2. La diminution de la pollution des mers
Lors de sa séance du vendredi 29 avril l'Assemblée a examiné le rapport de M. Guy Lengagne sur la diminution de la pollution des mers.
Le rapporteur a introduit les débats en exposant ainsi les orientations du Rapport :
« Le titre du rapport « Pollution des mers » est en soi, un vaste programme, dans la mesure où la mer est incontestablement indispensable à la vie sur terre. Si elle n'existait pas, il n'y aurait plus de vie. Pourtant elle est chaque jour menacée dans son équilibre interne, ce qui a des conséquences, notamment sur la pêche et sans parler de bien d'autres conséquences.
« Il y a deux manières d'examiner la question de la pollution. Il existe d'abord la pollution qui vient de la terre car tous les fleuves vont à la mer. Je taquine parfois mes collègues de l'intérieur des terres, en leur déclarant que les pollutions à deux ou trois cents kilomètres de la mer ont aussi des conséquences. Cet aspect n'est pas étudié dans le rapport.
« Je sais que de nombreux pays ont pris conscience de tout cela. Des réunions régionales se tiennent pour l'Adriatique et la Baltique. Un rapport vient d'être discuté en commission sur les deltas. Notre collègue Daniel Goulet prépare un autre rapport sur une plate-forme pétrolière qui inquiète à juste titre nos collègues lituaniens. Mais c'est un sujet que je n'aborderai pas non plus.
« En revanche, je me pencherai sur le point le plus spectaculaire, la pollution par les navires qui se retrouvent à la «Une» lorsque survient un très grave accident. A juste titre, beaucoup de pays riverains des mers ou des océans sont extrêmement inquiets. Pour ne citer que deux exemples, on sait que dans les années à venir le trafic dans l'Adriatique augmentera de 30 %; durant les trois dernières années, le trafic a augmenté de 50 % sur le Bosphore. Au fur et à mesure que la législation se débloque, il y a de plus en plus de trafic donc de craintes.
« Nous avons deux moyens pour aborder cette question. Premièrement, quand la pollution est là que fait-on ? Le problème est extrêmement difficile. Sur le plan technique, je ne discuterai pas car il appartient à un pays et à ses voisins de régler cela. Reste posée la question de l'indemnisation.
« L'accident le plus marquant de ces dernières années fut celui du Prestige, au large des côtes de Galice en Espagne. Le coût des dégâts entraînés par ce naufrage est d'un milliard d'euros. Il faut savoir que les collectivités victimes de cette pollution n'ont pas encore été indemnisées. Il faut donc que nous nous penchions sur cette question.
« Ensuite, viennent les sanctions. Il peut y avoir un accident comme le Prestige, ce qui représente 80 % de la pollution des navires. Il y a aussi les déballastages et les dégazages. Dès l'instant où on a trouvé le coupable, ce qui n'est pas simple, il faut prendre des sanctions. Encore faut-il réfléchir à leur nature.
« Pour ce qui est du Prestige, les autorités espagnoles ont mis en prison le commandant. Or, celui-ci ayant eu conscience du danger, il avait demandé avec insistance aux autorités espagnoles de pouvoir se mettre à l'abri dans une zone refuge. On le lui a refusé. Les sanctions ne devaient donc pas être prises à l'encontre du capitaine du Prestige mais des autorités. Rassurez-vous, j'ai beaucoup d'amitié pour les Espagnols, je ne souhaite pas du tout engager une guerre franco-espagnole sur ce sujet. Je renvoie mes collègues à la page 22 du rapport pour examiner combien dans le cas de l'Erika ou du Prestige le dossier est compliqué.
« Il faut également réfléchir aux sanctions que l'on pourrait infliger à ce qu'on appelle l'État du pavillon. Je suis personnellement très choqué de voir qu'un État autorise un armement à mettre son drapeau à l'arrière d'un navire alors qu'après, il est complètement libre et non responsable de ce qui peut arriver à ce navire. Je propose dans le rapport qu'éventuellement, l'État du pavillon soit mis en cause pénalement et civilement pour l'indemnisation.
« Nous évoquons également dans le rapport, un autre point important, celui de la formation. 80 % des accidents - je ne parle pas des dégazages - viennent des erreurs humaines, de défaillances. C'est un peu comme les accidents de la route. Il faudrait donc que la formation soit plus stricte. On retombe alors sur le problème des sanctions. En France, dès qu'un chauffeur dépasse une certaine vitesse, on le sanctionne. On a vu ainsi baisser de façon extrêmement forte le nombre des accidents. C'est la peur du gendarme.
« J'en viens à un problème plus politique. Après l'accident du Prestige, on a découvert que si l'on avait suivi les recommandations de la Commission européenne, il n'aurait pas eu lieu car ce navire n'aurait pas eu le droit d'entrer dans les ports européens.
« De façon unilatérale, les Américains ont décidé d'interdire dans leurs eaux les navires sans double coque. L'Organisation maritime internationale responsable de la législation au niveau mondial a fini par prendre la même décision avec retard.
« En 1985, la France a dû envoyer par le fond un navire, dans les eaux internationales, qui menaçait de s'échouer sur les côtes françaises alors qu'il transportait deux cents tonnes d'explosifs à bord. Cet acte était illégal, mais deux ans après, la Convention de Montegobe acceptait qu'un pays prenne des sanctions ou des mesures brutales en cas de menace.
« Dans ce domaine, l'Union européenne peut jouer un rôle d'avant-garde. Il faut faire avancer la législation et non pas attendre que l'OMI prenne tranquillement ses décisions. Nous devons de façon unilatérale prendre les décisions et nous demanderons à l'OMI de les suivre. C'est pourquoi dans ce rapport, on parle beaucoup d'initiatives présentées par l'Union européenne sachant que nous sommes dans une zone beaucoup plus vaste.
« Enfin, je me bornerai à ajouter que s'il y a un domaine où la collaboration internationale est fondamentale et indispensable : c'est bien celui de la navigation maritime. En ce sens, il nous appartient à nous politiques, à nous les quarante-six pays du Conseil de l'Europe, de faire pression auprès de nos pays, pour qu'ils ratifient toutes les conventions.
« Lors de la présentation de l'amendement dont je suis l'auteur, j'aurai l'occasion de rappeler que très peu d'États membres du Conseil de l'Europe ont ratifié des conventions que nous avions pourtant proposées dans cette même enceinte.
« Les droits de l'Homme comprennent aussi le droit à un environnement de qualité. Encore une fois, la mer est sûrement le domaine de la liberté mais c'est aussi un domaine extrêmement fragile. Les droits de l'Homme s'appliquent aussi aux océans. »
Intervenant dans le débat, M. Bernard Schreiner , après avoir rappelé les dispositifs de protection et d'indemnisation existants, a plaidé pour une meilleure application de ces derniers et pour la mise en place, notamment au niveau de l'Union européenne, des mesures complémentaires souhaitables :
« Je remercie et félicite très chaleureusement notre collègue, M. Lengagne, pour son excellent rapport sur la pollution des mers. Le renforcement des réglementations maritimes a certainement contribué à la baisse sensible des sinistres de grande ampleur depuis les années 1970. En trente ans, le nombre moyen annuel des naufrages de pétroliers de plus de sept cents tonnes est passé d'environ trente-cinq à moins de sept.
« Cependant, les naufrages de l'Erika et du Prestige ont chacun été suivis d'une série d'initiatives visant à renforcer les moyens de prévention, et la lutte contre la pollution des mers par les hydrocarbures. L'Assemblée nationale française qui a constitué une commission d'enquête après la catastrophe du Prestige faisait pourtant observer, dans son rapport, que ces initiatives sont d'une portée très inégale, selon qu'elles concernent le champ de la coopération bilatérale, celui de l'espace communautaire ou celui de l'international, domaine où l'on rencontre le plus de difficultés.
« L'Union européenne dispose aujourd'hui d'un arsenal juridique comparable à celui dont se sont dotés les États-Unis en 1990 avec l'Oil Pollution Act, arsenal qui a permis de réduire fortement les sinistres. Ce dispositif doit être complété par une prévention en amont de l'espace communautaire. Un tel élargissement permettrait à la fois de renforcer la protection de cet espace et limiterait l'effet d'éviction que l'on constate actuellement. Les mesures prises par les Américains et les Européens se traduisent en effet par un report des risques sur les côtes des pays les moins armés contre la pollution.
« De nombreuses conventions internationales sont applicables en matière de pollution marine, depuis la Convention de Londres de 1954 jusqu'à celle de Montego Bay, adoptée en 1982, et qui s'efforce précisément de donner une cohérence à un dispositif conventionnel hétérogène. La Convention de Montego Bay détermine les compétences des États en distinguant l'État côtier, l'État du pavillon et l'État du port.
« L'Organisation maritime internationale, l'OMI, regroupe 162 États et elle est à l'origine d'une quarantaine de conventions. Elle a adopté un plan de retrait des pétroliers à simple coque - Résolution du 27 avril 2001 - ainsi qu'un système d'évaluation des navires qui renforce les procédures de contrôle et d'inspection. Mais comme beaucoup d'organisations internationales, ni l'OMI, ni les États membres ne disposent d'un droit d'enquête ou d'un recours quelconque contre les États qui ne respectent pas ou contrôlent insuffisamment les conventions qu'ils ont signées. Une fois de plus, il s'agit moins de définir des normes toujours plus rigoureuses que d'assurer une meilleure application des dispositions réglementaires en place et des normes acceptées.
« Le naufrage du Prestige a mis en évidence les faiblesses du régime actuel de responsabilisation et d'indemnisation. La commission d'enquête parlementaire française, dans son rapport présenté en juillet 2003, observait que la responsabilité limitée à l'armateur et à l'État du pavillon avait conduit à une déresponsabilisation de l'ensemble des acteurs du transport maritime.
« Pour conclure, je dirai simplement qu'il convient d'améliorer encore les dispositifs existants, afin de prévenir les accidents et sauvegarder notre patrimoine naturel commun. En conséquence, mon groupe et moi-même soutiendrons pleinement le rapport de notre collègue. »
En réponse aux intervenants, M. Guy Lengagne a apporté les précisions suivantes :
« Je n'ai que peu de choses à ajouter puisque tous les orateurs ont souscrit aux propositions formulées dans le rapport.
« Pour répondre très brièvement, j'ai découvert que mon ami John Dupraz, en bon Suisse, est un remarquable marin et un fin connaisseur des océans. Je tiens à l'en féliciter.
« Notre collègue d'Azerbaïdjan a évoqué le problème de la Caspienne. Je n'ai pu étudier cette question dans mon rapport mais, incontestablement, dans les mers fermées comme la Caspienne, les problèmes de pollution sont sans doute encore plus préoccupants que dans les océans. Toutes les mesures que nous avons proposées devront s'appliquer encore davantage dans ces mers fermées.
« Bernard Schreiner a rappelé un certain nombre de mesures, sur lesquelles je ne reviens pas. Et notre collègue de Monaco disait qu'il fallait être, je reprends son terme, « intraitable ». Je parlais pour ma part de la peur du gendarme. Mais nous disions à peu près la même chose.
« Je précise à mon collègue Jakavonis, que Daniel Goulet doit justement rendre un rapport devant la commission de l'environnement sur cette plateforme D-6 située juste en face de la presqu'île de Courland, classée patrimoine mondial de l'Unesco. Il faut effectivement qu'en la matière, des précautions soient prises. Elles le sont d'un point de vue technique.
« Mais nous reparlerons de ce sujet, si vous en êtes d'accord, avec ce collègue qui travaille sur un rapport spécial sur cette question. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne l'ai pas abordée en détail dans mon rapport.
« Telles sont les quelques réflexions que je pouvais faire sur les propositions qui ont été formulées. »
L'Assemblée a finalement adopté la résolution n°1439 , reproduite ci-dessous :
2. Elle a été très
touchée par les souffrances endurées par les populations
affectées et par l'élan spontané et solidaire des citoyens
mobilisés pour leur venir en aide. Elle constate que les plans
d'intervention ne prévoient pas les moyens suffisants pour pallier les
conséquences sociales et environnementales de telles
catastrophes.
3. L'Assemblée déplore les énormes coûts économiques, sociaux et environnementaux des pollutions accidentelles des mers et est d'avis que les dédommagements prévus par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) et par les régimes nationaux sont encore loin de les couvrir entièrement (malgré la réforme adoptée par l'Organisation maritime internationale (OMI) le 16 mai 2003, ayant porté le plafond d'indemnisation du FIPOL à environ un milliard de dollars). 4. L'Assemblée avait avancé des propositions concrètes d'action pour renforcer la sécurité du transport pétrolier maritime suite à l'accident de l'Erika ( Résolution 1229 (2000) sur les accidents portant atteinte à l'environnement). Suite au naufrage du Prestige, la Résolution 1317 (2003) sur la pollution marine rappelait les mesures nécessaires pour protéger efficacement l'espace maritime européen. 5. Elle regrette que les mesures qu'elle avait proposées, ainsi que celles préconisées par l'Union européenne et nombre d'organisations internationales compétentes, n'aient pas été entièrement mises en oeuvre pour que les risques de pollution accidentelle des mers puissent être considérablement réduits, notamment au large des côtes européennes. 6. Elle se félicite par ailleurs de la création de l'Agence européenne de sécurité maritime et souhaite que celle-ci devienne un acteur de premier rang dans le domaine de la prévention des dommages écologiques infligés à l'environnement marin par l'activité humaine. Elle se réjouisse aussi pour le développement, par l'Union européenne, d'une stratégie pour la protection du milieu marin. 7. L'Assemblée rappelle que les eaux de l'Europe occidentale et de la mer Baltique sont des zones marines particulièrement sensibles qui ont besoin d'une protection spéciale à cause de leur vulnérabilité aux conséquences de la navigation et des activités connexes. C'est pourquoi les États côtiers doivent pouvoir contrôler d'une manière plus stricte le passage des navires et les pétroliers à simple coque doivent être interdits. 8. Elle rappelle qu'aux effets de la pollution accidentelle des mers s'ajoutent ceux - beaucoup plus importants - de la pollution volontaire résultant des dégazages et des déballastages, que cette pollution est de nos jours détectable mais qu'elle reste pratique courante malgré la législation qui l'interdit et les sanctions existantes. 9. Elle constate que, tandis que l'application des réglementations communautaires et internationales souffre de graves dysfonctionnements, l'Europe se trouve confrontée à de très sérieuses menaces de pollution marine, notamment dans des mers semi-fermées. 10. En conséquence, l'Assemblée invite les gouvernements des États membres à appliquer intégralement les réglementations internationales existantes dans le domaine du transport maritime et en particulier à :
i. adopter les dispositions nécessaires pour
accueillir des navires en détresse dans leurs eaux territoriales,
prévoir des lieux de refuge et établir des plans d'intervention
appropriés ;
ii. assurer la construction d'installations spécifiques pour la réception dans les ports des déchets d'exploitation des navires et des résidus de cargaison et élaborer des plans de traitement de ces déchets ; iii. assurer une meilleure formation des gens de mer afin de réduire les risques d'accidents maritimes, dont 80% résultent d'une défaillance humaine. 11. L'Assemblée invite en particulier les pays membres de l'Union européenne à transposer pleinement toutes les dispositions qui ont été préconisées dans le cadre des paquets de mesures «Erika I» et «Erika II» et les États non membres de l'Union européenne à s'en inspirer pour améliorer leurs législations nationales respectives. 12. Elle invite aussi les États membres à : i. instaurer ou développer un service de gardes-côtes pour veiller à la sûreté maritime et à la sécurité des ports ainsi qu'à la protection de l'environnement marin ; ii. veiller que toute exploitation pétrolière off-shore respecte les règles les plus strictes de fonctionnement pour éliminer tout risque de pollution accidentelle ; iii. favoriser le transport du pétrole par oléoducs dans tous les cas où ce choix est possible ; iv. développer des systèmes de contrôle des dégazages et des déballastages, incluant des moyens comme l'observation par satellite, la surveillance aérienne des côtes, les contrôles portuaires, etc. ; v. prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives pour les responsables de toute pollution des mers, en y incluant la possibilité de peines d'emprisonnement dans les cas de pollutions délibérées ; vi. recenser les ressources naturelles (faune et flore) et économiques (pêche, tourisme, etc.) des littoraux pour disposer d'états des lieux préalables qui permettraient d'évaluer les dommages en cas de marées noires ; vii. signer et/ou ratifier la Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (Convention HNS), ainsi que la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection de l'environnement par le droit pénal (STCE n° 172) ; viii. oeuvrer pour la création d'un tribunal pénal maritime international. 13. L'Assemblée invite les gouvernements des États membres à se concerter en vue d'accorder une position commune au sein de l'OMI visant à : i. lui accorder un pouvoir de contrôle sur l'application de ses conventions internationales, en effectuant des audits des services compétents des États membres, chargés du contrôle du respect des normes maritimes ;
ii. mettre en place une réglementation qui
permette à tout État victime de dommages de pollution
provoqués par un navire à demander réparation à
l'État dont le navire bat pavillon, lorsqu'il est établi que les
dommages sont liés à l'absence d'exercice, par l'État de
pavillon, d'un contrôle approprié sur le navire
concerné ;
iii. étendre les possibilités de mise en cause de la responsabilité civile de l'armateur, de l'affréteur, de la société de classification ou de l'État de pavillon en cas de pollution causée par un navire ; iv. réformer le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) pour que les victimes des catastrophes maritimes puissent être rapidement dédommagées d'une manière satisfaisante.
14. L'Assemblée invite l'Union
européenne à s'assurer que l'Agence européenne de
sécurité maritime dispose des moyens nécessaires pour
déployer une activité efficace de lutte contre la pollution des
mers et propose à l'Agence de coordonner les services nationaux de
gardes-côtes et en particulier leurs activités de surveillance et
de contrôle des navires qui constituent des dangers potentiels pour
l'environnement.
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