CHAPITRE III : LE DOSSIER MÉDICAL INFORMATISÉ
Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie insiste dans son dernier rapport sur la nécessité de mettre en place très rapidement le dossier électronique partagé outil de qualité et d'efficience des soins. Il a été suivi par le Gouvernement qui fait de la mise en oeuvre rapide du dossier médical partagé un axe majeur du plan de réforme de notre système d'assurance maladie.
SECTION 1 : UN CERTAIN CONSENSUS SUR LES OBJECTIFS
Pour la mutualité française, «le développement du dossier médical unique informatisé et partagé constitue l'outil indispensable à une amélioration de la qualité des soins. Pour que cet outil puisse permettre la communication entre les professionnels des informations médicales, plusieurs conditions sont exigibles : les logiciels utilisés doivent être inter opérables et répondre par conséquent aux spécifications d'un cahier des charges respectant certains standards ; la circulation de ce dossier doit être sécurisée et encouragée ; les recommandations du rapport Fieschi -Merlière doivent être rapidement mises en oeuvre 9 , notamment les expérimentations dans des régions qui bénéficient d'Internet à haut débit ; le financement de ce projet doit être assuré par les pouvoirs publics. Le coût sur 10 ans d'une généralisation de cet outil dans toutes les structures hospitalières et chez les professionnels exerçant en médecine libérale, devrait atteindre 10 milliards d'euros 10 . »
Ces propos illustrent le consensus qui s'est fait jour sur l'intérêt de la mise en oeuvre du dossier médical. Ce point a pu être constaté lors de l'audition ouverte à la presse conduite le 10 juin par vos rapporteurs.
Dans l'ensemble, les participants ont considéré que notre système de soins ne fonctionnait pas véritablement comme un système du fait de l'absence de coordination entre les différents acteurs de soins. Les prises en charge sont cloisonnées entre praticiens de ville, entre services d'un même hôpital et entre soins hospitaliers et soins de ville ...
Le retard pris dans la généralisation d'un dossier médical partagé, et du réseau de soins virtuel qui peut se bâtir autour de lui apparaît aujourd'hui comme l'entrave majeure à la mise en oeuvre d'une véritable politique de santé publique ; le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie plaide d'ailleurs pour une organisation structurée de prise en charge coordonnée et pour la « traçabilité du parcours » du patient, source à ses yeux « d'importants gisements de qualité médicale et d'efficience du soin » .
Cette notion de dossier médical partagé a été consacrée par « la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002 ». Mais pour le moment la généralisation du dossier électronique partagé en est restée au stade de l'expérimentation et du tâtonnement, faute de décrets d'application concernant la mise en place d' «hébergeurs agréés» pour les dossiers de santé.
Ce retard, dans la promulgation des décrets relatifs aux hébergeurs des sites de santé, est préjudiciable au déploiement rapide du dossier médical partagé, voulu par le gouvernement. Il contredit les termes de la loi de financement de la Sécurité Sociale qui a étendu les missions du Fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV) au soutien financier de ces expérimentations pilotes. Ces dossiers partagés doivent être mis en place sous la responsabilité des réseaux régionaux, dont le développement vient d'être encouragé par la loi de financement de la Sécurité sociale, qui a triplé pour 2004 (125 millions d'euros), la dotation nationale de 46 millions d'euros qui leur avait été allouée en 2003. Ce montant de crédit est relativement réaliste pour le moment car nous en sommes au stade des études préliminaires mais il est clair que dans les années à venir l'effort financier à effectuer devra être considérable dans la mesure où la mise en place d'un véritable dossier médical partagé pourrait coûter jusqu'à dix milliards d'euros.
La coordination des soins, par la mise en place d'un dossier médical informatisé, constitue un axe qui doit faire gagner de l'efficience et certainement l'un des éléments de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Cette opération se situe dans le prolongement de la démarche sésame vitale qui a permis de faire grimper le taux d'informatisation de la médecine de ville à près de 80%. L'informatisation des cabinets a aujourd'hui beaucoup avancé et la Cnam développe aujourd'hui également la CPS 5 (carte des professionnels de santé) indispensable à la mise en oeuvre d'un dossier médical commun.
La loi de 2002 sur les droits et informations des malades constate un accord général sur les principes de gestion du dossier médical qui, à certains égards, rappelle les discussions sur la mise en place de la carte Sésame Vitale.
L'expérience des réseaux existants conduit à formuler quelques remarques :
La première est que fonder un réseau sur un dispositif unique et sur l'informatique sans placer les besoins du patient et des soignants au coeur de la démarche, cela ne marche pas 11 . Lorsque nous dressons un état des lieux nous constatons qu'il existe beaucoup de projets qui n'aboutissent pas faute de prendre en compte les besoins réels des acteurs.
Il existe un dilemme pour organiser les relations entre professionnels : soit les pouvoirs publics les fédèrent, soit ils acceptent la juxtaposition de réseaux. Mais pour créer une fédération il faut passer par le patient qui constitue le coeur de nos préoccupations.
L'utilisation d'Internet comme support de communication de l'information médicale appelle cependant une vigilance particulière compte tenu de l'absence de confidentialité propre au réseau et des possibilités d'utilisation des données à des fins non souhaitées par le patient.
C'est pour cette raison que la mise en place du dossier médical informatisé doit être précédée d'une adaptation des textes relatifs à l'informatique et à la santé car nous abordons ici des questions qui touchent aux droits de la personne humaine les plus fondamentaux.
Un exemple de dossier médical partagé : l'expérience conduite à l'Institut Curie
L'expérience pilote de l'institut Curie qui a été lancée officiellement le 10 octobre dernier. Résultat d'un programme initié en 1997 et pour lequel l'institut a dégagé 1 million d'euros, l'expérience a par ailleurs bénéficié du soutien du ministère dans le cadre des programmes e-santé 2000-2001.
Après avoir, dans une première étape, construit un dossier patient électronique intra hospitalier, l'Institut, présidé par Claude Huriet, vient de s'ouvrir à l'extérieur.
Portalys , c'est le nom du dossier expérimental, est une création originale, respectueuse de la loi dans le devoir d'information du patient, qui accepte ou pas de donner accès à son dossier au médecin de son choix. C'est effectivement la première expérience à s'ouvrir à grande échelle sur l'extérieur, car l'institut Curie thésaurise plus de 60 000 dossiers patients et recense environ 35 000 médecins correspondants, qui forment un vivier potentiel.
S'il a demandé de longues années de travail et plusieurs mois de tests de fiabilité avant son lancement, Portalys a un principe de fonctionnement simple à expliquer : après avoir été désigné et expressément autorisé par son patient, le médecin correspondant peut accéder au dossier complet de son patient, et à aucun autre, via l'Internet et un navigateur classique type Netscape ou Internet Explorer, en s'authentifiant par sa carte CPS ou par un identifiant et un mot de passe.
Pour pallier l'hétérogénéité des systèmes d'information, les documents sont en format d'échange universel XML, et les médecins correspondants qui veulent ajouter un document au dossier du patient l'envoient au médecin référent de l'Institut Curie, qui décide ensuite de l'inclure dans le dossier. De plus, une messagerie électronique sécurisée permet une communication personnalisée par un système de questions-réponses entre médecins traitants. Enfin, une représentation graphique baptisée Synopsis permet au médecin connecté de visualiser l'évolution de la maladie, les actes pratiqués, les traitements, les consultations et les hospitalisations en cliquant sur une icône représentant la chirurgie ou l'anatomo-pathologie (comptes rendus, images).