N° 71
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 novembre 2003
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les dégrèvements d'impôts locaux ,
Par M. Yves FRÉVILLE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Roger Karoutchi, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, René Trégouët.
Impôts et taxes. |
INTRODUCTION
La taxe d'habitation n'est plus un vrai impôt local : la moitié des contribuables ne paie plus ou ne paie que partiellement cet impôt qu'en fonction de leurs revenus, sans que subsiste un quelconque lien avec l'impôt sur l'habitation voté par les collectivités locales.
Un coin fiscal à la charge de l'Etat a été enfoncé entre la recette perçue par les collectivités locales et l'impôt payé par les contribuables. Il représente 30 % de la taxe d'habitation assise sur les résidences principales et prend essentiellement la forme de crédits inscrits au titre I du budget des charges communes au titre des dégrèvements législatifs dont bénéficient les contribuables locaux. Il revient donc à votre rapporteur spécial du budget des charges communes, en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, d'évaluer l'efficacité de cette politique mise en place par étapes depuis 1982 et parachevée en 2000.
Cette politique de dégrèvements législatifs a une cause : la non-réforme de la taxe d'habitation. Non seulement l'assiette de cet impôt , la valeur locative du logement, est légèrement dégressive par rapport au revenu 1 ( * ) mais surtout ses bases continuent à être évaluées en fonction des résultats, désormais totalement obsolescents, de la révision de 1970. Les deux réformes proposées en 1990 par la majorité d'alors - taxe départementale sur le revenu et révision des valeurs locatives - n'ont pas été poursuivies par leurs initiateurs. Les mesures de dégrèvements législatifs ont donc eu pour objectif de corriger une situation jugée inéquitable pour des contribuables de plus en plus nombreux face à un impôt que l'on ne savait comment réformer.
Cette politique a aussi une conséquence imprévue: c'est d'inciter à la non-réforme de la taxe d'habitation ! Pourquoi réformer un impôt dont le poids a été largement allégé ? Une double anesthésie des élus et des contribuables locaux est en effet mise en place puisque les augmentations éventuelles de la pression fiscale locale ont cessé d'être ressenties par la moitié des contribuables-électeurs.
Cette politique a enfin un impact financier qui obère les relations entre l'Etat et les collectivités locales. Sur le plan budgétaire, la montée en puissance des dégrèvements législatifs, de taxe d'habitation mais aussi de taxe professionnelle, au début de la dernière décennie ne pouvait qu'induire un freinage de la croissance des dotations d'Etat.
Les dégrèvements législatifs, même s'ils sont d'abord des aides individuelles apportées à certains contribuables, constituent également des « subventions implicites » aux collectivités territoriales où résident ces contribuables. Ces « subventions implicites » n'apparaissent pas dans les budgets locaux, leur montant exact n'est même pas connu des élus ; elles n'en constituent pas moins un transfert financier de l'Etat au bénéfice des collectivités dont la répartition spatiale doit être rendue transparente, ne serait-ce que pour être comparée à celle des autres dotations de l'Etat. Au moment où le principe de péréquation vient d'être inscrit dans la Constitution, on peut utilement se demander si ces subventions implicites ont un caractère péréquateur et si, en favorisant les collectivités qui recourent le plus à l'impôt, elles ne vont pas à l'encontre du principe de neutralité face aux choix fiscaux locaux qui fonde le choix du potentiel fiscal comme critère de péréquation
Votre rapporteur spécial a déjà attiré à plusieurs reprises l'attention du Parlement dans ses rapports concernant le budget des charges communes sur la répartition des dégrèvements législatifs entre collectivités locales . Il lui a semblé qu'une étude d'ensemble de cette question méritait d'être entreprise au moment où l'on s'interroge sur ce que doivent être les ressources propres nécessaires à la mise en oeuvre du principe d'autonomie fiscale des collectivités locales : un impôt payé par l'Etat est-il encore une ressource propre ?
Cette étude a été entreprise dans une terra incognita , à partir des fichiers informatiques de différentes administrations et au niveau des 36.500 communes françaises de métropole 2 ( * ) . Il a fallu constituer au niveau communal un ensemble cohérent de données fiscales et résoudre de nombreuses difficultés méthodologiques 3 ( * ) , la moindre n'étant pas la détermination du montant des dégrèvements attribuable à chaque collectivité. Il a semblé à votre rapporteur spécial que la découverte de cette terre inconnue pouvait s'effectuer à l'aide de nombreux graphiques faisant apparaître à la fois l'extrême diversité des situations locales et l'existence de tendances lourdes, telle la concentration des dégrèvements dans les zones urbaines de province.
Cette étude a été effectuée à partir des données de 2001, dernière année pour laquelle des résultats complets étaient disponibles lorsqu'elle fut entreprise. Ce choix chronologique rend possible l'évaluation des conséquences de la réforme des dégrèvements de taxe d'habitation intervenue en 2000 et l'utilisation des statistiques établies pour la première fois par l'INSEE sur la répartition des revenus dans chaque commune en 2000.
Après le rappel dans un chapitre premier des lignes directrices de la politique des dégrèvements et de son coût pour l'Etat, trois questions seront successivement posées :
Combien de contribuables bénéficient d'allègements de la taxe d'habitation et comment se répartissent-ils entre les collectivités locales ? (chapitre deux).
Comment et en fonction de quelles variables se ventilent les subventions implicites de l'Etat entre les diverses collectivités locales ? (chapitre trois).
Cette répartition spatiale des dégrèvements législatifs a t-elle ou non un caractère péréquateur ? (chapitre quatre).
Votre rapporteur spécial estime que les dégrèvements d'office constituent un mécanisme pervers du fait de sa non-transparence . Il faudra envisager leur suppression et le recyclage de leur montant en dotations d'Etat à caractère péréquateur lorsque sera mise en chantier une réforme en profondeur de la taxe d'habitation qui passe nécessairement par une révision des bases. Mais la définition des lignes directrices d'une telle réforme dépasse évidemment le cadre de ce rapport d'information. Votre rapporteur spécial s'est donc borné à mettre en lumière les contradictions entre la pratique des dégrèvements d'office et les autres objectifs de la politique de développement des responsabilités locales et à émettre, en conclusion, diverses recommandations permettant d'en atténuer les conséquences.
AVERTISSEMENT
L'étude présentée dans les chapitres deux à quatre a été effectuée à partir de fichiers de très grande taille relatifs aux données communales de 2001.
Il n'a pas été possible de convertir les données de ces fichiers de francs en euros.
* 1 La valeur locative du logement tend à croître avec le revenu, mais représente une fraction légèrement décroissante de celui-ci.
* 2 Il existe en effet un régime spécifique de dégrèvements dans les départements d'outre mer.
* 3 Ces problèmes méthodologiques sont abordés dans diverses annexes au présent rapport d'information.