b) Quelle influence de « l'islam politique » sur la mise en oeuvre des nouvelles institutions ?
La question se pose enfin du risque que présente la culture afghane de l'islam politique et de son influence sur la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution. La Loya Jirga constitutionnelle a ainsi amendé le projet de Constitution, notamment en ce qui concerne l'influence de la règle religieuse sur la loi civile : outre l'appellation officielle de « république islamique d'Afghanistan », la constitution prévoit qu' « aucune loi ne peut être contraire à la religion sacrée de l'islam» (article 3 de la Constitution). C'est à la Cour suprême, organe principal du pouvoir judiciaire -où les oulemas exercent une influence prééminente- qu'il reviendra, à la demande du gouvernement ou des tribunaux, de vérifier la compatibilité avec la Constitution- et donc à l'islam- des lois, traités internationaux ou conventions internationales.
c) Un Etat central faible
L'influence et l'action de l'Etat et de son gouvernement restent limitées à la capitale et à son environnement proche. Dans les provinces, les administrations locales, si elles existent, restent livrées à elles-mêmes et à toutes les dérives liées aux influences des commandants ou potentats locaux. L'Etat afghan ne finance aussi que 41 % de son budget de fonctionnement, le reste étant abondé par des financements internationaux indispensables. L'administration centrale souffre d'une fonction publique inefficace, incompétente et souvent corrompue. L'un des axes majeurs de la reconstruction du processus « post-Bonn » devra être la constitution d'une fonction publique digne de ce nom capable de mobiliser une élite locale qu'il reste à former.
d) Le respect des droits humains élémentaires au centre de la reconstruction politique et sociale
En dépit du nouveau cadre constitutionnel et légal afghan qui accorde explicitement une priorité au respect des droits de l'homme, leur situation reste de facto encore extrêmement préoccupante et leurs violations fréquentes.
Le texte constitutionnel en premier lieu offre une bonne garantie -formelle- au respect des droits de l'homme, mettant en avant, en particulier, l'égalité entre hommes et femmes, l'interdiction de la torture et des traitements contraires à l'intégrité humaine, reconnaissant les droits de la défense, la liberté d'expression, etc.
Ensuite, en application des accords de Bonn, l'Afghanistan s'est doté, en juin 2002, d'une commission indépendante des droits de l'homme présidée par Mme Sima Samar. Cette commission peut recevoir les plaintes des citoyens afghans et procéder à des enquêtes mais, comme Mme Samar l'a indiqué à la délégation, les obstacles qu'elle rencontre dans sa mission sont multiples. La commission organise par ailleurs régulièrement des séminaires destinés à sensibiliser les Afghans à la question du respect des droits de l'homme.
Pour autant, dans les faits, le respect des droits de l'homme en Afghanistan est loin d'être acquis.
Illustrant l'absence de l'autorité de l'Etat, les chefs locaux -« commandants » ou « seigneurs de guerre » sont à l'origine de nombreuses atteintes aux droits de l'homme : pour des raisons « politiques » -élimination d'opposants-, financières ou autres : enlèvements contre rançons, arrestations et détentions arbitraires dans des prisons « privées », assassinats, enlèvements et viols de jeunes gens (garçons ou filles), mariages forcés, expropriations... la liste des méfaits est malheureusement longue.
Les agents de l'Etat ne sont pas en reste. L'absence de toute sensibilisation au respect des droits de l'homme, conjuguée à des pratiques héritées d'années d'anarchie et de guerre font des forces armées, de la police ou des services de renseignements, des coupables de violations graves : la torture reste pratiquement systématique, les détentions arbitraires sont légion dans des conditions de détention qui sont loin de respecter -à l'exception de la prison de Kaboul récemment réhabilitée- les normes internationales.
Là encore les femmes sont les plus vulnérables aux pratiques des administrations afghanes : une majorité de femmes emprisonnées le sont après avoir porté plainte pour viol -et sont alors incarcérées pour adultère-, ou après avoir fui le domicile conjugal à la suite des violences qu'elles y subissent.
On peut espérer que la restauration et l'extension progressives de l'autorité de l'Etat, que les formations dispensées par la communauté internationale aux nouvelles forces armées et de police permettront d'établir des normes et des pratiques plus respectueuses des droits fondamentaux.
En revanche, le problème des violations des droits de l'homme liées aux traditions afghanes risque d'être long et difficile à résoudre.
Ces violations touchent aussi prioritairement les femmes qui n'ont, dans les coutumes afghanes, et toutes ethnies confondues, qu'un statut d'infériorité : la violence domestique est impunie ; les mariages, majoritairement « arrangés » s'apparentent à une vente. Les mariages précoces (avant 16 ans) sont encore répandus, alors même que la loi fixe l'âge légal du mariage à 16 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. Par ailleurs, dans le droit coutumier des Pachtounes, les femmes sont réduites à un objet d'échange dans le règlement des conflits...
Plus généralement, enfin, le statut civil et social de la femme tel que le prévoit l'Islam la place en situation d'infériorité pour tout ce qui relève de la liberté de déplacement, de l'habillement, de l'héritage, des règles de mariage et de divorce, de la validité de son témoignage en justice, etc...
Enfin, également particulièrement vulnérables, les enfants. Ceux-ci sont fréquemment victimes du travail forcé, très répandu en Afghanistan et qui découle autant de la tradition que de la situation économique et sociale du pays.