D. REPENSER LE PROJET DE CHAÎNE D'INFORMATION INTERNATIONALE
Comme le soulignait M. Hervé Bourges lors de son audition par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale 80 ( * ) : « La guerre en Irak révèle notre incapacité à exister dans la guerre des images, notre incapacité à déployer les armes de la conviction massive que sont CNN d'un côté ou Al Jazira de l'autre. Nos images d'information ne sont pas reprises dans le monde et nous restons, à l'inverse, dépendants des images d'autrui, en particulier des images américaines ». Cette incapacité a conduit le Président de la République à se prononcer, lors de la réception donnée en l'honneur du Haut Conseil de la francophonie à l'Elysée le 12 février 2002 81 ( * ) , en faveur de la création d'une chaîne continue d'information internationale en français capable d'assurer le « rayonnement de notre pays » 82 ( * ) et de représenter, pour les expatriés, « un lien vivant et immédiat avec la métropole ».
Depuis lors, la mise en oeuvre de la volonté présidentielle a pris quelque retard. D'une part, les modalités concrètes de sa réalisation ont fait l'objet d'opinions divergentes : l'attelage France Télévisions-TF1 imaginé par M. Bernard Brochand 83 ( * ) a ainsi été critiqué par les membres de la mission commune d'information de l'Assemblée nationale, dont le rapport final se prononçait en faveur de la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) ouvert à l'ensemble des opérateurs audiovisuels français. D'autre part et surtout, le projet de loi de finances pour 2005 ne prévoit pas les 70 millions d'euros estimés nécessaires au financement du projet. Cependant, le ministre de la culture et de la communication a annoncé, lors du débat budgétaire au Sénat le 4 décembre 2004, que « Cette chaîne verra le jour par la grande porte, avec un contenu expliqué et clarifié, et avec l'Etat qui fera face à ses responsabilités. Elle verra le jour en 2005. »
Alors que le projet officiel associant France Télévisions et TF1 n'a toujours pas été notifié à la commission de Bruxelles, votre rapporteur estime qu'il est encore temps d'en modifier les modalités afin de l'inscrire dans le processus de rationalisation des structures de notre audiovisuel extérieur.
1. Un projet nécessaire pour assurer notre présence sur la scène internationale
« Pas plus que nous ne sommes attendus, nous ne serons rejetés. Et, en tout état de cause, par notre histoire et par le rôle que nous jouons dans ce siècle, nous n'avons pas le droit de garde le silence sur la vision du monde qui est la nôtre ... ». Cette conviction, issue du rapport réalisé par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale, fait aujourd'hui l'unanimité et chacun a pris conscience qu'à l'heure où tout évènement d'importance internationale donne lieu à une véritable « course » à l'information, l'absence d'une chaîne française est préjudiciable aux intérêts nationaux.
Force est en effet de constater que la France ne dispose d'aucun outil d'envergure internationale lui permettant de diffuser sa vision du monde et de faire partager ses valeurs.
a) Le marché de l'information télévisée : un domaine déserté par la France
En matière d'information télévisée, la présence anglo-saxonne a longtemps été dominante. Des années durant, toute la chaîne de l'information a en effet été -et demeure à bien des égards encore- monopolisée par des opérateurs anglais ou américains. On pense bien sûr immédiatement aux principaux services d'information en continu (BBC World, CNN, Fox News) ; mais il ne faut pas sous estimer, tant leur rôle est déterminant dans le traitement de l'actualité, les agences d'images (APTN, Reuters).
Cette situation a récemment évolué : le succès d'Al-Jazira et l'essor d'Abu Dhabi TV ou d'Al-Arabia ont montré que le monopole anglo-saxon en matière d'information était désormais sujet à caution, voire à contestation et qu'une demande insatisfaite pour des « voix » alternatives en la matière existait.
Dans ce contexte, l'absence de vision française et de mise en perspective de l'actualité internationale est devenue un handicap certain pour notre pays, notamment en période d'incertitudes géopolitiques et de vive tension mondiale. En effet, à la différence des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, la France ne dispose pas d'une offre audiovisuelle extérieure complète : ni TV5, chaîne généraliste multilatérale, ni CFI, banque de programmes désormais tournée vers des actions de coopération, ne peuvent prétendre rivaliser avec CNN ou la BBC.
b) Un instrument d'influence essentiel pour la France
Depuis la guerre du Golfe de 1991, la manière dont l'information est sélectionnée, « traitée » voire « mise en scène » par les rédactions des principaux opérateurs télévisuels internationaux a semble-t-il accéléré une certaine prise de conscience dans notre pays : une chaîne d'information internationale est un vecteur puissant d'influence politique dont la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, peut difficilement se passer pour faire partager sa vision du monde.
LA DIFFÉRENCE PAR L'IMAGE
L'image française se différencie d'abord quant à son contenu. L'information n'a pas partout le même centre de gravité. Le choix de traiter telle ou telle information dépend largement des références culturelles ou politiques et des « zones d'influence » historiques.
L'image française est aussi différente quant à sa façon d'appréhender l'information. Il s'agit là de fond et de forme. Reportage « à la française » ou illustration de propos, les traditions et les modes opératoires différent sensiblement des méthodes anglo-saxonnes. La tradition française est celle du récit, construit par une équipe « autour » du journaliste.
C'était déjà le cas à la période de Cinq colonnes à la Une . Puis, dans les années 80, on a donné en France la carte de presse au « caméraman », c'est-à-dire un statut de journaliste : une autre façon de démontrer l'importance de la « prise d'images » geste éminemment journalistique et non simple réflexe de « cadreur ». Le reportage « à la française » montre l'information et le vécu de l'équipe : il l'éclaire et la place dans son contexte. Les images donnent ainsi une compréhension journalistique de l'événement.
Le montage, enfin, répond à une grammaire spécifique : le texte du commentaire n'est pas écrit avant mais pendant le montage. Il ne doit pas être redondant par rapport à l'image. Leur relation s'inscrit dans une logique de complicité.
A l'inverse, le reportage aux Etats-Unis est davantage conçu comme une production plus mécanique. Le cameraman est un technicien, le journaliste un « metteur en forme » d'un événement dont la couverture a souvent été préparée, sur le plan logistique comme sur celui de la prise de contacts, par un « producer ». Peu de place est laissée à la libre appréciation du « reporter ». Souvent, le plan de montage incluant images et interviews est prédéterminé. Le reportage devient ainsi majoritairement une illustration de propos en images, et non un récit.
Projet de chaîne d'information proposé par France Télévisions et RFI
Il convient toutefois d'être clair sur un point : le succès d'une chaîne d'information ne se lit pas à l'aune de son audience ou de ses rentrées publicitaires. En France, l'audience d'Euronews atteint ainsi à peine 0,4 % des téléspectateurs de plus de 15 ans, celle de CNN International environ 0,1 %, celle de BBC World moins de 0,1 % et toutes ces chaînes sont déficitaires. L'important est ailleurs : dans la capacité de ces services à influencer les classes dirigeantes et les « faiseurs d'opinion » et à faire rediffuser leurs images et leurs reportages par toutes les rédactions du monde.
Instrument d'influence essentiel et soutien efficace de notre diplomatie, cette chaîne internationale répond par ailleurs à une véritable attente en faveur d'une information télévisée traitant de l'actualité internationale d'une manière différente de celle proposée par les chaînes anglo-saxonnes et arabes (cf. encadré). Les pics d'audience enregistrés par TV5 en 2003, alors qu'elle couvrait la guerre en Irak, ont ainsi permis de constater l'existence d'une véritable demande en ce sens parmi les populations francophones et francophiles. Votre rapporteur tient d'ailleurs à préciser que cette demande d'une vision française de l'actualité internationale ne s'exprime pas qu'en période de crise : elle existe au quotidien et prend sa source dans l'histoire, l'engagement politique et diplomatique d'un pays qui a toujours « cultivé » un regard original sur la vie internationale.
2. Le projet « Brochand » : des faiblesses à corriger pour assurer son succès
Pour répondre à l'ambition tracée par le chef de l'Etat, une large réflexion sur les modalités de création d'une chaîne française d'information internationale a été lancée, associant le Parlement, le ministère des affaires étrangères, le ministère de la culture et de la communication, ainsi que les opérateurs publics et privés de l'audiovisuel. Au total, trois rapports (sans compter les rapports d'étape) ont été réalisés sur le sujet : le premier par M. Philippe Baudillon, remis au ministre des affaires étrangères en avril 2003, le deuxième par la mission commune de l'Assemblée nationale présidée par M. François Rochebloine, rendu public le 14 octobre 2003 et le dernier par M. Bernard Brochand, député des Alpes-Maritimes, remis au Premier ministre le 23 septembre de la même année.
En dépit des protestations des membres de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale, c'est le projet proposé par M. Bernard Brochand basé sur l'alliance des deux principaux groupes audiovisuels nationaux (France Télévisions et TF1) qui a été choisi par le Premier ministre.
En choisissant l'option proposée par le rapport Brochand, le Premier ministre a décidé d'unir, dans le cadre d'un partenariat public-privé, les deux principales forces de rédaction d'information télévisuelle française. Ce projet possède une certaine cohérence mais prête néanmoins le flanc à d'importantes critiques.
a) Les principales propositions du rapport Brochand
LES PROPOSITIONS DU RAPPORT BROCHAND
(30 septembre
2003)
La chaîne d'information internationale (CII) prendrait la forme d'une société créée par TF1 et France Télévisions, dont chaque opérateur détiendrait, directement ou via l'une de ses filiales, 50% des parts.
Le rapport Brochand fixe à la CII trois objectifs principaux :
1- Etre une chaîne de référence, « diffusée dans les salles de rédaction du monde entier et vers lesquelles les télévisions nationales se tournent dans les situations de crise » ;
2- Diffusée en plusieurs langues (anglais et arabe dans un premier temps), sa ligne éditoriale indépendante relèvera d'une logique internationale, tout en pouvant « être identifiée comme spécifiquement française ». Cette indépendance « suppose que le mode de nomination des dirigeants ne relève pas du Gouvernement ».
3- Pour être attractive, cette chaîne devra proposer des images originales, « qui n'ont pas déjà été vues sur d'autres chaînes ».
Les moyens
1- Moyens financiers
Aucune chaîne internationale d'information n'étant rentable, le financement sera nécessairement public, l'Etat subventionnant le service rendu par la nouvelle chaîne. Le budget est évalué à 70 millions d'euros en année pleine durant les 5 premières années, dont 65 millions d'euros de fonds publics et 5 millions d'euros rassemblés par un club d'entreprises françaises fondatrices.
2- Moyens humains
La présidence devrait être assurée par « un gestionnaire de grande qualité, versé dans l'économie internationale des médias ». « La responsabilité éditoriale (...) serait dévolue à un rédacteur en chef polyglotte, doté d'une grande rigueur et d'une excellente connaissance des affaires internationales ». Une rédaction de 150 à 200 journalistes est nécessaire.
La méthode
1- Montée en puissance : un délai de 5 ans est prévu avec, au départ, une diffusion en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, zones d'influence prioritaires de la France situées sur une fourchette étroite de fuseaux horaires (GMT-1 /GMT+ 3).
2- La diffusion serait assurée sur les satellites numériques, le câble et Internet exclusivement à l'étranger.
3- La fourniture d'images et de reportages nécessitera la mise à disposition de la future chaîne d'un réseau de correspondants permanents « assorti d'une capacité de projection rapide ». Il s'y ajouterait l'approvisionnement en images d'agences (AFP par exemple) et « l'utilisation de tout ou partie du réseau de RFI dans des conditions à déterminer ». Enfin, pour la couverture d'événements importants, le choix se porterait plutôt sur des ressources « free-lance » que sur la constitution d'équipes mobiles au sein de la chaîne, option jugée trop coûteuse.
Relations avec le dispositif audiovisuel existant
1- Le financement de la chaîne par le ministère des affaires étrangères s'effectuerait grâce à un rattachement de RFI à Radio France, ce qui permettrait d'affecter la subvention actuellement versée par ce ministère à RFI à la nouvelle chaîne.
2- « La suppression des capacités de traitement de l'information propre à TV5 et à Arte » permettrait un « redéploiement de l'ordre de 15 millions d'euros» au profit de CII.
3- La création de la chaîne entraînerait donc une réorganisation totale du dispositif audio-visuel public bilatéral (Arte) et multilatéral (TV5 et Euronews) ainsi qu'un changement de tutelle pour RFI.
b) Les critiques
Sous couvert d'efficacité, le choix d'associer les deux principaux opérateurs audiovisuels nationaux risque de se transformer en impasse. Surtout, dans la perspective qui est celle de votre rapporteur, de proposer une stratégie pour nos différents outils de projection culturelle, force est de constater que cette association ne tient aucun compte des efforts accomplis afin de rationaliser les structures de notre audiovisuel extérieur.
(1) L'association France Télévisions - TF1 : un gage d'efficacité ?
Votre rapporteur souhaiterait d'abord exprimer son scepticisme quant à la formule proposée par M. Bernard Brochand. Certes, c'est incontestable, les compétences et le professionnalisme semblent réunis au sein de ce projet. Toutefois, il n'est pas certain que l'association de ces deux groupes aux cultures si différentes, par ailleurs concurrents sur le marché national des chaînes d'information généralistes, soit en mesure de garantir le succès du projet. On a d'ailleurs déjà pu se rendre compte de difficultés de coopération de ces deux entités au sein du bouquet satellitaire TPS.
Leur placement « sur un pied d'égalité » voulu par M. Bernard Brochand et réaffirmé par M. Marc Tessier, président-directeur général de France Télévisions, lors de son audition par la commission des affaires culturelles du Sénat le 29 octobre 2003, pourrait même se transformer en facteur de blocage en cas de mésentente entre les deux partenaires sur la ligne éditoriale à suivre par exemple.
(2) Un plurilinguisme limité
L'exemple des chaînes d'information internationales existantes met en évidence l'importance stratégique de la diffusion de programmes en langue locale. Diffusée en anglais uniquement jusqu'en 1991, CNN se décline aujourd'hui en allemand, en espagnol et en turc. De même, CNBC produit ses programmes en trois langues et Deutsche Welle TV en six. Au niveau des opérateurs français, l'expérience des rédactions en langues étrangères de RFI vient renforcer la conclusion qu'au delà de la renommée d'une langue d'envergure internationale, les langues locales demeurent la garantie d'un bassin d'audience large.
Or, votre rapporteur constate que le multilinguisme est réduit à la portion congrue dans le projet présenté par le rapport Brochand. Avec seulement, dans un premier temps, une heure de programmes quotidiens en anglais et une heure trente d'émission en arabe (alors même qu'avec les moyens humains de l'AFP et de RFI, notre audiovisuel peut compter sur plusieurs centaines de correspondants bilingues à travers le monde) cette chaîne risque de voir son audience se limiter aux français expatriés, aux étrangers francophones (Maghrébins et Africains des anciennes colonies françaises et belges avant tout) et à une faible proportion de décideurs et de médias dans le reste du monde.
Votre rapporteur estime par conséquent que si le français doit naturellement être la langue prioritaire de la chaîne, la recherche d'un impact plus important passera par le lancement de déclinaisons plus ambitieuses en langues étrangères. Celles-ci ne trahiront pas son esprit puisque le positionnement de la chaîne -à savoir la force de l'image et la profondeur de l'analyse- n'en sera que marginalement influencé.
(3) L'absence de complémentarité avec le dispositif audiovisuel existant
Mais la faiblesse principale du projet réside, aux yeux de votre rapporteur, dans son absence totale de prise en compte des structures audiovisuelles existantes et des efforts de rationalisation dont celles-ci ont fait l'objet au cours des années passées.
En associant TF1 et France Télévisions, le rapport Brochand a en effet écarté d'emblée l'ensemble des opérateurs ayant une véritable expérience en matière d'information internationale et de suivi de l'actualité en continu. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le projet de grille de programmes de la future chaîne ressemble davantage à un habillage international d'une chaîne d'information franco-française (de fait LCI) qu'à un véritable service voué au traitement de l'actualité internationale.
Loin de participer à l'optimisation de l'utilisation des ressources existantes, ce projet, conformément à un réflexe que l'on pensait révolu, n'ajoute qu'une strate supplémentaire aux strates successives qui composent notre politique audiovisuelle extérieure.
3. Une nécessité : impliquer les acteurs de l'audiovisuel extérieur
S'il n'est pas dans son intention de remettre en cause le projet, votre rapporteur estime nécessaire de réfléchir à une plus grande implication des acteurs existants de l'audiovisuel extérieur.
En effet, quelle que soit la formule juridique qui sera finalement retenue (filiale commune à France Télévisions et TF1 comme le préconise le rapport Brochand ou groupement d'intérêt public ouvert à tous les opérateurs comme le propose la mission parlementaire), notre pays ne peut se permettre de lancer une chaîne de télévision sans utiliser les ressources et les compétences qui sont d'ores et déjà à sa disposition. Votre rapporteur rappelle qu'un tel choix est le seul permettant d'éviter l'empilement des structures et de garantir le renforcement de la cohérence de notre action audiovisuelle extérieure.
a) S'appuyer sur RFI, l'AFP et Euronews en matière éditoriale
La volonté d'optimiser l'utilisation des ressources de l'audiovisuel national dans l'organisation de la chaîne d'information internationale doit ainsi se traduire par le choix de s'appuyer, non seulement sur les 11 bureaux permanents de France Télévisions dans le monde mais aussi et surtout sur les implantations à l'étranger de RFI et de l'Agence France Presse (AFP).
RFI dispose ainsi de neufs bureaux, trois filiales (en Bulgarie, en Roumanie et au Portugal) et près de 300 correspondants pigistes présents dans plus de 110 pays s'adressant déjà, en français et en langues étrangères, à l'auditoire cible de la future chaîne d'information internationale. Au total, le personnel de RFI a développé un savoir-faire qu'il serait dommage de ne pas mettre à contribution.
De même, l'AFP peut constituer un partenaire clé pour la future chaîne. Avec ses 116 bureaux, ses 50 correspondants et ses 900 pigistes, l'Agence France-Presse pourrait fournir à la chaîne outre des sujets vidéo et des interventions ou des chroniques audio ou en plateau, un soutien logistique aux envoyés spéciaux de la chaîne travaillant sur place.
Enfin, Euronews, qui diffuse aujourd'hui en sept langues, a acquis une véritable expertise en matière de traduction multilingue et de traitement de l'actualité européenne qu'il convient de ne pas négliger. En effet, bien que franco-français, ce projet de chaîne devra aussi s'inscrire dans une dimension européenne dont l'importance ne doit pas être sous estimée, notre pays, en dépit de ses spécificités, étant de plus en plus perçu par les téléspectateurs étrangers comme un membre influent de l'Union européenne.
Votre rapporteur tient à préciser qu'il ne s'agit pas de faire entrer ces organismes dans le « tour de table » de la future chaîne : leur indépendance, garantie de leur crédibilité internationale (notamment dans le cas de l'AFP) doit en effet être préservée. Il conviendrait simplement de favoriser la signature d'accords de collaboration entre ces prestataires de services essentiels et la CII.
b) Utiliser les compétences de CFI et TV5 en matière de distribution
Alors que le réseau de distribution de la chaîne reste largement à construire, la chaîne pourrait s'appuyer sur l'expérience de TV5 et CFI tant en matière de distribution qu'en matière de commercialisation de programmes à l'étranger.
D'une part, CFI dispose non seulement d'une capacité satellitaire non saturée pouvant être utilisée pour l'acheminement de la chaîne vers les opérateurs câble et satellite, mais aussi d'un réseau de diffusion non utilisé depuis l'interruption de la diffusion de CFI-TV.
D'autre part TV5, en vingt ans d'existence, a développé une forte expérience de la distribution internationale sur les réseaux câblés et satellitaires et s'appuie, en plus des vingt employés appartenant à sa structure de distribution, sur un réseau d'une quarantaine d'agents pour assurer sa commercialisation.
Votre rapporteur estime que la possibilité pour la chaîne d'information de bénéficier des compétences de TV5 et de CFI serait essentielle pour assurer une montée en puissance rapide de sa diffusion et pour optimiser les moyens déployés par les trois partenaires pour assurer leur distribution respective.
c) Diffuser la chaîne sur le territoire national et envisager des partenariats européens
Votre rapporteur considère qu'il conviendrait d'assurer la diffusion de cette chaîne internationale non seulement vers les zones prioritaires définies par le Gouvernement mais aussi sur notre propre territoire .
Financée sur fonds public et proposant une ouverture sur le monde qu'aucun service télévisé français n'est en mesure d'assurer à l'heure actuelle, cette chaîne devrait rapidement devenir un élément incontournable du paysage audiovisuel français, au même titre que BBC World en Grande-Bretagne et Deutsche Welle en Allemagne.
A cet égard, votre rapporteur estime que des partenariats devraient être recherchés avec les autres chaînes internationales européennes . Il ne s'agit pas ici de faire perdre à la CII sa spécificité mais d'approfondir notre relation, avec notre voisin allemand notamment en profitant des complémentarités existant entre deux services tournés vers le monde.
d) Créer une agence d'images européenne d'initiative française
Votre rapporteur reconnaît que dans un monde totalement dominé par la puissance des médias anglo-saxons, le maintien d'une influence française passe par le lancement d'une chaîne d'information spécifique. La réflexion gouvernementale en cours, en dépit de ses faiblesses, répond à cette préoccupation.
Mais il tient à souligner que la seule existence de cette chaîne ne suffira pas à lui conférer une réelle indépendance : comme toutes les autres celle-ci se trouvera alimentée par les principaux fournisseurs d'images d'actualité qui, comme l'indique l'encadré ci-dessous, sont américains ou anglais. Elle sera par conséquent, dès le premier stade de l'élaboration de l'information, marquée par la vision qu'ont ces fournisseurs de la marche du monde.
LES AGENCES D'IMAGES
Les deux tiers des images télévisées d'actualités viennent de deux grandes agences : Reuters (40 %) et AP TN (25 %).
Reuters , d'origine britannique, alimente un service mondial continu d'actualités (World Wide Service) qui constitue la référence. Il est élaboré à partir de 75 bureaux dans le monde et décliné tant régionalement que thématiquement.
AP est la seule agence américaine traditionnelle qui subsiste après l'arrêt de son concurrent UPI en 1997.
Les autres fournisseurs sont les chaînes qui, si elles ont vocation à collecter l'information pour leur propre compte, acceptent souvent de les revendre aux autres chaînes. C'est notamment le cas de CBS et surtout de CNN, qui dispose de plus de trente bureaux en dehors des Etats-Unis.
Ce constat conduit votre rapporteur à proposer, en s'appuyant au maximum sur les structures existantes, la création d'une agence d'images qui vendrait ses sujets et ses services.
Cette agence offrirait en premier lieu aux chaînes de télévision abonnées, l'accès à une alimentation continue de sujets d'actualité exclusifs. Ce « train » serait ainsi ponctué de rendez-vous fixes permettant rediffusions et actualisations.
Même si cela n'est pas sa vocation première, cette nouvelle source internationale d'images pourrait également réaliser à partir des matériaux dont elle dispose des mini-journaux d'actualité internationale diffusables en tant que tels.
Votre rapporteur estime que l'implication de l'AFP dans ce projet pourrait être une solution avantageuse pour les deux parties : pour l'agence d'images, l'AFP apporterait une crédibilité et une logistique non négligeables tandis que pour l'AFP, ce nouveau projet constituerait une perspective de développement dans un secteur d'avenir. L'agence d'images s'appuierait ainsi sur les structures de l'AFP à l'étranger et n'y adjoindrait que ce qui est spécifique à la collecte de l'image.
Dans un contexte de mondialisation de l'information, votre rapporteur considère par ailleurs que la réponse adaptée ne peut être qu'européenne. C'est pourquoi, dans l'hypothèse où l'AFP accepterait de s'impliquer dans ce projet, il serait nécessaire de solliciter la participation des agences d'Europe continentale telles que DPA en Allemagne, ANSA en Italie ou EFE en Espagne.
* 80 Rapport n° 857-XII législature, présenté par M. Christian Kert au nom de la mission d'information commune présidé par M. François Rochebloine, mai 2003.
* 81 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, lors de la réception en l'honneur du Haut Conseil de la francophonie, Paris, Palais de l'Elysée, 12 février 2002 : "Est-il compréhensible qu'année après année, nous en soyons encore à déplorer les insuffisances persistantes de l'information et de l'audiovisuel francophone sur la scène mondiale ? Certes, nous disposons avec l'agence France Presse d'un remarquable outil d'information qu'il nous faut conforter sans cesse, notamment dans sa vocation mondiale. Certes, chacun s'entend à reconnaître les progrès récents accomplis par RFI, par TV5, par CFI, grâce aux efforts de leurs équipes et à la détermination des pouvoirs publics. Mais chacun constate que nous sommes encore loin de disposer d'une grande chaîne d'information internationale en français, capable de rivaliser avec la BBC ou CNN. Et les crises récentes ont montré le handicap que subissent un pays, une aire culturelle, qui ne disposent pas d'un poids suffisant dans la bataille de l'image et des ondes. Interrogeons-nous, à l'heure des réseaux hertziens, du satellite, de l'internet, sur notre organisation dans ce domaine et notamment par l'éparpillement des moyens publics qui lui sont consacrés. »
* 82 Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, devant les représentants des Français de l'étranger, Paris, Palais du Luxembourg, 7 mars 2002.
* 83 Rapport remis par M. Bernard Brochand, député des Alpes-Maritimes, au Premier ministre le 24 septembre 2003.