N° 1 588
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE |
N° 293
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale
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Annexe au procès verbal de la séance
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
RAPPORT
sur
« Nanosciences et progrès médical »
par MM. Jean-Louis LORRAIN et Daniel RAOUL,
Sénateurs
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Claude BIRRAUX Président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Henri REVOL Premier Vice-Président de l'Office |
INTRODUCTION
Le 29 octobre 2002, le Bureau du Sénat a saisi l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'une demande d'étude sur le thème « Nanosciences et progrès médical ».
Par le présent rapport, nous avons tenté de répondre à cette demande qui nous avait paru particulièrement avisée car les nanotechnologies en général vont prendre un essor considérable au cours des prochaines années et tout au long de la première moitié du XXIème siècle.
Les nanobiotechnologies, spécialement consacrées à la médecine et à la pharmacie prendront une part importante dans les progrès que l'on peut attendre. Ces progrès se situeront dans trois domaines :
- le diagnostic (mieux voir in vivo et in vitro),
- les soins (notamment la vectorisation des médicaments),
- la compensation des déficits (neuroprothèse, ingénierie tissulaire...).
Nous avons essayé de présenter de façon « pédagogique » ces nouvelles techniques qui sont encore peu connues du grand public et qui ne sont pas toutes sorties du champ de la recherche.
Nous avons également donné des axes de réflexion pour que les décideurs politiques aient une attitude de soutien, mais aussi un souci de responsabilité et d'éthique en matière d'utilisation des nanotechnologies qui vont avoir des répercussions économiques et sociales considérables.
PREMIER CHAPITRE NANOSCIENCES ET NANOTECHNOLOGIES
Quelques éléments de définition
Les nanosciences regroupent l'ensemble des recherches ayant pour objectif la synthèse et l'étude de nano-objets doués de propriétés spécifiques que celles-ci soient physiques, chimiques ou biologiques.
Les nanosciences par construction s'intéressent à des objets physiques de taille de l'ordre de grandeur. Le nanomètre vaut un milliardième de mètre (10-9m). On qualifie de nanométrique des objets dont la taille sera comprise entre une centaine de nm et quelques nanomètres.
Pour fixer les idées, on se trouve dans la zone de taille immédiatement supérieure à celle des atomes ou des molécules qui constituent la matière qu'elle soit vivante ou inerte. Typiquement, un atome a une taille de l'ordre du dixième de nanomètre (en moyenne 0,3 nm). Dans un nanomètre on aligne donc environ trois atomes et, dans une sphère de 2 ou 3 nanomètres, on place environ un millier d'atomes.
Un objet nanométrique sera donc constitué d'un petit nombre d'atomes ou molécules. On peut considérer que l'ambition des nanosciences sera de fabriquer, caractériser et manipuler les objets les plus petits que l'homme puisse concevoir. Les objets « classiques » macroscopiques sont constitués d'un nombre impressionnant de molécules ou atomes. A titre pédagogique, on peut calculer le nombre de molécules qui existent dans un litre d'eau. On, tombe sur une valeur proche de 300 10+23 soit largement supérieure au milliard de milliard de milliard de molécules !!! Si l'on alignait les molécules consistant ce litre d'eau, on trouverait une distance supérieure à 10+13 km soit de l'ordre de grandeur d'une année lumière.
Il convient toutefois de remarquer que ces objets nanométriques n'ont de sens qu'insérés ou parties d'objets plus grands (de la taille du micromètre) eux-mêmes inclus dans des dispositifs manipulables à l'échelle humaine. C'est pourquoi bien souvent le vocable de nanoscience ou de nanotechnologie intègre également la conception ou la manipulation d'objets de taille immédiatement supérieure (souvent micrométrique).
Colloque Nanosciences et Médecine du XXIème siècle - Sénat - 6 février 2004 - Intervention de M. Jean-Louis PAUTRAT
BOTTOM-UP ou TOP-DOWN ?
Deux grandes approches coexistent dans le domaine des nanotechnologies. La première qualifiée de Top-Down c'est-à-dire du haut en bas consiste à miniaturiser par les moyens de réduction de taille des dispositifs existants. Une approche inverse qualifiée elle de Bottom-up du bas vers le haut consiste à assembler (ou à faire s'auto assembler) des motifs atomiques ou molécules afin de constituer des objets nanométriques.
L'EXEMPLE DE LA MICROELECTRONIQUE
La microélectronique est certainement l'exemple le plus typique de l'approche bottom up.
En 1947, un transistor élémentaire fabriqué dans un bloc de germanium faisait environ un demi-centimètre. L'apparition des techniques de gravure (photo lithogravure) sur silicium ont permis à partir des années 1980 de réaliser des motifs de plus en plus petits. Au début des années 1990, un transistor avait une taille légèrement inférieure au micro mètre. Aujourd'hui de façon industrielle, on réalise des microprocesseurs dont les transistors ont des tailles inférieures à 100 nm. Les extrapolations montrent qu'en 2010 ces dimensions seront de l'ordre de la dizaine de nanomètre. On pense alors que l'on aura atteint la limite ultime de cette approche. On devrait alors lui substituer une approche bottom-up en concevant des dispositifs où le transistor serait constitué d'un ensemble organisé d'un très petit nombre de molécules (voire une molécule unique). Le but ultime de cette électronique moléculaire serait de réaliser des circuits électroniques utilisant des molécules fonctionnalisées comme composants.
Colloque Nanosciences et Médecine du XXIème siècle - Sénat - 6 février 2004 - Intervention de M. Jean-Louis PAUTRAT
LES GRANDES VOIES DES NANOSCIENCES
Un récent rapport de l'Académie des Sciences et de l'Académie des Technologies a fait le point sur l'état des recherches. Ce rapport a mis en exergue trois grands domaines : la nanochimie, la nanophysique et les nanotechnologies.
- La chimie qui est présente au départ de toute élaboration contrôlée maîtrisant les interactions entre entités à toutes les échelles,
- La physique qui explique les structures élaborées à l'échelle du nanométre et qui devient nanophysique lorsque le confinement change quantitativement le comportement,
- Les technologies qui regroupent l'ensemble des savoir faire à l'échelle nanométrique afin d'élaborer et d'utiliser des matériaux, composants et systèmes.
La nanochimie trouve sa légitimité dans la capacité que les chimistes ont acquise au cours des dernières décennies à synthétiser des structures présentant une complexité et une architecture inédite. Le rédacteur de ce chapitre dans le rapport de l'Académie des Sciences estime qu'aujourd'hui l'arsenal synthétique permet d'obtenir n'importe quelle architecture chimique. Il déclare que la chimie a quitté en partie le domaine de l'exploration pour devenir une science de création.
Il semble donc possible de créer des structures présentant des capacités d'auto-assemblage, voire d'auto organisation
Les grands défis de la nanochimie concerneront donc les aspects suivants :
- les nouvelles méthodes de synthèses dont certaines s'inspireront de méthodes en vigueur dans le vivant (méthodes biomimétiques). Ces méthodes permettront d'obtenir des structures inédites liant entre elles des atomes divers dont des métaux,
- l'auto-assemblage et l'auto-organisation de nouvelles molécules conduisant à des structures de taille importante,
- la conception de nano-matériaux aux propriétés physico- chimiques nouvelles ainsi qu'à la fonctionnalisation de ces nanomatériaux pour varier leurs actions.
Les domaines d'applications sont par construction formidablement étendus mais on peut citer les catalyseurs, le nanomagnétisme, l'électronique moléculaire, voire l'optique.
La nanophysique ne se contente pas d'exploiter les propriétés des atomes et des molécules pour atteindre un résultat macroscopique. Bien que travaillant à l'échelle nanoscopique, le résultat final reste macroscopique. La nanophysique se caractérise lorsque le confinement à l'échelle nanoscopique change qualitativement le comportement. Dans ce monde nouveau, la mécanique quantique devient l'acteur principal. On peut penser à maîtriser et manipuler les états quantiques ouvrant la voie à des méthodes de calculs dits quantiques aux performances sans communes mesures avec celles actuellement atteintes pas nos ordinateurs. Cette discipline n'aurait pu se développer de façon spectaculaire ces dernières années sans le perfectionnement des méthodes d'observation et de manipulation d'objets individualisés.
Les méthodes de microscopie en champ lointain comme la microscopie électronique a permis d'atteindre des limites sub nanométriques (0,1nm par exemple). Ces méthodes ont été complétées par les techniques en champ proche dont la microscopie à effet tunnel est le premier exemple. Cette méthode permet de sonder la surface d'un dispositif en déplaçant à quelques angströms de sa surface une pointe très fine et en mesurant les perturbations du courant électrique qui circule entre la pointe et l'objet. Ces méthodes permettent d'obtenir des informations sur les surfaces à des résolutions dans le sens vertical de 0,01nm. Ces microscopes donnent également la possibilité non seulement d'observer les atomes constitutifs de ces surfaces mais également de la déplacer individuellement et donc de disposer ces atomes selon un ordre établi par l'expérimentateur.
Figure 6-3 - Différentes étapes de la construction du « Corral Quantique » assemblé avec 48 atomes de Fe su Cu (111). Les ondes électroniques de surface sont confinées à l'intérieur du corral et forment « des vagues quantiques » dont l'amplitude augmente au fur et à mesure de l'assemblage de ce « nano-résonateur » d'ondes électroniques (d'après les travaux de D. EIGLER et al., IBM Research Division, Almaden Research Center, California,USA).
Document extrait du rapport Nanosciences - Nanotechnologies de l'Académie des Sciences et de l'Académie des Technologies - rst n° 18 - avril 2004
Les nanotechnologies constituent un champ de recherche et de développement impliquant la fabrication de structures, dispositifs et systèmes à partir de procédés permettant de structurer la matière au niveau atomique, moléculaire ou supramoléculaire à des échelles caractéristiques de 1 à 100 nm. Comme il a été vu plus haut, on peut atteindre de nouveaux comportements de la matière due à la prépondérance des lois de la physique quantiques s'exprimant essentiellement à cette échelle. Bien entendu on pense immédiatement aux applications dans les domaines des technologies de l'informative et des communications (TIC) qui commencent à aborder ce secteur par la réduction des tailles des composants électroniques élémentaires. (stockage de l'information, etc.).
On a pu dire que les nanotechnologies sont placées au centre des technologies de l'information et des Communications. L'industrie a dans secteur été la plus active dans le soutien à la recherche en nanotechnologies. Le premier élément qui pousse cette activité est l'impérieux besoin d'augmenter les puissances de calcul et de stockage de l'information. Ceci ne peut se faire qu'en mettant de plus en plus de composants électroniques (les transistors par exemple) sur une surface donnée (la puce). Les trois façons d'arriver à ce résultat sont en premier lieu la miniaturisation dans une filière donnée (la filière du silicium en gravant de façon toujours plus fine), en second lieu en réalisant des dispositifs réellement nanoscopiques et puis enfin en tirant parti de nouveaux effets d'ordre quantiques.
Schéma de transistor : on applique une tension sur la grille qui peut vider les électrons situés en dessous dans le canal conducteur et empêcher ainsi le courant de passer entre source et drain. C'est l'effet transistor. ( 1 )
Photos au microscope électronique d'un transistor
de recherche de 16 nm de largeur de grille (noter la très faible
épaisseur de l'isolant de grille, 2,75 nm, soit environ 9 atomes)
(document ST Microelectronics).
(
2
)
Evolution de la densité d'intégration des circuits (pour les mémoires DRAM et les microprocesseurs) et largeur de trait lithographique. Le doublement de la densité tous les 18 mois forme la « loi » (empirique) de Moore. ( 3 )
D'autres domaines seront concernés par l'emploi de nanomatériaux par exemple les domaines de l'énergie (production, stockage et utilisation). On peut espérer de ces nanomatériaux des économies en terme de poids, de consommation de matière première et globalement d'énergie consommée. On peut penser que de nouveaux nanodispositfs tels des nanomoteurs seront réalisables et pourront être incluent dans des microsystèmes.
Les nanomatériaux ou les matériaux nanostructurés ne sont pas choses totalement nouvelles. La nanostructuration des matériaux d'origine biologique est la règle plutôt que l'exception. Le bois, l'os, la coquille d'oeuf en sont des exemples frappants. Par ailleurs, des matériaux anciens fabriqués par l'homme par exemple certains verres ou certains émaux doivent leur coloration si particulière à des nanostructurations. Ces matériaux trouvent toutefois une actualité forte grâce aux capacités nouvelles de conception et de réalisation, voire de fonctionnalisation.
Il doit être noté au passage l'importance cruciale que revêt la nanométrologie. En nanotechnologies comme dans toute technique on a besoin à un certain moment de pratiquer des mesures. La nanométrologie permet des mesures relatives à des éléments de dimensions inférieures au micromètre et assure la conformité de ces mesures avec les des références internationales. Il est évident que la maîtrise de ces méthodes permet d'influer sur la définition des normes et standards. On en connaît l'importance en terme d'avantage concurrentiel.
On voit que les applications sont diverses. L'un des champs qui peut bien entendu être touché est le domaine de la santé et on peut se demander quels seront les progrès médicaux qui en découleront. Quels seront également les impacts sociétaux prévisibles ?