III. LE MANQUE DE LISIBILITÉ DES INTENTIONS GOUVERNEMENTALES
A. LA DÉLICATE QUESTION DU RELOGEMENT DES SANS-ABRIS
Le relogement des sans-abris est un enjeu déterminant pour les autorités indonésiennes et en particulier la TNI, qui cherche à contrôler la population pour mieux identifier et localiser les combattants et sympathisants du GAM. Le gouvernement a ainsi annoncé la création d'au moins 24 centres de regroupement des familles sinistrées , dont la localisation tend à conforter les doutes sur leur objet réel, dans la mesure où ils sont également prévus sur la côte est, pourtant peu affectée par le tsunami. La TNI, par la voix du général Bambang Darmon, a indiqué souhaiter leur multiplication. Le gouvernement a, en outre, exprimé son désir de comptabiliser les personnes déplacées.
Vos rapporteurs spéciaux ont eu l'occasion de visiter un de ces centres en construction : l'espace dévolu aux réfugiés est pour le moins réduit, puisqu'il serait de l'ordre de 1,5 m 2 par personne, et la toiture est en tôle, ce qui tend à dégrader les conditions de vie en période de forte chaleur. Cette logique concentrationnaire se heurte aux premiers réflexes des habitants : les familles ne sont guère enclines à se rendre dans ces centres, reviennent sur l'ancien lieu de leur habitation et installent la tente remise par MSF à même la plate-forme. Les autorités indonésiennes ont néanmoins annoncé que l'assistance ne serait fournie qu'aux Acehnais qui s'établiraient dans les centres. Le BCAH a conseillé au gouvernement, en vain pour l'instant, de ne pas aller à l'encontre des souhaits de la population et de remettre aux habitants du matériel de reconstruction plutôt que de chercher à les « parquer ».
Les marges de manoeuvre de l'ONU et des représentations diplomatiques étrangères sont ténues sur ce sujet, qui peut relever de l'immixtion dans les affaires intérieures. Il sera sans doute très difficile d'infléchir la position gouvernementale si son plan de regroupement se confirme.
B. REVIREMENTS ET FLOUS DÉCISIONNELS
Ainsi qu'il a été relevé précédemment, le processus décisionnel des autorités indonésiennes est divisé entre la TNI, qui cherche à conforter son ascendant sur le GAM 28 ( * ) et l'activité économique de la province d'Aceh, et le gouvernement, qui sous l'impulsion du président SBY espère instaurer un mode de fonctionnement plus démocratique, par la réduction de la corruption et de l'influence de l'armée. Cette tension crée de réelles incertitudes, tant sur la probabilité de réalisation de déclarations sporadiques, que sur l'identification des vrais responsables.
Un espoir de clarification s'était fait jour mi-janvier avec l'annonce de la mise en place d'un interlocuteur unique , l' « Autorité pour la reconstruction d'Aceh » (BOK), indépendante et qui ne devait rendre des comptes qu'au président SBY. D'après les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux à l'issue de leur mission, ces espoirs ont été déçus après que le vice-président Kalla, qui s'était déjà illustré par ses propos assez agressifs à l'encontre des opérateurs étrangers, a indiqué le 3 février que les décisions relèveraient du représentant du gouvernement dans la province, actuellement emprisonné en raison de soupçons de corruption...
Le président SBY est néanmoins conscient du risque de modification de l'image de son pays dans l'opinion mondiale, et du discrédit qui serait le sien si Aceh se refermait totalement et devenait un lieu de corruption généralisée, à l'image du président du Nicaragua Luis Somoza après le tremblement de terre qui a détruit Managua le 22 décembre 1972. En outre, le gouvernement a fait preuve d'un certain courage en relançant, sans préalable, le processus de négociation avec le GAM à Helsinki . Les ministres ont été impliqués, et non plus seulement la haute administration, et le dialogue s'est noué sans intermédiaires avec les délégués du GAM. Les négociations devraient reprendre fin février, toujours à Helsinki et non pas en Indonésie comme l'exigeaient les nationalistes.
* 28 Le chef d'état-major de l'armée de terre a clairement annoncé son intention de renforcer les moyens de la TNI pour « en finir » avec le GAM. Il reste que dans l'hypothèse où les rares combattants du GAM auraient échappé au tsunami en se réfugiant dans les montagnes, ses sympathisants et militants ont probablement péri dans les mêmes proportions que le reste de la population.