulignant le nombre élevé de candidats à l'adoption, il a précisé qu'on recensait aujourd'hui 23 000 agréments en stock, alors que 8 500 étaient délivrés chaque année. Dans le même temps, il a rappelé que le nombre d'adoptions était de 4 000 par an à l'étranger et de 1 000 seulement en France. Il a précisé qu'il existait donc beaucoup plus de couples mariés candidats à l'adoption que d'enfants adoptables en France.
En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente , M. Marc Guillaume a confirmé qu'une personne seule avait le droit d'adopter un enfant, en précisant que, dans la pratique, il ne s'agissait pas tant de célibataires que d'époux souhaitant adopter l'enfant de leur conjoint, les célibataires ne représentant que 10 % des demandes environ.
Mme Gisèle Printz a mis l'accent sur les avantages de la médiation familiale en évoquant des cas concrets montrant que celle-ci permet de rétablir le dialogue dans certaines familles traversées par des conflits. Elle a ensuite estimé que la garde alternée était susceptible de se révéler dommageable pour les enfants qui peuvent perdre certains de leurs repères.
M. Marc Guillaume a rappelé que la médiation familiale avait été renforcée avec un doublement des moyens alloués aux associations exerçant dans ce domaine. Il a ensuite à nouveau souligné qu'il serait nécessaire d'actualiser et de compléter les statistiques de la pratique judiciaire en matière de résidence alternée afin d'améliorer la compréhension des évolutions en cours.
Mme Catherine Troendle a évoqué les limites de la garde alternée pour les enfants arrivant à l'âge de l'adolescence, en insistant sur le besoin de stabilité qui se manifeste à partir de l'âge d'onze ou douze ans.
M. Marc Guillaume a précisé que les trois quarts des demandes de résidence alternée concernaient des enfants de moins de dix ans. Il a ensuite insisté sur les difficultés de l'évaluation de la résidence alternée, dont l'opportunité était parfois remise en cause pour les enfants en bas âge et pour les adolescents. Il a ajouté qu'il convenait également de prendre en compte le contexte général de la montée du taux d'activité des femmes. Puis il a rappelé que l'esprit de la loi du 4 mars 2002 était d'accorder aux deux parents des droits équilibrés et que l'édifice législatif existant reposait sur la priorité à accorder à l'intérêt de l'enfant.
Mme Janine Rozier, revenant sur le problème de la médiation familiale dans des situations de déséquilibre imputable à des violences conjugales, a souligné que dans un certain nombre de cas, la médiation donnait la possibilité, à la femme victime, de s'adresser à son mari, dans des conditions de sécurité qui ne seraient pas réunies autrement, le cas échéant par l'intermédiaire du médiateur, sans que le mari soit physiquement présent au cours de l'entretien. Elle a ensuite souhaité que l'on ne dise plus d'une femme qui s'occupe de ses enfants qu'elle « ne travaille pas ».
M. Marc Guillaume a rappelé que l'intervention de Mme Janine Rozier, lors de l'élaboration du projet de loi sur le divorce, avait contribué à l'introduction d'une disposition permettant l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur l'application concrète des sanctions pour non-représentation d'enfant, Mme Annie David évoquant, à titre complémentaire, le cas des parents qui, à l'inverse, abandonnent de fait leur enfant en n'exerçant pas leur droit de visite et d'hébergement et ne versent pas la pension alimentaire.
M. Marc Guillaume a reconnu les imperfections statistiques qui font obstacle à une connaissance précise de ces phénomènes. Il a toutefois précisé que 1 064 condamnations pour non-représentation d'enfant avaient été prononcées en 2000, 928 en 2001, 506 en 2002, 687 en 2003 et 926 en 2004. Il a souligné la nécessité d'un suivi des plaintes déposées pour non-représentation d'enfant et annoncé la prochaine mise en place d'un appareil statistique adapté à ce suivi.
S'agissant des sanctions applicables, il a rappelé l'existence dans le droit en vigueur d'un dispositif pénal assez complet qui prévoit des délits spécifiques en matière d'abandon d'enfant ou de famille, de non-représentation d'enfant, de soustraction d'enfant et d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a insisté sur les obstacles pratiques qui se manifestent au stade du dépôt de la plainte.
M. Marc Guillaume a constaté, à ce sujet, qu'il n'était pas nécessaire de créer un délit nouveau d'entrave à l'exercice de l'autorité parentale dans le code pénal et qu'il s'agissait a priori d'un problème d'application de la loi.
Au plan civil, il a rappelé que la loi du 4 mars 2002 imposait le respect des liens de l'enfant avec le parent non gardien. Il a cependant indiqué que le juge aux affaires familiales pouvait prendre toutes les mesures utiles, et en particulier statuer sur de nouvelles modalités de l'exercice de l'autorité parentale en fonction de l'intérêt de l'enfant, à condition d'être à nouveau saisi en cas de difficultés.
Concluant que le juge avait d'ores et déjà les moyens juridiques de tirer les conséquences, soit du non-exercice du droit de visite, soit de la non-représentation d'enfant, il a insisté sur la nécessité d'un examen au cas par cas des motifs pour lesquels un parent ne remplit pas ses obligations.
Audition de M. Philippe Bas,
ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées,
aux personnes handicapées et à la famille
(Mercredi 3 mai 2006)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente , a ouvert la réunion en évoquant le caractère exponentiel du phénomène de la monoparentalité et des recompositions familiales et en rappelant les principales étapes de la carrière du ministre.
Après avoir relevé la pertinence du thème d'étude choisi par la délégation, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a présenté quelques observations générales.
Il a tout d'abord souligné le nombre croissant des familles monoparentales, passé de 1 175 000 à 1 475 000 entre 1990 et 1999, ce qui correspond à une progression de 13 à 17 % de leur proportion au sein de l'ensemble des familles, près de 17 % des enfants vivant désormais sous le toit d'une famille monoparentale.
Le ministre a ensuite indiqué qu'avant transferts sociaux, 42 % des familles monoparentales étaient en dessous du seuil de pauvreté, alors que seulement 18 % des couples avec enfants sont dans la même situation. Il a estimé cette situation préoccupante, avant d'y apporter un correctif immédiat, puisque les transferts sociaux ramènent à 14 % la proportion de familles monoparentales en dessous du seuil de pauvreté. Le ministre a ainsi relevé la manifestation d'un puissant effet redistributif en faveur des familles monoparentales, notamment grâce à des prestations spécifiques, l'allocation de parent isolé (API) et l'allocation de soutien familial (ASF).
Au-delà de ces prestations dédiées aux familles monoparentales, il a souligné qu'un certain nombre de prestations à vocation générale étaient majorées à leur profit. Ainsi, a-t-il précisé, les plafonds de ressources applicables à la prime à la naissance ou à l'adoption et l'allocation de base de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), le complément familial sont majorés d'environ 40 % en cas d'isolement ; en outre, l'aide personnalisée au logement (APL) ne subit pas de minoration dès lors qu'il y a isolement du parent et présence d'enfant(s). Au total, il a constaté que le système redistributif prenait très largement en compte l'objectif de soutien des familles monoparentales.
Puis, évoquant le cas douloureux des mères élevant seules un enfant handicapé, il a indiqué que l'allocation d'éducation spéciale (AES) était fortement majorée pour les personnes isolées.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , s'est dit convaincu qu'il convenait de soutenir les revenus des familles monoparentales grâce à ces allocations destinées aux parents isolés, mais qu'il était au moins aussi fondamental de leur faciliter l'accès à l'emploi. Rappelant qu'en 1976, l'allocation de parent isolé (API) avait été conçue pour éloigner du marché du travail les familles monoparentales que l'on appelait alors les « filles mères », il a souligné qu'il apparaissait aujourd'hui, au contraire, vital de faciliter l'accès à l'emploi des parents isolés, pour l'autonomie financière des mères et le développement de l'enfant. Il a manifesté la volonté que soient généralisées, d'ici à la fin de l'année, les actions déjà développées par certaines caisses d'allocations familiales pour accompagner les bénéficiaires de minima sociaux dans une démarche d'insertion, et rappelé que, dans le cadre de la loi du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, est prévu un accès prioritaire aux structures de garde des enfants, d'autant plus nécessaire que les mères les plus en difficulté ont à la fois des enfants en bas âge et une formation insuffisante pour trouver facilement un emploi. Il a souhaité que l'API permette désormais de déboucher sur un emploi et non plus sur le RMI.
Le ministre a ensuite indiqué qu'à la suite de la mise en place de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), le nombre des bénéficiaires d'une aide à la garde des enfants avait déjà augmenté de 205 000 et devrait avoir crû au total de 250 000 d'ici à la fin de l'année. Il a précisé que, par exemple, pour un revenu égal à deux fois le SMIC, l'aide accordée à la famille, qui était au maximum de 164 euros par mois avant la PAJE, pouvait désormais atteindre 254 euros par mois, ce qui correspond à une hausse de plus de 54 %. Il a également indiqué que le coût moyen de l'accueil d'un enfant en halte-garderie avait fortement diminué pour les familles monoparentales disposant de faibles ressources, passant pour une heure d'accueil, de 2 euros à 30 centimes.
Il a, en outre, fait observer que le taux du crédit d'impôt accordé au titre des frais de garde des enfants, qui s'élevait à 25 % pour les revenus de 2005, avait été porté à 50 % pour les revenus de 2006, ce qui va bénéficier à un million de familles.
Il a ajouté que le système du chèque emploi service universel (CESU) contribuerait à abaisser le coût de la garde des enfants.
Afin de permettre aux parents d'élever leurs enfants sans qu'il en résulte une coupure trop prolongée de leur activité professionnelle, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a rappelé qu'en complément du congé parental de trois ans rémunéré à 515 euros par mois, avait été créé un congé parental d'un an, plus court, mais rémunéré à 750 euros par mois, afin de limiter l'éloignement du marché du travail des parents et, en particulier, des mères, en raccourcissant sa durée.
Le ministre a en outre signalé, à l'intention des parents d'enfant(s) malade(s), un assouplissement du dispositif d'allocation de présence parentale, qui prend désormais la forme d'un crédit de 310 jours qui n'oblige plus le parent à prendre des périodes de congés indivisibles de quatre mois.
En ce qui concerne le développement des places de crèches, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a indiqué qu'à la suite du « Plan crèche » annoncé en juin 2005, la convention d'objectifs et de gestion conclue entre l'État et la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) avait vu ses crédits augmentés de 2,4 milliards d'euros et qu'un effort supplémentaire de 2 milliards d'euros était prévu dans les quatre ans à venir.
Au titre des difficultés rencontrées, le ministre a signalé les efforts de rigueur de gestion qui devront être accomplis pour que ces financements soient bien concentrés sur l'objectif de création de 72 000 places de crèche entre 2002 et 2008, ce qui permettra de faire passer le nombre total de places de 240 000 à 312 000. Rappelant que le nombre d'ouvertures de places de crèche n'avait été que de 264 en 2001 et qu'il avait progressivement augmenté pour atteindre 8 500 en 2005 et 10 000 en 2006, il a souhaité qu'une ouverture de 10 000 places de crèche par an puisse devenir la norme dans les prochaines années.
Il a ensuite évoqué le soutien aux familles monoparentales apporté par la branche famille de la sécurité sociale, en précisant qu'au titre des interventions de travail social, 37 % des bénéficiaires étaient des familles monoparentales, alors que celles-ci ne représentent que 17 % des familles, et que, parmi les bénéficiaires d'une intervention d'aide à domicile, 28 % étaient des familles monoparentales.
Evoquant ensuite la difficulté d'assumer l'autorité parentale pour les parents isolés, M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a présenté les grandes lignes du projet de loi réformant la protection de l'enfance et du plan de prévention de l'enfance en danger. Il a précisé, en particulier, que les sages-femmes pourraient être amenées à aider les femmes en difficulté en allant au-delà du simple suivi médical et qu'un bilan de santé complet serait réalisé à l'entrée en maternelle. Le ministre a insisté sur l'objectif de fortification de la cellule familiale, qui doit s'attacher au perfectionnement de « l'art d'être parent ». Il a illustré cette nécessité en évoquant le cas dramatique des décès de « bébés secoués » dans un contexte d'exaspération des parents. Il a enfin commenté le mécanisme du « contrat de responsabilité parentale » qui sera proposé aux familles, notamment en cas d'absentéisme scolaire de l'enfant, en précisant notamment que ce dispositif se fondait, avant tout, sur une approche pragmatique d'accompagnement des familles en difficulté.
Après s'être félicitée des mesures présentées par le ministre en faveur des familles monoparentales, et notamment de la réforme de l'API, Mme Gisèle Gautier, présidente , a interrogé le ministre sur les orientations du Gouvernement en matière de logement social afin de faciliter l'hébergement des enfants au sein des familles monoparentales ou recomposées.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a tout d'abord insisté sur le problème général de la disponibilité des logements sociaux, en rappelant que si seulement 39 000 nouveaux logements sociaux avaient été construits en 2001, l'effort engagé depuis cette date se traduisait aujourd'hui par la construction de 90 000 logements nouveaux chaque année.
S'agissant des besoins de logement d'urgence, le ministre a indiqué que 6 000 familles monoparentales avaient été hébergées dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) en 2005, en précisant que de nombreuses places en CHRS étaient occupées par des familles demandeuses d'asile, en raison de la longueur excessive des procédures de demande d'asile. Il a précisé que le raccourcissement du délai de traitement de ces demandes devrait permettre de libérer un certain nombre de ces places.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a évoqué la possibilité de mettre en place des lieux d'accueil « neutres » pour permettre au père, en cas de conflit familial, d'exercer son droit de visite.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a indiqué que le projet de loi relatif à la réforme de la protection de l'enfance comportait des dispositions destinées à traiter ce problème. Il a regretté qu'actuellement la prévention des conflits familiaux soit insuffisante, faute notamment de cellules de signalement. Il a fait observer que les enfants en grande difficulté étaient actuellement soit laissés dans leur famille, soit placés dans un centre qui n'est pas toujours adapté à leur situation. Il a considéré que le maintien du lien entre les parents et l'enfant nécessitait une diversification du mode d'accueil des enfants. Estimant que la présence d'un tiers qui demeure passif lors de l'entretien entre les parents et l'enfant n'était pas d'une grande utilité, il a fait part de son intention d'instituer de véritables référents disposant d'une formation minimale en psychologie afin d'être en mesure de détecter les moments de tension familiale.
Le ministre a ensuite évoqué l'existence des unités familiales thérapeutiques (UFT) et a indiqué que chaque département serait à l'avenir doté d'une telle unité. Il a en effet rappelé qu'une proportion importante d'enfants nécessitait des soins psychologiques et qu'ils n'avaient pas leur place en établissements relevant de l'aide sociale à l'enfance. Il a précisé que les UFT disposaient d'un référent assurant le rôle de médiateur au cours des entretiens entre les parents et l'enfant. Il a estimé que les établissements accueillant des enfants en grande difficulté devaient être médicalisés afin de leur rendre des services d'ordre médico-psychologique.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est enquise des modalités de prise en charge financière de ces établissements.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a insisté sur le caractère organisationnel de cette réforme, dont le coût devrait par conséquent rester limité, de l'ordre de 50 millions d'euros la première année, puis de 150 millions d'euros par an en « régime de croisière », et a rappelé qu'il avait pris l'engagement d'une compensation intégrale par l'Etat des dépenses supplémentaires incombant à ce titre aux départements.
Mme Hélène Luc a exprimé son accord avec le ministre sur l'intention du Gouvernement d'aider les mères de famille monoparentale en difficulté sociale à retrouver du travail, estimant que l'emploi valorise les femmes. Elle a toutefois insisté sur la nécessité de développer également la formation en direction de ces femmes. Evoquant un reportage télévisé récent, elle a cité le cas d'une femme travaillant comme démonstratrice dans un grand magasin, privée de véritables perspectives professionnelles en raison de la précarité de sa situation. Elle a estimé qu'il était impossible pour les femmes de fonder une famille dans de telles conditions.
Mme Hélène Luc a souligné la difficulté pour les mères élevant seules leurs enfants de trouver un logement et a mis en évidence leur misère affective. Elle s'est également inquiétée des conséquences de l'échec scolaire des enfants vivant au sein d'une famille monoparentale et s'est interrogée sur la façon dont ces mères pouvaient être aidées pour conduire leurs enfants vers la réussite scolaire, le réseau d'aide spécialisée aux enfants en difficulté (RASED) étant doté de moyens insuffisants pour faire face aux besoins en matière d'aide aux devoirs. Après avoir évoqué les difficultés souvent rencontrées par les mères de famille monoparentale en matière d'autorité vis-à-vis des adolescents, elle s'est également enquise de la situation de la trentaine de centres pour adolescents qui existent en France. Enfin, elle a fait part de ses préoccupations au sujet du montant, selon elle trop faible, des bourses de l'enseignement supérieur.
Mme Brigitte Bout , rappelant que des membres de la délégation avaient récemment visité un centre maternel et un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) lors d'un déplacement à Dunkerque, a fait observer que beaucoup de mères accueillies dans ce type de structures n'avaient jamais travaillé et s'est interrogée sur les moyens de les faire accéder au marché du travail.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a notamment évoqué le cas d'une femme de 50 ans résidant dans ce CHRS et qui présentait manifestement des problèmes d'employabilité.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a insisté sur la nécessité d'apporter des réponses individuelles en fonction des situations constatées. Il a insisté sur la large gamme de dispositifs institués par la loi de programmation pour la cohésion sociale, dite « loi Borloo », en particulier le contrat d'avenir ou le contrat d'accès à l'emploi (CAE), qui devraient permettre de couvrir à peu près tous les cas se présentant. Il a également évoqué la possibilité de bénéficier de la validation des acquis de l'expérience.
Mme Brigitte Bout a posé le problème de l'accessibilité des lieux de formation pour les femmes en zone rurale, notamment en l'absence de transports en commun.
Mme Hélène Luc a souhaité savoir si le ministre disposait de statistiques relatives à l'âge des mères de famille monoparentale et aux professions qu'elles exercent et si ces données étaient déclinées au niveau régional.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille , a indiqué qu'il lui transmettrait l'ensemble des études réalisées par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) de son ministère sur le thème des familles monoparentales, même s'il a reconnu que les données chiffrées n'étaient pas toujours actualisées. Il a précisé que sa politique en faveur des parents de famille monoparentale s'inscrivait dans le cadre général de la lutte contre la précarité, mais qu'elle nécessitait également un aménagement des modes de garde afin de rendre ceux-ci plus souples. Il a par exemple évoqué la possibilité d'aménager un logement vide pour permettre à une assistante maternelle d'accueillir des enfants dont la mère travaillerait selon des horaires atypiques. Puis il a abordé la mise en place progressive, en lien avec les centres communaux d'action sociale, des équipes de réussite éducative, dont le rôle est important en matière d'aide aux devoirs. Il a indiqué que le financement des maisons pour adolescents, chargées notamment de la prévention du suicide ou des problèmes d'anorexie, était partagé entre les communes et les caisses d'allocations familiales, l'Etat apportant, le cas échéant, des subventions d'investissement. Enfin, s'agissant des bourses de l'enseignement supérieur, il a indiqué que le Gouvernement attendait, avant d'agir, les conclusions de M. Laurent Wauquiez, député de la Haute-Loire, chargé d'une mission sur ce sujet.