9. Audition de M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom
M. Didier Lombard a tout d'abord rappelé qu'à la nomination de son prédécesseur, M. Thierry Breton, à la présidence de France Télécom, en 2002, l'entreprise traversait une phase critique, faisant face à un endettement qu'elle ne pouvait rembourser. Le plan de sauvetage ambitieux alors mis en place, « France Télécom ambition 2005 », avait permis de redresser la situation de l'entreprise, grâce à 15 milliards d'euros de restructuration de la dette, 15 milliards d'euros d'augmentation de capital, avec la participation de l'Etat, et 15 milliards d'euros d'économies internes, représentant un effort considérable.
Le président de France Télécom s'est félicité que ce plan soit, à la mi-2005, c'est-à-dire six mois avant l'échéance initialement fixée, en voie de réalisation totale, estimant qu'une politique active de remboursement de la dette demeurerait nécessaire pour rapprocher le niveau d'endettement de l'entreprise de celui de ses principaux homologues.
M. Didier Lombard a indiqué qu'à compter de 2002, France Télécom s'était engagée dans une politique active d'aménagement du territoire, qui n'était pas jusque-là une priorité de l'entreprise. Il a précisé qu'en 2003 avait été lancé un plan « Haut débit pour tous », avant que France Télécom ne s'engage, à partir de janvier 2004, dans la signature de chartes « Départements innovants », permettant d'unir les efforts de l'entreprise avec ceux des collectivités territoriales soucieuses de disposer d'infrastructures à haut débit conditionnant leur développement économique.
En matière de couverture du territoire en accès à haut débit, M. Didier Lombard a rappelé que 96 % de la population serait couverte à la fin 2005 et que l'ensemble des points de raccordement du réseau serait équipé d'ici à la fin 2006, permettant d'atteindre une couverture de 98 % de la population. Il a décrit les conséquences de ce déploiement très rapide sur le nombre d'abonnés : alors que la France était mal placée pour le nombre d'abonnés ADSL (asynchronous digital subscriber line) il y a encore quelques années, ce nombre atteignait 6 millions à l'automne 2004 et 7 millions aujourd'hui, en croissance très rapide, classant le taux français de pénétration de cette technologie aux tout premiers rangs européens. Il a rappelé que France Télécom détenait une part de marché, en France, de moins de 50 % en matière d'abonnés ADSL.
M. Didier Lombard a indiqué qu'à compter de septembre 2005, France Télécom mettrait en oeuvre un plan de raccordement en fibre optique, en deux ans, de 2.000 zones d'activité économique (ZAE), au terme d'un dialogue avec les Conseils généraux. Il a fait valoir que les 20 plus grandes villes de France seraient raccordées en « Giga Ethernet », offrant des débits très élevés.
Le président de France Télécom a jugé que l'entreprise devait encore relever nombre de défis et indiqué qu'il livrerait, fin juin, les détails d'un plan visant à fixer les grandes lignes de la période 2005-2008, reposant sur quatre axes.
Le premier axe, a-t-il indiqué, serait la continuité dans le remboursement de la dette, le ratio d'endettement restant élevé dans un contexte de possible consolidation des opérateurs européens. Le deuxième axe serait l'accélération vers le haut débit et la convergence des réseaux (fixe, mobile, Internet). Il a jugé que cette mutation technique profonde s'accompagnerait d'innovations marketing et d'un fort accroissement de l'offre de services aux abonnés, cette nouvelle attitude commerciale s'appuyant, le cas échéant, sur des partenariats avec, notamment, des sociétés éditrices de logiciels. Le troisième axe serait l'organisation interne, les personnels devant être en mesure, grâce à des programmes de formation ambitieux, de relever le défi de l'émergence de nouveaux métiers. Il a enfin précisé qu'une croissance externe prudente et raisonnée serait le quatrième axe de la stratégie France Télécom 2008, pour aller chercher les gisements de croissance là où ils se trouvent : Europe centrale, Moyen-Orient, Asie.
M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom , a enfin jugé que l'opérateur devait s'attacher à améliorer et unifier la relation avec les clients de ses différentes marques : Wanadoo, Orange, France Télécom, ainsi qu'à relever la qualité de service.
Il s'est enfin déclaré confiant dans l'avenir de l'entreprise, les personnels ayant toujours su relever les différents défis de son histoire.
Constatant que le plan ZAE de France Télécom comportait un risque d'éviction de la concurrence sur le marché professionnel, M. Jean François-Poncet , président de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, a souhaité savoir comment l'opérateur historique comptait, en pratique, garantir l'accès des opérateurs alternatifs à ces zones d'activité.
M. Claude Belot , rapporteur au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, s'est tout d'abord félicité du rétablissement de la situation économique et financière de France Télécom. Il a rappelé que les collectivités territoriales, en particulier les départements, étaient de plus en plus nombreuses à s'impliquer dans le domaine des télécommunications, non seulement pour assurer la couverture de leur territoire par l'Internet haut débit, mais aussi pour favoriser une concurrence entre opérateurs, garante d'une diversité d'offres et de tarifs intéressants. Il a mis l'accent, à cet égard, sur les différences de tarifs existant entre les offres proposées dans les zones dégroupées (et donc largement ouvertes à la concurrence), et celles pratiquées dans les zones non dégroupées. S'étant inquiété de la dépense publique occasionnée par la construction de réseaux de télécommunications parallèles à celui de France Télécom, il a regretté que l'opérateur historique se montre réticent à partager ses infrastructures et a appelé à davantage d'équité en la matière.
M. Charles Revet s'est réjoui du redressement de l'entreprise France Télécom, dont son président venait de faire part et s'est également félicité des développements que le président Lombard projetait de donner à France Télécom. Evoquant la convention que la Seine-Maritime avait signée avec le groupe France Télécom, il a insisté sur l'importance d'étendre l'accès à l'ADSL à l'ensemble du territoire. Concernant la téléphonie mobile, il a déploré les coupures fréquentes auxquelles sont encore confrontées certaines zones du territoire. Il s'est interrogé sur les solutions que M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom, était en mesure de proposer pour remédier à cette situation.
Après avoir rappelé que le président du groupe d'études « Poste et Télécommunications », M. Pierre Hérisson, avait dû quitter à regret la réunion, M. Pierre-Yvon Trémel , vice-président du groupe d'études, a posé en son nom trois questions au président de France Télécom : d'abord, il lui a demandé quel était, selon lui, l'avenir de la téléphonie fixe, déjà malmenée par l'explosion de la téléphonie mobile et aujourd'hui bousculée par le développement accéléré de la téléphonie sur Internet ; ensuite, rappelant la récente signature d'un accord d'opérateur mobile virtuel entre Tele 2 et Orange, il a demandé à M. Didier Lombard si la multiplication de tels accords lui paraissait de nature à faire sensiblement évoluer la situation concurrentielle sur le marché de la téléphonie mobile ; il a ensuite souhaité savoir quel bilan le groupe France Télécom était aujourd'hui en mesure de tirer de la mise en oeuvre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, qui les autorise à devenir opérateurs de télécommunications et s'est demandé si la mise en oeuvre de cet article conduisait à évincer France Télécom sur certains marchés.
Il a ensuite posé, à titre personnel, deux questions supplémentaires : évoquant le plan « France Télécom ambition 2005 », il s'est interrogé sur le déroulement de son volet « ressources humaines » ; il a enfin souhaité connaître les orientations du groupe France Télécom en matière de recherche.
M. Daniel Raoul , après avoir souligné qu'il partageait entièrement la préoccupation exprimée par M. Pierre-Yvon Trémel sur les incidences, pour la téléphonie fixe, des évolutions technologiques en matière de voix, a demandé dans quelle mesure cette évolution pouvait accroître le rôle de fournisseur d'accès à Internet assumé par France Télécom.
En réponse, M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom , a précisé que, s'agissant de la couverture du territoire en téléphonie mobile, les revendications devenaient d'autant plus fortes que les zones non couvertes étaient moins nombreuses. S'agissant du haut débit, il a ensuite fait valoir que les évolutions technologiques en cours contribueraient à accélérer l'achèvement de la couverture du territoire, rappelant qu'il était encore inimaginable, il y a dix ans, d'obtenir des débits jusqu'à 18 mégabits avec les technologies DSL et évoquant les perspectives ouvertes par les expérimentations en cours d'ADSL élargi -RE-ADSL : reach extended ADSL ainsi que par les technologies alternatives, telles que le satellite et le Wimax, pour laquelle France Télécom souhaitait obtenir une licence. Il a relevé que l'Europe bénéficiait d'un meilleur positionnement que les Etats-Unis quant aux potentialités de l'ADSL, en raison du plus gros diamètre des fils de cuivre utilisés sur notre continent.
S'agissant de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, il a rappelé que, historiquement, France Télécom ne répondait pas aux offres de délégation de service public, ce qu'elle faisait en revanche depuis deux ans en proposant de compléter son propre réseau, ce qui devrait permettre d'éviter toute redondance entre réseaux. Il a fait état d'un seul contentieux initié par France Télécom au sujet d'une seule délégation de service public, faisant également observer que, pour toutes les autres, France Télécom respectait les décisions prises par les collectivités territoriales et serait même client d'une entreprise ayant obtenu une délégation de service public, qui lui louerait ses réseaux pour certains besoins.
Concernant les tarifs, il a assuré M. Claude Belot qu'il partageait ses préoccupations, soulignant toutefois que les tarifs de Wanadoo étaient identiques sur tout le territoire grâce à la péréquation pratiquée par France Télécom. Il a également rappelé que ces tarifs étaient contrôlés par l'ARCEP, laquelle visait, à l'époque, à faire perdre à France Télécom des parts de marché en l'obligeant à maintenir des tarifs élevés. Il a ensuite reconnu que les zones dégroupées n'étaient pas assez nombreuses, tout en expliquant que la responsabilité n'en incombait pas à France Télécom, puisque cet état de fait résultait d'un choix économique des opérateurs alternatifs. Il a même indiqué que cette situation gênait aussi France Télécom, notamment pour distribuer la télévision sur ADSL, faisant toutefois valoir que le dialogue avec le régulateur sur ce point était de plus en plus constructif.
Revenant sur l'étendue du réseau d'Orange, il a rappelé que, depuis longtemps, il promouvait l'idée d'un partage des points hauts entre opérateurs de téléphonie mobile afin d'accélérer la couverture du territoire. Il a convenu que cette mutualisation des infrastructures était longue à mettre en place en raison de la complexité de son montage juridique et qu'elle butait encore aujourd'hui en raison de la difficulté à obtenir les autorisations nécessaires à l'implantation des points hauts. Il a assuré que France Télécom était prête, une fois réalisées les deux phases prévues par les comités interministériels d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), à aller plus loin. Il a enfin présenté l'extension de la couverture du réseau EDGE, correspondant à une norme intermédiaire entre la deuxième et la troisième génération de téléphonie mobile, comme un complément du plan haut débit, favorisant un accès de tous à l'Internet haut débit, fixe ou mobile.
En réponse aux questions de M. Pierre-Yvon Trémel, M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom , a estimé que la téléphonie fixe n'était pas morte, pour trois raisons :
- d'abord, il a rappelé que le téléphone fixe restait le moyen le plus rationnel de téléphoner et qu'il était simplement nécessaire de développer des services sur le fixe afin d'en accroître l'attractivité comme, par exemple, le carnet d'adresses unifié entre Internet et les téléphones mobile et fixe. Il lui a semblé que, dans un avenir proche, on utiliserait un terminal unique, permettant de se connecter au réseau fixe en cas d'usage du terminal à domicile ;
- ensuite, il a estimé que le fixe l'emportait sur le mobile en matière de sécurité, l'alimentation électrique du fixe étant plus sûre que celle du réseau mobile ;
- enfin, il a jugé que la voix sur Internet s'inscrivait dans un continuum de services et se trouvait le plus souvent utilisée comme une deuxième ligne complémentaire à la ligne fixe. Il a fait observer que l'important pour France Télécom était non d'accroître les revenus qu'elle tirait de la téléphonie fixe, mais de faire fructifier le « gisement de cuivre » qu'elle détenait grâce à l'ensemble des services susceptibles de lui rapporter des revenus.
Concernant les opérateurs mobiles virtuels, il a rappelé que le régulateur danois avait été trop loin et avait affaibli excessivement les opérateurs de réseaux mobiles qui avaient réduit leurs investissements. Il s'est donc félicité de ce que les conventions passées par Orange et ses deux concurrents majeurs avec des opérateurs virtuels étaient assez sages pour permettre à la fois une meilleure rentabilisation des investissements consentis et un accès plus large à des offres « bas de gamme », ce qui améliorerait la concurrence et complèterait la palette de services. Il a toutefois rappelé que ce jugement optimiste restait à confirmer dans les faits au cours des prochains mois.
Revenant sur l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, il a confirmé que sa mise en oeuvre se manifestait par une multiplication d'offres de délégation de service public. Il a reconnu que, dans les cas où France Télécom ne pouvait pas raisonnablement faire un effort d'investissement supplémentaire, l'adoption de cet article du code avait au moins eu l'avantage de clarifier le cadre juridique dans lequel de tels investissements pouvaient être entrepris par les collectivités territoriales. Il a jugé qu'il était trop tôt pour tirer un bilan de l'application de cet article et qu'il conviendrait de le faire lorsqu'une première série de délégations de service public serait opérationnelle. Il a surtout exprimé le souhait que les sociétés nées de ces délégations de service public soient viables.
Evoquant la mobilité de personnel de France Télécom vers les collectivités territoriales, il a précisé que le dispositif n'était complet que depuis décembre 2004 et que la définition des conditions d'avancement au sein des fonctions publiques n'avait pu être finalisée que récemment. Il a fait observer que les nouveaux métiers d'avenir vers lesquels se dirigeait France Télécom pouvaient inquiéter certains agents du groupe et que pour eux, la mobilité vers les administrations permettait d'ouvrir d'autres voies de diversification de carrière.
Concernant la recherche, il a insisté sur l'augmentation régulière, de 20 % par an, des crédits consacrés par France Télécom à la recherche et au développement et a annoncé que cette augmentation se poursuivrait. Il a confirmé qu'à ses yeux, il était essentiel d'orienter France Télécom dans le sens de l'innovation et qu'il restait encore à mettre en place une « usine à produits » qui serait l'aboutissement normal de la chaîne de l'innovation.
Enfin, il a déclaré qu'il ne faisait aucun doute, selon lui, que le service universel finirait vraisemblablement par inclure l'Internet à haut débit, mais s'est interrogé sur le délai dans lequel cette inclusion interviendrait.
M. Jean-François Le Grand a estimé que garantir aux usagers l'accès à l'Internet à haut débit à des conditions tarifaires acceptables constituait un enjeu en termes d'aménagement du territoire. Il a expliqué que les collectivités territoriales n'étaient pas particulièrement désireuses de construire des réseaux doublonnant celui de France Télécom, mais qu'elles ne pouvaient souvent pas faire autrement, compte tenu de l'impossibilité de louer les infrastructures de l'opérateur historique à un prix raisonnable. Il a souhaité, à cet égard, que l'ARCEP exprime sa position sur le sujet. Enfin, il a constaté que France Télécom montrait plus d'empressement à déployer le haut débit dans les départements n'ayant pas signé de charte « Départements innovants ».
M. Claude Biwer a souhaité que les usagers résidant dans les zones peu densément peuplées ne soient pas oubliés, tant en ce qui concerne la couverture en téléphonie mobile que s'agissant de l'accès au haut débit. Il a notamment insisté sur le cas des populations habitant à proximité de zones d'activité raccordées au haut débit, mais n'y ayant malheureusement pas elles-mêmes accès. Il a regretté que les départements signataires de chartes « Départements innovants » ne bénéficient pas de progrès plus substantiels en matière de couverture haut débit. Enfin, il a relevé les retards de la politique d'enfouissement des lignes aériennes de France Télécom.
M. Jean-Paul Emorine, président , a souhaité savoir comment France Télécom appréhendait la recomposition du paysage concurrentiel, illustrée tout récemment par la fusion de Cegetel et de Neuf Télécom.
Revenant à la question des ZAE, M. Didier Lombard, président-directeur général de France Télécom , a indiqué qu'en équipant ces zones de fibre optique, l'opérateur historique ne s'inscrivait pas dans une démarche commerciale, mais accomplissait un effort en faveur de l'aménagement du territoire et qu'il n'était pas tenu, dans ce contexte, d'ouvrir ces équipements à ses concurrents. Il a souligné que le réseau de France Télécom pouvait être utilisé par les opérateurs alternatifs sur tout le reste du territoire. S'agissant de l'enfouissement des lignes téléphoniques, il a fait savoir qu'une convention en cours de signature avec l'Association des Maires de France allait faire avancer ce dossier. Enfin, il a considéré que la fusion de Cegetel et de Neuf Télécom contribuait à la stabilisation du secteur des télécommunications et qu'il préférait, pour France Télécom, des concurrents ayant atteint une taille critique et supportant les mêmes contraintes que l'opérateur historique, à une multitude de petits acteurs.