III. LE RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX DANS LES PROCÉDURES DE RÉVISION SIMPLIFIÉES
Mais la Constitution européenne prévoit un autre domaine pour lequel des compétences nouvelles sont conférées aux parlements nationaux. Ce domaine est celui des procédures de révision simplifiées.
L'article IV-444 du traité constitutionnel ouvre la possibilité de modifier sur deux points les modalités d'adoption des actes de l'Union, sans qu'il soit nécessaire de passer par la procédure ordinaire de révision. Les deux points ainsi modifiables sont les suivants :
- passage de l'unanimité à la majorité qualifiée pour une décision du Conseil ;
- passage d'une procédure législative spéciale (c'est-à-dire une procédure autre que la codécision entre le Parlement européen et le Conseil) à la procédure législative ordinaire (codécision).
Ces deux « clauses-passerelles » sont applicables à tous les actes de l'Union prévus par la partie III du traité constitutionnel (articles III-115 à III-436), à l'exception des décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. La décision de mettre en oeuvre une « clause-passerelle » est prise par le Conseil européen à l'unanimité. Elle doit être approuvée par le Parlement européen. Toutefois, chaque Parlement national dispose, avant que la décision ne soit prise, d'un droit d'opposition .
Dès lors que le Conseil européen a manifesté l'intention de recourir à une « clause-passerelle » , cette initiative est transmise aux parlements nationaux. Cette transmission ouvre un délai de six mois durant lequel tout parlement national peut s'opposer à la mise en oeuvre de la « clause-passerelle » . Si, à l'expiration de ce délai, aucun parlement national n'a notifié son opposition, le Conseil européen peut statuer.
Là également, on est en présence d'un mode d'intervention des parlements nationaux complètement inédit. L'article IV-444 ouvre un droit pour chaque parlement national, celui de s'opposer à une initiative du Conseil européen tendant à recourir à l'une ou l'autre des « clauses-passerelles » (passage de l'unanimité à la majorité qualifiée, passage d'une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire). Comment ce droit doit-il être garanti dans un système bicaméral comme le nôtre ?
On se trouve ici dans une situation différente de la procédure législative, où le Gouvernement intervient et peut donner le dernier mot à l'Assemblée nationale : il s'agit au contraire d'un pouvoir propre du Parlement, que celui-ci exerce indépendamment du Gouvernement. Par ailleurs, à la différence du dispositif pour l'application du principe de subsidiarité - où le traité constitutionnel prévoit l'intervention séparée de « toute chambre » - pour la procédure de révision simplifiée, c'est l'opposition « d'un parlement national » qui est évoquée par l'article IV-444. De ce fait, il est nécessaire de prévoir un mécanisme de décision impliquant les deux assemblées.
Quel mécanisme choisir ? Comme il s'agit, pour le Parlement, de s'opposer éventuellement à une décision qui aura été auparavant approuvée par l'Exécutif, il semblerait conforme à l'esprit de la Constitution de 1958 de prévoir un mécanisme d'opposition conjointe de l'Assemblée nationale et du Sénat (par exemple l'adoption d'une même motion par chacune des assemblées comme c'est le cas pour soumettre un projet de loi au référendum). En tout état de cause, le sujet est d'importance et mérite d'être examiné avec soin.
Mais il existe une autre procédure de révision simplifiée qui est la procédure de l'article IV-445.
L'article IV-445 définit une procédure de révision simplifiée applicable à toutes les politiques et actions internes de l'Union, c'est-à-dire à toutes les dispositions du titre III de la partie III (articles III-130 à III-285). Comme dans le cadre de la procédure de révision ordinaire, le pouvoir d'initiative appartient concurremment aux gouvernements, à la Commission et au Parlement européen. En revanche, à la différence de la procédure ordinaire, aucune exigence n'est formulée quant à la préparation de la décision finale : la procédure de révision simplifiée, qui ne peut être employée pour accroître les compétences attribuées à l'Union, n'est soumise ni à la convocation d'une Conférence intergouvernementale, ni, a fortiori , à la mise en place d'une Convention. La décision finale relève du Conseil européen statuant à l'unanimité et son entrée en vigueur suppose son « approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives » .
Il paraît clair que les décisions du Conseil européen dans le cadre de la procédure définie par l'article IV-445 doivent être approuvées par les parlements nationaux : tel est bien le sens de l'expression « approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives » . Toute autre interprétation serait d'ailleurs difficilement compréhensible : il serait incohérent que tout parlement national dispose expressément d'un droit de veto dans le cas de la procédure de révision simplifiée de l'article IV-444, qui porte seulement sur le processus de décision, et que l'accord du parlement national ne soit pas requis dans le cas de l'article IV-445, qui permet de modifier le contenu mais aussi le processus de décision de l'immense majorité des politiques de l'Union.
Toutefois, en l'état actuel, il n'est pas certain que notre Constitution permette le dépôt d'un projet de loi autorisant la ratification d'une décision européenne prise dans le cadre de l'article IV-445. En effet, l'article 53 de la Constitution de la V e République prévoit des lois de ratification pour les traités et accords internationaux. Or, le Gouvernement français considère aujourd'hui qu'une décision européenne prise par le Conseil européen n'est pas un traité ou accord international conclu entre la France et un pays tiers. Le risque existe donc que le Parlement français ne puisse pas participer au mécanisme d'approbation qui est pourtant prévu par la Constitution européenne. Pour que la logique du texte de la Constitution européenne soit respectée, il faudra donc sans doute inclure dans la Constitution une disposition spécifique permettant que les deux assemblées puissent être saisies d'une loi autorisant l'approbation de la révision.