II. DE NOUVELLES ORIENTATIONS POUR LA POLITIQUE FISCALE
A. FISCALITÉ DES PERSONNES : QUELS PRÉLÈVEMENTS SUR LES REVENUS ?
Parce qu'elle est, plus que jamais, engagée dans l'économie mondiale, la France est en train de perdre une bonne part de son autonomie fiscale.
Le phénomène n'est pas nouveau mais il trouve une autre ampleur avec le virage libéral pris par la plupart des grandes économies. Hier la compétitivité était tout autant une question d'inflation que de poids des prélèvements obligatoires ; aujourd'hui, avec l'intégration croissante des marchés financiers et la gestion de plus en plus mondialisée des grandes entreprises, la question des charges et de la fiscalité devient centrale.
On a pris conscience que, d'une part, les capitaux, qu'il s'agisse des flux financiers ou des investissements directs et surtout les compétences étant de plus en plus mobiles, il ne faut pas décourager l'initiative ; d'autre part, les produits français et donc l'emploi sont pénalisés par la lourdeur des charges sociales.
Ainsi, le modèle social français paraît-il menacé « par les deux bouts » : les compétences - on aurait dit naguère les « capacités » - sont tentées d'aller s'exercer ailleurs, du fait d'un barème de l'impôt sur le revenu sensiblement plus lourd que dans la plupart des autres pays de même niveau de développement, tandis que l'emploi, surtout non qualifié - mais pas exclusivement comme l'ont montré les travaux de Paris Europlace relayés par la mission sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises présidée par notre collègue Denis Badré 24 ( * ) -, est handicapé, contribuant à une certaine désindustrialisation du territoire.
Et pourtant, le financement du modèle social mais aussi, des infrastructures économiques, dont le rapport précité rappelle l'importance du point de vue de la compétitivité, exige que l'on continue à lever des ressources.
Toute la question est alors de définir l'assiette des différents prélèvements qui permette de faire face à l'ampleur des besoins sans compromettre la compétitivité et en assurant un lisibilité pour les agents économiques tant nationaux qu'étrangers.
1. Les différences de potentiel entre les différentes assiettes
Depuis des années, on assiste, du fait de la concurrence fiscale internationale, à l'atténuation de la progressivité de l'impôt sur le revenu et ce quelle que soit « la couleur politique » des gouvernements successifs, ainsi que, corrélativement, et à la réduction, sous des formes diverses, des prélèvements sociaux pesant sur les bas salaires en vue de restaurer la compétitivité de l'industrie et d'augmenter l'incitation au travail.
Il en résulte une tendance lourde à l'affaiblissement du potentiel de l'impôt sur le revenu tel qu'il résulte du barème progressif classique , mais également des cotisations sociales traditionnelles, dont une part du produit de plus en plus importante est prise en charge par l'Etat en compensation des différents allégements dont bénéficient leurs redevables. Cette tendance s'est traduite par une montée en puissance des prélèvements sui generis que constitue l'ensemble CSG-CRDS.
Désormais, le principal impôt sur le revenu acquitté par les Français est un impôt proportionnel, la contribution sociale généralisée (CSG), à laquelle il convient d'adjoindre la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).
Le produit de l'impôt sur le revenu et de l'ensemble CSG-CRDS
(en milliards d'euros)
On a toutes les raisons de croire que cette tendance devrait se poursuivre en l'absence de maîtrise des besoins de santé. Votre commission des finances estime que, si une telle évolution se poursuivait, elle devrait aboutir, à terme, à la fusion, ou du moins à la juxtaposition, de l'ensemble CSG-CRDS avec l'impôt sur le revenu.
a) Les limites de l'impôt sur le revenu
Depuis le début des années 1980, on assiste, dans les pays de l'OCDE, à une diminution des taux marginaux de l'impôt sur le revenu. A côté bien sûr du Royaume-Uni qui le premier a ouvert la voie en faisant passer son taux supérieur de 60 à 40 %, on trouve la plupart des grands pays qu'il s'agisse de l'Espagne, de l'Allemagne, de l'Italie ou même de la Suède. Seuls les pays du Benelux semblent encore résister à cette tendance.
La France a rejoint tardivement le mouvement mais son taux marginal est quand même passé de 65 % en 1986 à 48 % aujourd'hui.
Cette évolution présente néanmoins dans notre pays un certain nombre de caractéristiques spécifiques dans la mesure où elle ne s'est pas encore accompagnée d'une simplification de son mode de prélèvement et de la suppression de ce qu'il est convenu d'appeler les niches fiscales.
Il en résulte une certaine faiblesse du potentiel contributif de cet impôt, dont le produit tend à plafonner aux alentours de 50 milliards d'euros. En pourcentage de recettes fiscales, l'impôt sur le revenu occupe une place de plus en plus limitée.
L'IR est donc un impôt à faible potentiel du fait de l'étroitesse de son assiette - 50 % des foyers fiscaux ne sont pas imposables -, et de son extrême concentration - 1/10 ème de contribuables les plus aisés paient presque les trois quarts de l'impôt sur le revenu.
b) Les atouts de la CSG
Les prélèvements proportionnels à assiette large que sont la CSG et la CRDS, sont devenus en quelques années, à côté des cotisations traditionnelles, le moyen de financement par excellence des dépenses sociales.
Le rôle croissant de ces prélèvements résulte de leur simplicité : simplicité du mode de calcul, au moins relative, avec une assiette large et un nombre de taux relativement restreint, simplicité de gestion avec le prélèvement à la source.
L'attachement des Français à une certaine progressivité de l'impôt ne constitue pas une objection de poids s'agissant du financement de prestations. Ainsi, un régime de financement proportionnel au revenu, non plafonné, est en lui-même suffisamment progressif pour manifester la solidarité entre les Français face aux risques sociaux. La progressivité d'un prélèvement ne s'apprécie pas seulement en regardant la part du revenu prélevé, encore faut-il s'intéresser aux prestations dont ces prélèvements sont la contrepartie, et, de ce point de vue, on a des raisons de penser que la consommation des services sociaux diminue en pourcentage du revenu au fur et à mesure que celui-ci s'élève.
2. Vers une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG ?
L'imposition des revenus résulte de la sédimentation de diverses initiatives qui en ont affecté la lisibilité et donc la légitimité.
Une façon de réconcilier les Français avec l'impôt direct serait de mettre un terme à certaines incohérences et notamment d'articuler pour les fusionner ensuite l'impôt sur le revenu et l'ensemble CSG/CRDS.
a) Une question de cohérence politique
L'assiette de l'impôt proportionnel devrait être aussi large que possible, à l'égal de ce qu'elle est aujourd'hui pour l'ensemble CSG-CRDS, et peut-être même, à la marge, plus large pour englober un certain nombre de revenus, actuellement exonérés.
L'objectif est d'aboutir à un impôt vraiment « général », susceptible de faire l'objet d'un seul et même avertissement, ce qui devrait renforcer la conscience fiscale des Français. Cette idée fait du chemin même dans l'opposition, puisque l'on a vu récemment notre collègue député Didier Migaud, ancien rapporteur général du budget, souhaiter cette fusion :
« La fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, avec, en corollaire, la retenue à la source, doit figurer au premier plan de notre réflexion. Cette réforme peut mettre fin à la fiction qui sépare les Français en deux : imposables et non imposables. Chaque Français, aussi modeste soit-il, paie un impôt. Cette réforme doit améliorer l'efficacité de notre système de prélèvement et la justice, en permettant de mettre fin à l'existence de nombreuses niches fiscales injustifiées et de pratiquer la vérité et la transparence des taux » 25 ( * ) .
Il convient en effet de dissiper l'illusion selon laquelle l'impôt n'est pas payé par tout le monde. Le fait que 50 % des foyers fiscaux puissent avoir le sentiment qu'ils ne paient pas d'impôt n'est pas dépourvu d'effet pervers. Quel que soit leur revenu, tous les Français paient la CSG et la TVA. Faute d'avoir conscience de payer l'impôt, nombre d'eux sont en fait incités à réclamer plus de prestations publiques. C'est une des raisons du « toujours plus », qui fait que, parfois même au sein des assemblées, un bon budget est un budget qui augmente.
En tout état de cause, il ne serait pas question, dans le schéma d'une éventuelle fusion, de revenir sur les différences de mode de perception de la CSG et de l'impôt sur le revenu, et en particulier sur le prélèvement à la source de la CSG.
Il ne serait pas question non plus de modifier l'affectation de la CSG à la sécurité sociale, car la configuration actuelle d'affectation d'un impôt à fort rendement au secteur le plus dynamique d'évolution des dépenses publiques présente une cohérence certaine, même s'il convient de ne pas céder à la facilité que constitue une augmentation de la CSG pour repousser les efforts de maîtrise des coûts. Dans cette perspective, la hausse de la CSG doit être plutôt une résultante, un complément de financement, qu'un remède miracle apparemment indolore.
A l'inverse, l'extension à l'impôt sur le revenu de la méthode indolore du prélèvement à la source n'est pas forcément une bonne chose au regard de la prise de conscience par tous les Français de la nécessité d'une maîtrise de la croissance des prélèvements obligatoires.
b) Des mesures d'ajustement réciproque nécessaires
La fusion de l'ensemble CSG-CRDS avec l'impôt sur le revenu soulève à la fois de faux problèmes de principe et de vraies difficultés techniques.
Ainsi le problème de la non-déductibilité partielle de la CSG au regard de l'impôt sur le revenu devrait trouver une solution naturelle dans l'unification à terme du barème. On ne peut imposer deux fois le même revenu mais dans le cadre d'un impôt unique, il ne pourrait bien sûr plus y avoir déductibilité.
L'autre question de principe est plus générale et a trait à la façon dont on va mettre en bout à bout deux impôts qui jusqu'à présent procèdent d'une philosophie différente. D'un côté, la CSG est un impôt simple à assiette large, relativement peu différencié selon la nature des revenus ; au contraire, l'impôt sur le revenu est un impôt à assiette étroite, très concentré, très différencié selon la nature des revenus et comportant un nombre considérable d'exceptions. En outre, on va devoir articuler un impôt éminemment « familialisé » par le jeu des quotients conjugal et familial avec un impôt qui ne prend pas en compte les caractéristiques du foyer fiscal.
Il ne faut pas se dissimuler le risque de voir la CSG « contaminée » par ce phénomène de personnalisation excessive qui a affecté le rendement et la cohérence de l'impôt sur le revenu. Mais il faut aussi compter sur la volonté politique qui sous-tendrait une telle réforme fiscale pour en prolonger l'esprit en remettant en cause un certain nombre de « niches » fiscales injustifiées.
Cette volonté d'unification de l'imposition des personnes rejoint tout à fait la volonté des fondateurs de la V ème République lorsque par la loi du 28 décembre 1959, ils ont créé un impôt annuel unique sur le revenu des personnes physiques.
Sur le plan technique, on retrouverait l'architecture à deux étages voulue à la Libération par les réformateurs de la IV ème République, puisque l'on aurait, au moins dans un premier temps, un impôt sur le revenu des personnes physiques qui se diviserait en deux branches : une taxe proportionnelle et une surtaxe progressive .
Il ne faut pas se dissimuler les difficultés techniques à résoudre pour parvenir à un système unifié d'imposition des personnes. IR et CSG n'ont ni la même assiette ni le même mode de recouvrement. D'un côté, on impose le revenu net, de l'autre le revenu brut, tandis que l'un est recouvré par la comptabilité publique et l'autre l'est par les URSSAF.
En raison des problèmes rencontrés, cette réforme fiscale, nécessaire dans son principe, doit à présent être étudiée en détail. Cela justifie que votre commission des finances soit favorable, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale, à ce que soit examinées avec les services du ministère de l'économie et des finances les modalités de la fusion entre la CSG et l'impôt sur le revenu.
En tout état de cause, l'affichage sur les avis d'imposition à l'impôt sur le revenu du montant acquitté au titre de la CSG, quand bien même cet impôt relèverait de la loi de financement de la sécurité sociale tandis que les dispositions relatives à l'impôt sur le revenu figurent chaque année en tête de la loi de finances, procurerait à nos concitoyens une vision consolidée de l'imposition de leurs revenus, dans le même esprit que celui qui préside à l'organisation du présent débat sur l'évolution des prélèvements obligatoires.
B. ENCOURAGER LA COMPÉTITIVITÉ ET L'EMPLOI
1. Conforter le succès de la formule de baisse simultanée de l'impôt sur le revenu et des charges sociales
Dans la perspective du débat d'orientation budgétaire pour 2001 26 ( * ) , votre commission des finances avait demandé au Centre d'observation économique (COE) de simuler une diminution des prélèvements obligatoires de 2,9 points de PIB à l'horizon 2003, assortie d'un retour à l'équilibre des comptes publics à cette même date 27 ( * ) .
Il était ressorti de cette étude que l'impact le plus favorable sur la croissance était obtenu par la combinaison « baisse de l'impôt sur le revenu + baisse des cotisations sociales des employeurs ».
Cette étude permettait de dégager deux enseignements :
- une réduction des prélèvements obligatoires est extrêmement favorable en termes de croissance et d'emploi, dès lors qu'on y intègre une baisse des cotisations sociales des employeurs 28 ( * ) ;
- la simulation du COE montre qu'il est possible de conduire une baisse des prélèvements obligatoires financée par une baisse des dépenses publiques sans détérioration du solde public, tout en favorisant la croissance et l'emploi.
C'est donc fort opportunément que la politique du gouvernement, depuis l'été 2002, a consisté à mettre en oeuvre la formule recommandée par votre commission des finances :
- la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu en 2002, pour 2,55 milliards d'euros, a été poursuivie en 2003 (- 771 millions d'euros) et amplifiée en 2004 (- 1,76 milliard d'euros) ;
- les allègements sur les bas salaires prévus par la loi dite « Fillon » prévoient, à compter du 1 er juillet 2003, une atténuation des charges à hauteur de 6,9 milliards d'euros en 2003 et 15,7 milliards d'euros en 2004.
2. Alléger la charge sur les assiettes délocalisables
Le rapport du Conseil d'analyse économique sur la compétitivité se montre particulièrement lucide sur les raisons qui pourraient conduire la France à se doter d'un régime fiscal d'exception pour attirer les « talents étrangers » : « (...) la situation réservée aux cadres impatriés est certainement moins avantageuse qu'à l'étranger (notamment concernant les frais déductibles). Cette situation pose un problème d'image : la vitrine fiscale de la France est bien terne. Que contient la vitrine de nos concurrents ? Le Royaume-Uni et l'Irlande fonctionnent sur le principe dit de « remittance basis », tandis que le Danemark a un taux marginal réduit pour les «impatriés », tout comme la Finlande. Plus généralement, neuf États européens sur quinze ont un régime spécifique pour les cadres « impatriés » : Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. La France ne dispose pour sa part que du régime des « quartiers généraux », autorisant le remboursement par l'employeur des surcoûts de logement, d'excédent d'impôt ou de cotisations sociales. (...) C'est en ce sens que les propositions du rapport Charzat ou celle de Paris Europlace doivent être comprises : la mise en place d'un régime spécial pour les « impatriés », à l'image de ce qui existe pour les expatriés, relève du « produit d'appel », c'est-à-dire de la concurrence fiscale. Un tel régime ne se justifie que par son existence dans les pays concurrents et se heurte en France au principe constitutionnel de l'égalité devant l'impôt ».
Le tableau ci-dessous montre en effet les avantages consentis à ceux qui sont source de croissance à moyen terme :
Avantages fiscaux accordés aux « impatriés »
|
Types d'activité |
Nature des avantages fiscaux |
Belgique |
Cadres supérieurs
|
Exonération d'impôt sur le revenu du remboursement par l'employeur des dépenses d'expatriation |
Luxembourg |
Cadres et dirigeants d'entreprises nouvelles |
Abattement mensuel en distinguant les résidents (60 mois) des non résidents (36 mois) |
Pays-Bas |
Haute qualification professionnelle |
Indemnité pour frais, exonérée
d'impôt sur le revenu de 30 % au plus, de la
rémunération globale
|
Royaume-Uni, Irlande |
Toutes activités |
Non-imposition des rémunérations versées par les employeurs non résidents tant que les revenus ne sont pas transférés dans l'Etat du domicile |
Source : Conseil d'analyse économique
Le gouvernement a entrepris une réflexion sur ce thème. Dans son discours du 27 juin 2003 lors de la Conférence mondiale pour les investissements nationaux à La Baule, M. Jean-Pierre Raffarin a ainsi indiqué : « conformément aux recommandations de nombreux rapports récents, dont le rapport Charzat de juillet 2001, sous la précédente majorité, j'ai demandé à Francis Mer de proposer des premières mesures adaptant leur situation fiscale avec comme objectif de rapprocher le statut du cadre impatrié de celui de nos expatriés. » Il a par ailleurs confié une mission à notre collègue député Sébastien Huygue visant à formuler des propositions pour favoriser la localisation en France des sièges sociaux et des centres de décision des entreprises internationales.
Au-delà de ces mesures de « vitrine fiscale », qui pourraient comprendre, en ce qui concerne l'ISF, l'allongement de la période, actuellement fixée à cinq ans, durant laquelle un résident étranger n'est pas taxé sur ses biens sis en dehors de notre territoire et des mesures d'amnistie pour les capitaux revenant en France, des dispositions structurelles doivent être prises pour attirer et retenir les qualifications les plus élevées et les entrepreneurs les plus dynamiques. Ceci passe par un allègement déterminé de la fiscalité des « facteurs mobiles », qui est par excellence celle du patrimoine, aujourd'hui dissuasive.
En ce qui concerne l'impôt de solidarité sur la fortune, que ne connaissent pas dix pays sur les quinze de l'Union européenne, une réflexion en termes d'attractivité conduit, sinon à sa suppression, du moins à une réforme du barème, en diminuant le nombre de tranches, et en réduisant le taux marginal d'imposition.
En ce qui concerne les droits de mutation, auxquels votre rapporteur général a consacré un rapport d'information 29 ( * ) , une réforme diminuant le nombre de tranches, les élargissant et remontant l'abattement à la base coûterait 2,6 milliards d'euros pour les successions, et un milliard d'euros supplémentaire pour les donations, soit un montant du même ordre que la baisse de 6 points de l'impôt sur le revenu.
L'ensemble des réformes structurelles visant à renforcer l'attractivité du « site France », en allégeant la fiscalité des facteurs de production les plus mobiles, ne doit pas avoir pour effet de créer de nouvelles distorsions économiques, en particulier au détriment du travail non qualifié, qui ne doit pas voir son coût augmenter sous peine de freiner l'emploi. Une réflexion sur les assiettes non délocalisables doit ainsi être menée.
3. Une TVA sociale pour dynamiser l'emploi ?
Dans une économie globalisée, il importe d'alléger les prélèvements sur les assiettes délocalisables. Dans notre pays, le niveau élevé du coût du travail joue un rôle négatif sur les décisions des entreprises en matière de localisation de leurs implantations. En revanche, la consommation constitue, avec le foncier, l'assiette non délocalisable par excellence.
C'est dans ce contexte qu'il convient d'étudier l'éventualité de la création d'une « TVA sociale », autrement dit la substitution de recettes de TVA à des recettes provenant des cotisations sociales.
Les effets économiques d'une telle évolution de la structure de nos prélèvements obligatoires restent à évaluer avec précision. Toutefois, une telle mesure serait de nature à enrichir le contenu de la croissance en emploi :
- selon la même logique qui a présidé à la suppression de la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires, on assisterait à une déformation de la structure des prélèvements obligatoires en faveur des biens et des modes de production intensifs en travail ;
- selon une logique comparable à celle de la prime pour l'emploi, cela se traduirait par un accroissement des revenus des salariés, et encouragerait la consommation.
Compte tenu du fait, d'une part, que les hausses de TVA se répercutent plus rapidement sur les prix à la consommation que les évolutions des cotisations sociales et, d'autre part, que la hausse de la TVA s'appliquerait à tous les biens consommés alors que la baisse des cotisations sociales n'aurait d'impact en France que sur les prix de ceux qui ne sont pas importés, la « TVA sociale » pourrait se révéler être un facteur d'accélération de l'inflation. Toutefois, le problème aujourd'hui serait plutôt d'atteindre un « plancher d'inflation » que de dépasser un plafond.
En ce sens, la mesure permettrait de freiner les tendances déflationnistes encore présentes dans notre économie et de soutenir ainsi une politique monétaire de la Banque centrale européenne encore trop centrée sur l'objectif de ne pas dépasser la cible d'inflation, sans se soucier suffisamment des conséquences d'un niveau d'inflation inférieur à la cible.
La TVA nette devrait rapporter 109 milliards d'euros au budget de l'Etat en 2003 et 113 milliards d'euros, à structure constante, en 2004. Si l'on prend comme référence le seul taux normal de 19,6 %, un point de TVA représente donc en moyenne 5,7 milliards d'euros.
En 2004, les cotisations sociales effectives, versées par les employeurs et les salariés, devraient représenter 188 milliards d'euros. A titre d'illustration, une augmentation de deux points de TVA correspondrait donc à une diminution de 6 % du montant total des charges patronales et salariales.
Cette augmentation pourrait être répartie pour moitié entre les charges patronales et les charges pesant sur les salariés 30 ( * ) , de manière à ce que, outre les effets sur la consommation des créations d'emplois, les augmentations de salaire net qui résulteraient de cette baisse des charges compensent l'impact sur la consommation de l'augmentation de la TVA.
Si l'on prend cette hypothèse, la hausse du taux de TVA de deux points permettrait de diminuer de 11,7 % le montant des cotisations salariales et de 4,1 % le montant des cotisations patronales 31 ( * ) .
Votre commission des finances souhaite lancer la réflexion sur ce sujet en 2004, afin que les effets économiques d'une telle réforme puissent être bien appréhendés.
C. RÉFLEXIONS SUR LA DÉPENSE FISCALE À PARTIR DU XXIÈME RAPPORT DU CONSEIL DES IMPÔTS
Comme l'on sait, « trop d'impôt tue l'impôt » ; mais il faudrait aussi ne pas oublier que trop d'exceptions sapent la règle, qui finit alors par perdre sa cohérence et sa légitimité. C'est ce type de considérations qui a conduit le Conseil des impôts à souhaiter une remise à plat des dépenses fiscales dérogatoires « d'un coût mal maîtrisé et d'une utilité rarement démontrée ».
Faut-il pour autant condamner la dépense fiscale ? Si l'on peut adhérer à la démarche du Conseil des impôts lorsqu'il encourage les pouvoirs publics à mieux connaître, mieux encadrer et réexaminer les régimes dérogatoires existants en vue d'améliorer l'équité et l'efficacité du système fiscal, il ne faut pas pour autant les récuser par principe.
Une politique raisonnable tenant compte du contexte international d'allègement des prélèvements obligatoires mais aussi des caractères propres du débat politique national doit au contraire chercher à optimiser la dépense fiscale.
1. Que recouvre la notion de dépense fiscale ?
Quantitativement, la France ne présente pas les pertes de recettes fiscales les plus importantes ; ce qui la caractérise, c'est seulement le nombre, la variabilité et la complexité des régimes fiscaux dérogatoires.
L'examen auquel nous invite le Conseil des impôts, tel que le comprend votre commission des finances, doit simplement déboucher sur un système fiscal plus stable, plus simple et, surtout, plus transparent.
Le rapport du Conseil des impôts considère que l'estimation du coût des dépenses fiscales est très imparfaite. Seul un quart des dépenses fiscales sont estimées de façon précise, la moitié d'entre elles n'étant d'ailleurs même pas chiffrées. Il note d'ailleurs qu'en 2003 sur 418 mesures recensées, 56 % seulement faisaient l'objet d'un chiffrage. Il y a là, d'une façon générale la manifestation de l'incapacité des administrations de procéder à des estimations faute pour elles de disposer de données suffisantes.
Il ne faut pas d'ailleurs accorder un crédit trop absolu aux estimations : d'une part, l'indication « å » est systématiquement apposée pour les dépenses fiscales dont le coût est inférieur à 0,5 million d'euros ; d'autre part, certaines estimations - qui peuvent d'ailleurs faire l'objet de débats internes à l'administration - sont relativement peu précises, surtout lorsqu'elles s'appuient sur une reconstitution de base taxable.
Les totalisations en matière de dépenses fiscales au niveau de l'ensemble du budget sont donc à considérer avec précaution, même si l'on peut considérer que les marges d'erreurs ne s'additionnent pas nécessairement.
Une raison supplémentaire de limiter la portée des données globales est à trouver dans l'arbitraire du mode de calcul. La dépense fiscale se définit par la part de recettes non perçues ; elle correspond pour les contribuables à l'allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui résulterait de l'application de la norme. Toute la question est alors de savoir comment définir cette norme.
Le Conseil des impôts distingue, à juste titre, dans les pertes de recettes ce qui relève d'allègements structurels et ce qui constitue un instrument de politique publique. Les allègements structurels s'analysent, selon le Conseil, comme les mesures consubstantielles à l'impôt mises en place lors de sa création. Plus généralement, appartiendraient à cette catégorie les mesures de répartition de la charge fiscale dans une logique de progressivité ou d'équité voire celles tendant à assurer la neutralité fiscale ou une simplification du recouvrement de l'impôt.
En revanche, les vraies dépenses fiscales dérogatoires ont pour caractéristique d'être propres à une catégorie de bénéficiaires et de pouvoir être rattachées à une politique publique non exclusivement fiscale : ce sont des aides sectorielles ciblées.
Le Conseil des impôts propose de mieux faire la part entre ces deux types de dépenses fiscales. Si l'on peut aisément adhérer à l'objectif, sa mise en oeuvre paraît relativement difficile. La lecture du rapport démontre que selon le point de vue et la place dans le temps la même mesure peut passer d'une catégorie à l'autre. Ainsi, la diminution du taux de TVA à 5,5 % pour les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des logements achevés depuis plus de deux ans relève aujourd'hui de la première catégorie. Mais à terme, il n'y a aucune raison qu'ils ne fassent pas partie intégrante des biens soumis au taux réduit, auquel cas c'est à bon droit que l'on supprimera la dépense fiscale correspondante.
2. Les dépenses fiscales : « niches » ou condition de l'équilibre du système fiscal ?
Aussi, lorsque le rapport du Conseil des impôts estime que le montant total des dépenses fiscales dépasse 50 milliards d'euros - ce qui correspond, soit dit en passant, au déficit de la France pour 2003 -, il peut donner l'impression qu'il existerait une sorte de « cagnotte » qu'il suffirait de supprimer pour retrouver immédiatement des ressources supplémentaires. Un tel point de vue serait aussi injustifié qu'irréaliste.
A cet égard, votre commission des finances se rapproche dans une certaine mesure de l'analyse que fait le MEDEF du rapport du Conseil des impôts. Pour l'organisation patronale, il ressort implicitement du rapport que « les avantages fiscaux sont coûteux et donc d'une certaine façon illégitimes ». Or précise-t-elle, « il n'est pas normal que les allègements d'impôt soient considérés comme des exceptions à la norme, alors que c'est le niveau actuel de la fiscalité en France qui nous paraît anormal ». La conclusion est d'ailleurs intéressante dans sa logique : « les dispositifs d'aide fiscale doivent donc être interprétés comme des sortes de rustines sur un système globalement insatisfaisant et beaucoup trop lourds pour les entreprises et plus généralement pour l'ensemble de l'économie, qui traduit la nécessité d'adaptation du régime fiscal français. (...) Les dépenses fiscales (...) sont donc indispensables comme élément de régulation d'un système globalement déficient ».
Au delà d'une formulation polémique, il y a une vérité difficilement contestable : l'importance et surtout le nombre des régimes fiscaux dérogatoires sont indissolublement liés au niveau élevé des prélèvements, qui ne seraient sans doute pas supportables sans les soupapes que constituent les dépenses fiscales . Un certain nombre d'entre elles sont d'ailleurs « d'origine », tandis que d'autres se sont ajoutées au fil du temps dans un phénomène d'entropie fiscale.
La tendance à la prolifération des dérogations est une sorte de fatalité, qui tend à brouiller l'architecture initiale d'un régime fiscal, surtout lorsque celui-ci comporte, dès sa création, des mesures spécifiques. On peut tenter de développer une métaphore parlante qui illustre cette fatalité française : la machine fiscale, surtout lorsqu'elle est dotée de soupapes d'origine, a tendance, sous la pression des évènements, à s'en voir adjoindre de nouvelles, qui tendent à faire baisser la pression fiscale effective, alors même que la pression nominale reste apparemment très élevée.
Avec le temps, de telles mesures ciblées ne sont parfois plus vraiment justifiées. Le Conseil des impôts le fait ainsi remarquer pour le régime fiscal des retraites, dont il est clair qu'il a été défini à un moment où les retraites étaient plus faibles et le barème plus lourd.
Le Conseil des impôts suggère d'abord de procéder à un toilettage de toutes les dérogations de faible portée ou dont le coût est inconnu , estimant que les régimes spéciaux qui ne concernent qu'une poignée de contribuables ne peuvent avoir un impact suffisant pour justifier la place qu'ils occupent dans le code général des impôts. La démarche du Conseil paraît justifiée même si l'on a des raisons de croire que certains dispositifs dérogatoires ne pourront être abrogés pour des raisons de principe : est-il ainsi défendable, sous prétexte que les dons se font de plus en plus rares - les collectionneurs ou les héritiers préfèrent la dation - de supprimer l'exonération de droits de mutation dont bénéficient les dons d'oeuvres d'art à l'Etat ?
Aller au-delà et réexaminer les dispositifs dérogatoires peu cohérents ou dont les effets sont insuffisants, est une démarche ambitieuse et sans doute trop audacieuse à en juger par les exemples fournis dans le rapport du Conseil des impôts.
Le Conseil des impôts met d'abord en question la cohérence d'un certain nombre de dispositifs notamment en matière de fiscalité de l'épargne. Pour lui, une première voie possible de rationalisation de cette fiscalité serait de limiter le nombre des régimes applicables sans exception possible et de remettre en cause les dérogations injustifiées. Ainsi, le nombre des dispositifs d'imposition pourrait être limité à trois - en laissant le cas échéant la possibilité d'un droit d'option - correspondant soit à une imposition au barème de l'impôt sur le revenu, soit à un prélèvement libératoire à taux unique, soit à une exonération complète y compris de CSG et de CRDS. Une fois encore, on ne peut que souscrire aux objectifs affichés, tout en restant sceptique sur la possibilité de les mettre en oeuvre. Indépendamment du lancinant problème de l'équilibre entre les différents circuits de collecte, il restera toujours à régler la question des bons anonymes ...
En outre, est-il vraiment réaliste de remplacer certaines dérogations, en l'occurrence les dispositifs destinés à aider certaines zones géographiques ou certains secteurs d'activités, outre-mer, SOFICA, SOFIPECHE, « peu justifiées » par des subventions ? L'expérience de la suppression des petites taxes parafiscales doit inciter à la prudence en la matière. En outre, inciter et assister représentent des choix politiques différents. Le Conseil des impôts ne semble pas en être conscient.
Un autre exemple de fiscalité dérogatoire à réformer est donné par le régime fiscal des personnes âgées. Pour le Conseil des impôts, la question du maintien de l'exonération partielle ou complète de CSG ou de CRDS spécifique aux pensions, dont le coût approchait 4 milliards d'euros en 2001, pourrait notamment être soulevée. Là également, on peut s'interroger sur la faisabilité d'une telle réforme, qui ne peut être envisagée que dans le cadre d'une remise à plat du problème de la déductibilité de la CSG et de la CRDS.
Enfin, le Conseil des impôts remet en cause la demi-part supplémentaire pour les contribuables seuls ayant eu un ou plusieurs enfants à charge. Cette mesure, adoptée par l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004, et qui sera certainement impopulaire, peut se comprendre en raison du choix de modes d'intervention considérés comme plus efficaces en termes de politique familiale, telle l'allocation unique de garde du jeune enfant.
3. Peut-on supprimer les dépenses fiscales sans réforme d'ensemble du système fiscal ?
Le Conseil des impôts écarte en revanche l'idée d'une vaste réforme de la fiscalité à l'allemande, comportant la suppression d'un grand nombre de niches conjuguée à la baisse concomitante des taux d'imposition, considérée comme « intellectuellement satisfaisante » mais comme comportant des inconvénients « lourds » :
Le Conseil des impôts souligne les avantages des fiscalités à assiette large : « la fiscalité peut reposer sur un impôt à base large (peu d'exonérations) et à taux faible, avec peu d'aménagements (abattements, réductions...). Dans cette situation, la simplicité des règles facilite la gestion de l'impôt et garantit sa bonne application. L'assiette large et le taux moyen (ou le taux marginal) faible sont des gages d'équité et de civisme fiscal ».
Pourtant, le basculement du système fiscal français vers cette logique lui paraît « entrer en contradiction avec l'objectif de simplification recherché » . Celui-ci estime en effet qu'une telle orientation risquerait de se traduire par :
« - la remise en cause d'allégements structurels de l'impôt, dont la plupart sont anciens (demi-parts supplémentaires, abattement de 10 % sur les retraites...) ;
« - des transferts de charges toutes choses égales par ailleurs - au détriment des familles, des personnes âgées, des invalides et des foyers aux revenus les plus modestes - soit une remise en cause significative du caractère personnalisé de l'impôt sur le revenu ;
« - une atténuation de la progressivité de l'imposition des revenus ».
Votre commission des finances ne peut adhérer à cette argumentation d'une part, parce que la différence que le Conseil des impôts fait entre allégements structurels et mesures dérogatoires, ne lui paraît pas avoir la clarté souhaitable ; d'autre part, parce qu'on ne peut considérer que la progressivité actuelle est une donnée intangible dans un contexte de concurrence fiscale.
En dépit de l'opinion du Conseil des impôts, votre rapporteur général estime, que, sans vouloir s'attaquer à tous les impôts et à tous les niveaux, et en se concentrant sur quelques points essentiels, il n'est d'autre façon de lutter contre l'illisibilité de la politique fiscale que de rebâtir une nouvelle architecture.
Telle serait bien l'ambition d'une réforme fiscale tendant à fusionner l'ensemble CSG/CRDS avec l'impôt sur le revenu pour aboutir à un système vraiment général d'imposition des personnes, retrouvant les ambitions du législateur du début de la cinquième République. Mettre sur un seul et même avis d'imposition la partie proportionnelle et la partie progressive de l'impôt - qu'elles soient ou non prélevées à la source - constituerait une mesure de clarification de nature à faire prendre conscience au citoyen du coût de l'Etat.
Il est entendu que, s'agissant de rendre le nouveau régime acceptable, on doit préserver les intérêts acquis. Il est indispensable de disposer d'une réserve budgétaire pour s'assurer qu'il ne soit guère de contribuables qui sortent « perdants » de la réforme. Telle avait été la démarche entreprise avec la grande réforme Juppé de 1995, qui avait été interrompue en 1997 avec le changement de majorité politique.
4. Y a-t-il des alternatives au recours à la dépense fiscale ?
La recherche d'une plus grande vérité des barèmes ne doit pas conduire à l'élimination par principe de toute dépense fiscale. L'affirmation du MEDEF selon laquelle il pèserait une sorte de présomption d'illégitimité sur les régimes dérogatoires n'est effectivement pas totalement dépourvue de fondement. On n'en veut pour preuve que l'analyse éminemment critiquable que le Conseil fait de la réduction d'impôt pour l'emploi d'une personne à domicile.
Le Conseil des impôts, partant du constat que seul le crédit d'impôt peut avoir des effets redistributifs en faveur des plus faibles revenus et des foyers fiscaux comptant peu de parts, évoque une réforme du régime fiscal favorable attaché à l'emploi d'un salarié à domicile. La substitution d'un crédit d'impôt à l'actuelle réduction aurait pour effet d'étendre l'avantage fiscal aux foyers qui ne sont pas imposables, ainsi qu'à ceux qui ne pouvaient pas, compte tenu de leur niveau d'imposition, bénéficier de l'intégralité de l'avantage fiscal 32 ( * ) .
Votre commission des finances ne peut en aucune façon souscrire à cette démarche. Il ne faut pas oublier que la mesure s'inscrit dans une triple logique d'aide à la famille, de lutte contre le travail clandestin et d'allégement de la pression fiscale sur les cadres.
Si le Conseil des impôts a pris le soin de développer la logique alternative du crédit par rapport à la réduction d'impôt, c'est sans doute parce qu'il a privilégié l'objectif d'aide aux familles sur les deux autres, dont l'importance ne doit pas être sous-estimée. D'une part, il est plus efficace de centrer la lutte contre le travail « au noir » sur les emplois à temps plein, qui sont essentiellement offerts par les ménages disposant de revenus élevés, ce qui est notamment le cas des couples de cadres dont les deux conjoints travaillent ; d'autre part, on ne peut pas négliger la diminution de la charge fiscale, qui, contrairement à d'autres mesures alternatives, est jugée plus acceptable, dès lors qu'elle est « affectée » à la famille et à l'emploi.
Bref, il ne faudrait pas, selon votre commission des finances, mettre en place un mécanisme aboutissant à encourager les familles qui ne sont pas en mesure de donner du travail aux autres, et à décourager les vrais employeurs potentiels.
Cette observation n'altère pas l'intérêt de la démarche du Conseil lorsqu'il propose d'instaurer un débat systématique sur la pertinence du choix d'une disposition fiscale dérogatoire par rapport à d'autres modes d'intervention publics telles la réglementation ou la dépense budgétaire .
Votre commission des finances rejoint pleinement le Conseil des impôts sur le plan des principes lorsque, par sa proposition n° 2, il suggère de rendre plus transparente l'estimation du coût des dépenses fiscales.
Ainsi, il serait tout à fait légitime de remplacer l'article 32 de la loi de finances pour 1980 33 ( * ) par un nouveau dispositif pris en application du 4°) de l'article 51 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, qui dispose qu'est jointe au projet de loi de finances de l'année, « une annexe explicative analysant chaque prévision budgétaire et présentant les dépenses fiscales » .
Le Conseil des impôts attire l'attention sur toute une série de précautions de caractère méthodologique. L'annexe devrait indiquer explicitement la ou les méthodes d'estimation utilisées - simulation ou reconstitution de base taxable - ainsi que le degré de fiabilité des estimations. Elle pourrait également effectuer des totalisations par impôt et par programme, du coût des dépenses fiscales.
Enfin, le Conseil des impôts préconise d'instaurer une procédure contradictoire entre ministères pour l'estimation de la dépense fiscale. Votre commission des finances insiste tout particulièrement sur ce point car il faut que les calculs procèdent d'une approche pluraliste et ne soient pas laissés uniquement entre les mains des fonctionnaires du ministère des finances.
Le choix entre fiscalité et dépenses directes gagnerait à être davantage explicité et documenté, comme le souligne le Conseil des impôts, notamment dans les études d'impact qui accompagnent les projets de loi comportant des dépenses fiscales.
Le tableau comparatif ci-dessous établi par le Conseil des impôts, est techniquement intéressant car il détaille les différents niveaux auxquels l'on doit apprécier l'intérêt d'une mesure.
Choix d'une dépense fiscale plutôt que budgétaire
|
Intérêt de recourir à une dépense fiscale plutôt qu'à une dépense budgétaire |
Intérêt de recourir à une dépense budgétaire plutôt qu'à une dépense fiscale |
Maîtrise budgétaire |
Faible : L'aide peut être à guichet ouvert (sauf agréments) |
Forte : Le coût de l'aide peut rester en deçà d'un plafond donné |
Etendue des bénéficiaires |
L'aide concerne un grand nombre de bénéficiaires |
L'aide concerne un nombre restreint de bénéficiaires |
Conditions d'obtention |
Les conditions d'attribution sont objectives et ne nécessitent pas l'intervention d'une administration spécialisée |
L'attribution de l'aide nécessite l'intervention d'une administration spécialisée |
Détermination du montant de l'aide |
La détermination du montant de l'aide ne dépend que de données déclaratives fiscales |
La détermination du montant de l'aide dépend d'informations non contenues dans les déclarations fiscales |
Distribution |
Il n'existe pas d'administration en charge de distribuer ce type d'aide |
Il existe déjà une administration en charge de distribuer ce type d'aide |
Gestion |
Complexité et coût faibles pour les services fiscaux |
Complexité et coût élevés pour les services fiscaux |
Calendrier d'attribution |
L'aide peut être accordée ex post |
L'aide doit être accordée ex ante |
Niveau des contrôles |
Le niveau usuel des contrôles effectués par les services fiscaux est adapté |
L'aide nécessite la mise en oeuvre de contrôles spécifiques en raison d'un risque de fraude élevé |
Deux critères essentiels font pourtant défaut, qui plaident , selon votre commission des finances, en faveur de la dépense fiscale par rapport à la subvention budgétaire : la nécessité d'abaisser le niveau affiché de prélèvements obligatoires et celle d'augmenter l'acceptabilité du prélèvement .
Choisir la dépense fiscale par rapport à d'autres modes d'action n'est pas forcément cette solution de facilité, d'autant plus pernicieuse que contrairement à la dépenses budgétaire elle est invisible et donc peu susceptible d'être remise en cause.
Parce qu'elle relève d'une logique d'impôt choisi et qu'elle est particulièrement incitative, la dépense fiscale doit certainement, elle aussi, être réhabilitée. Loin d'encourager une certaine forme de passivité comme la subvention que l'on a tendance à attendre avant d'agir, la dépense fiscale incite à l'action et à prendre l'initiative.
Plus efficace que la subvention dans de nombreux domaines, la dépense fiscale doit cependant rester lisible.
Ainsi, lorsqu'il n'est pas réaliste de supprimer une dépense fiscale et que l'on n'est pas en mesure de rebâtir une nouvelle architecture fiscale, il convient de réformer les mécanismes pour garantir une meilleure transparence de l'avantage accordé aux contribuables.
En premier lieu, d'une façon générale, une plus grande homogénéité des mécanismes fiscaux utilisés est souhaitable . L'opacité du système fiscal français est accrue du fait de l'utilisation à des degrés divers de toutes les techniques d'allègement d'impôt : exonération de l'assiette d'imposition, déduction et abattement tendant à soustraire de l'assiette taxable une part forfaitaire ou proportionnelle, réduction d'impôt ou crédit d'impôt, taux différencié, indépendamment même, enfin, des dispositifs spécifiques comme les amortissements exceptionnels en matière d'impôt sur les sociétés ou les quotients familial et conjugal en matière d'impôt sur le revenu.
Une des premières tâches consiste à mettre en place des régimes assurant la quantification de l'avantage. De ce point de vue, on peut estimer que, d'une façon générale, les réductions d'assiette - exonération totale ou déductibilité, dont la logique interne n'est certes pas contestable s'agissant de déduire du revenu certaines charges qui lui sont associées - sont moins adaptées que les réductions d'impôts dans la mesure où elles dépendent de la tranche d'imposition où se situe le contribuable et ne peuvent être mesurées qu'en faisant des hypothèses sur le taux marginal moyen appliqué aux foyers fiscaux bénéficiaires de la mesure.
Sur le plan de la justice fiscale et en liaison avec le souci constant des récents gouvernements d'atténuer les effets de seuil, il conviendrait également de repérer les interdépendances entre dépenses fiscales et prestations sociales .
Le Conseil des impôts souligne que les dépenses fiscales comportent des effets indirects importants et mal connus. Une mesure peut n'avoir qu'une incidence directe faible, mais permettre aux bénéficiaires d'accéder à certaines prestations. Il s'agit d'une question budgétaire car cela accroît la dépense sociale, mais reflète aussi un enjeu de justice sociale.
A titre d'exemple, on peut rappeler que la Cour des comptes, dans son rapport au Parlement sur la sécurité sociale de 2001, a mis l'accent sur ce phénomène, la non imposition du minimum vieillesse ayant pour conséquence de majorer les aides au logement des personnes âgées concernées car cette ressource n'est pas incluse dans l'assiette fiscale de référence.
Plusieurs dépenses fiscales ont un impact sur la CSG, la CRDS et la taxe d'habitation, ainsi que sur les aides au logement et la redevance télévisuelle.
Dans le système actuel, la référence aux revenus imposables pour l'attribution des prestations de droits sociaux est critiquable dans la mesure où la non imposabilité reflète également l'impact d'aide sectorielle par le jeu d'exonérations comme c'est le cas de l'épargne réglementée ou de déductions de l'assiette imposable.
Les interactions entre dépenses fiscales et prestations sociales sont éminemment complexes. Elles mériteraient d'être étudiées sur des cas concrets pour repérer des effets de seuils qui peuvent constituer un frein au retour de certaines personnes sur le marché du travail.
Parmi les bonnes pratiques en matière de dépenses fiscales, il faut mentionner la réalisation périodique d'études approfondies - tous les cinq ou six ans par exemple - sur les effets des régimes dérogatoires , qui pourraient effectivement être associées aux rapports de performances issus de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances comme le suggère le Conseil des impôts.
C'est à cette condition que des systèmes généreux comme celui qui vient d'être mis en place dans le cadre de la loi n° 2003-709 du 1 er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations peut s'inscrire utilement et harmonieusement dans notre système fiscal français.
Le développement du mécénat individuel est bien l'une des voies à explorer pour concilier la nécessité d'une diminution des prélèvements obligatoires dans un monde ouvert et celle de satisfaire un nombre toujours plus diversifié de besoins sociaux sans augmenter et même en diminuant les dépenses publiques.
Il s'agit à terme de développer une culture du mécénat individuel, comme il en existe aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon en général, où l'on voit les hommes d'affaires reconnaissants à la société de leur avoir permis de réussir, doter généreusement leurs universités ou leurs laboratoires de recherche.
Les universités, les centres de recherche, les hôpitaux, les oeuvres charitables, le patrimoine monumental et artistique, les musées et beaucoup d'autres domaines, notamment dans le domaine économique, auraient beaucoup à gagner pour pouvoir élargir leurs moyens d'actions, qui en dotant une chaire ou un laboratoire, qui en achetant une oeuvre d'art ou en construisant un centre d'accueil. L'enjeu est aussi qualitatif, car cela rendrait possible le contournement de certaines rigidités administratives en permettant notamment à certains organes de recherche et d'enseignement, d'être pleinement compétitifs pour attirer les talents exceptionnels.
Nul doute que cette nouvelle loi devrait contribuer à faire évoluer la société française vers plus de responsabilité et de solidarité individuelles en favorisant le remplacement d'une fraction - certes quantitativement limitée mais marginalement significative - des prélèvements obligatoires par des contributions volontaires, donnant un contenu concret à l'idée qu'un contribuable puisse, pour une petite partie de sa cotisation, préférer l'impôt choisi à l'impôt subi.
De ce point de vue la dépense fiscale peut jouer un rôle essentiel pour réhabiliter l'impôt et diminuer la pression fiscale effective dans un pays qui comme la France marquera, pour un certain temps encore, sa différence en préférant afficher des taux d'imposition relativement élevés.
D. À ÉNERGIE RENOUVELABLE, FISCALITÉ RENOUVELÉE : LE CAS DES BIOCARBURANTS
Dans le réexamen d'ensemble qui s'impose de la fiscalité de l'énergie afin de la rendre écologiquement plus cohérente, le cas des biocarburants mérite, compte tenu la croissance rapide du secteur des transports, d'être examiné en priorité.
1. Un régime à la fois fruste dans ses principes mais complexe à mettre en oeuvre
Le soutien à la production et à l'utilisation des biocarburants repose, en France, sur une compensation, grâce à une réduction de TIPP, de la différence entre le prix à la pompe des carburants végétaux et celui des carburants fossiles.
Le régime de la production et de la commercialisation des biocarburants est, en contrepartie, étroitement encadré et contrôlé :
- les produits bénéficiant de l'aide fiscale considérée sont fabriqués sous surveillance douanière permanente 34 ( * ) , dans une quantité limitée, fixée annuellement par un agrément accordé pour une certaine durée ;
- en ce qui concerne les produits à base d'éthanol, l'article 265 bis A du code des douanes n'accorde de réduction de TIPP qu'à l'ETBE 35 ( * ) ;
- chaque producteur agréé doit verser une caution égale à 20 % du montant de la réduction de taxe dont il est prévu qu'il bénéficie d'après la quantité de biocarburant qu'il est autorisé à fabriquer ;
- cette réduction est effectivement accordée, sur production d'un certificat de production et d'un certificat de mélange, lors de la mise à la consommation des carburants combustibles concernés, mélangés dans des entrepôts fiscaux de production ou de stockage, situés en France ou dans la Communauté européenne.
On le voit, le système français est à la fois fruste dans ses principes (contrôle étroit et limitation stricte par l'Etat du manque à gagner résultant de l'avantage fiscal accordé) et relativement lourd et sophistiqué dans son application car il faut :
- chaque année déterminer les quantités concernées, les réductions d'accises octroyées ;
- mettre en oeuvre le système de délivrance de certificat, de fonctionnement des entrepôts fiscaux, de surveillance de la production ;
- enfin, et surtout, tenir compte du cours des différentes matières premières pétrolières et agricoles à prendre en considération, afin qu'il n'y ait pas « surcompensation » du surcoût de production des biocarburants.
Le manque à gagner pour le budget de l'Etat dû aux réductions de TIPP consenties aux biocarburants était estimé, par le gouvernement, à environ 180 millions d'euros pour 2001 et 140 millions d'euros en 2002. Il est évalué, pour 2004, à 165 millions d'euros (hors effet TVA) par le tome I (recettes) du fascicule « voies et moyens » du projet de loi de finances.
2. Une aide qui ne satisfait pas les nouvelles exigences, communautaires en particulier, de développement des carburants d'origine végétale
Les biocarburants cumulent de très nombreux avantages aux niveaux :
- écologique (réduction facile et rapide des émissions de gaz à effet de serre, conforme à nos engagements internationaux, dans le secteur des transports où elles tendent le plus à augmenter) ;
- économique (développement des débouchés de l'agriculture et d'autres activités, diminution d'importations de pétrole et de produits pour l'alimentation du bétail, créations d'emplois...).
Aussi, leur utilisation dans les transports est-elle désormais encouragée par deux directives européennes qui prévoient une augmentation progressive de leur part dans les ventes d'essence et de gazole ainsi que des réductions d'accises en leur faveur.
De plus, la directive du 8 mai 2003, suppose un doublement de notre production 36 ( * ) , d'ici au 31 décembre 2005.
Le système d'aides fiscales actuel, sur-administré et contingenté, ne semble pas pouvoir s'accommoder d'une croissance aussi forte et rapide.
En outre, se pose le problème de sa compatibilité avec le droit communautaire, actuel et futur.
Aujourd'hui, le code des douanes dispose que les carburants combustibles, fossiles et végétaux, doivent être mélangés dans des entrepôts fiscaux de production ou de stockage qui peuvent être situés dans la Communauté européenne. Mais, dans la pratique, à une exception (allemande) près, cette opération n'est effectuée qu'en France, pour des raisons pratiques évidentes tendant à montrer que notre réglementation en la matière est sans doute conforme plus à la lettre qu'à l'esprit des principes européens de libre établissement des entreprises.
En outre, le fait d'exclure l'éthanol du bénéfice des réductions de TIPP, prévues par l'article 265 bis A du code des douanes, pour le réserver au seul ETBE, semble en pleine contradiction avec la directive précitée, du 8 mai 2003, relative à la promotion de l'utilisation des biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports.
Quant au texte, qui vient d'être adopté (directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003) sur la taxation des produits énergétiques, il permet d'opter soit pour une imposition réduite, soit pour une exonération, mais maintient la modulation 37 ( * ) des avantages accordés en fonction de l'évolution des cours des matières premières concernées (produits pétroliers ou servant à fabriquer l'éthanol ou le diester).
Ces avantages peuvent être accordés à des opérateurs autorisés, dans le cadre de programmes pluriannuels. Les nouvelles directives européennes sont donc plus souples et plus ouvertes que le régime français en vigueur dans la mesure où elles tendent à une croissance rapide de la consommation de carburants verts.
Dans ces conditions, il semble inévitable de changer de système d'aide à la production de biocarburants.
3. De nouvelles propositions à étudier
Afin de sortir des contraintes du régime actuel et de compenser le surcoût croissant, malgré les économies d'échelle et les gains de productivité du secteur, lié à la forte augmentation des volumes produits, il paraît difficile de ne pas songer à mettre à contribution les consommateurs de carburants dans leur ensemble.
De la même façon, ce sont les consommateurs d'électricité qui, dans leur globalité, financent aujourd'hui l'énergie éolienne.
Les biocarburants :
une énergie
particulièrement éco-vertueuse
1. Un secteur prioritaire
Les biocarburants sont la seule énergie renouvelable utilisable dans le secteur des transports.
Or, :
- ce secteur est le premier émetteur de gaz carbonique (CO 2 ) dans l'atmosphère (26,4 % du total des émissions françaises en 2002) ;
- les rejets qui lui sont imputables continuent d'augmenter en France de 2 à 3 % par an, ce qui est incompatible avec le respect des engagements que nous avons pris à Kyoto ;
- pourtant, les biocarburants ne représentent, pour le moment, que 2 % de notre production totale d'énergies renouvelables ;
- la demande de pétrole continue de croître dans le secteur des transports, qui l'utilisent comme carburant dans la proportion de 97,5 %. La part des transports représentait ainsi 54 % de la consommation de pétrole en 2002, contre 27 % en 1973. Or, le pétrole, particulièrement polluant, représente encore, malgré la progression du nucléaire et du gaz, environ 34 % de notre consommation d'énergie primaire aujourd'hui.
En raison de leurs vertus écologiques et de leur facilité d'usage (il n'est pas nécessaire de changer la technologie des moteurs), qui s'ajoutent à leurs bienfaits économiques, il est urgent d'accroître massivement la production et l'utilisation des biocarburants.
2. Les exemples étrangers
L'attribution exclusive d'avantages (fiscaux ou autres) à l'ETBE n'existe qu'en France.
L'idée de faire mettre les consommateurs à contribution par les distributeurs pour financer le surcoût de production des biocarburants est déjà en cours d'application en Italie et en Grande-Bretagne.
Par ailleurs, les ventes de biocarburants sont totalement défiscalisées en Allemagne, et leur fabrication largement subventionnée en Espagne.
Des obligations d'incorporation de bioéthanol existent
dans la province chinoise de Jilin et sont envisagées au Japon.
Il pourrait être ainsi envisagé d'imposer aux opérateurs pétroliers, dans la prochaine loi d'orientation sur l'énergie, une obligation globale d'incorporation de biocarburants dans leurs produits, dont la charge serait répercutée par les distributeurs sur l'usager.
Cela entraînerait la disparition des appels d'offres et des quotas de production actuels peu compatibles - on l'a vu - avec la libre circulation des biocarburants en Europe et susceptibles de brider le développement de l'offre.
Selon certains, il serait souhaitable de maintenir, en outre, une aide fiscale (de l'ordre de 8 à 10 euros par hectolitre) en vue de protéger nos produits (dont la compétitivité est bonne au niveau européen) de la concurrence d'importations moins chères en provenance, par exemple, du Brésil (éthanol) ou de Malaisie (ester de Palme).
Cette aide devrait naturellement bénéficier pas seulement à l'ETBE mais aussi à l'éthanol pur. Elle pourrait être accordée moyennant un coût, au total, inchangé, malgré l'augmentation des quantités produites (la dépense fiscale par hectolitre se trouvant fortement réduite puisqu'elle atteint, actuellement 38 euros pour l'éthanol et 35 euros pour le biodiesel).
Sans doute serait-il cependant nécessaire de prévoir un mécanisme pour arbitrer les négociations avec les producteurs, nécessairement déséquilibrées par l'obligation d'achat faite aux opérateurs.
D'autres envisagent de financer l'accroissement de l'aide, découlant de celui du volume de biocarburants produits, par une taxe additionnelle à la TIPP dont le produit bénéficierait à des producteurs agréés, en beaucoup plus grand nombre, de façon plus libérale. Mais on resterait dans la logique d'un système administré, lourd à gérer et auquel votre rapporteur général n'est pas favorable.
Les bonnes solutions seraient peu coûteuses.
Il faudrait, de toute façon, pouvoir comparer le coût de « l'avantage » fiscal (réduction de TIPP) actuellement accordé aux biocarburants à celui des aides dont bénéficient d'autres moyens de locomotion faisant appel à des technologies (GPL, véhicule électrique...) dont la mise en oeuvre est plus onéreuse ou, s'agissant de l'utilisation du gazole par les moteurs diesel, beaucoup moins propres.
Or :
- pour le maintien d'une aide fiscale à 8 euros/hectolitre, destinée à contenir les importations d'origine extracommunautaire, le surcoût, pour le consommateur, ne serait que de 0,5 centime par litre, dans l'hypothèse du respect de nos obligations européennes qui supposent de doubler notre consommation en deux ans (d'ici décembre 2005). Quant à la dépense fiscale correspondante, après avoir diminué à court terme, elle serait en 2010 la même qu'aujourd'hui (170 millions d'euros) pour un pourcentage passé à 5,75 % des ventes totales de carburants ;
- les partisans d'un financement de l'aide aux biocarburants par une taxe additionnelle à la TIPP pensent qu'il en résulterait une augmentation de 2 à 3 centimes par litre (en réalisant, là aussi, les objectifs de la directive européenne de mai 2003).
Par comparaison, les charges résultant de l'obligation d'achat d'énergies renouvelables par EDF représentent 1.052 millions d'euros en 2003. Lors de son audition par votre commission des finances, le 19 mars 2002, le président de la commission de régulation de l'électricité (CRE), M. Jean Syrota, avait estimé que la réalisation des projets envisagés de construction d'éoliennes entraînerait, dans quelques années, un doublement des charges du Fonds de péréquation du service public de l'électricité, conduisant à une augmentation supérieure à 20 % du prix payé par les plus gros consommateurs.
4. Une solution concevable pour l'industrie pétrolière
L'industrie nationale du raffinage ne s'est pas assez adaptée à la modification rapide de la demande, privilégiant le gazole 38 ( * ) , dont la production est déficitaire, aux dépens du super, en excédent, qu'il faut pouvoir exporter.
Or, l'utilisation d'éthanol pur, mélangé aux essences, diminuerait, d'une part, les débouchés de l'ETBE (qui comprend un résidu du raffinage, l'isobutylène), mais augmenterait surtout aussi, d'autre part, les surplus de super et d'ordinaire à vendre à l'étranger.
Mais, en revanche, l'accroissement de la production de diester, mélangé au gazole, en ferait décroître la consommation, donc le déficit et, par conséquent, les importations.
La véritable solution est donc d'intéresser l'industrie pétrolière française au développement de la fabrication de gazole vert, tout en veillant à maintenir cette activité ouverte à la concurrence.
E. METTRE EN PERSPECTIVE NOTRE POLITIQUE FISCALE
1. Une loi d'orientation fiscale pour fixer un cadre cohérent
Aujourd'hui, la loi fiscale peut être modifiée non seulement dans le cadre des lois de finances, mais également dans tous les textes de lois examinés par le Parlement.
Il résulte de cette possibilité une extraordinaire dispersion des mesures fiscales, une méconnaissance de leur impact réel sur les finances publiques, et parfois un manque de lisibilité pour nos concitoyens , qui ont le sentiment que la politique fiscale est faite « au fil de l'eau », au fur et à mesure de l'examen des textes législatifs dans des domaines particuliers. Les commissions des finances de l'Assemblée nationale ou du Sénat n'étant pas saisies pour avis de l'ensemble des projets de loi, il ne leur est matériellement pas possible d'examiner toutes les dispositions à caractère fiscal introduites par voie d'amendements 39 ( * ) en cours du débat parlementaire.
Or, il est nécessaire de replacer toute mesure fiscale, aussi ciblée soit-elle, dans un cadre d'ensemble cohérent.
Pour prendre l'exemple de l'année écoulée, de nombreuses dispositions fiscales ont été prises en cours d'année (loi pour l'initiative économique, loi d'orientation pour l'outre-mer, loi urbanisme et habitat, loi sur le mécénat et loi sur la rénovation urbaine). L'ensemble de cette législation se traduit par un coût global important, puisqu'il peut être chiffré à 430 millions d'euros en 2004 40 ( * ) .
Ces mesures s'inscrivent dans un cadre cohérent puisqu'elles visent toutes à faciliter la création d'entreprise, l'investissement, l'innovation ou l'attractivité du territoire français. Cependant, la lisibilité de la démarche du gouvernement a été compromise par une présentation parcellaire .
Le présent débat annuel sur les prélèvements obligatoires doit être l'occasion pour le gouvernement de présenter ses orientations de politique fiscale, au moins pour les années à venir, sinon dans un cadre pluriannuel.
Il est indispensable d'aller plus loin. Au-delà de ce débat annuel sur les orientations fiscales, qui n'a pas de valeur normative, votre rapporteur général pense qu'une loi d'orientation fiscale, pour une période pluriannuelle, serait nécessaire, pour formaliser les orientations fiscales du gouvernement et fixer un cadre clair pour nos concitoyens. Cette loi définirait les évolutions de structure que nous souhaitons apporter à notre système fiscal et les objectifs poursuivis. Elle préciserait également le calendrier de réforme.
D'une certaine manière, les orientations définies par le Président de la République en 2002 concernant l'impôt sur le revenu s'inscrivaient dans cette démarche, avec un objectif, valoriser le travail, un calendrier de cinq ans, et des préconisations très précises pour atteindre l'objectif souhaité. En restant constant dans sa décision de diminuer progressivement l'imposition des revenus du travail, le gouvernement respecte cette loi fiscale non écrite. Cette démarche doit être étendue à tous les secteurs de notre politique fiscale, et faire l'objet d'un réel débat parlementaire.
2. Renforcer la capacité d'expertise du Parlement en matière fiscale
Pour donner un contenu à la volonté partagée de votre rapporteur général et du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire de conférer au présent débat sur les prélèvements obligatoires le caractère d'un « débat d'orientation fiscale », au cours duquel le Parlement ferait part de ses propositions pour faire évoluer la structure de notre fiscalité, il est indispensable que le Parlement nourrisse sa réflexion d'études sur les différents aspects de notre système fiscal.
Ce souci anime de longue date votre commission des finances. Au cours des années récentes, elle a consacré plusieurs de ses travaux à l'analyse d'ensemble de notre système de prélèvements obligatoires et à sa place par rapport à nos principaux partenaires :
- un rapport d'information sur la fiscalité de l'épargne 41 ( * ) ;
- un rapport d'information sur les règles applicables en matière de taux de TVA 42 ( * ) ;
- un rapport d'information relatif à « L'incidence des charges fiscales et sociales sur la localisation d'activité » 43 ( * ) , auquel était annexée une étude réalisée par l'institut REXECODE sur « l'incidence des différents prélèvements obligatoires dans les pays de l'Union européenne sur la compétitivité des entreprises » ;
- un rapport d'information consacré à « La concurrence fiscale en Europe » 44 ( * ) , fondé sur une étude commandée à l'OFCE ;
- des simulations de l'impact de différents scénarios de baisses de prélèvements obligatoires, réalisées par le COE et annexées au rapport sur le débat d'orientation budgétaire pour 2001 45 ( * ) ;
- un rapport d'information sur la taxe sur les salaires fondé sur une étude commandée au cabinet Andersen-Legal 46 ( * ) ;
- un rapport d'information consacré aux droits de mutations à titre gratuit, auquel était annexée une étude sur « l'état du droit positif français des mutations à titre gratuit à la lumière du droit comparé européen », réalisée par le cabinet Archibald International (réseau Ernst & Young) 47 ( * ) ;
- un rapport d'information, réalisé conjointement avec la délégation pour la planification, sur les réformes fiscales en Europe entre 1992 et 2001, fondé sur une étude commandée à l'OFCE 48 ( * ) .
Par ailleurs, la réflexion de votre commision des finances est richement nourrie par le rapport annuel au Président de la République établi par le Conseil des impôts en application de l'article premier du décret n° 71- 142 du 22 février 1971 portant création du Conseil des impôts.
L'article 2 de ce décret dispose que « le Conseil des impôts peut être chargé, à la demande du ministre de l'économie et des finances, d' études relatives à l'élaboration ou à la mise en oeuvre de certains aspects de la politique fiscale ».
Cette faculté est peu utilisée par les ministres de l'économie et des finances. En revanche, il fait peu de doute que, si elle était étendue aux commissions des finances des assemblées, celles-ci ne manqueraient pas d'avoir recours à cette capacité d'expertise. Votre commission des finances souhaite donc que le gouvernement modifie le décret précité pour permettre une saisine parlementaire du Conseil des impôts .
Le Parlement doit-il se doter d'une capacité
d'expertise autonome
en matière de fiscalité
locale ?
Lors de la présentation de son rapport sur les dégrèvements d'impôts locaux devant la commission des finances, le 15 octobre dernier, notre collègue Yves Fréville, rapporteur spécial des crédits des charges communes, a souhaité que le Parlement puisse se doter d'une expertise pour analyser et exploiter les données d'un fichier commun entre la direction générale des collectivités locales, la direction générale des impôts, la direction générale de la comptabilité publique et l'INSEE, sur le modèle de celui qu'il l'avait lui-même créé pour son étude. Il a remarqué que le comité des finances locales, parce qu'il était adossé à la direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur, manquait d'une vision synthétique qui inclurait la vision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et a regretté que l'administration française n'ait pas de vision globale en matière de fiscalité locale, jugeant que le Sénat devait trouver les moyens d'y remédier.
Par ailleurs, à l'occasion de l'audition par la commission des finances de notre collègue Jean François-Poncet, président du groupe de travail sur la péréquation interdépartementale, constitué au mois de juin 2003 à la demande conjointe de la commission des finances, de la commission des affaires économiques et de la délégation pour l'aménagement du territoire, le 22 octobre dernier, le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, a considéré que le Sénat devait se constituer une base de données relative aux finances locales. Notre collègue Jean François-Poncet a également jugé que l'information du Sénat en matière de finances locales était insuffisante.
Le Premier ministre avait, dans son discours tenu lors des synthèses des assises des libertés locales à Rouen, le 28 février dernier, indiqué qu'il fallait « une évaluation performante et pertinente, parce que c'est la contrepartie de l'exercice des responsabilités ». Il avait estimé : « la décentralisation est une source d'économies. Elle rationalise. Elle simplifie. Elle supprime les structures redondantes. Il y a des gains de productivité à trouver et je suis sûr que les collectivités les utiliseront pour financer leurs priorités et leurs projets.
« La pression fiscale ne sera donc pas accrue du fait de la décentralisation. Je pense même qu'à terme, elle pourra la faire baisser.
« Pour le vérifier, je propose que le Parlement crée un observatoire pluraliste ouvert également aux élus locaux et aux forces vives, qui sera chargé de veiller au respect de cet engagement ».
Cette déclaration va d'ailleurs dans le sens de la volonté du Président du Sénat, notre collègue Christian Poncelet, de faire en sorte que le Sénat joue pleinement son rôle de « maison des collectivités locales ».
Source : rapport pour avis n° 41 (2003-2004) au nom de la commission de finances de Michel Mercier, sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales
* 24 « Mondialisation : réagir ou subir ? La France face à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises ». Rapport de la Mission commune d'information chargée d'étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises - n° 386 (2000-2001).
* 25 Les Echos du 15 octobre 2003 .
* 26 « Débat d'orientation budgétaire pour 2001 : comment être crédible en Europe ? », n° 373 (2000-2001).
* 27 Plus précisément, elle avait demandé au COE de simuler trois modalités de baisse des prélèvements obligatoires :
- une baisse de 1 point de TVA accompagnée d'une baisse de l'impôt sur le revenu de 8 % environ ;
- une baisse de l'impôt sur le revenu de 8 % associée à une baisse des cotisations sociales employeurs de l'ordre de 6,10 milliards d'euros ;
- une baisse de 1,5 point de TVA combinée à une réduction de l'impôt sur les sociétés de 5 %.
* 28 Celle-ci a en effet un impact direct sur l'emploi et le chômage (grâce à une diminution du coût du travail), un impact désinflationniste qui permet d'améliorer la compétitivité et un effet accélérateur sur l'investissement des entreprises.
* 29 « Successions et donations : des mutations nécessaires », n° 65 (2002-2003).
* 30 Dans le régime général, qui perçoit environ 90 % du total des cotisations sociales, environ 80 % des cotisations proviennent des employeurs et environ 20 % des cotisations sont acquittées par les salariés.
* 31 Le montant global des cotisations des actifs s'élèvera en 2004 à 186 milliards d'euros, dont 137,4 milliards d'euros pour la part patronale, 36,4 milliards d'euros pour la part salariale et 12,1 milliards d'euros pour les cotisations des actifs non-salariés.
* 32 Le Conseil des impôts a calculé qu'à dépenses constantes, ce changement de méthode entraînerait un transfert de charges de 410 millions d'euros soit 30 % du montant de la mesure. Le nombre de foyers bénéficiaires du nouveau régime atteindrait près du million tandis que ceux qui verraient leur situation se détériorer seraient au nombre de 400.000. Les 4/5 e des perdants appartiennent au dernier décile et subiraient une augmentation de cotisations d'impôts de 1.100 euros.
* 33 Le IV de l'article 32 de cette loi prévoit : « Chaque année dans le fascicule « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances, le gouvernement retracera l'évolution des dépenses fiscales en faisant apparaître, de manière distincte, les évaluations initiales, les évaluations actualisées, ainsi que les résultats constatés. Les dépenses fiscales seront ventilées, de manière détaillée, par nature de mesures, par catégories de bénéficiaires et par objectifs ».
* 34 Chaque usine (3 pour l'ETBE, 4 pour le diester) est placée sous un régime suspensif douanier, la réduction de TIPP a lieu effectivement juste avant le mélange, en raffinerie, avec les carburants traditionnels d'origine fossile (essence et gazole).
* 35 ETBE : Ethyl Tertio Butyl Ether : mélange d'éthanol et d'isobutylène (résidu du raffinage des produits pétroliers) qui peut être ajouté à l'essence dans une proportion allant jusqu'à 15 %. Les raffineries de Feyzin, Dunkerque et du Havre produisent 100 % de l'ETBE français.
* 36 Qui devrait représenter 2 %, à cet horizon, au lieu de 1 % aujourd'hui de notre consommation de carburants fossiles (directive du 8 mai 2003).
* 37 Le principe de cette modulation avait été introduit, à la demande de la France, dans la décision du Conseil de l'Union européenne du 25 mars 2002, nous autorisant, par dérogation, à aider fiscalement nos producteurs, bien que leurs unités de fabrication, de par leur nombre et leur importance, ne puissent plus être considérées comme des « sites pilotes ».
* 38 Les véhicules équipés d'un moteur diesel ont représenté, en 2001, 56 % des immatriculations de voitures neuves en France. Chaque année, la consommation de gazole croît de 2,5 %, tandis que celle des essences (ordinaire et super) diminue de 1,5 %.
* 39 Ce fut le cas, par exemple, du nouveau dispositif en faveur de l'investissement privé locatif, présenté par amendement du gouvernement au cours de l'examen de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 relative à l'urbanisme et à l'habitat.
* 40 A noter que ce chiffre est sensiblement différent de la somme des évaluations faites à l'occasion de l'examen des textes, selon les indications données par les différents ministères.
* 41 N° 82 (1997-1998).
* 42 N° 474 (1998-1999).
* 43 N° 118 (1997-1998).
* 44 N° 483 (1998-1999).
* 45 « Débat d'orientation budgétaire pour 2001 : comment être crédible en Europe ? », n° 373 (1999-2000).
* 46 N° 8 (2001-2002).
* 47 « Successions et donations : des mutations nécessaires », n° 65 (2002-2003).
* 48 « Une décennie de réformes fiscales en Europe : la France à la traîne », n° 343 (2002-2003).