N° 274
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 30 mars 2005 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1), à la suite d'une mission effectuée en Russie du 12 au 19 septembre 2004,
Par M. Jacques VALADE, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Louis de BROISSIA, Ambroise DUPONT, Jean-Léonce DUPONT, Mme Monique PAPON et M. Ivan RENAR,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Hubert Falco, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Pierre Laffitte, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Melot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.
Recherche et enseignement supérieur. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Un an après les célébrations du Tricentenaire de la ville de Saint-Pétersbourg, qui ont été l'occasion de rappeler et de renouer les liens historiques et culturels forts entre nos deux pays, la commission des affaires culturelles a souhaité effectuer, en septembre dernier, un déplacement en Russie.
Au-delà d'une approche générale de la politique culturelle russe, la mission d'information avait pour objet d'étudier le système d'enseignement supérieur et de recherche.
Les nombreux entretiens avec des responsables politiques et des acteurs culturels, universitaires et scientifiques, mais également les visites menées par la délégation, lui ont donné une approche concrète des profondes mutations intervenues ces dix dernières années dans ces différents domaines, ainsi que des réformes, en cours ou à venir, qui les concernent.
La délégation de la commission, qui était conduite par M. Jacques Valade, président, et composée, en outre, de Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Mmes Monique Papon, Danièle Pourtaud et M. Ivan Renar, a séjourné en Russie du 12 au 19 septembre 2004.
Elle s'est rendue non seulement à Moscou et Saint-Pétersbourg, capitales politiques, économiques et culturelles du pays, mais également dans une ville de province, Velikiy Novgorod, la plus ancienne cité russe, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.
La délégation tient à remercier l'ensemble des interlocuteurs rencontrés pour la qualité de leur accueil, ainsi que le service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France, pour la contribution apportée au déroulement de ce déplacement.
Au cours de ce déplacement et de ces rencontres, la délégation a pu appréhender une société russe traversée par les inégalités, partagée entre nostalgie du passé, quête de changement et appel à la modernité. Elle a ainsi pu prendre la mesure des tensions qui parcourent cette société, entre la tentation encore persistante du repli et le désir pressant d'ouverture.
En effet, le renouveau culturel se heurte encore au poids des conservatismes, alors que vient de se tenir, à Moscou, la première Biennale des arts contemporains. Celle-ci serait-elle un signe annonçant que les esthétiques nouvelles parviennent enfin à avoir « droit de cité » en Russie, comme le souligne l'article reproduit en annexe au présent rapport ?
En outre, après avoir souffert de restrictions budgétaires au cours de la période de transition, qui ont précipité de premières évolutions, nécessaires, du système hérité de l'ère soviétique, le potentiel universitaire et scientifique russe est aujourd'hui confronté à de nouveaux défis. L'ouverture internationale, notamment vers l'Europe, constitue une opportunité que certains s'empressent de saisir, afin de préserver ce terreau d'excellence et de l'adapter aux enjeux de demain. D'autres expriment davantage de réticences.
Enfin, alors que les Lettres Russes étaient à l'honneur du Salon du Livre qui s'est tenu à Paris du 18 au 23 mars 2005, la mission a permis à la délégation de percevoir l'intensité et la qualité des liens privilégiés unissant la France et la Russie dans le domaine culturel, mais aussi en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Cette coopération, fondée sur un partenariat ancien, connaît une dynamique renouvelée, à la fois soucieuse d'accompagner la Russie dans ces différentes mutations, et répondant à des attentes fortes.
I. LA SOCIÉTÉ, LE POUVOIR ET LES MÉDIAS EN RUSSIE, AU LENDEMAIN DU DRAME DE BESLAN
La délégation de la commission s'est rendue en Russie alors que le pays sortait d'un drame national, dont la population prenait peu à peu conscience de l'ampleur.
La prise d'otages dans l'école de Beslan, en Ossétie du Nord, le 1 er septembre, jour de la rentrée scolaire, a abouti à un dénouement tragique et confus, le 3 septembre, faisant 339 victimes, dont 171 enfants.
Ce drame a été un révélateur de l'état de la société et du pouvoir en Russie, ainsi que de la situation des médias.
A. UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LE RENFORCEMENT DE LA « VERTICALE DU POUVOIR »
1. L'organisation du pouvoir dans la Fédération de Russie
a) L'organisation territoriale de la Fédération de Russie
Le traité fédéral du 31 mars 1992 a institué une nouvelle organisation territoriale de la Russie, quelques mois après la dissolution officielle de l'URSS, prononcée le 8 décembre 1991.
La Russie est désormais une fédération. Son territoire, peuplé de 144,9 millions d'habitants (dont 82 % de Russes et plus de 100 autres « nationalités » ou ethnies), s'étend sur 17 millions de km 2 et 11 fuseaux horaires. Il est découpé en 89 circonscriptions, dénommées « sujets de la Fédération » :
- 49 régions ( oblast ) et 6 territoires ( kraï ), qui constituent les entités administratives de droit commun, dont la distinction relève de l'histoire ;
- 21 républiques, issues des ex-républiques autonomes de l'ère soviétique, constituées sur des critères ethniques ; elles disposent d'une plus grande autonomie que les régions et territoires ;
- une région autonome et 10 districts autonomes ( okrug ), également définis sur des critères ethniques ; ces derniers sont placés sous l'autorité des oblast et kraï auxquels ils se rattachent ;
- 2 régions urbaines -Saint-Pétersbourg et Moscou-, villes qualifiées « d'importance fédérale » .
Les 89 « sujets » de la Fédération ont des instances propres et sont chacun dirigés par un gouverneur, élu au suffrage universel depuis 1995.
Jusqu'en mai 2000, chaque gouverneur et président d'assemblée locale, tous deux élus, siégeait au Conseil de la Fédération. Désormais, les 178 membres de la chambre haute (soit 2 représentants par « sujets ») sont nommés, l'un par l'assemblée locale, l'autre par l'exécutif local.
b) La réaffirmation de l'autorité du pouvoir central
Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir en mars 2000 sur un programme dit de « restauration de la verticale du pouvoir » et de « dictature de la loi » .
Cette volonté de restaurer, sur l'ensemble du territoire, un rapport de force favorable au pouvoir central , s'est inscrite en réaction à l'autonomie et l'influence croissante acquise par un grand nombre de gouverneurs de provinces, chacun des « sujets » disposant d'un champ de compétences propres dans les domaines tant économique que politique.
Elle s'est également imposée comme une nécessité pour renforcer la cohésion nationale , dans le contexte d'insécurité d'un pays en guerre contre le terrorisme , en Tchétchénie.
La réforme s'est notamment traduite par :
- la réorganisation des structures fédérales en sept districts fédéraux recouvrant l'ensemble du territoire (décret du 13 mai 2000) ; à la tête de chacun a été nommé un représentant plénipotentiaire du Président (polpred) , chargé de mettre en conformité les législations des « sujets » de la Fédération avec le droit fédéral mais également de superviser et contrôler l'action des gouverneurs, afin de contrecarrer leur trop grande influence ;
- en parallèle, la loi Kozak, adoptée en octobre 2003, a délimité les compétences de niveau fédéral, régional et local, en soumettant les différents responsables à une stricte discipline hiérarchique ;
- dans le cadre de la réforme fiscale, la remise à plat des relations budgétaires entre le centre et les « sujets » de la Fédération s'est traduite par une augmentation des recettes fédérales -passées de 50 à 60 % du total de la collecte- au détriment des régions.
2. Les réformes annoncées le 13 septembre 2004 par le Président Poutine
Le 13 septembre 2004 à savoir le lendemain de l'arrivée de la délégation à Moscou, et dix jours après le dénouement tragique de la prise d'otage dans l'école de Beslan, le Président Vladimir Poutine a annoncé, lors d'une réunion extraordinaire du gouvernement russe, son intention de renforcer « radicalement » le pouvoir central en Russie.
Cette volonté s'est traduite par deux réformes institutionnelles très importantes, qui ont fait l'objet de vives critiques :
- dorénavant, les hauts responsables des 89 sujets de la Fédération seront élus par les assemblées locales, sur proposition du chef de l'État (à partir d'une liste qui pourra ne comporter qu'un nom), et non plus élus au suffrage universel direct ; cette loi a été adoptée par la Douma le 3 décembre 2004 ; elle renforce, en parallèle, le rôle des représentants plénipotentiaires du Président dans les régions ;
- afin de favoriser les grands partis « d'envergure nationale » , le scrutin proportionnel deviendra le mode d'élection de l'ensemble des représentants à la Douma ; depuis 1993, les 450 députés siégeant à la chambre basse étaient élus pour moitié à la proportionnelle, selon un scrutin de liste (avec un seuil minimum de 5 % des suffrages, relevé à 7 % avant les législatives de décembre 2003), et pour moitié au scrutin uninominal à un tour ; cette mesure ne pourra que renforcer l'influence du parti présidentiel, « Russie Unie » , qui a déjà remporté la majorité qualifiée des sièges aux dernières élections.
La réforme est présentée comme une nécessité pour assurer l'unité du pays dans le cadre d'une lutte accrue contre la menace terroriste : « Sur le long terme, les organisateurs des attentats cherchent à déstabiliser le pays, à démanteler l'Etat, à détruire la Russie » ; « Les organes du pouvoir exécutif central et régional doivent former un organisme uni et hiérarchisé ».
Dans le même temps, le Président Poutine a appelé à un « renouvellement radical de toute la politique » dans la région du Nord Caucase, devenue « à la fois victime et plate-forme du terrorisme international ». Il a annoncé la création d'une commission fédérale dans la région, dotée de large prérogatives, avec, à sa tête, Dimitri Kozak, l'un de ses proches collaborateurs.