LES ZINZINS AU CoeUR DES CRISES FINANCIÈRES MODERNES ?

Nous allons analyser les types de crises financières pour lesquelles on peut supposer que les zinzins jouent un rôle important. L'analyse est largement qualitative car des données sur les transactions individuelles sont difficilement accessibles.

Du rôle des zinzins dans les enchaînements boursiers des 7 dernières années . Les niveaux de risques accumulés par le système financier peuvent s'analyser dans le contexte contemporain (les événements des marchés boursiers de 1998-2002). Les évènements qui ont suivi l'éclatement de la bulle « nouvelle économie » en mars 2000 constituent-ils une crise financière ? D'après l'un de nos interlocuteurs 58 ( * ) , la longue baisse des marchés boursiers constituen un « classic bear market » (marché baissier classique), et pas encore une vraie crise financière en termes d'effondrement de la liquidité (la capacité des marchés à absorber des volumes importants de transactions sans entraîner des fluctuations de prix trop importantes comme cela c'est passé lors de la crise asiatique ou la faillite du fonds LTCM). Toutefois même en acceptant cet argument, il y a toujours le risque que ce marché baissier se transforme en crise de l'économie réelle, en raison du durcissement induit des conditions de crédit qui, souvent, suivent une baisse des marchés boursiers. Le point important à examiner ici est l'accumulation du risque dans le système financier sur la période 1998-2002 et le rôle joué par les investisseurs institutionnels. Au total, il nous semble que les zinzins ont joué un rôle central dans l'émergence de la bulle (1996-2000) et son éclatement (2000-2002).

Par « crise financière » on entend ici des déstabilisations économiques générées par les mouvements abrupts de taux de change, les retraits importants de capitaux, etc. En d'autres termes par crise financière on entend des épisodes au cours desquels le système financier n'est pas capable d'assurer ses fonctions de base (chambre de compensation, allocation efficace du crédit face aux opportunités d'investissement), une situation qui aura des implications importantes pour l'activité économique réelle . A noter ici que cette définition exclut la volatilité des prix d'actifs en soi ou un mauvais alignement entre les prix des actifs et les fondamentaux économiques. Ceci veut dire que l'on ne considère pas une bulle spéculative comme une crise en soi (même si elle en constitue la genèse); par contre la phase de correction (l'éclatement de la bulle) entraîne en général une crise de l'économie réelle.

Dans le contexte de cette étude, il est important de noter que les crises financières ne sont pas uniquement causées par les comportements des investisseurs institutionnels.

A. LES CRISES FINANCIÈRES : UNE TYPOLOGIE

Même si elles paraissent diverses en termes de causes et de manifestations, l'expérience historique suggère qu'on peut distinguer trois types généraux de crises financières ou des périodes d'instabilité financières.

Des crises entraînées par des faillites dans le secteur bancaire dues à des pertes d'investissements ou à un excès de prêts non-performants. Les exemples de ce type de crise sont nombreux (le crise bancaire texane et la crise « Savings and Thrifts » aux USA entre 1979-89, la crise bancaire dans les pays nordiques en 1991-92, la crise asiatique en 1998), mais l'exemple le plus frappant est le cas japonais depuis une décennie. Ce type de crise implique une contraction du crédit aux secteurs non-financiers de l'économie, et a donc des implications directes pour l'économie réelle. A noter que ce type de crise peut faire surface même dans des économies avec des moyens de financement alternatifs aux banques (marchés boursiers et obligataires. En d'autres termes, ce type de crise est dû à un endettement excessif qui fragilise le système financier ; les crises financières suivent un cycle d'expansion du crédit dû à un choc positif initial qui provoque du surinvestissement et une croissance excessive de l'endettement. Une phase de sous-estimation du risque par les prêteurs et/ou une inflation des prix des actifs injustifié, seront suivis par la déflation et une crise bancaire, dés lors qu'un choc négatif fera éclater la bulle. Pour certains économistes d'inspiration keynésienne ceci est une caractéristique « normale » du cycle économique (Kindleberger : 1978 ; Minsky : 1977).

Les crises dues à une volatilité extrême des prix des actifs financiers, souvent suite à une valorisation excessive générée par un changement radical des anticipations . Ce type de crise est au coeur de nos problématiques car, de nos jours, les acteurs principaux semblent être les investisseurs institutionnels. Ce qui nous intéresse ici ce sont les implications des fluctuations extrêmes des prix pour les autres institutions, financières ou non-financières. Souvent ces fluctuations résultent des comportements moutonniers ou des stratégies mimétiques des investisseurs institutionnels. Les mouvements soudains et violents des prix des actifs ne déclencheront pas nécessairement des crises systémiques. Mais, lorsque d'autres institutions ont pris des positions importantes sur les marchés, à un niveau de prix des titres élevé, le déclin peut provoquer des pertes en capital importantes pour les institutions concernées. Des exemples de ce type de crise incluent le krach de 1997, la crise du SME en 1992, le retournement du marché obligataire en 1994, et la crise mexicaine.

La troisième catégorie de crise est étroitement liée à la deuxième. Cette fois-ci la crise est caractérisée par un assèchement prolongé de la liquidité des marchés financiers. Du coup ces mêmes marchés perdent leur capacité à absorber un volume élevé de transactions sans générer une baisse soutenue des prix. Les comportements moutonniers des zinzins sont profondément impliqués dans ce type de crise. La capacité à faire face à ce genre de crise dépend de la maturité des marchés financiers qui leur permet de supporter les phases de volatilités élevées. Aussi la capacité des structures et des entités de régulation à contrecarrer un effondrement de la liquidité jouera un rôle essentiel (cf. intervention de la FED dans la crise de liquidités suite au choc LTCM).

Dans ce dernier cas, les conséquences pour l'économie réelle peuvent être graves ; les risques sont aigus non seulement pour les acteurs qui détiennent des titres du marché financier, mais aussi pour les secteurs les plus dépendants de financements externes, ce qui inclut aussi les banques, et les investisseurs institutionnels eux-mêmes .

Historiquement, ce type de crise a plutôt caractérisé des marchés spécifiques et idiosyncrasiques qui attirent des investisseurs et emprunteurs très particuliers, par exemple le marché des « junk bonds ». Cependant, depuis la crise russe de 1999, et le sauvetage public aux Etats-unis du « hedge fund » LTCM (Long-Term Capital Management), ont sait que les conséquences d'un effondrement de la liquidité des marchés peut aussi menacer des marchés plus généraux et essentiels, par exemple les marchés boursiers des obligations d'entreprises et celui des titres de dette publique (Treasury bonds 59 ( * ) .)

Les crises de liquidité des marchés sont les plus graves qu'on puisse distinguer, non seulement en raison des « ruptures » que cela peut entraîner pour l'économie réelle, mais aussi pour la solvabilité des engagements des investisseurs institutionnels envers les ménages.

Graphique 11 - Eléments des crises financières

Source : BIPE

Tableau 27 - Eléments des crises financières 1970-2000

Thrifts & Savings Crisis
(EU, 1979-89)

Krach boursier 1987

Crise bancaire nordique 1990-91

Crise bancaire japonaise 1992

Crise SME 1992

Détournement du marché obligataire 1994

Crise mexicaine 1994

Crise asiatique 1997

Russie et LTCM 1998

La crise « nouvelle économie »
2000- ?

Accumulation excessive de dette

+

+

+

+

+

+

+

+

+

Inflation des prix des actifs

+

+

+

+

+

+

+

+

Concentration du risque

+

+

+

+

+

+

+

+

Changement de régime

+

+

+

+

+

+

+

+

+

+

Nouveaux intermédiaires

+

+

+

+

+

+

+

Innovation financière

+

+

+

+

+

+

Politique monétaire restrictive

+

+

+

+

+

+

+

+

Déclin de la solvabilité

+

+

+

+

+

+

+

« Rationnement de crédit »/ assèchement de la liquidité/ « bank runs »

+

+

+

+

+

+

Contagion entre marchés

+

+

+

+

Transmission internationale

+

+

+

+

+

+

+

Actions des autorités

+

+

+

+

+

+

+

Impact macroéconomique sévère

+

+

+

+

+

+

?

Défaut de fonctionnement du système financier/effondrement économique

?

?

Source : BIPE, Davis, 2001

L'éclatement de la bulle de la nouvelle économie depuis mars 2000, et les problèmes du secteur telecom et aussi d'autres secteurs, ont généré une volatilité des prix de marché très élevée. La déflation a provoqué une décroissance des patrimoines financiers des ménages (ce qui peut avoir des effets sur la consommation des ménages). En même temps, ce déclin, qui pénalise la liquidité du marché implique un durcissement des conditions de crédit, et en conséquence l'investissement des entreprises a souffert. Les zinzins ont-ils joué un rôle décisif dans la déflation des marchés boursiers ?

Selon le tableau ci-dessus, la situation contemporaine est très similaire aux crises russe et LTCM ; la crise contemporaine a été précédée par un endettement excessif, une inflation des prix des actifs et une concentration du risque. On a aussi assisté à un changement de régime : accès facilité des ménages aux marchés boursiers ; apparition de nouveaux intermédiaires importants tel que les OPCVM ; et le rôle de l'innovation financière (« brokerages » virtuels et « on-line » accessibles pour les particuliers, titrisation massive des créances hypothécaires). Suite au krach boursier, on a vu la solvabilité des assureurs, des fonds de pension et des banques décliner. En Europe continentale on assiste a une contraction de crédit, pas encore très forte mais qui pourrait bien accélérer. On assiste à une corrélation renforcée entre marchés boursiers au niveau international. Mais il y a aussi des différences décisives avec la crise russe. La transmission de la crise entre les différents marchés financiers (boursiers et obligataires) n'est pas encore là, et la politique monétaire s'est plutôt assouplie en réponse aux développements financiers, surtout aux Etats-Unis.

Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur l'effet macroéconomique de la crise présente. On sait que la croissance des crédits s'est aussi ralentie, que l'investissement s'est affaibli aux Etats-Unis et en Europe, et que l'on a déjà assisté à des phases de récessions légères (Etats-Unis, Allemagne).

* 58 Professeur E Philip Davis, Brunel University, Royaume Uni ; entretien du 3 décembre 2002.

* 59 Effet de contagion : des investisseurs exposés à des risques d'effondrement d'un marché sont souvent obligés de vendre des titres détenus sur d'autres marchés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page