3. Le débat d'actualité sur le projet de traité constitutionnel européen
Premier orateur de la délégation française à intervenir et s'exprimant au nom du groupe PPE, M. Francis Grignon a défendu l'efficacité du traité constitutionnel pour faire face aux défis qui sont lancés aux pays de l'Union européenne :
« Quels sont les trois grands problèmes qui se posent à nous aujourd'hui ? La mondialisation des échanges, le terrorisme et les risques environnementaux. Qui peut croire que chacun de ces trois défis peut être relevé par un État isolé ? La France ferait preuve d'une grande cécité, sinon d'un orgueil irresponsable, si elle se repliait sur elle-même en refusant l'adhésion au traité constitutionnel.
« De ces trois grands défis, aucun ne semblait menaçant il y a seulement dix ans. La montée en puissance de l'Inde et de la Chine change la donne en matière économique. La résurgence de la violence n'épargne pas plus l'Europe que les autres régions du monde. Rappelons-nous : mars 1986, une centaine de morts à Paris ; septembre 2001, trois mille victimes aux États-Unis ; mars 2004, deux cents morts à Madrid. Enfin, depuis la conférence organisée à Rio par les Nations unies, plus personne ne peut ignorer l'effet des activités humaines sur le climat.
« Bien entendu, les traités européens ignoraient ces bouleversements même si, de Maastricht à Nice, des modifications ont tenté d'apporter les adaptations nécessaires.
« Armée de ce nouveau traité constitutionnel, l'Union européenne pourra répondre à ces défis et constituer une «masse critique» qui lui permettra de peser dans ce monde globalisé et incertain.
« L'Union européenne pèsera d'autant plus que le Traité constitutionnel donne enfin une dimension directement politique à une entité née délibérément dans le pragmatisme des solidarités économiques.
« Le Traité constitutionnel réussit le tour de force de renforcer l'échelon de l'Union tout en affirmant les compétences nationales et le rôle des parlements de chaque État membre. Renforcement de l'Union d'abord, avec l'institution d'un président de l'Europe ; renforcement de l'Union encore, par l'institution d'un ministre des affaires étrangères. Ceux qui réclamaient il y a peu un renforcement du multilatéralisme ne peuvent croire qu'un face-à-face entre n'importe lequel des États européens et les États-Unis et la Chine pourrait rééquilibrer les relations internationales.
« Dans le domaine de la défense, les avancées sont énormes : le Traité institue une clause de défense mutuelle et une clause de solidarité antiterroriste dans la compatibilité avec le Traité transatlantique.
« Sur le plan de la politique au quotidien, le Traité Constitutionnel devrait rendre confiance à nos concitoyens dans la mesure où il accroît considérablement la démocratisation des institutions, ce qui signifie qu'ils pourront peser sur les orientations et sur les politiques conduites au niveau de l'Union. Désormais, la règle de la codécision avec le Parlement européen s'appliquera de plein droit à 95 % des lois communautaires.
« Le rôle des parlements nationaux est lui-même renforcé, comme gardiens du principe de subsidiarité, qui s'oppose désormais explicitement aux excès technocratiques de naguère.
« Je mentionnerai enfin le droit de pétition ouvert aux citoyens de l'Union européenne ce qui permettra à ceux-ci de demander directement la prise en considération d'une action qu'ils pourraient souhaiter.
« Sur le plan socio-économique, de nombreuses craintes sont exprimées, en arguant d'une prétendue ouverture. Or c'est tout l'inverse : pour la première fois, le Traité donne valeur constitutionnelle aux principaux droits sociaux, droit de grève, droit syndical, alors même que, dans bien des constitutions des États membres, ces droits n'ont pas cette valeur. Seule une Europe suffisamment forte peut concilier un modèle socio-économique fondé sur la solidarité en cohérence avec les disciplines du marché.
« Sur le plan économique pur, je ne suis pas ceux qui agitent comme un épouvantail l'extension aux nouveaux États membres de l'Union européenne des libertés instituées dès le Traité de Rome. L'exemple du développement spectaculaire de l'Espagne et du Portugal montre que cette extension profite à tous, aux nouveaux venus comme aux États fondateurs.
« Sur le plan de la recherche, qui demande des moyens colossaux, seuls les programmes cadres permettront de répondre aux exigences du futur.
« Sur le plan de l'environnement, l'effet de serre n'a pas de frontière. L'Europe doit montrer la voie au reste du monde.
« Vous avez compris, monsieur le Président, mes chers collègues, que j'aspire en mon nom et au nom du PPE, à un « oui » massif de la part de mes concitoyens, mais je me contenterais, bien évidemment, d'un « oui » du bout des lèvres, pourvu que ce soit un « oui » à l'Europe, une Europe ouverte à tous les accords de coopération avec ses voisins. Donc, un « oui » à l'avenir de la France. »
M. Denis Badré a appelé à la ratification du traité et souhaité que l'on évite les faux débats dans ce domaine :
« Notre débat remarquablement lancé par Jean-Claude Juncker, me semble tout à fait le bienvenu. Je considère qu'il nous concerne tous, représentants ou non des pays membres de l'Union.
« Je rappelle simplement, qu'avec le Conseil de l'Europe, l'Union symbolise et construit la paix en Europe. C'est pour cette raison que les six fondateurs se sont rapprochés! Et l'appel nous concerne tous. Plus largement encore, l'Union européenne enracine et incarne les droits de l'Homme, ces droits dont précisément le Conseil de l'Europe fait flotter le drapeau.
« Permettez-moi alors de vous proposer une profession de foi comme membre de la délégation de la France, pays fondateur de l'Union européenne. Alors qu'il s'agissait de faire la paix, ce pays a proclamé il y a plus de deux siècles les Droits de l'Homme dans le monde. Alsacien d'origine, je suis engagé en politique grâce au projet européen et pour ce projet. En tant que président du groupe d'amitié parlementaire France-Pays Baltes, au Sénat français, j'ai plaisir à citer Sandra Kalniete qui, née en Sibérie, fut ambassadeur de Lettonie à Paris, puis Ministre des affaires étrangères de son pays, puis Commissaire européen.
« Il y a quelques jours, intervenant dans le débat français sur la ratification du Traité constitutionnel pour l'Union européenne, elle nous a interpellés amicalement mais fermement :
« Alors que nous étions soumis au totalitarisme, nous avons tenu grâce au rêve européen. Et qu'était ce rêve ? Bien sûr, celui d'une Union qui réunit des membres ayant choisi librement de la rejoindre. Mais ce rêve était surtout celui des droits de l'Homme. Or, avant que les droits de l'Homme soient portés par l'Europe, ils étaient et ils sont toujours, dans le monde, l'image de la France.
« Et aujourd'hui la France, par caprice, par inconstance ou par une de ses légèretés dont elle a malheureusement le secret, pourrait bouder ce rêve, tourner le dos à son ambition fondamentale, à son propre rêve ? »
« Voilà qui, pour Sandra Kalniete, et je pense pour beaucoup, apparaît complètement incompréhensible, inconséquent pour ne pas dire insensé !
« Oui, pour moi, l'avancée la plus forte de la Constitution réside dans l'inscription dans sa partie II de la Charte des droits fondamentaux, qui situe ainsi clairement, juridiquement et encore bien plus symboliquement les droits de l'Homme comme moteur et comme ciment de l'Union au coeur de sa construction. Sans les droits de l'Homme, la construction de l'Union perd son sens. Ce sens qui précisément motive et justifie l'engagement politique de nombre d'entre nous. N'oublions jamais que, pour Robert Schuman, travailler, produire et commercer ensemble représentait le chemin vers la paix et les droits de l'homme. C'est même le secret de ce qu'on appelle depuis la méthode Schuman.
« Je considère donc que le résultat du référendum du 29 mai en France, concerne tous les pays représentés au sein de notre Assemblée. En France, dans le cadre de notre campagne actuelle, je pose deux questions pour recentrer un débat qui, malheureusement, s'égare beaucoup trop sur des sujets qui n'ont rien à voir avec l'Europe ni, a fortiori , avec la Constitution. Première question : Considérons-nous que l'Union est l'avenir de notre pays comme de chacun de nos partenaires ? Si oui, seconde question : la Constitution proposée représente-t-elle un progrès ou un recul de cette construction européenne ? Si progrès il y a, il faut voter oui. Dans le cas contraire, le non peut s'expliquer.
« Il me paraît personnellement évident que la Constitution permettra de franchir une nouvelle étape très significative, en consacrant l'élargissement et en nous offrant un avenir à 25 et un plus demain.
« La Constitution permettra à l'Union d'être à la fois plus forte, ce qui est nécessaire tant à l'intérieur que dans le monde, et plus démocratique, ce qu'attendent les Européens. Être seulement plus forte, c'est aller vers l'autoritarisme ; être seulement plus démocratique ne va pas toujours dans le sens de l'efficacité. Parvenir à aller à la fois vers plus d'autorité et plus de démocratie semble une gageure. La Constitution y parvient !
« La Constitution répond à l'attente d'Europe de la France mais aussi des 25, de l'ensemble de notre continent et du monde. Elle répond, je pense, largement à l'attente de 450 millions d'Européens. C'est en la prenant en compte que 25 chefs d'État ont su exprimer une volonté politique et se mettre d'accord sur un texte. Jean-Claude Juncker soulignait hier quel petit miracle cela représente.
« La Constitution répond aussi, me semble-t-il, à l'attente de l'ensemble de notre continent. J'étais il y a quelques semaines en mission dans des zones d'insécurité en Colombie, ce pays ravagé par la violence et la drogue. La Colombie, je l'ai constaté, comme tant d'autres pays du monde, attend l'Europe. Le monde attend exactement cette Europe dont parle si bien Vaclav Havel lorsqu'il dit que nous n'avons aucune leçon à donner au monde mais que nous devons lui adresser ce très fort message d'espérance : « Notre continent a touché le fond de l'horreur. Et nous avons pu réagir. Lorsque tout semble perdu, tout reste possible ! Il y faut simplement une volonté politique et une foi à toute épreuve. »
« Cette volonté politique et cette foi qui animaient les Pères du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, ce sont elles aussi qui permettent aux 25 d'offrir aujourd'hui un texte dont l'Europe a fondamentalement besoin pour poursuivre une construction que le monde attend.
« Puissent tous les Européens, en France et dans chacun de nos pays, mesurer les vrais enjeux du débat ! L'Europe ce n'est pas, ce ne doit pas être une autorité anonyme bruxelloise. L'Europe c'est nous, c'est tous les Européens ! Continuons à servir l'espérance dont le monde a bien besoin ! »
M. Michel Hunault a souligné la nécessité d'une Constitution clarifiant le rôle respectif des différentes institutions :
« Je voudrais d'abord saluer l'initiative qui a permis de réserver une place, dans le calendrier de cette session, pour un débat d'actualité sur le Traité constitutionnel européen.
« L'Europe s'est construite étape par étape depuis cinquante ans. Elle restera pour longtemps l'une des plus belles aventures de réconciliation et d'entente entre les peuples. Dans le respect des diversités, elle a su fédérer et unir les peuples, leur assurer la paix et la prospérité.
« On a trop longtemps reproché à la construction de l'Europe sa technocratie, son manque de lisibilité, son manque de démocratie. La Constitution répond à ces défis : elle donne plus de place au Parlement européen, elle affirme le principe de subsidiarité et elle précise les compétences de l'Europe et des États.
« Avant tout, cette Constitution rappelle les valeurs essentielles qui unissent les peuples européens. Dans un monde aussi incertain, où les défis de la paix, du respect des peuples, de la démocratie sont grands, l'Europe contribue à promouvoir cet idéal et ces valeurs.
« L'Union européenne, et la Constitution le rappelle, offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi qu'un marché intérieur où la concurrence est libre. La Constitution contribue à atteindre ses objectifs. Elle réaffirme avec force notre combat contre l'exclusion sociale et les discriminations. Pour l'essentiel, elle réaffirme dans sa partie II la Charte des droits fondamentaux de l'Union, laquelle est certainement la plus belle déclaration des droits de l'Homme. Cette Charte réaffirme la primauté des valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et solidarité. La Charte repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'État de droit. Elle place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l'Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice. Cette Charte des droits fondamentaux fait état dans son préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais aussi des Chartes adoptées par le Conseil de l'Europe. Elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.
« Face aux défis du terrorisme et des financements occultes face à la menace des conflits, cette Constitution apporte les éléments d'une coopération efficace.
« En matière de politique économique, la Constitution se fixe comme objectif de promouvoir un modèle social qui, rappelons-le, est le plus solidaire du monde.
« L'Europe, c'est aussi une société qui n'érige pas la compétitivité économique comme valeur unique. Depuis cinquante ans, l'Europe est une société de la connaissance et de la diversité culturelle. L'Europe est aussi l'espace au monde le plus sensibilisé à la question de l'environnement. Il faut donc aujourd'hui réaffirmer le rôle essentiel de la construction européenne.
« Pour terminer, Monsieur le Président, j'émettrai le voeu que le débat sur la Constitution européenne soit une contribution efficace pour faire adopter cette Constitution, qui l'a déjà été par plusieurs États.
« J'ai entendu tout à l'heure un certain nombre de réserves. Nous avons besoin d'une Constitution qui clarifie les rôles respectifs des différentes institutions. L'acquis, le travail et les valeurs du Conseil de l'Europe sont réaffirmés dans ce texte comme une déclaration qui donnera des droits fondamentaux à chacun des citoyens. Je forme le voeu que ce débat soit, notamment en France une contribution pour faire adopter cette Constitution. »