Table ronde n° 1 :
Garantir les promesses des signes de qualité

Sont intervenus :

M. René RENOU , président du comité national des vins et eaux-de-vie de l'Institut national des appellations d'origine (INAO)

M. Philippe MAUGUIN , directeur de l'INAO

M. Yves BÉNARD , coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) et directeur des activités « champagne et approvisionnement » du groupe LVMH

M. Xavier CARREAU , président de la Fédération des grands vins de Bordeaux

René RENOU

Pourquoi est-il urgent de se préoccuper de la crise viticole ?

L'évolution de la situation

Le contexte est connu : la France était auparavant en situation de monopole, l'offre était inférieure à la demande mondiale, le seul code de lecture était le code français repris au niveau européen, le vin était lié au terroir. On faisait ce qu'on voulait.

Aujourd'hui, la situation est différente : concurrence internationale, offre supérieure à la demande planétaire, code de lecture anglo-saxon. Le principe est simple : le consommateur recherche un plaisir immédiatement accessible. Cela correspond à un achat impulsif. C'est le cas de 85 % du marché. Les 15 % restant correspondent à la conception française traditionnelle. Cette part doit être préservée et magnifiée, mais il n'est pas possible de méconnaître l'autre approche du consommateur.

Deux points sont importants : la qualité et l'identité. De mon point de vue, le contrôle de la qualité au dernier niveau de l'agrément est trop tardif. La qualité doit être recherchée en amont. Le décret du 5 novembre 2002 précise que l'INAO doit s'assurer que les vignes qui revendiquent l'appellation respectent bien les critères. Bien sûr, les contrôles ne peuvent porter que sur les éléments précisés par la réglementation.

La réécriture des décrets

Le 29 avril 2004, j'ai exprimé des idées qui ont déclenché un débat. Nous pensons unanimement que la réécriture des décrets est indispensable et urgente pour répondre à la double préoccupation du consommateur : la garantie de qualité et l'identité du vin. Ces deux dimensions passent par un décret « charte de qualité ».

Après l'accord du 21 juillet dernier et la réunion de la mi-octobre du bureau de l'INAO, nous allons contacter les syndicats d'appellation pour leur proposer de réécrire leurs décrets, en accord avec la filière. Cet acte ne doit pas être compris comme un acte administratif inutile, mais comme une volonté de permettre la réappropriation de chaque appellation par les producteurs.

L'appellation ne doit plus être un privilège. Le protectionnisme consistant à protéger les mauvais vins ne doit plus être admis. Il ne peut fonctionner dans un univers de concurrence internationale et d'offre supérieure à la demande. Le positionnement de chaque appellation devra être réévalué. Nous devrons démontrer que nous sommes les meilleurs, car nous ne sommes plus seuls.

Il faudra réécrire les décrets, même si cela conduira sûrement à des tensions. Elles sont nécessaires et salutaires pour l'avenir du vignoble. Nous ne pouvons plus considérer que nous sommes protégés. La crise n'est plus conjoncturelle, mais structurelle. La seule manière d'amortir le choc est de repositionner les vins français dans une logique de bonne surprise et non de déception, même si la déception ne concernait que 5 % de l'offre.

La stratégie

La France ne peut plus se battre seule. Les Espagnols et les Italiens ne sont plus des adversaires, mais des alliés objectifs. Ils ont en effet la même démarche que les Français : le lien au terroir est le fondement de l'identité du vin. Si l'Europe entière fait sienne cette vision, nous aurons de véritables armes pour réussir.

L'urgence est grande, car nous sommes face à une nouvelle concurrence. Nos adversaires ne nous pardonneront rien. Ils ont tout à prouver. Ils ont su communiquer. Nous avons besoin de récréer un climat de confiance. Nous devons être capables de nous reprendre en main et de sortir de la logique confortable du monopole.

Il est urgent d'agir. Les concurrents préféreraient une mort rapide de la France à une mort lente. Nous devons retrouver une combativité et une agressivité sur le marché international. Si ce n'est pas le cas, nous ne survivrons pas. Cette affirmation n'est pas aussi absurde qu'elle paraît.

Il faut donc impliquer tous les présidents de syndicats d'appellation. Ils doivent engager le débat de fond sur la réécriture des décrets. Ils doivent également réfléchir à leur potentiel. Le texte ne doit pas aller au-delà de ce qu'on peut ou veut faire. Ce serait inutile et mensonger. Chaque syndicat devra s'attacher à définir les efforts qu'il est en mesure de réaliser.

Les réflexions des syndicats remonteront ensuite à l'INAO par l'intermédiaire des bassins de production. Nous aurons ainsi une vue claire de l'état du vignoble et de la volonté de la viticulture de se repositionner par rapport à un marché bouleversé.

Il faudra prouver que nous produisons toujours le vin de référence et que nous avons laissé dans les bouteilles une part de rêve. Le consommateur ne doit plus douter de la qualité de nos vins.

Philippe MAUGUIN 8 ( * )

Les enjeux de l'appellation sont ainsi clairement posés.

Je vous présente maintenant l'état des lieux des contrôles réalisés par l'INAO. Pour mémoire et pour ceux qui en doutent, AOC signifie « appellation d'origine contrôlée ». Le contrôle est donc une composante essentielle de l'appellation d'origine.

L'INAO

Pour l'INAO, l'objectif est de faire en sorte de ne pas décevoir dans le verre la promesse faite par l'AOC au consommateur. Aujourd'hui, la promesse correspond à une qualité spécifique produite sur un terroir. Elle est différente de la qualité notée par les guides ou par un critique américain.

L'INAO est un organisme public composé de 260 agents, dont 60 travaillent au siège. 25 centres sont établis dans les principaux bassins. Depuis 1990, l'INAO est également chargé des AOC laitières et agroalimentaires. Il est chargé, en outre, des indications géographiques protégées. Ces missions non viticoles représentent un quart de son activité.

Le rôle de l'INAO est de vérifier que la qualité spécifique est correctement établie. Il effectue deux types d'intervention tout au long de la filière : le contrôle des obligations de moyens - c'est-à-dire la vérification du respect des critères fixés par les textes - et le contrôle de l'obligation de résultat - c'est-à-dire l'agrément du produit fini -.

Les contrôles en amont (production)

Les agents effectuent des contrôles à tous les niveaux. La première intervention a lieu avant l'entrée en production, lors des demandes d'autorisation de plantation, conformément aux règlements communautaires. L'ONIVINS réalise le même contrôle pour les vins de pays. Avant d'accorder une autorisation de plantation, les agents vérifient que le vigneron respecte le décret sur son exploitation.

La deuxième intervention est la vérification de l'aptitude des parcelles par rapport au milieu naturel lorsqu'il n'existe pas d'aire de production délimitée à la parcelle.

La troisième intervention réside dans les contrôles documentaires effectués à différents moments (entrée en production, déclaration de récolte, déclaration de fabrication, demandes d'agrément). Il s'agit de vérifier si l'exploitation de la parcelle est conforme à l'appellation.

La quatrième intervention est constituée par les contrôles de terrain. L'INAO souhaite les renforcer, notamment dans les vignobles et dans les chais. Les agents surveillent les conditions de production (encépagement, taille, titre alcoométrique...), les modes de récolte pour certaines appellations (tris, vendanges tardives) et les centres de pressurage.

Les contrôles en aval (agrément du produit)

Les contrôles « produit » sont effectués en cours d'assemblage ou une fois que le vin est élevé. Ce point est sujet à discussion.

Ces contrôles se font en deux étapes. La première est l'examen analytique. Il s'agit de rechercher des tromperies (traçabilité des matières premières, aromatisation, substitution sur l'origine des vins). Le contrôle des caves est effectué lorsque l'organisme agréé - qui travaille par délégation de l'INAO - réalise les prélèvements.

La seconde étape correspond à l'examen organoleptique. Un jury d'agrément réalise cet examen au cours de séances de dégustation.

Au total, 110.000 échantillons ont été analysés en 2003.

La nouvelle stratégie : le renforcement et le suivi des conditions de production

Depuis novembre 2002, le comité national des vins a considéré qu'il était peu efficace de mettre l'accent sur le contrôle en aval, au niveau du produit. Au mieux, on constatait des défauts dans le vin et le vigneron perdait son agrément. Au pire, les défauts échappaient à notre vigilance et le vin recevait l'agrément, sans garantie de pouvoir tenir sa promesse. Le problème se pose également pour les vins se situant à la limite.

Le comité national a donc souhaité passer du contrôle correctif au contrôle préventif. Le déclassement une fois le vin produit doit rester exceptionnel.

L'ensemble du dispositif doit demeurer sous le contrôle de l'INAO. Ce contrôle par un établissement public est important, car il offre une garantie vis-à-vis de l'extérieur. L'établissement est plus impartial et peut prononcer des sanctions.

Cependant, le comité national a souhaité associer les professionnels. Cela explique la mise en place des commissions de producteurs, qui amplifient les moyens d'action de l'Institut et jouent un rôle pédagogique. Ce recours aux professionnels constitue un retour aux sources. A l'origine, les producteurs avaient demandé aux pouvoirs publics d'approuver les règles qu'ils s'étaient fixées et de les rendre obligatoires. Ils doivent donc s'impliquer à nouveau dans le suivi des règles.

Ces commissions ont démarré de façon expérimentale en 2003. Des parcelles choisies par sondage ont été visitées. L'INAO définit un parcours et une méthode de sondage (par communes, par secteur ou par tirage aléatoire), après consultation du syndicat de l'appellation. 10 à 30 % du vignoble est ainsi contrôlé. Les agents et la commission effectuent la visite ensemble ou séparément. Lorsque la commission constate un problème, elle le signale à l'INAO. Elle ne peut pas prononcer de sanction. La responsabilité des décisions reste assumée par l'INAO.

Des courriers, éventuellement préparés par le président de la commission, sont envoyés aux professionnels fautifs afin de leur expliquer les problèmes constatés et de les inciter à les corriger. Chaque fois qu'un avertissement est émis, un second contrôle a lieu avant la récolte. Si les problèmes (rendement, état sanitaire, manquements divers) n'ont pas été corrigés, nous l'informons que tout ou partie de sa parcelle sera soustrait de la déclaration de récolte et n'aura pas droit à l'appellation d'origine.

Les résultats

150 des 467 AOC se sont engagées dans la démarche. Le mouvement est donc bien enclenché, malgré les réticences initiales. Par exemple, pour les appellations Anjou et Saumur, les agents ont effectué 64 journées de visite. 3.700 hectares ont été contrôlés. 10 % ont fait l'objet d'un avertissement. 2 à 3 % des parcelles ont été déclassées après le second passage. L'appellation muscat de Rivesaltes a été très volontaire puisque la commission a voulu vérifier l'ensemble du vignoble. 4.000 parcelles ont été vérifiées. 900 avertissements ont été pris concernant 700 hectares. Au second passage, 130 hectares n'avaient pas suivi les recommandations et ont été soustraits de l'AOC.

Au total, 35.000 hectares de vigne ont été contrôlés, soit 8 % du vignoble AOC. Les autres vérifications de l'INAO représentent une surface de 1 %. En 2003, c'est 9 % du vignoble AOC qui a donc été contrôlé.

Ces résultats sont assez positifs.

On évoque souvent les contrôles par tierce partie dans les pays du Nouveau Monde. En pratique, ils sont très rares.

En viticulture, ces contrôles sont beaucoup plus nombreux que dans les autres secteurs agricoles. Ensemble, les agents de l'INAO, les syndicats et les organismes agréés ont réalisé 100.000 contrôles de terrain ou documentaire sur les exploitations ou dans les chais. Statistiquement, chaque vigneron a été contrôlé une fois.

Ce n'est pas suffisant : les interprofessions relèvent des problèmes dans les contrôles qu'elles mènent en aval. Des défauts passent entre les mailles du filet.

De ce fait, l'INAO poursuit ses efforts en remettant à plat le système de l'agrément « produit ». L'objectif est de se rapprocher davantage du stade de la commercialisation du produit fini. L'agrément « produit » se fait encore trop souvent sur des lots avant assemblage.

Concernant le contrôle des conditions de production, l'INAO cherche à amplifier le mouvement. L'Institut souhaite également augmenter la pression des contrôles, s'il obtient les moyens nécessaires. Enfin, le contrôle s'effectuant avec d'autres partenaires, notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les douanes, l'INAO cherche à faire en sorte que l'ensemble des contrôles soit mieux coordonné.

Yves BÉNARD

Je préside la commission « champagne et vins effervescents » de l'INAO.

Je rappelle d'abord deux spécificités du champagne, qui empêchent de reproduire la politique menée en Champagne dans les autres vignobles. D'ailleurs, le champagne est rarement considéré comme un vin par le consommateur.

D'une part, en ce qui concerne la production, 90 % des vins sont le résultat d'un assemblage de crus et d'années. Les viticulteurs sont propriétaires de 90 % du vignoble, mais les maisons de champagne assurent les deux tiers des ventes. Il y a donc un transfert de propriété à la production. Ce transfert porte essentiellement sur des ventes de raisins et non sur des ventes de vins.

D'autre part, en ce qui concerne l'organisation interprofessionnelle, des relations contractuelles se sont établies depuis 50 ans entre les vendeurs de raisins et les acheteurs (les maisons de champagne). Ce sont des contrats pluriannuels (cinq ou six ans) prévoyant des engagements de vente (en pourcentage de la propriété du viticulteur), des engagements d'achat, des prix et des modalités de paiement.

L'agrément s'est adapté à ces spécificités. Les vignobles crémants et mousseux se sont ralliés à ce système. L'agrément est très proche de la commercialisation.

Depuis l'arrêté ministériel du 20 août 2004, l'agrément s'applique à toute la région. Il est divisé en deux phases. La première est la délivrance d'un certificat d'aptitude avant le transfert de propriété. Ce certificat est destiné à vérifier le respect de toutes les conditions de production. Il n'est pas délivré si des remarques ont été émises par les commissions pédagogiques des vignerons ou par l'INAO. La vente n'est pas possible en l'absence de certificat.

La seconde phase est la délivrance de l'agrément sur bouteille, après la seconde fermentation. Des bouteilles sont prélevées lors de l'embouteillage. L'agrément ne se fait donc pas sur des bouteilles choisies, mais sur des bouteilles sélectionnées au hasard lors de la mise en bouteilles.

Les mouvements des cours ne sont jamais liés à l'agrément ou à l'absence d'agrément. Actuellement, le champagne est en situation de pénurie structurelle. La situation a été inverse auparavant. L'agrément et le cours sont deux problèmes différents.

L'avantage d'un agrément aval est évident. L'élaborateur fait sa cuvée, assemble ses vins, réalise ses fermentations et présente un produit qu'il considère comme fini. L'agrément joue pleinement son rôle. Il permet de ne pas laisser passer un vin atypique ou de mauvaise qualité.

Enfin, pour éviter les problèmes « sociaux » lorsqu'un vin est refusé lors de deux passages successifs devant la commission, le viticulteur ou l'élaborateur a la possibilité de retirer son échantillon et de remettre en cuve les bouteilles refusées. Il peut ainsi les fermenter à nouveau et les présenter lors de la vendange suivante. Cette opération est possible, car le champagne n'est pas un vin millésimé. Cela évite le recours à la commission d'appel et le risque de la distillation. Surtout, cela permet d'avoir un agrément sérieux, qui n'a pas à prendre en compte le problème social, puisque les vins remis en cuves ne sont pas prévus pour la viticulture.

Ces différents éléments ne sont pas forcément reproductibles dans les autres vignobles du fait des spécificités du champagne.

Xavier CARREAU

Mon exposé est présenté en deux parties. En tant que président de la Fédération des grands vins de Bordeaux, j'analyserai les évolutions possibles de l'agrément dans la région bordelaise. En tant que président de « Vin et Société », je ferai part de mes inquiétudes quant à l'évolution de la loi Evin.

Les évolutions de l'agrément en région bordelaise

L'agrément 2000 a été adopté en décembre 2001. Un même décret a été pris pour l'ensemble des vignobles bordelais. En pratique, ce décret, dont j'ai la responsabilité avec René Renou, se révèle mal adapté et ne répond pas aux objectifs fixés. En effet, nous continuons à agréer 99 % des vins alors que le suivi qualité en aval montre que 15 % des vins sont inaptes à représenter leur appellation et que 15 % sont médiocres. L'agrément ne répond donc pas à l'attente.

C'est pourquoi nous avons engagé une réflexion pour améliorer la procédure d'agrément. Le consommateur est en droit d'attendre non seulement une garantie d'origine et d'authenticité, mais également une garantie de qualité.

Deux projets d'agrément sont en cours d'études : le projet Médoc et Haut Médoc et le projet Bordeaux. Le but est d'agréer les vins au plus près de la commercialisation et non entre deux et six mois après la récolte. La commercialisation a lieu, en effet, après deux ou trois ans. Un tel agrément est plus difficile à mettre en place, car plusieurs marchés doivent être pris en compte (producteurs, négociants). De notre point de vue, l'agrément doit se faire au niveau du producteur. La plus-value apportée par l'agrément doit rester du niveau de la viticulture.

Le projet Médoc-Haut Médoc

La procédure d'agrément se fait sur des lots assemblés au stade le plus proche de la commercialisation sur demande du viticulteur. Le prélèvement est aléatoire et concerne un contenant par lot. Le projet envisage également un prélèvement aléatoire ultérieur dans différents lots. En effet, les lots sont composés d'une multitude de cuves. Certaines sont parfaites. D'autres ne le sont pas. Le projet Médoc envisage donc un prélèvement sur des lots assemblés. Si le vin est refusé au premier examen, tous les contenants sont prélevés et dégustés. La dégustation aboutit à une notation à quatre niveaux. La note D est éliminatoire. La note C correspond à une qualité médiocre. La note B est attribuée si la qualité est conforme. La note A correspond à un lot excellent.

Les viticulteurs vendant en vrac - dont le vin est élevé par le négoce - ont deux options. La première consiste à demander un certificat d'agrément partiel pour des lots destinés à une libération rapide. Un prélèvement est effectué dans chaque contenant du lot, qui est ensuite scellé jusqu'à l'obtention du certificat et l'enlèvement du vin. Cela évite la substitution. La seconde option consiste à demander un certificat d'agrément en bouteille. Le prélèvement se fait sur pile ou lors de la mise en bouteille. Cette procédure permet l'obtention complémentaire d'un certificat d'agrément à la mise en bouteille.

Le syndicat Médoc-Haut Médoc a pour objectif d'amener tous les viticulteurs à privilégier cette dernière option afin de mieux valoriser la production. Il envisage la création d'un signe distinctif à cet effet.

Le projet Bordeaux

Le projet Bordeaux reprend la même philosophie, mais avec des moyens différents. Il est fondé sur l'aptitude des exploitations à produire de l'AOC. L'aptitude est appréciée par le biais d'une vérification préalable, ainsi que d'un audit au vignoble et aux chais. Il s'agit d'un contrôle de la production et de la vinification.

Ce projet se fonde sur la responsabilisation des viticulteurs. Les examens analytiques et organoleptiques ne sont pas systématiques. Ils sont effectués par sondage lors des mises en bouteille ou avant l'enlèvement des lots en vrac.

Les exploitations qui s'engagent dans la démarche et qui répondent au cahier des charges établi par le syndicat sont déclarées aptes pour cinq ans. Les vins sont soumis à des prélèvements de manière aléatoire. Il faudrait modifier le règlement communautaire, qui oblige à une dégustation systématique des produits. Les vins non prélevés reçoivent l'agrément de manière automatique.

Seules les exploitations non sanctionnées pour non-respect des conditions de production peuvent s'engager dans la démarche. Si le viticulteur ne respecte pas le cahier des charges, il perd son aptitude et se voit appliquer la procédure standard (dégustation contenant par contenant).

La finalité des projets

D'autres projets sont en cours de finalisation. Ils ressemblent à ces deux projets, mais avec des moyens légèrement différents.

Nous analyserons ces expérimentations et nous essaierons ensuite d'établir une procédure unique pour l'ensemble des appellations. La poursuite de cette expérimentation difficile est indispensable dans l'actuel contexte économique. Elle permettra de définir le meilleur schéma pour garantir la qualité tout en améliorant l'efficacité des procédures d'agrément.

Pour atteindre cet objectif de garantie de qualité, les modalités des contrôles organoleptiques exercés par les organismes agréés devront évoluer vers une professionnalisation des jurys de dégustation. Cette professionnalisation constitue la cheville ouvrière de la procédure d'agrément. Elle passe notamment par l'élargissement des jurys vers l'aval (sommeliers, acheteurs, consommateurs), par la définition systématique d'un échantillon limite basse et par la mise en place de procédures de formation et d'évaluation permanentes des jurés.

Cette évolution sera parallèle à l'extension des missions des organismes agréés ayant vocation à gérer l'agrément, au sens large du terme (respect des conditions de production et contrôle qualitatif du produit au plus près de la commercialisation).

L'évolution de la loi Evin

Gérard César et moi-même avons rencontré le Premier Ministre en février 2004 pour lui demander d'aménager la loi Evin, qui empêche les interprofessions de communiquer. L'accueil a été bienveillant. Le 3 mai dernier, nous avons réuni les professionnels et les parlementaires à la Maison de la Chimie, à Paris. Nous avons senti que la filière était « soudée » autour de cette demande et du Livre blanc sur le rôle et la place du vin dans la société, publié en juillet 2004.

Cette réunion a débouché sur l'adoption d'un amendement au Sénat au mois de mai dans le cadre du projet de loi sur le développement des territoires ruraux. Cet amendement permet d'élargir les possibilités de communication. Il n'est pas excessif car il respecte les impératifs de santé publique. Il permet à l'interprofession de communiquer et de s'exprimer sur la qualité des produits.

Quelques problèmes sont apparus et les parlementaires ont légèrement modifié le texte pour les corriger. La communication sur les caractéristiques des produits est désormais possible. Un message de modération a été ajouté. L'Assemblée nationale a approuvé ce texte par 102 voix contre 12.

Le Gouvernement a exprimé une certaine réticence, mais un consensus pouvait être trouvé.

Pourtant, ce matin, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir dans la presse une dépêche AFP reprenant une interview du Premier Ministre à la radio. Celui-ci a déclaré qu'il s'opposerait à l'assouplissement de la loi Evin en précisant : « Il n'y a pas d'ambiguïté. L'alcool n'est pas un facteur de santé publique. Le Gouvernement prendra les décisions législatives nécessaires pour que la voix de la santé publique se fasse entendre. Nous choisirons la procédure le moment venu. Je vous dis que nous nous y opposerons. Quand on s'y oppose, on dit clairement les choses : je m'opposerai, parce que notre politique est celle de la santé publique. La crise de l'agriculture française n'est pas seulement liée au texte de la loi Evin. Elle est liée également au problème des exportations, au problème des prix liés au cours du dollar, etc. »

Je trouve ces propos inadmissibles, car nous avons reçu des assurances de la part des responsables politiques. La position gouvernementale varie selon les jours. Ce n'est pas supportable. Actuellement, nous pensons que l'amendement proposé n'outrepasse pas les principes de la santé publique. Nous ne pensons pas que la présence d'une cerise, d'une cigogne ou d'un vigneron sur une publicité est répréhensible. Nous respectons la loi Evin. Nous sommes responsables. Nous souhaitons simplement donner aux collectivités et aux interprofessions la possibilité de communiquer sur la qualité des produits.

Ce soir, le ministre en charge de l'Agriculture interviendra à ce colloque et nous tiendra des propos complaisants. Je ne veux plus les entendre, car nous sommes « balancés » entre les ministres. Je ne supporte plus que les politiques ne se mettent pas d'accord entre eux et qu'il n'y ait pas d'arbitre. Je ne supporte plus la langue de bois. Je ne supporte plus les ministres qui sont d'accord avec nous un jour et s'opposent à nous le lendemain. Je quitterai donc la salle avant son intervention.

Gérard CÉSAR

Cette dépêche est malencontreuse et tombe très mal. Je suis également très surpris. J'ai fait passer le message au Premier Ministre et au ministre chargé de l'Agriculture. Ils en discutent actuellement. Des éclaircissements seront apportés.

Je serais fâché si les viticulteurs partaient lors de la venue du ministre, devant les journalistes. Hervé Gaymard est actuellement le seul ministre qui défende la profession auprès du ministre en charge de la Santé, du Premier Ministre et du Président de la République.

Je me ferai l'écho des propos de Xavier Carreau lorsque le ministre viendra et je me montrerai sévère envers la déclaration qui a été faite.

J'observe que de nombreux « intégristes » interviennent dans ce débat. Hier, j'ai rencontré le professeur Claude Got à Public Sénat. Conformément au Livre blanc, je lui ai proposé la création d'un conseil de la modération comprenant des représentants du Parlement, de la filière et des ministères (santé, agriculture, jeunesse, prévention routière). Le professeur Got m'a répondu qu'il n'était pas question que le monde viticole y soit représenté.

Nous sommes face à un débat national. Je vous demande donc d'être présents ce soir. Vous êtes bien entendu libres de partir. Le monde viticole se grandira en restant présent et en exprimant son désarroi par rapport au communiqué de presse.

Michel RIGO, syndicat aubois de la Champagne vitivinicole

Les représentants de l'INAO ont évoqué le rôle de l'INAO. Yves Bénard a évoqué les spécificités du champagne.

Il faut rappeler que l'AOC champagne a été définie avant la création de l'INAO. La Champagne dispose d'une loi organique datant de 1927 qui est toujours en vigueur. Elle définit les conditions d'éligibilité.

Il est important de tenir les promesses des signes de qualité. A plusieurs reprises, nous avons alerté l'INAO sur des dispositions critiquables. Je souhaite savoir comment l'INAO envisage de tenir ces promesses à partir du moment où les contrôles effectués sur le terrain en matière de délimitation parcellaire ou de définition de l'aire d'appellation sont sujets à caution.

Philippe MAUGUIN

L'appellation champagne est particulièrement bien défendue par les professionnels. Des contestations existent effectivement sur les délimitations. Ce sujet est complexe et lourd. Le comité national a décidé de réouvrir la délimitation de l'appellation champagne. Cette décision ne résulte pas seulement des contestations, mais également de la complexité des textes sur la Champagne.

De nombreux textes (lois, décrets, arrêtés, jurisprudence) se sont en effet superposés à la loi de 1927. De ce fait, aucun professionnel ne peut être sûr d'avoir la bonne interprétation. L'INAO applique les textes tels qu'il les comprend. Les professionnels ne sont pas toujours d'accord avec cette application.

L'INAO souhaite profiter de la redéfinition du dossier de la délimitation pour en clarifier les principes généraux et les autres points-clés, c'est-à-dire les spécificités de l'appellation champagne par rapport à son terroir, son expression et son identité.

Le chantier est ouvert. La procédure est en cours. Les syndicats pourront faire des propositions. Une commission d'enquête sera établie. Une enquête publique sera réalisée. Les personnes qui s'opposent à l'INAO pourront donc faire entendre leur voix. L'INAO écoutera toutes les propositions. Celles qui paraîtront légitimes au comité national seront prises en compte. J'espère que nous réussirons ainsi à réunifier l'ensemble des forces vives champenoises pour la défense de l'appellation.

Yves BÉNARD

Cette méthode est la bonne et permettra d'aboutir à un bon résultat.

En tant que coprésident de l'appellation champenoise, je regrette de recevoir constamment des lettres de chantage. Je souhaite que le débat soit objectivé. Les problèmes ne doivent pas être mélangés.

François PANDELFY

En France, nous savons ce qu'est l'AOC. Cependant, le consommateur étranger lui ne le sait pas. Envisage-t-on d'initier les Anglais et les Européens à l'AOC si elle devient la règle ? Si le « pavillon France » est interdit, l'INAO devra établir un signe distinctif et réaliser une publicité pour se faire connaître. Nous pourrons toucher le coeur de cible, car nous serons lisibles pour le consommateur.

Philippe MAUGUIN

En France, dans les enquêtes de notoriété sur les signes distinctifs officiels, l'AOC arrive après le Label rouge. C'est normal : le Label rouge a communiqué pendant vingt ans. Les campagnes étaient cofinancées par les professionnels et les pouvoirs publics. La notoriété spontanée perdure.

Le choix a été différent pour l'AOC, notamment en raison de la situation de monopole des vins français. On considérait que l'AOC était une réglementation interne et qu'il était préférable de communiquer sur le champagne, le bordeaux ou le bourgogne.

La communication sur les vins reste la priorité. Il paraît difficile de communiquer sur l'AOC, car le consommateur ne s'y intéresse pas.

Pour autant, le débat récent a montré que le consommateur et les prescripteurs d'opinion (journalistes, guides, acheteurs de la grande distribution) veulent savoir ce que l'AOC signifie. La situation est la même pour tous les signes officiels de qualité.

Les appellations ne doivent pas avoir honte de dire qu'elles sont une appellation. Cela révélerait un problème.

Pour le reste, il est certain que le système est complexe et que des progrès doivent être réalisés. Il faut donc d'abord simplifier le système. Ensuite, il faudra l'expliquer de façon simple. Cela intéresse au moins une partie des consommateurs. Depuis la création de l'AOC, on n'a jamais expliqué ce que c'était. J'espère que le budget supplémentaire accordé par le ministre chargé de l'Agriculture à l'ONIVINS permettra de réaliser des campagnes en ce sens.

César COMPADRE, journaliste

Les responsables des grandes surfaces ont soulevé le problème de la séparation entre les vins d'appellation et les autres vins dans les linéaires. Les responsables des appellations sont-ils d'accord pour améliorer sur ce point la mise en rayon, ce qui pourrait permettre d'augmenter les ventes de vin ?

Xavier CARREAU

Pour le bordelais, la question ne se pose pas. Nous ne produisons que de l'AOC.

Christian DELPEUCH

Si la distribution le souhaite, je ne vois pas pourquoi nous le refuserions. Si chacun joue son rôle, aucune raison ne justifie la séparation. En outre, les consommateurs ne connaissent pas les différences. Le but est de faire consommer les vins. Si la modification des linéaires le permet, je ne vois pas pourquoi elle devrait être interdite. Il faudrait faire des tests rapidement.

Philippe MAUGUIN

Je ne suis pas responsable d'une appellation. Je ne peux pas m'exprimer en tant que directeur de l'INAO, car cette question ne fait pas partie des compétences de l'Institut.

En tant que consommateur, je pense qu'il faut surtout veiller à ce qu'il n'y ait pas de confusion dans les linéaires. Certains sont très bien organisés et présentent toute la richesse des vins français et des vins du monde. Dans d'autres, notamment dans les moyennes surfaces, la confusion est extrême.

Le débat consistant à accepter ou refuser la séparation est donc très « parisien », car la réglementation est loin d'être appliquée. Si les distributeurs ont la volonté de mettre de l'ordre dans les linéaires pour les rendre plus accessibles aux consommateurs, je pense que la filière sera prête à bouger.

Jean-Louis VALLET

Nous souhaitons pouvoir organiser les linéaires de façon simple. Hier, dans un restaurant renommé de Paris, la carte présentait le Bourgogne comme un vin de pays. Aujourd'hui, si le chef de rayon se trompe, il a une amende. Il n'a pourtant pas la compétence d'un sommelier dans un restaurant.

Par ailleurs, les tests ont déjà été réalisés par l'ONIVINS et par le Conseil national de la consommation (CNC). Les éléments chiffrés montrent que les ventes augmentent, y compris pour les vins de pays. Par exemple, le minervois est actuellement difficile à vendre. Lorsque des vins de pays l'entourent, il est valorisé. Le linéaire est plus clair et plus facile à ranger.

Je comprends qu'on puisse reprocher à la distribution de mal ranger ses linéaires. Cependant, il faut lui donner les moyens de comprendre ce qu'elle fait.

Jean-Louis VÉZIEN, directeur de l'interprofession des vins d'Alsace

La France assiste à une lente érosion de la consommation, quelles que soient les vicissitudes politiques. En conséquence, il est nécessaire de redéployer les ventes à l'export. Il faut donc avoir des produits reconnus et crédibles. Néanmoins, nous ne serons durablement crédibles à l'export que si nous sommes durablement reconnus à l'intérieur de notre pays.

De la salle

Il est important de communiquer sur les AOC. Toutefois, les AOC agiront comme des marques-ombrelles. Si certaines ne sont pas de bonne qualité, elles porteront préjudice à l'ensemble des AOC.

L'agrément est donc fondamental. Il faut donc d'abord disposer d'agréments permettant d'avoir une offre cohérente. Ensuite, nous pourrons communiquer sur la valeur des AOC, qui sont la chance de la France.

Dans ce cadre, je souhaite connaître si des dimensions marketing et marché seront introduites dans l'agrément pour positionner les vins par rapport à un segment défini. Quelles seront les analyses sensorielles ? Quels seront les panels et les procédures ? Quelle importance ces analyses auront-elles ? De telles analyses sont indispensables pour définir un produit en cohérence avec son marché.

Yves BÉNARD

Si les interprofessions ont inventé le suivi aval de la qualité, c'est parce qu'elles ont observé que l'agrément était une passoire. En Champagne, nous avons introduit non seulement des professionnels de la filière, mais également des sommeliers et des journalistes. Ces consommateurs proches du vin nous accompagneront dans les panels de dégustation. Nous pensons que l'agrément sera plus sévère. A terme, le suivi aval de la qualité ne sera peut-être plus nécessaire. Un agrément donné juste avant la commercialisation rend, en effet, inutile un tel suivi.

Raoul SALAMA, Revue des vins de France , vice-président de l'association de la presse du vin

Un grand malentendu existe entre la profession et le public. L'AOC garantit l'origine alors que le consommateur recherche une garantie de qualité. Les deux garanties sont difficiles à concilier. Des agréments spécifiques peuvent être mis en place par la profession. Le consommateur n'a pas confiance dans de tels agréments, car des vins de mauvaise qualité passent à travers la procédure. Xavier Carreau l'a dit : au moins 15 % des vins ne devraient pas être agréés.

La solution consiste à se tourner vers des personnes plus proches de la consommation que de la production.

* 8 Voir en annexe VIII les documents projetés lors de l'intervention de M. Philippe Mauguin.

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