C. PRENDRE LA VRAIE MESURE DU SURENDETTEMENT
Le surendettement des ménages offre souvent un argument fort pour justifier le sous-développement observé en France dans l'octroi de crédits aux particuliers. Il est invoqué pour mettre en garde contre l' assouplissement ou pour légitimer la prudence des pratiques bancaires .
En tant que principe de précaution , la prévention du surendettement justifierait donc l'ensemble des mesures législatives et réglementaires, ainsi qu'en jurisprudence attentive, ce qui fait obstacle à une plus grande dynamique du crédit .
A cet égard, le récent rapport d'enquête de l'Inspection générale des Finances et de l'Inspection générale des Services judiciaires pose la bonne question et mérite d'être cité :
« En France, depuis la fin des années 1980, les politiques publiques en matière de crédit aux ménages ont été surtout marquées par la lutte contre le surendettement qui a fait l'objet de textes législatifs successifs. Il n'est donc pas anormal d'y trouver des taux de sinistres extrêmement bas.
Les consultations auxquelles a procédé la mission montrent que la priorité collective est bien une politique très prudente d'octroi de crédits immobiliers, afin d'éviter au maximum les sinistres, considérés comme d'autant plus graves qu'ils mettent en cause le logement lui-même. La plupart des interlocuteurs de la mission (établissements de crédit, consommateurs, administrations, magistrats, spécialistes de l'immobilier...) se rejoignent pour donner la priorité à la prévention du surendettement, quitte à écarter de l'accession à la propriété des catégories marginalement plus risquées.
On ne peut que relever ici une contradiction significative entre ce consensus social et l'objectif de la présente mission : une hypothèque plus accessible ne contribuera vraiment à développer le crédit que si l'on admet... qu'elle puisse être mise en jeu plus souvent. »
Comme dans d'autres domaines, il reste qu'un arbitrage doit être effectué entre un principe d'extrême précaution aux effets inhibants et un principe de précaution raisonnable qui vise à éviter les excès et les situations irréversibles.
Idéalement, le choix devrait être orienté par un bilan coûts-avantages rigoureux qui mette en balance le coût social et économique associé à l'exclusion du crédit d'un côté, et les coûts résultant des situations de surendettement .
Celles-ci sont évidemment douloureuses d'autant qu'elles surviennent très fréquemment en frappant des individus dont la situation est difficile sur d'autres plans.
Cependant, les coûts individuels, sociaux et économiques du non-accès au crédit, qui sont invisibles, ne doivent pas être sous-estimés pour autant :
les pertes de croissance qui lui sont liées ont un impact sur la situation sociale (en particulier, sur l'emploi) ;
le bien-être individuel des « refusés du crédit » en est altéré ;
une réelle injustice distributive s'ensuit pour ceux dont les dépôts, non rémunérés, alimentent des crédits peu coûteux dont ils n'ont pas le bénéfice.
A la considération de ces coûts, il faut ajouter une attention à l'importance du risque de surendettement afin de juger si l'aversion qu'il suscite est, ou non, correctement fondée.
Du côté des bilans bancaires quelques données peuvent être mentionnées.
Ces dernières années, les encours de créances douteuses ont augmenté, mais, s'agissant des crédits aux ménages, nettement moins que les encours de crédit si bien qu'en proportion de ceux-ci, les créances douteuses ont très sensiblement diminué.
ENCOURS DE CRÉANCES DOUTEUSES/ENCOURS DE CRÉDITS BRUTS
Source : Banque de France |
La rentabilité financière des grandes banques des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Espagne (pays où les encours de crédit aux ménages ont été particulièrement dynamiques et atteignent des niveaux beaucoup plus élevés qu'en France) ne semble par pâtir de cette situation.
RENTABILITÉ FINANCIÈRE DES GRANDES
BANQUES INTERNATIONALES
Sources : Commission bancaire, Bankscope, BNP Paribas |
Les banques allemandes font exception par l'orientation de leur rentabilité et il faut rappeler que l'Allemagne est le pays du panel où la distribution de crédit aux ménages est la plus atone.
Du côté des ménages, si individuellement, le surendettement est douloureux, il faut souligner qu'il concerne environ 600.000 personnes. Ce chiffre peut paraître élevé en soi. Mais, il convient de le relativiser.
D'un point de vue quantitatif , le surendettement ne touche que de l'ordre de 3 à 4 % des personnes endettées et, notre pays comptant une minorité de ménages endettés, à peu près 1,5 % seulement de l'ensemble des ménages. Ces données sont en totale cohérence avec le constat que la France connaît un taux de défaut bancaire particulièrement faible, en lien avec une forte sélection du crédit.
En outre, plus qualitativement , l'origine des cas de surendettement , et son évolution indique que celui-ci est très majoritairement inévitable , et, par conséquent, qu'il n'est pas à mettre au compte de pratiques dispendieuses , ni des banques ni des ménages.
Les experts de ce dossier distinguent entre le surendettement actif qui résulte d'une « sur-allocation » du crédit et le surendettement passif qui provient « d' accidents de la vie », essentiellement peu prévisibles.
On observe que la première catégorie est en forte régression depuis 1990 et que les 2/3 des cas de surendettement résultent d'événements essentiellement aléatoires.
CAUSES PRINCIPALES DU SURENDETTEMENT EN
1990
(en pourcentage) - Base déclarative
Origine du surendettement |
Part dans l'ensemble des dossiers
|
||
ACTIF |
Excès d'endettement
|
48 |
|
PASSIF |
Chômage Maladie Séparation ou décès Suppression ou diminution des prestations sociales (dont APL) Autres |
24 4 9
2
13 |
52 |
TOTAL |
100 |
ORIGINE DU SURENDETTEMENT EN 2001
(en
pourcentage)
Origine du surendettement |
Part dans l'ensemble des dossiers
|
||
ACTIF |
Trop de crédits Mauvaise gestion Autres Logement trop onéreux Excès de charges |
19,39 7,75 4,04 3,07 2,18 |
36,43 |
PASSIF |
Licenciement / chômage Séparation / divorce Maladie / accident Baisse des ressources Autres Décès |
26,50 15,54 9,13 6,85 3,08 2,47 |
63,57 |
TOTAL |
100 |
De ces variations qualitatives, on peut tirer l'observation qu'une dispensation inconsidérée de crédits n'est que de plus en plus rarement en cause dans les situations de surendettement.
De fait, seul 1 % des ménages endettés peut être considéré en situation d'endettement de ce fait (0,5 % de l'ensemble des ménages français) . Encore faut-il relever qu'en ce cas, le surendettement concerne l'ensemble des dettes des ménages et pas uniquement leurs dettes bancaires.