ANNEXE N° 3 - COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
MARDI 18 NOVEMBRE 2003
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Audition de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyenne de la faculté de droit à l'université de Lille 2
Rappelant que 113.000 couples étaient concernés par le divorce chaque année, Mme Gisèle Gautier, présidente , a présenté les grandes lignes du projet de loi déposé au Sénat. Elle a insisté sur le souci de rendre les procédures moins conflictuelles, plus efficaces, et indiqué que le texte comportait des dispositions de nature à responsabiliser l'époux défaillant pour protéger l'époux victime.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez , doyenne de la faculté de droit à l'université de Lille 2 , a d'abord souligné que le projet de loi relatif au divorce était globalement bien perçu par les juristes et les praticiens. Elle a rappelé que la précédente tentative de réforme du divorce issue de la proposition de loi de M. François Colcombet avait soulevé un certain nombre de réserves et estimé qu'elle ne correspondait pas exactement à la vision du divorce qui est celle de la société française.
Elle s'est ensuite concentrée sur un certain nombre de difficultés techniques relatives aux causes, à la procédure et aux conséquences du divorce.
En ce qui concerne les causes du divorce, elle a indiqué que le projet de loi s'efforçait de trouver un équilibre satisfaisant entre la nécessité de ne pas conflictualiser les procédures et celle de sanctionner les fautes. Elle s'est félicitée d'un certain nombre d'innovations techniques apportées par le projet de loi et a jugé en particulier astucieux le système retenu en cas de demande de l'un des époux pour faute et de l'autre pour altération définitive du lien conjugal, qui paraît de nature à éviter les manoeuvres et les iniquités.
Elle a cependant exprimé deux séries de réserves.
S'agissant de la rédaction de l'article 242 du code civil, elle a regretté la suppression du terme « renouvelée » s'appliquant aux faits constitutifs d'une violation grave des devoirs et obligations du mariage. Elle a, en effet, indiqué que le critère de la répétition est essentiel dans certains cas de harcèlement moral où les faits sont peu graves intrinsèquement, mais deviennent insupportables par leur caractère répété.
Pour l'article 238 du code civil, tel que modifié par le projet de loi, elle a ensuite estimé que la computation du délai de l'altération définitive du lien conjugal semblait peu cohérente. Elle a indiqué que si la séparation n'avait pas duré deux ans avant la requête, il faudrait attendre deux ans après l'ordonnance de non-conciliation, soit environ quatre ans au total. Elle a donc souhaité qu'il soit précisé que la séparation doit avoir duré au moins deux ans lors de l'assignation du divorce.
Elle a rappelé l'importance fondamentale des délais et de la manière de les comptabiliser et souligné que le moment de l'assignation au divorce était le temps fort de la procédure.
Elle a ensuite indiqué que les procédures de divorce par consentement mutuel et le début de la procédure contentieuse n'appelaient, de sa part, que des observations positives.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a cependant évoqué plusieurs points problématiques lors du déroulement prévu de la procédure contentieuse. Elle a d'abord évoqué, à ce propos, la rédaction de l'article 253 du code civil prévue par le projet de loi, qui dispose qu'en dehors du divorce par consentement mutuel, « les époux ne peuvent accepter le principe de la rupture du mariage et le prononcé du divorce sur le fondement de l'article 233 que s'ils sont chacun assistés par un avocat ».
Tout en indiquant qu'elle comprenait bien l'esprit d'un tel dispositif, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a cependant estimé que cette rédaction, qui réserve l'accord du défendeur sur le principe du divorce au cas où il a recours à un avocat, était susceptible de paralyser un certain nombre de procédures. En effet, a-t-elle précisé, ce sont les femmes qui, le plus souvent, demandent le divorce et une grande partie d'entre elles bénéficient de l'aide juridictionnelle ; cependant, à l'audience, un certain nombre de maris ne bénéficiant pas de l'aide juridictionnelle refusent non pas le divorce, mais de prendre en charge des frais d'avocat.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a estimé dommageable de ne pas tenir compte de l'accord des époux sur le principe du divorce lorsque celui-ci ne fait aucun doute, d'autant que le juge est chargé de s'assurer de la réalité du consentement de chacun.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est, à ce propos, interrogée sur l'évolution prévisible de la durée des procédures en rappelant que les délais actuellement observés peuvent avoisiner deux ans.
Mme Janine Rozier a précisé que les délais dépendaient de la présence de biens à partager entre les conjoints et surtout de la présence d'enfants.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a répondu que la durée moyenne des procédures était inférieure à deux ans.
Elle s'est ensuite dite un peu perplexe sur la proposition de règlement des intérêts pécuniaires dès le début de la procédure. Elle a estimé que ce dispositif ne devait pas se transformer en obstacle au divorce pour les conjoints qui ne seront pas en mesure de régler ces intérêts. Elle a, en particulier, rappelé qu'un certain nombre d'épouses n'ont aucune idée de ce que leurs maris possèdent et s'est inquiétée des cas où l'un des conjoints refuse d'informer l'autre.
S'agissant des conséquences du divorce, elle s'est tout d'abord interrogée sur le sens de l'article 265-1 en se demandant s'il concerne les contrats d'assurance-vie. Elle a signalé qu'un certain nombre de ces contrats ne comportent pas de bénéficiaire nommément désigné et elle a craint des difficultés à ce sujet.
Elle a ensuite insisté sur la nécessité d'améliorer les conditions fiscales du partage en rappelant que, dans certains cas, ce sont ces questions qui paralysent les procédures. Elle a cité des exemples dans lesquels une femme doit payer des droits prohibitifs pour pouvoir bénéficier du partage et d'autres cas où la prestation compensatoire est taxée comme une libéralité. Elle s'est prononcée en faveur d'une franchise fiscale adaptée à un moment aussi douloureux de la vie du couple, tout en réservant les cas d'abus de droit ou de fraude fiscale.
Sans omettre de rappeler qu'il n'est pas interdit aux époux de rester dans l'indivision conventionnelle, elle a estimé nécessaire d'approfondir le sujet en prévoyant une formule qui ménagerait la possibilité de sursis au partage pour préserver l'exploitation d'entreprises. Elle a toutefois signalé que cette mesure concernait numériquement peu de couples.
Elle a enfin estimé le régime de la prestation compensatoire prévu par le projet de loi dangereux pour certaines femmes. Elle a rappelé que cette prestation prenait, en principe, la forme d'un capital et d'une rente par exception. Elle a évoqué le mouvement de lobbying très important de la part des « secondes familles » pour contenir la prestation compensatoire dans certaines limites. Elle a souligné que le premier conjoint, à qui on pourrait supprimer sa rente, est souvent en âge de retraite. Elle a indiqué que le système issu de la réforme du 30 juin 2000 permettant de convertir une rente en capital peut se révéler catastrophique pour certains conjoints de plus de 70 ans avec des droits à la retraite très faibles et qui n'ont strictement aucune autre ressource.
Elle a souligné la contradiction logique entre le principe selon lequel la prestation compensatoire ne prend la forme d'une rente que lorsque l'âge et l'état de santé du créancier le privent de toute faculté d'autonomie, et le droit qui est ensuite donné de convertir cette rente en capital. A tout le moins, a-t-elle indiqué, faudrait-il que le texte exige que cette substitution ne porte pas atteinte à la situation de la créancière ou du créancier.
S'agissant enfin des mesures d'éloignement du domicile conjugal en cas de violences, elle a estimé souhaitable de préciser clairement que le conjoint violent doit continuer à payer le loyer et à financer les charges du logement. Elle a également souhaité l'instauration d'un dispositif similaire pour les concubins, lorsque le couple a des enfants, alors qu'à l'heure actuelle et en pratique, ce sont les victimes qui doivent partir du logement familial.
Elle s'est interrogée sur les mesures urgentes unilatérales, vraisemblablement renvoyées au code de procédure civile. Elle a évoqué le débat sur le caractère unilatéral de la procédure actuelle, qui peut donner lieu à des abus. Cependant, a-t-elle fait valoir, un conjoint terrorisé par l'autre n'ose guère lancer une procédure contradictoire.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est interrogée, d'une part, sur l'incidence du projet de loi sur l'équilibre entre hommes et femmes et, d'autre part, sur l'obligation de prendre un avocat ; elle a rappelé que les femmes n'ont pas toutes droit à l'aide juridictionnelle mais que certaines, particulièrement mal armées, ont intérêt à prendre un avocat pour constituer un dossier cohérent.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a répondu que le projet de loi organisait un divorce plus moderne et constituait un progrès pour les femmes qui ont un emploi, mais qu'il pourrait se révéler dangereux pour les femmes qui sont en situation d'infériorité économique, notamment en raison du dispositif relatif à la prestation compensatoire. Elle a noté que la Cour de cassation avait récemment refusé d'accorder une prestation compensatoire à une mère de famille de 48 ans ayant cinq enfants.
Mme Janine Rozier a distingué le cas des jeunes couples sans enfant et celui dans lesquels une mère de famille risque de se trouver isolée avec des enfants, et estimé, dans ce dernier cas, que le rôle de l'avocat peut se révéler essentiel.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a fait observer que l'obligation systématique de recourir à un avocat peut être un frein à la liberté de divorcer. Elle a rappelé que le fait de percevoir des revenus à hauteur du SMIC empêche de bénéficier de l'aide juridictionnelle totale et que le coût d'une procédure simple se chiffre à deux fois le SMIC. Elle a marqué sa préférence pour une attitude qui consiste à faire confiance au juge.
Mme Hélène Luc s'est interrogée sur l'obligation de quitter le domicile conjugal en cas de violence et sur la possibilité de maintien de l'indivision.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a tout d'abord indiqué qu'aux termes de l'article 108 du code civil « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans qu'il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie ». Elle a cependant observé qu'à travers les jugements de divorce, le contentieux se focalise souvent sur la question du départ de l'un des époux. Elle s'est demandée si cet état de fait n'était pas lié à la conflictualité inhérente au divorce pour faute et à la recherche de faits susceptibles d'être prouvés en justice. Elle a finalement constaté que des femmes continuent de craindre de quitter le domicile conjugal, alors qu'elles en ont juridiquement le droit.
Mme Brigitte Bout a fait observer que lors de la célébration du mariage, le maire rappelait aux époux qu'ils « s'obligent mutuellement à une communauté de vie ».
S'agissant du dispositif à retenir pour organiser l'indivision, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a marqué sa préférence pour des solutions juridiques avant tout pragmatiques.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé qu'avec quatre cas d'ouverture de la procédure de divorce, la législation française apparaissait comme l'une des plus complexes de l'Union européenne et s'est demandé si cette diversité des cas d'ouverture ne pourrait pas être simplifiée au regard d'une éventuelle norme européenne ou d'un dénominateur commun.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez , après avoir rappelé le contexte de la réforme du divorce de 1975 -qui doit beaucoup au doyen Jean Carbonnier-, a évoqué une tendance du « génie français » à élaborer des normes complexes et cité des exemples, notamment en matière de législation commerciale où d'autres Etats aboutissent à une efficacité similaire avec des textes plus concis.
Elle a indiqué qu'aucun autre pays au monde ne connaissait quatre cas d'ouverture du divorce. Elle a néanmoins fait observer qu'il n'existait pas de « législation standard » du divorce en Europe et rappelé l'extrême diversité des systèmes judiciaires en citant notamment le cas britannique.
Elle a conclu que chaque société avait sa forme spécifique de divorce et remarqué que l'Allemagne, en théorie, ne connaît pas le divorce pour faute, mais qu'il en est pourtant tenu compte dans la fixation de la pension alimentaire.
Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur la mention de la qualité de divorcé qui figure sur certains documents administratifs.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a indiqué que cette mention ne devait normalement pas figurer, sauf sur les documents servant à un remariage ou dans les actes notariés.
MARDI 18 NOVEMBRE 2003
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Audition de Mme Hélène Poivey-Leclercq, avocat au Barreau de Paris
Mme Hélène Poivey-Leclercq , avocat au Barreau de Paris , a précisé qu'elle centrerait son propos sur la prestation compensatoire, introduite dans le code civil par la loi du 11 juillet 1975, qu'elle connaissait bien en raison des dossiers de divorce qu'elle avait eu à traiter.
Elle a estimé que la loi du 30 juin 2000 relative au divorce allait instaurer « la misère » dans la vie des femmes et plus généralement des créanciers. Jusqu'alors, le juge pouvait adapter sa décision à la situation des personnes divorcées, en leur attribuant un capital ou une rente ou en combinant les deux. Elle a considéré qu'à la suite de la loi du 30 juin 2000, qu'elle a qualifiée de « loi d'opportunité politique », le créancier se trouvait désormais « sinistré » car, comme on pouvait le penser, la loi n'a pas eu pour effet de créer du capital chez les débiteurs de rente, de sorte qu'en l'absence de liquidités disponibles, la prestation se trouve réduite au capital prévu par l'article 275-1 du code civil, soit en fait l'équivalent d'une rente limitée à une durée de huit ans.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a réfuté l'idée selon laquelle la prestation compensatoire serait en voie de disparition, précisant que ce dispositif serait à l'avenir de moins en moins sexué et non réservé à une espèce de femmes sans emploi qui seraient de moins en moins nombreuses. En effet, de plus en plus d'hommes cessent temporairement leur activité professionnelle pour élever leurs enfants. Par ailleurs, un nombre croissant de jeunes femmes diplômées souhaitent avoir plusieurs enfants et interrompent leur activité professionnelle pour se consacrer à leur éducation. Or, l'interruption de l'activité professionnelle engendre une dévalorisation de la formation et de l'expérience acquise qui, en cas de divorce, se traduit par une diminution du revenu. Elle a dès lors considéré que la prestation compensatoire demeurait indissociable de la rupture du lien conjugal, en raison des conséquences financières extrêmement délicates de l'interruption de l'activité professionnelle.
Elle a expliqué que, si le but poursuivi était d'évacuer le divorce des tribunaux pour alléger la charge et le coût social qu'il représente, il fallait alors aller au bout de cette logique et faire du mariage un contrat et non plus une institution.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur l'innovation proposée par le projet de loi permettant aux époux de s'entendre sur les modalités de versement de la prestation compensatoire.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a indiqué que cette innovation était effectivement consacrée pour le divorce par consentement mutuel, mais non lorsque le divorce donne lieu à un contentieux. Elle a précisé que le projet de loi prévoyait le versement de la rente viagère avec des conditions restrictives supplémentaires, à savoir l'évolution prévisible de la situation de la personne créancière, ce qui est difficile à évaluer. Elle a estimé que cette disposition visait en réalité à entraver le pouvoir d'appréciation du juge en le dissuadant d'attribuer une rente viagère qui pénalise les ex-époux débiteurs. Elle a qualifié de « surprenant » le débat actuel sur la transmission aux héritiers et a considéré que l'état actuel du droit était suffisant en la matière. Elle a en effet noté qu'il ne paraissait pas illégitime de payer le passif du défunt et s'est demandé en quoi ce passif serait plus spécifique qu'un autre et en quoi il serait inéquitable de faire payer une prestation compensatoire pour les ex-conjoints par la succession du débiteur. Elle a conclu en affirmant que la prestation compensatoire répondait à un impératif de justice. Elle a par ailleurs jugé trop courte la durée de huit ans prévue depuis la loi du 30 juin 2000 pour verser le capital de l'article 275-1 du code civil, estimant qu'une durée d'au moins douze à quinze ans serait préférable. Elle a ajouté que la contractualisation du mariage permettrait peut-être la création de nouveaux produits d'assurance par les banques et les compagnies d'assurance destinés à s'assurer du risque de divorce.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est interrogée sur l'opportunité de divorcer sans avocat.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a considéré que la présence d'un avocat était toujours préférable afin de défendre au mieux les intérêts de chacun des époux, ajoutant que la présence d'un avocat auprès de chaque époux constituait une garantie qui lui paraissait indispensable.
Mme Janine Rozier a également estimé nécessaire la présence de deux avocats au motif qu'une personne démunie avait d'autant plus besoin de recevoir des conseils impartiaux.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a ajouté que se posait également le problème des femmes sans profession, mariées à des hommes aisés sous le régime de la séparation de biens, qui pouvaient se retrouver totalement démunies en cas de divorce.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur la possibilité de remettre aux futurs époux, lors du mariage, une information sur le divorce et ses conséquences.
Mme Janine Rozier a indiqué que les livrets de famille, dans leur ancienne présentation, comportaient ce type d'informations.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a précisé que cette éventualité avait déjà été envisagée en vertu du constat selon lequel le mariage n'était plus un engagement pour la vie.
Mme Hélène Luc s'est enquise des points positifs du projet de loi.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a indiqué que les dispositions relatives à la prestation compensatoire constituaient, selon elle, une régression plutôt qu'un progrès, dans la mesure où elles rendaient possible la substitution d'un capital à une rente, ce qui lui paraissait dangereux. Elle a salué l'esprit des autres dispositions, qui permettent de passer du droit du divorce au droit au divorce. Cette modernisation devrait mettre un terme aux « faux » divorces pour faute, qui donnent souvent lieu à l'exposition de détails sordides.
Mme Sylvie Desmarescaux a estimé que le divorce pour faute permettait toutefois aux personnes divorcées de mener un travail de deuil.
Mme Hélène Poivey-Leclercq a abondé dans ce sens, tout en observant que les tribunaux ne constituaient pas des lieux de thérapie.