B. PROBLÈMES DE SOCIETE
1. Les migrations : la politique de co-développement comme mesure positive de régulation des flux migratoires
M. Rudy Salles , au nom de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, a présenté un rapport sur la politique de co-développement.
Afin de lutter contre l'immigration illégale et de mieux maîtriser les flux migratoires, le rapport préconise la mise en place d'un partenariat actif entre les pays d'origine des migrants et les pays d'accueil, sous la forme d'aide au développement, d'assistance à des projets économiques, de programmes de formation et de réinsertion sociale.
Il a ainsi déclaré :
« L'Europe est confrontée au défi majeur de la coopération avec les pays en développement. Avec plus de 20 millions de migrants venant de pays en développement, notre démarche a consisté à associer une politique de développement équitable, destinée à éradiquer la pauvreté, à une politique migratoire claire et pensée de manière globale ; il s'agit désormais de ne plus opposer les uns aux autres, les populations d'accueil et les populations accueillies, mais, face aux enjeux majeurs qui sont devant nous, d'unir tous ceux qui peuvent apporter leur savoir, leur expertise pour mettre en oeuvre des solutions durables aux problèmes du sous-développement.
La politique de co-développement est apparue comme un moyen de faire des migrants des acteurs actifs du développement, qui renforcent la coopération entre les sociétés d'origine et les sociétés d'accueil. Une telle politique comporte plusieurs éléments.
Il faut d'abord une assistance pour élaborer un projet économique, des programmes de formation et/ou, de réinsertion sociale, ainsi qu'une aide financière pour déclencher l'aide au développement existante, les mécanismes de coopération, l'accès aux institutions de crédit, etc ...
Elle doit ensuite être appuyée sur un partenariat actif entre les autorités du pays d'accueil et celles du pays d'origine, notamment par la signature d'accords de co-développement ou de contrats de réinsertion avec des associations de migrants et des entreprises installées dans le pays d'origine.
Elle doit enfin permettre d'aider les pays d'origine à progresser vers des régimes politiques démocratiques respectant les principes fondateurs du Conseil de l'Europe.
Ce type de politique comporte des avantages, en premier lieu pour le pays d'accueil puisque cela permet de stabiliser et de gérer les flux migratoires, de diriger l'aide au service du développement en permettant aux populations locales de participer à des projets économiques.
Elle en a également pour le pays d'origine puisque cela génère des richesses et crée des emplois en renforçant les capacités de production, les infrastructures et la portée de l'action des organes locaux.
Les politiques de co-développement mettent en avant la responsabilité qu'ont les pays d'origine de lutter contre l'immigration illégale en se servant des ressources financières qu'ils reçoivent afin de créer des emplois meilleurs pour leurs citoyens.
Les collectivités locales, comme les diasporas et les migrants eux-mêmes, jouent un rôle primordial dans la mise en oeuvre des projets de co-développement : les collectivités locales, notamment pour faciliter les transferts de fonds et offrir aux migrants des conditions favorables à leurs projets d'investissement et de retour dans leurs pays d'origine ; les migrants : en ce qu'ils participent à l'essor des sociétés d'origine par le biais d'investissements et de transferts de fonds, mais aussi par leurs compétences, leurs activités de chef d'entreprise.
Il convient également de noter le rôle important des femmes. En effet les politiques de co-développement peuvent responsabiliser les femmes en favorisant leur indépendance financière et en leur permettant d'exercer réellement leurs droits. Les migrantes peuvent utiliser les compétences acquises pour provoquer un changement et une évolution dans les pays d'origine.
Vous le voyez, mes chers collègues, les propositions que nous formulons à l'issue de cette réflexion, viennent bouleverser le rapport Nord-Sud tel qu'il existe depuis très longtemps avec les riches au Nord et les pauvres au Sud, les uns devant payer et les autres encaisser. Si ce système avait fonctionné normalement, nous aurions dû enregistrer des résultats formidables et nous ne devrions plus parler de ce problème aujourd'hui. Or, force est de constater que les problèmes dont nous parlons ne sont pas derrière nous mais devant. Et si les anciennes formules fondées sur la nécessaire solidarité qui doit exister entre les peuples nantis et ceux qui connaissent la pauvreté ne fonctionnent pas comme nous aurions pu le souhaiter, alors il faut inventer d'autres systèmes qui puissent déboucher sur des progrès en la matière.
C'est exactement ce que nous avons voulu proposer dans cette réflexion en affichant une volonté nouvelle de développer une coopération renforcée grâce à un partenariat plus grand entre tous les acteurs. La migration est souvent jugée comme un phénomène à la charge du pays d'accueil et souvent aussi avec une forte connotation péjorative. Pourtant chacun sait bien que l'écart de développement entre le Nord et le Sud est un appel à la migration et ce, quelles que soient les politiques internes des pays d'accueil. D'ailleurs, malgré le renforcement des législations pour contrôler l'immigration dans les pays du nord, chacun peut constater que celle-ci se poursuit et souvent de la manière la plus dangereuse ; je veux parler de l'immigration clandestine.
C'est pourquoi, nous proposons l'utilisation de la migration comme facteur de développement en faisant des migrants des acteurs privilégiés d'une telle politique. Cette proposition n'est évidemment pas exclusive et elle devra être conjuguée à d'autres initiatives existantes ou à inventer, mais elle devra être mise en place dans l'intérêt de la coopération.
Je vois aussi un autre avantage dans cette proposition : elle permettrait de changer la perception de nos opinions publiques à l'égard des migrants qui sont souvent rejetés. Cela se traduit d'ailleurs souvent par la montée de mouvements populistes et extrêmes en Europe.
En essayant un nouveau type de relation avec les migrants nous oeuvrerons en faveur non seulement de la coopération mais aussi de la démocratie. Je crois que nous ne devons négliger aucune piste pour atteindre ces objectifs essentiels. »
M. Jean-Pierre Kucheida a apporté son soutien à cette politique tout en relevant ses limites et a appelé au développement du commerce équitable.
« D'abord, je tiens à féliciter M. Salles pour la qualité de son rapport. Les pays d'Europe sont confrontés aux problèmes de l'immigration, notamment clandestine. Pas de semaine où l'on ne nous parle de reconduites aux frontières ou de décès d'immigrés clandestins lors de leur tentative de franchissement de la Méditerranée. On a pu le voir encore il y a quelques jours.
Que cherchent ces personnes ? Tout simplement du travail, un pays où vivre décemment, un pays où elles ne seront pas persécutées. Or, nos pays, subissant la mondialisation et les délocalisations de plein fouet sont déjà en proie au chômage et aux problèmes sociaux. Dans ces conditions, il leur faut trouver des solutions pour limiter les venues des nouveaux immigrés.
Le co-développement en est une. Ses principaux objectifs sont louables et les résultats des premières expériences concluantes. Il est vrai que l'originalité de cette politique tient dans le fait que les migrants deviennent les acteurs conscients du développement de leur pays d'origine. Mais cette solution pose aussi de nombreux problèmes.
Les personnes, dont les pays d'origine ont le plus grand besoin dans le domaine de la santé et de l'éducation, par exemple, voudront-elles repartir dans leur pays où les niveaux de vie sont bien moins élevés ? Est-il réaliste d'imaginer maîtriser et organiser les flux migratoires ? En fait, ce système peut se trouver à l'origine de la fixation de contingents de migrants temporaires, principe qui peut déboucher sur «l'immigration zéro». Le retour au pays de personnes diplômées dans le pays d'accueil ne va-t-il pas créer des inégalités avec celles qui ont été formées sur place ? Le système ne va-t-il pas créer de nouvelles castes, de nouvelles inégalités ? Comment contrôler le bon usage des flux financiers ?
Nous devrions avant tout étudier les causes de la venue d'un aussi grand nombre d'immigrés. Ces personnes ne viennent-elles pas chez nous tout simplement parce qu'elles ne peuvent vivre chez elles de ce qu'elles produisent ? En effet, nos pays achètent les produits de leur pays à des prix dérisoires. Jamais les pays dits «développés» n'ont été aussi riches ! Et pourtant jamais leurs sociétés n'ont été aussi inégalitaires ! Cela se retrouve dans les rapports Nord-Sud. Voilà une des sources du problème.
Le co-développement n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il ne faut pas que les pays développés laissent tomber les pays dont sont originaires les migrants. Surtout, il est urgentissime de développer en parallèle, à grande échelle, le commerce équitable et le développement économique et environnemental durable afin que ces pays puissent se développer librement, selon leurs aspirations et leurs cultures de base. »
A l'issue du débat, M. Rudy Salles a repris la parole pour répondre aux orateurs :
« Je répondrai d'abord aux orateurs qui ont évoqué les problèmes de Ceuta et de Melilla. Nous y sommes naturellement très attentifs et unanimes pour reconnaître les difficultés.
En revanche, il est un point que je comprends mal dans ces interventions. Nous travaillons sur ce rapport depuis plus d'un an. Il a été longuement débattu en commission des migrations et adopté à l'unanimité. Aucun amendement n'a été déposé. Je veux bien que certains considèrent que ce texte ne convient pas, mais tous les moyens de l'améliorer existaient. La commission des migrations, où tous les groupes sont représentés, a voté unanimement en faveur de ce rapport. Il existe donc un décalage entre sa position et ce que nous avons perçu pendant les travaux, qui ont d'ailleurs été très longs et durant lesquels nous avons pu largement consulter, ce qui était en effet tout à fait nécessaire.
Quant à la lutte contre les réseaux clandestins et mafieux est une priorité sur laquelle tout le monde ne peut que s'accorder. Mais il est certain que ce rapport n'est pas exhaustif. Et qu'il ne peut donc pas aborder tous les sujets. Il y est uniquement question d'initier une nouvelle formule : celle du codéveloppement qui ne saurait être surtout une mesure exclusive, loin de là. Comme l'observait très justement M. Kucheida, les États ne doivent pas dire : voilà quelque chose de nouveau, nous allons abandonner ce qui existait auparavant. Sachant que l'écart se creuse entre les pays riches et les pays en développement, il convient de cumuler les mesures à même de faire reculer cette disparité.
Dans cette perspective, le codéveloppement est une des mesures utiles. Il repose sur l'idée que les migrants doivent pouvoir devenir des acteurs du développement de leur pays d'origine, parce qu'ils ont l'expertise, parce qu'ils ont les attaches, parce qu'ils ont la fibre et parce qu'ils sont aujourd'hui trop entravés pour y parvenir. Il est vrai que cette orientation pose d'autres questions, notamment celles de savoir comment réussir dans le domaine de la santé et dans celui de l'éducation. Peut-être pas ou peut-être pas tout de suite ? En tout cas, si nous pouvions impulser un mouvement pour que le codéveloppement s'installe, fasse peu à peu des adeptes et permette d'avancer, nous ne pourrions que nous en féliciter.
Naturellement, le texte n'est pas parfait, il devra faire l'objet de nouvelles réflexions, mais il s'agit d'une première pierre qui permettra au Conseil de l'Europe de montrer que face à un problème aussi important, nous ne pouvons nous satisfaire de ce qui existe. Nous lançons un appel à toutes les solidarités et à toutes les responsabilités. Les responsabilités, on les trouve au coin de la rue, pas uniquement au niveau des États ou des responsables, mais parfois on les trouve au niveau des responsables locaux. De nombreuses coopérations sont lancées par des municipalités et par les acteurs au quotidien, au sein des associations et parmi les populations d'origine immigrée, devenues parfois la deuxième ou la troisième génération mais elles ont une fibre et une expertise irremplaçables.
Tel est l'objet de ce rapport. Il s'agit d'un petit pas en avant, parmi beaucoup d'autres, mais je le crois non négligeable. »
Une demande défendue par Mme Lydie Err au nom du groupe socialiste, visant au renvoi en commission, ayant échoué, l'Assemblée a adopté la Résolution° 1462 qui invite les États membres à encourager le développement de politiques de co-développement, plusieurs mesures concrètes sont suggérées pour la mise en oeuvre d'une telle politique.
1. L'Europe compte aujourd'hui plus de 20 millions de résidents étrangers. La plupart de ces migrants viennent de pays en développement et apportent des contributions précieuses tant aux sociétés d'accueil qu'aux sociétés d'origine. 2. Les migrants participent à l'essor de ces dernières par le biais d'investissements et de transferts de fonds, mais aussi par leurs compétences, leurs activités de chef d'entreprise, ainsi que par leur soutien à la démocratisation et à la promotion des droits de l'homme. Cet impact positif des migrations sur le développement est reconnu de plus en plus par tous les acteurs de la coopération internationale dans ce domaine. 3. L'Assemblée parlementaire est d'avis que l'interaction entre les migrations et le développement pourrait être plus efficace grâce aux politiques de co-développement, autrement dit les migrations facilitent un développement durable et que ce dernier, à son tour, permet une gestion plus satisfaisante des migrations. Le co-développement est appréciable tant pour l'Europe qu'au regard de la coopération Nord-Sud. 4. L'Assemblée est convaincue, en outre, qu'il convient de promouvoir activement, au niveau européen, des politiques de co-développement visant à faire des migrants des acteurs du développement et à renforcer la coopération entre les sociétés d'origine et d'accueil. 5. L'Assemblée fait valoir que les partenariats entre les pays d'origine et d'accueil des migrants sont indispensables au partage des responsabilités quant à la régulation des flux migratoires, dans l'intérêt commun. 6. Elle souligne, en particulier, le rôle des collectivités locales dans le processus de développement, notamment pour faciliter les transferts de fonds et offrir aux migrants des conditions favorables à leurs projets d'investissement et de retour dans leur pays d'origine. 7. Les politiques de co-développement peuvent responsabiliser les femmes en favorisant leur indépendance financière et en leur permettant d'exercer réellement leurs droits. Les migrantes peuvent utiliser les compétences acquises pour provoquer un changement et une évolution dans les pays d'origine. 8. L'Assemblée reconnaît la contribution précieuse des diasporas à leur pays d'origine et appelle les États membres à voir en elles des partenaires privilégiés de leur politique nationale de développement. 9. L'Assemblée se félicite des efforts d'organisations internationales, telles que l'Organisation internationale pour les migrations, l'Union européenne, l'Organisation mondiale du commerce, les Nations Unies et l'Union interparlementaire, afin de promouvoir les activités relatives aux migrations et au développement et de faciliter la coopération entre les pays d'origine et les pays d'accueil. 10. En conséquence, l'Assemblée invite les gouvernements des États membres du Conseil de l'Europe : 10.1 en ce qui concerne les liens entre le développement et les migrations, à : 10.1.1 intégrer la gestion des migrations dans les politiques de développement ; 10.1.2 faire en sorte que les migrants deviennent des agents du développement, en créant à cet effet des conditions adéquates aux niveaux national, régional et international ; 10.1.3 signer des accords bilatéraux et régionaux permettant une gestion ordonnée des migrations ; 10.1.4 aider les pays d'origine à améliorer leurs infrastructures et à établir des conditions plus favorables aux investissements internationaux, s'agissant en particulier des migrants ; 10.1.5 instaurer des liens entre les initiatives locales et les administrations nationales, régionales et internationales compétentes en matière de gestion des migrations et de coopération en vue du co-développement ; 10.2 en ce qui concerne les politiques de co-développement, à : 10.2.1 encourager la participation des migrants à l'élaboration des politiques et projets de co-développement ; 10.2.2 promouvoir un retour des étudiants et migrants répondant aux besoins des pays d'origine et à y intégrer la formation et l'aide nécessaires au réemploi ; 10.2.3 apporter un soutien financier et administratif aux projets de co-développement ; 10.2.4 intensifier la coopération entre autorités concernées, tant dans les pays d'accueil que dans les pays d'origine, pour que les projets de co-développement fassent l'objet d'un suivi et d'une évaluation ; 10.2.5 mettre au point à l'intention des migrants des programmes de formation stimulant, dans les deux sens, les échanges entre les pays d'accueil et les pays d'origine ; 10.2.6 encourager la circulation de l'information et l'établissement de réseaux, y compris une base de données sur les projets de co-développement ; 10.2.7 promouvoir la coopération avec les diasporas et à fournir un appui aux réseaux et organisations de diasporas existants, pour les aider à mettre sur pied leur propre ordre du jour du co-développement ; 10.2.8 faire participer activement les jeunes, les femmes et leurs organisations au processus de co-développement ; 10.2.9 recueillir des informations et données sur les diasporas, ainsi qu'à recenser leurs initiatives, réseaux et associations, mouvements commerciaux et transferts de fonds. 10.3 en ce qui concerne les transferts de fonds, à : 10.3.1 définir des politiques publiques ayant pour but d'accroître l'impact positif des transferts, en y englobant le recours aux compétences, aux connaissances et à la position unique des migrants pour créer de nouvelles possibilités de commerce et d'échanges internationaux ; 10.3.2 encourager les collectivités locales et les banques à faciliter l'affectation de l'épargne des migrants à des projets de développements locaux ; 10.3.3 stimuler l'action des organisations non gouvernementales tendant à promouvoir les projets utilisant les transferts de fonds pour réduire la pauvreté et instaurer un développement durable dans les pays d'origine. 11. L'Assemblée invite également les instances internationales compétentes à procéder à des études sur l'impact micro et macro économique des transferts de fonds et sur les relations entre les migrations et ces transferts.» |