II. NATURA 2000 : UN RÉTABLISSEMENT DE DERNIÈRE MINUTE
Le contentieux relatif à Natura 2000 recouvre deux dossiers distincts :
- l'application de la directive 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite « directive oiseaux » , la France devant désigner à la Commission des « zones de protection spéciale » (ZPS) ;
- l'application de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite « directive habitats » 13 ( * ) , la France devant transmettre à la Commission des « propositions de sites d'intérêt communautaire » (PSIC).
Comme le montre le tableau récapitulant l'ensemble des affaires pendantes au titre de l'article 228 CE (annexe 2), la France a été condamnée par la Cour de justice sur ces deux aspects :
- par son arrêt du 11 septembre 2001 14 ( * ) , la Cour de justice a condamné la France pour manquement à l'article 4 de la directive « habitats » , en raison de l'insuffisance des propositions de sites d'importance communautaire transmises à la Commission et d'informations relatives à ces sites dans le délai prescrit par cette directive.
L'article 4 de la directive « habitats » L'article 4 de la directive 92/43/CE établit le processus de constitution du réseau. Il comprend trois étapes: - la première est nationale . Elle devait s'achever en juin 1995. Les Etats membres, sur la base des critères scientifiques précisés à l'annexe III de la directive, devaient proposer à la Commission une liste de sites susceptibles d'être reconnus d'importance communautaire (pSIC). Ces propositions sont faites en fonction de la représentation sur leur territoire des habitats naturels et des espèces d'intérêt communautaire qu'ils abritent ; - la seconde est communautaire . Elle devait permettre à la Commission, en accord avec chaque Etat membre, d'arrêter la liste des sites d'importance communautaire (SIC) à partir des propositions transmises. Elle s'achevait en juin 1998 ; - la troisième est à nouveau nationale . Elle prévoit que les Etats membres désignent les sites reconnus d'importance communautaire comme zones spéciales de conservation à la Commission. Elle devait s'achever en juin 2004. En application de l'article 1 er de la directive précitée, on entend par « site d'importance communautaire » un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d'habitat naturel ou une espèce (précisés dans les annexes à la directive) dans un Etat de conservation favorable et qui peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de « Natura 2000 », et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions biogéographiques concernées. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les sites d'importance communautaire correspondent aux lieux, au sein de l'aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Source : ministère de l'écologie et du développement durable et arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes |
- par son arrêt du 26 novembre 2002 15 ( * ) , la Cour de justice a condamné la France, sur le fondement de l'article 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, telle que modifiée par la directive 97/49/CE de la Commission, du 29 juillet 1997, pour insuffisance de classement en zones de protection spéciale des territoires les plus appropriés à la conservation des espèces d'oiseaux sauvages ainsi que des espèces migratrices et, en particulier, pour ne pas avoir classé une superficie suffisante de la Plaine des Maures en zone de protection spéciale.
L'article 4 de la directive « oiseaux » Les dispositions de l'article 4, paragraphes 1, 2 et 4, de la directive 79/409/CEE sont les suivantes : « 1. Les espèces mentionnées à l'annexe I font l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. « A cet égard, il est tenu compte: « a) des espèces menacées de disparition; « b) des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats; « c) des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte; « d) d'autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat. « Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population. « Les Etats membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive. « 2. Les Etats membres prennent des mesures similaires à l'égard des espèces migratrices non visées à l'annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d'application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d'hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. À cette fin, les Etats membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d'importance internationale. [...] « 4. Les Etats membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu'elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les Etats membres s'efforcent également d'éviter la pollution ou la détérioration des habitats ». |
De nombreux échanges, relatés de manière précise dans le tableau figurant à l'annexe n° 2 au présent rapport, ont eu lieu entre la Commission et les autorités françaises à compter de ses arrêts, débouchant finalement sur l'envoi de lettres de mise en demeure puis, le 9 juillet 2004, d'avis motivés au titre de ces deux affaires.
Un compromis a été trouvé entre la Commission et la France, celle-ci prenant l'engagement d'achever, avant le 30 avril 2006, la désignation des sites au titre des directives « oiseaux » et « habitats ».
Le rapport de la mission d'audit de modernisation sur Natura 2000 remis en janvier 2006 16 ( * ) soulignait les enjeux de ce dossier, la nécessité d'un pilotage serré et du renforcement de la coordination interministérielle :
« - la désignation des derniers sites du réseau, au nombre d'environ 300 , pour le 30 avril 2006, est le point le plus urgent. La désignation doit être précédée d'une validation scientifique solide, et d'une consultation des collectivités faite par les préfets. Les actions à mener sont connues et engagées, et les moyens existent, à défaut d'être tous en ordre de marche. La mission estime que le pilotage inter-organismes de cette opération à haut risque et sur un délai aussi court doit être sécurisé. Elle préconise la mise en place sans délai, sur instruction ministérielle donnée à tous les responsables concernés, d'une structure temporaire de pilotage de crise réunissant les personnes ayant autorité sur les différents services ou organismes concernés, pour conduire cette opération de quelques mois. En particulier, l'organisation et le pilotage interne de l'expertise des sites par le Muséum national d'histoire naturelle, doivent être définis de toute urgence par le directeur général du Muséum, sur instruction du ministère de l'écologie et du développement durable confirmant la priorité de cette expertise.
« - le dispositif de conditionnalité des aides à la production agricole , qui va entrer en vigueur au 1 er janvier 2006, est très important. La mission préconise de tirer dès maintenant les enseignements de la comparaison internationale qui est engagée sur les dispositifs de conditionnalité. Elle recommande également de développer rapidement l'intégration cartographique des données sur les habitats et espèces dans le registre parcellaire graphique (de toute façon nécessaire à terme rapproché).
« - la mise en place des moyens budgétaires nécessaires à la mise en oeuvre des mesures de conservation : ces besoins sont estimés actuellement à environ 300 millions d'euros par an en régime permanent après 2010, à répartir entre les financements européens et nationaux [...]. L'examen effectué par la mission avec les deux ministères concernés la conduit à préconiser :
«
•
de mettre en place un tableau de
bord prévisionnel des moyens nécessaires, en fonction des
documents d'objectifs validés, pour conduire avec une visibilité
suffisante la phase de montée en charge, d'ici à
2010
;
«
•
de réserver sur l'axe 2 du
fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) (et
sur les cofinancements nationaux, sur le budget du ministère de
l'agriculture et de la pêche pour les sites agricoles) les fonds
nécessaires, année par année : cela semble
compatible, pour le FEADER, avec les enveloppes prévisionnelles et les
autres besoins éligibles, mais nécessite un pilotage technique
attentif et option politique affirmée pour préserver ces
financements
;
«
•
de mettre en place sur le budget du
ministère de l'écologie et du développement durable les
financements nationaux pour les sites non agricoles, en contrepartie des
financements du FEADER. A terme, une décentralisation de cette
compétence (et des moyens budgétaires correspondants, via la
dotation globale de fonctionnement ou la taxe départementale sur les
espaces naturels sensibles) pourrait être proposée au
Parlement.
« - l'évaluation de l'Etat des habitats et espèces en 2007 est une opération à fort enjeu écologique et socio-économique pour l'avenir. La mission préconise la mise en place d'un pilotage spécifique pour cette opération, avec une définition claire des responsabilités d'expertise scientifique et l'association des acteurs socioéconomiques à toute l'opération pour faciliter leur intervention ultérieure dans les actions à mener. La qualité de l'évaluation, et son appropriation par les acteurs locaux, déterminent en effet largement les actions qui pourront ou devront être menées ultérieurement.
« De façon plus générale, la mission recommande une coordination interministérielle plus forte, et en particulier la participation effective du ministère de l'agriculture et de la pêche au pilotage de ce dossier dans un dispositif formalisé de management de la qualité. La gestion complexe du dossier de la conditionnalité des aides, à partir d'analyses initiales des deux ministères dont il était normal qu'elles diffèrent, est en effet apparue à la mission comme révélatrice d'une nécessité de renforcer le pilotage commun.
« Par ailleurs, elle recommande qu'une sensibilisation des principaux acteurs des territoires, à commencer par les administrations de l'Etat, soit développée avec détermination, de manière à ce que les projets susceptibles de modifier les équilibres dans les secteurs protégés intègrent en amont les nécessités de la protection ».
Grâce à une très forte mobilisation des différents services de l'Etat, la ministre de l'écologie et du développement a annoncé, le 3 mai 2006, que la France avait pu respecter les engagements contractés auprès de la Commission, précisant que le réseau français de sites Natura 2000 comprenait, au 30 avril 2006 :
- 1.307 sites d'intérêt communautaire proposés, soit 4.887.272 hectares, au titre de la directive « habitats » ;
- 367 zones de protection spéciale (ZPS), représentant 4.477.962 hectares, au titre de la directive « oiseaux ».
Au total, d'après les données du ministère de l'écologie et du développement durable, le réseau des sites Natura 2000 couvre aujourd'hui 6.496.917 hectares (hors milieux marins), soit 11,83 % du territoire métropolitain
L'effort important réalisé au cours des derniers mois a donc permis à la France de respecter ses engagements et devrait, par conséquent, entraîner la clôture des contentieux au titre de Natura 2000.
Ce dossier révèle toutefois les enjeux qui se posent dans la gestion des dossiers environnementaux et nécessite également un suivi très serré dans les années à venir, compte tenu, notamment, des enjeux budgétaires et de coopération administrative : la mobilisation ne doit pas retomber, elle doit être maintenue et étendue aux autres dossiers difficiles.
Le tableau qui suit retrace les préconisations de la mission d'audit et de modernisation pour mener à bien, dans la durée, le dossier Natura 2000.
* 13 Pour une vue d'ensemble de la mise en oeuvre de cette directive, on pourra se reporter au rapport d'information n° 23 (2003-2004) de notre collègue Jean-François Le Grand, intitulé : « Réseau Natura 2000 : pour une mise en valeur concertée du territoire ».
* 14 Affaire C-220/99.
* 15 Affaire C-202/01.
* 16 Mission d'audit et de modernisation, Rapport sur Natura 2000 établi par MM. Michel Badré, Daniel Lejeune, François Baratin, Dominique Bidou, Jean-Marie Bourgau et Gérard Cravero (janvier 2006), disponible sur internet à l'adresse suivante :
http://www.performance-publique.gouv.fr/pdf/audit/Rapport-V1-Ecologie-Natura%20_2000-def.pdf