B. LES PROCHAINS THÈMES À ENVISAGER
1. Si le clonage devient réalité...
L'article 21 de la loi du 6 août 2004 interdit formellement le clonage reproductif, qualifié, comme l'eugénisme, de crime contre l'espèce humaine, et prévoit des sanctions pénales lourdes en cas de transgression (trente ans de réclusion criminelle et 7,5 millions d'euros d'amende aux termes de l'article 214-2 du code pénal). Il est toutefois vraisemblable que les progrès qui seront éventuellement réalisés dans ce domaine par des équipes de chercheurs étrangers redonneront au débat sur le clonage une nouvelle actualité, notamment pour ce qui concerne le clonage thérapeutique, c'est à dire le transfert nucléaire, également interdit par la loi de 2004.
Certes, après la révélation de la supercherie du professeur coréen Hwang Woo-Suk, la recherche semble aujourd'hui à nouveau au point mort.
Après avoir déjà réussi le clonage d'une vache en 1999 et d'un lévrier afghan en 2005 , le professeur Hwang Woo-Suk avait en effet annoncé, dans un article publié dans la revue Science en mai 2005, avoir obtenu onze lignées de cellules souches embryonnaires à partir de cellules humaines. Néanmoins, le doute a rapidement plané sur la véracité de cette révélation. L'université de Corée du Sud a chargé un comité d'experts d'étudier les travaux et les expériences du professeur. Rendues publiques le 29 décembre 2005, les conclusions sont sans appel : « Nous avons découvert que Hwang et son équipe n'ont aucune donnée scientifique pour prouver qu'ils ont bien produit des lignées de cellules souches correspondant spécifiquement à l'ADN d'une personne. »
Lors des auditions organisées par votre commission, le professeur Axel Kahn a ainsi indiqué, concernant le clonage thérapeutique, que « depuis la discussion de la loi relative à la bioéthique par le Parlement, les connaissances scientifiques n'ont pas évolué : aucun clone embryonnaire n'a été créé et la recherche demeure très dispendieuse en ovocytes humains . Le professeur Hwang Woo-Suk a ainsi prélevé plus de 2.000 ovocytes sur une centaine de femmes, en faisant parfois usage de pressions pour mener à bien ses recherches . (...) Les études britanniques n'ont pas encore abouti. C'est également le cas en Chine et aux Etats-Unis. Les embryons qui ont été créés ont tous dégénéré. En outre, ces recherches posent le problème de l'utilisation massive d'ovocytes. Par ailleurs, aucune expérience de clonage n'a encore fonctionné sur un primate.
« La fraude du professeur Hwang Woo-Suk n'élimine pas le problème essentiel posé par le clonage : celui du nombre très élevé d'ovocytes nécessaires pour aboutir à un résultat, et la nécessaire protection des femmes donneuses qui doit en découler. » 12 ( * )
Si la création de clones humains viables et utilisés à des fins thérapeutiques devait devenir réalité, il ne pourra être fait l'économie d'une réflexion sur cette question en France, mais aussi au niveau international.
A cet égard, votre commission estime que la législation internationale dans le domaine de la bioéthique devra être renforcée . Elle trouve regrettable que la France, qui n'a toujours pas ratifié la convention d'Oviedo, ne soit pas le moteur d'une réflexion en ce sens.
2. Des évolutions souhaitables dans le domaine de l'embryologie et de la procréation
a) Confirmer l'autorisation de recherche sur l'embryon ?
L'autorisation des recherches sur l'embryon suscite aujourd'hui de nombreux espoirs. Elle devrait en effet permettre d'améliorer les thérapies pour cet âge de la vie, qui reste jusqu'à présent le seul à ne pas être étudié, mais elle constitue également un atout pour la recherche fondamentale, notamment génétique 13 ( * ) , et une promesse thérapeutique pour les années à venir. Les cellules souches embryonnaires peuvent en effet être multipliées facilement en culture et la maîtrise de leur différenciation a fait de réels progrès.
Face à ce constat, votre rapporteur fait sienne la réflexion du professeur Axel Kahn : « La loi du 6 août 2004 n'est pas adaptée à la réalité de la recherche. En effet, la fixation d'un moratoire de cinq ans à l'interdiction des recherches sur l'embryon ne constitue pas une durée suffisante pour obtenir des résultats probants . En outre, il est difficile d'établir une séparation stricte entre la recherche fondamentale sur la différenciation des cellules et la recherche thérapeutique. » 14 ( * )
Il souhaite donc que la troisième loi de bioéthique autorise officiellement, en continuant à les encadrer comme elles le sont aujourd'hui, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, et ce même si les résultats obtenus à l'issue du moratoire ne sont pas encore probants.
Cette autorisation devra s'accompagner d'une définition plus précise de l'embryon qui, rappelons-le, n'a pas de véritable statut juridique en France, mais aussi de l'inscription dans le Code civil de la notion de « pré-embryon » , plus appropriée pour qualifier embryons surnuméraires dont seront dérivées les lignées de cellules embryonnaires. De cette façon, la recherche pourrait être interdite sur le seul embryon, c'est-à-dire passé le stade de l'implantation.
Considéré en droit civil, comme une « personne conditionnelle », c'est-à-dire susceptible de bénéficier d'une protection juridique proche de celle reconnue aux individus, à condition de naître vivant et viable, la dimension biologique de l'embryon a été prise en compte par la loi Veil de 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse et par les lois de bioéthique de 1994. Dans le débat actuel, il n'est perçu ni comme une personne ni comme une chose, puisque les atteintes à l'embryon sont tolérées uniquement dans l'intérêt médical d'autrui, mais comme un être vivant que le droit pourrait consacrer comme « personne humaine potentielle » . Se pose alors la question de la condition juridique des embryons surnuméraires qui ne feront pas tous l'objet d'un projet parental, et qui ne peuvent donc pas être considérés comme des êtres humains en devenir. Au stade préimplantatoire, ils pourraient donc être définis comme des pré-embryons.
La séparation sémantique entre les deux termes existe déjà dans de nombreux pays, notamment en Grande-Bretagne. Pour Etienne-Emile Beaulieu, professeur honoraire au Collège de France, l'Académie des Sciences devrait définir l'embryon comme celui qui est définitivement unique. Or, le pré-embryon n'a, s'il est implanté, qu'une chance sur dix de devenir un embryon et seulement une chance sur deux de donner une lignée cellulaire pour la recherche.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires ne devra toutefois pas se faire au détriment de celle sur les cellules souches adultes , dont la compatibilité immunologique est parfaite et le risque de transformation maligne bien moindre. Les essais cliniques menés jusqu'à présent sont encourageants, notamment ceux portant sur les maladies du coeur et du foie, même si l'utilisation des cellules souches adultes à des fins thérapeutiques n'est pas exempte de difficultés, dans la mesure où leur plasticité est inférieure à celle des cellules souches embryonnaires. De fait, ces recherches ne devraient pas donner de résultats probants avant au moins deux ans.
b) Relancer le débat sur l'autorisation de l'implantation post mortem et du double don de gamètes ?
Votre rapporteur souhaite également que la prochaine révision de la législation sur la bioéthique soit l'occasion de poser la question de l'implantation post mortem d'embryons pour permettre à une femme dont le conjoint est décédé de porter son enfant.
Dans le droit actuel, cette faculté n'est pas ouverte. Aux termes de l'article 24 de la loi du 6 août 2004, « font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en oeuvre l'assistance médicale à la procréation. »
Le transfert post mortem d'embryon, s'il était autorisé à l'avenir, devra intervenir après un examen médical et psychologique approfondi de la future mère, afin de s'assurer que l'enfant naîtra dans un climat favorable à son épanouissement, et s'accompagner ensuite d'un suivi prolongé.
Par ailleurs, votre rapporteur est favorable à ce que soit étudiée l'éventuelle autorisation du double don de gamètes pour les couples dont les deux membres sont atteints d'une maladie pouvant être transmise à l'enfant.
A l'heure actuelle, celui-ci est interdit par le même article 24 qui dispose que l'embryon « ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple ». Or, cette restriction peut sembler singulière dès lors que la possibilité existe déjà pour un couple d'accueillir un embryon surnuméraire issu d'une autre union, donc dénué de tout lien biologique avec les parents bénéficiaires du don 15 ( * ) .
Enfin, il souhaite qu'une réflexion intervienne dans le domaine du statut du foetus , notamment pour permettre aux parents qui le souhaitent d'offrir une sépulture à leur foetus après un avortement médical.
3. Poursuivre le développement des activités de prélèvement et de greffe
Enfin, la prochaine loi de bioéthique devra poursuivre les efforts entrepris depuis 1994 en matière d'incitation au don d'organes et de développement de l'activité de greffe.
En France, 8.000 malades sont aujourd'hui en attente d'une greffe , dont 6.000 pour un rein. Le « plan greffe 2000-2003 » a permis de passer de quinze à vingt-deux greffes par million d'habitants, ce qui place aujourd'hui la France en deuxième position derrière l'Espagne. 4.228 greffes ont été réalisées en 2005 contre seulement 2.800 en 1995, dont 2.500 greffes de reins (1.600 en 1995), 1.024 greffes de foie (environ 600 en 1995), 339 greffes de coeur, qui demeurent stables, et 205 greffes de poumons (92 en 1995), soit autant que de nouvelles inscriptions en liste d'attente pour cet organe. Les résultats sont également très satisfaisants en matière de greffes de sang de cordon.
Cette progression devrait se confirmer dans les années à venir grâce à la mise en place de l'ABM. Des progrès restent toutefois à accomplir, notamment en matière de prélèvement post mortem sur donneur en état de « coeur non battant » , qui demeure peu fréquent en France. Or, ce type de prélèvement peut être considéré comme moins délicat à opérer qu'un prélèvement sur donneur vivant, en raison des pressions éventuelles que l'entourage pourrait exercer sur le donneur potentiel.
Le prélèvement d'organes relève, en effet, de trois techniques: le prélèvement sur des personnes en état de mort cérébrale, largement majoritaire en France ; le prélèvement sur donneurs vivants, qui représente seulement 6 % du total alors qu'il constitue 50 % des greffes en Norvège ; enfin, le prélèvement en état de « coeur non battant ».
La France a longtemps été le seul pays à interdire les prélèvements sur « coeur non battant », alors qu'ils représentent jusqu'à la moitié des greffes en Espagne, en Grande-Bretagne ou aux Pays Bas. Désormais, neuf sites pilotes sont aujourd'hui conventionnés pour permettre le développement de cette activité.
Il conviendra pour ce faire de renforcer les moyens des équipes de greffe, idéalement par la mise en place d'un second « plan greffe ». Le « plan greffe 2000-2003 » avait en effet permis la création, pour cette activité, de 140 emplois équivalent-temps plein dans les hôpitaux.
* 12 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cf. intervention d'Axel Kahn, p. 36, 40 et 41.
* 13 La fonction d'un tiers des gènes est encore inconnue selon Jacques Hatzfeld, directeur de recherche au laboratoire du CNRS de Villejuif.
* 14 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, p. 36.
* 15 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cf. intervention de Marie-Hélène Mouneyrat, p. 38.