E. LES CONSÉQUENCES DE L'APPLICATION DU PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE

1. L'absence d'étude d'impact préalable

Même si le PPO a déjà été appliqué dans quelques textes, ni la Commission ni les États membres ne disposent du recul nécessaire sur ses implications réelles, puisque c'est la première fois qu'il serait appliqué et dans un domaine très vaste, celui des services. De nombreuses personnes auditionnées par le groupe de travail ont ainsi parlé de rupture, de novation, voire de révolution culturelle. Il faut donc raisonner par anticipation.

La Commission européenne a publié une étude d'impact de sa proposition de directive le 13 janvier 2004, mais celle-ci se résume à un état des lieux du marché des services, sans éléments prospectifs. Il en ressort simplement que depuis 1992, 2,5 millions d'emplois auraient été créés dans l'Union du fait de l'ouverture des frontières.

Par ailleurs, une étude du commissariat général du plan néerlandais a été menée sur l'impact de la proposition de directive : elle montre que les échanges de services intra-européens devraient croître de 15 % à 35 % et le PIB de l'Union augmenter de 1 % à 3 %.

Enfin, une étude danoise rendue publique par la Commission européenne le 9 février 2005 estime que la proposition de directive pourrait créer 600.000 emplois dans l'Union européenne, en raison des barrières à l'entrée de certains marchés de biens et services qu'elle permettrait de lever. La consommation augmenterait de 37 milliards d'euros et la valeur ajoutée des services de 33 milliards d'euros.

Cependant, dans toutes ces études, rien ne permet de distinguer ce qui relèverait de la croissance spontanée du secteur, de la simplification administrative et de l'application du principe du pays d'origine.

Au-delà de l'étude d'impact, le manque principal pour apprécier l'incidence du PPO réside dans l'absence d'état des lieux des législations et réglementations nationales dans le secteur des services.

Dans son rapport du 30 juillet 2002 sur l'état du marché intérieur des services, la Commission européenne souligne les difficultés relatives à l'établissement des opérateurs de services, à la promotion, à la distribution, à la vente et à l'après-vente des services, mais sans établir de comparaisons européennes. Cette étude ne permet donc pas de se faire une idée exacte de l'état d'harmonisation ou au contraire de divergence des dispositions juridiques nationales. Or, ce sont les secteurs où la réglementation est la moins harmonisée qui redoutent les effets négatifs du PPO et qui se manifestent. Ainsi, dans le secteur de la construction, les professionnels estiment que le PPO entraînerait une distorsion de concurrence pour les prestataires et une insécurité pour les bénéficiaires en raison des trop fortes disparités dans les législations des États en matière de responsabilité des constructeurs et d'obligations d'assurance.

En conclusion, toutes les discussions sur les effets économiques de l'application du PPO sont actuellement rendues difficiles par l'absence de « panorama » européen des législations et réglementations nationales. C'est un travail auquel la Commission européenne aurait dû se livrer avant de présenter sa proposition de directive. Il serait dans un second temps souhaitable qu'une étude économique soit réalisée en France sur l'impact du projet de directive.

2. Des craintes de « dumping » juridique

Le choix du principe du pays d'origine est doublement orienté en faveur des producteurs de services et en faveur des entreprises installées dans les pays où la réglementation est la moins contraignante.

Ainsi, c'est le droit du pays de l'entreprise qui fournit le service qui s'appliquerait et non le droit du pays où se trouve le consommateur ou l'entreprise bénéficiaire. Ce sera donc à ces derniers de s'informer sur le droit étranger applicable, alors même que le PPO part du principe que l'entreprise prestataire de services se heurte dans l'Union à des formalités et à une complexité juridique qu'elle ne peut gérer correctement. Il y a donc dans le PPO une dissymétrie qui ne pourrait être résolue que par un surcroît d'information des bénéficiaires de services. D'où l'idée émise par certains que le PPO ne devrait pas s'appliquer aux relations entre entreprises et particuliers, mais, par exemple, aux seules relations entre entreprises, qui disposent de moyens d'information comparables (relations dites « B to B », pour « business to business »).

Par ailleurs, les entreprises prestataires implantées dans les pays dont la réglementation est la moins contraignante auraient un avantage concurrentiel indéniable sur leurs concurrentes dans le marché communautaire si le PPO trouvait à s'appliquer. Cela est vrai sauf dans le cas où les préférences des consommateurs ne se porteraient pas uniquement sur le prix, mais également sur la qualité et la sécurité juridique attachées à la prestation de services. Il est probable que, sur ce point, le comportement des bénéficiaires de services varie suivant le type de services offert.

Dans son avis rendu le 18 novembre 2004, le Conseil d'État estime que si le PPO ouvre un même marché concurrentiel à des prestataires soumis à des niveaux d'exigence différents, lesquels conditionneront le prix de la prestation offerte, le principe d'égalité ne serait pas directement mis en cause si l'on admet que le bénéficiaire est en mesure d'opérer un choix éclairé.

En conclusion, le risque de « dumping juridique » entre États membres existe, susceptible d'abaisser le niveau global de protection des destinataires dans l'Union européenne, consommateurs ou PME. Le PPO risque de favoriser l'implantation des entreprises dans les pays dont la législation est la « moins-disante » si les bénéficiaires de services ne prêtent pas une attention suffisante à certaines protections juridiques ou ne sont pas suffisamment informés pour faire un choix éclairé. Dans son document de travail précité, Mme Gebhardt, rapporteur du texte au Parlement européen, estime même que le PPO incitera les prestataires de services à n'établir des filiales que dans les États membres appliquant des protections limitées.

3. Les risques de contentieux

Sous une apparente simplicité, le PPO suscite également de nombreuses incertitudes pour les prestataires et les bénéficiaires de services, ce qui pourrait se traduire par une multiplication des actions contentieuses.

L'affirmation d'un cumul de réglementations posée à l'article 3 de la proposition de directive (ses dispositions s'ajoutant à l'acquis communautaire) serait source de difficultés d'interprétation, notamment pour les services qui bénéficient déjà du principe de reconnaissance mutuelle.

Dans son avis, le Conseil d'État pointe ainsi un risque de multiplication des actions contentieuses et une source de confusion entre l'application du principe du pays d'origine et d'autres réglementations, par exemple le droit de la consommation, pour lequel est privilégiée la loi du pays du bénéficiaire de la prestation de service.

Par ailleurs, le PPO entraînerait une multiplication des cas dans lesquels une juridiction nationale serait conduite à faire application du droit civil ou commercial d'un autre État membre, ce qui pose des difficultés pratiques. Le juge pourra-t-il accéder dans de bonnes conditions, notamment dans sa langue, au droit de l'ensemble des pays de l'Union européenne ? La formation des juges sera-t-elle suffisante pour interpréter correctement les droits de 25 États membres ? Les éventuelles divergences de jurisprudence entre les tribunaux nationaux ne créeront-elles pas davantage de confusion pour les prestataires de services, etc ?

En conclusion, le PPO n'est pas un principe simple d'application du droit dans l'Union européenne, c'est un terme qui consacre la coexistence de droits nationaux divergents, ce qui n'est pas un facteur immédiat de simplification, comme le serait une harmonisation.

4. La question du respect effectif du droit

Il convient également de se demander dans quelles conditions effectives le respect de la loi du pays d'origine sera assuré.

La proposition de directive dispose que les États membres doivent assurer la surveillance et le contrôle des services, même dans le cas des services transfrontaliers, et mettre pour cela en place une collaboration étroite. Dans son document de travail précité, Mme Gebhardt souligne toutefois que les expériences précédentes de la collaboration entre les administrations font craindre qu'il n'y ait pas de contrôle efficace. Or, l'introduction du principe du pays d'origine créera indubitablement une certaine distance spatiale entre le contrôleur et les activités à contrôler.

Le Conseil d'État estime aussi que la complexité de la procédure dite d'assistance mutuelle risquerait plutôt de conduire à une lourdeur bureaucratique, source d'inefficacité. Il s'interroge sur l'incidence du PPO sur l'applicabilité territoriale des règlements de police.

La réponse à cette question conditionne en particulier l'appréciation à porter sur les dispositions de la proposition de directive qui limitent les pouvoirs qu'un État membre serait autorisé à exercer sur son propre territoire, à son initiative, en matière de vérifications, inspections et enquêtes sur place.

Le problème est que la circulation des services interviendra rapidement si la directive le permet, mais qu'il faudra du temps pour mettre en place une coopération administrative efficace.

En conclusion, il est difficile de préjuger de la qualité des relations administratives qui pourront s'établir entre États membres et qui permettraient une bonne application du PPO . D'une manière générale, il est souhaitable que, dans le secteur des services comme dans d'autres domaines (coopération douanière, policière, ou judiciaire par exemple), les administrations nationales prennent l'habitude de travailler ensemble. Il serait satisfaisant qu'en matière de bonnes pratiques, de simplification administrative, les échanges d'informations entre États puissent se développer, sans que cette coopération soit d'ailleurs nécessairement liée à l'application du PPO.

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