C. LE DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS D'ACTIONS PEUT CEPENDANT ETRE FACTEUR D'INSTABILITÉ
L'étude commandée au BIPE souligne les conséquences négatives que peut avoir la montée en puissance des investisseurs institutionnels sur la gestion des entreprises. Au niveau macroéconomique, on peut se demander si le développement des marchés d'actions n'est pas un facteur d'accentuation de la cyclicité des économies.
1. Conséquences de la montée en puissance des investisseurs institutionnels sur la gestion des entreprises
Les investisseurs institutionnels sont intéressés par la liquidité de leurs actifs (c'est-à-dire la possibilité de les revendre sans perte) et par le revenu qu'ils peuvent en tirer. Les informations qu'ils recueillent, le contrôle qu'ils effectuent sur les dirigeants de la société, sont orientés vers une finalité unique : décider s'ils doivent conserver leurs titres ou les vendre.
Les décisions des investisseurs institutionnels sont parfois brutales, au risque d'être déstabilisatrices pour les entreprises. Chacun a gardé en mémoire la mésaventure survenue à l'entreprise Alcatel en septembre 1998. Suite à l'annonce de résultats inférieurs aux prévisions, les fonds de pension anglo-saxons ont vendu massivement les actions qu'ils détenaient, provoquant une chute du cours de l'action de 38 % en une séance.
Une société dont le cours de l'action s'effondre ainsi risque d'avoir des difficultés, par la suite, pour lever de nouveaux capitaux. Elle devient une proie facile pour des concurrents tentés de lancer une offre publique d'achat (OPA) hostile. Et la valeur des stock-options que possèdent les dirigeants diminue par la même occasion. Tous ces facteurs incitent les dirigeants d'entreprise à prêter la plus grande attention aux exigences des investisseurs institutionnels, et à adopter des normes de gestion qui leur conviennent.
Au coeur de ces nouvelles normes de gestion, se trouve l'exigence, désormais bien connue, d'un rendement sur capital ( return on equity ) de 15 %. Atteindre cet objectif de rendement financier élevé appelle, de la part des entreprises, un important effort de réforme de leur fonctionnement interne, afin de maximiser leur rentabilité. Ces nouveaux modes de fonctionnement peuvent prendre diverses formes : recentrage sur les métiers de base de l'entreprise, « re-engineering » des chaînes de valeur, afin de concentrer l'activité de l'entreprise sur les segments les plus rentables, réduction des capitaux engagés par des stratégies de rachat d'actions 19 ( * ) .
Au niveau macroéconomique, ces mutations conduisent à la généralisation d'un modèle d'économie financiarisée, qui fut longtemps caractéristique des pays anglo-saxons. Il est probable qu'elles conduisent à une cyclicité accrue des économies.
2. Vers une économie plus cyclique ?
Deux arguments incitent à penser que l'accroissement des placements en actions peut être facteur d'une plus grande instabilité :
- les exigences de rendement des investisseurs institutionnels incitent les entreprises à lisser leurs profits au cours du cycle économique. L'ajustement se fait donc ailleurs que sur les profits. Variations de la masse salariale et de l'investissement sont utilisées pour absorber le choc d'un ralentissement économique. L'ajustement brutal de ces grandeurs conduit à des cycles plus accentués.
- L'accroissement de la part des actions dans le patrimoine des ménages conduit à l'apparition de phénomènes « d'effets de richesse » : la consommation des ménages devient sensible aux variations des cours boursiers. L'explication de ce phénomène est la suivante : les ménages souhaitent disposer en permanence d'un certain montant d'épargne : si la valeur de leur patrimoine augmente fortement, suite à la hausse des cours de Bourse, ils auront tendance à diminuer leur taux d'épargne, ce qui viendra soutenir la consommation.
Par ce canal, la sphère financière transmet ses fluctuations à l'économie réelle. Le poids considérable des placements en actions aux Etats-Unis explique que les fluctuations des cours boursiers aient, dans ce pays, un impact macroéconomique significatif. Les études économétriques montrent qu'une hausse des cours boursiers stimule la consommation des ménages (on parle d'effet richesse positif). Une évaluation, réalisée par l'OFCE en 2000 20 ( * ) , suggère qu'une hausse de 1 dollar de la richesse financière des ménages américains conduit à un accroissement de la consommation de 5,5 cents. Selon cette étude, la forte baisse du taux d'épargne aux Etats-Unis, à la fin des années 1990, proviendrait essentiellement de la hausse des cours boursiers.
Un effet richesse significatif peut également être discerné au Royaume-Uni ; selon la même étude, un accroissement de 1 livre de la richesse financière des ménages britanniques s'accompagnerait d'une augmentation de 5 pence de leur consommation.
Naturellement, une baisse des cours boursiers exerce, en sens inverse, un effet dépressif sur la consommation des ménages américains ou britanniques.
Les études économétriques peinent, en revanche, à discerner un effet richesse significatif des cours boursiers dans notre pays.
L'effet richesse est un vecteur de transmission des fluctuations des marchés financiers à l'économie réelle. Par son intermédiaire, les variations, souvent de grande ampleur, des cours de Bourse ont un impact sur la consommation, et donc sur la croissance.
L'appréciation des cours de Bourse peut refléter une amélioration de la productivité des firmes. Dans ce cas, l'appréciation des cours peut être considérée comme pérenne, et il n'est pas irrationnel que les ménages en tiennent compte dans leurs choix de consommation et d'épargne. Mais l'appréciation des cours peut aussi résulter de phénomènes spéculatifs, sans lien avec les progrès de productivité des firmes, et qui peuvent laisser place à une chute brutale des cours. De ce fait, des choix de consommation et d'épargne influencés par des variations des cours de nature spéculative peuvent se révéler économiquement sous-optimaux. Typiquement, ils peuvent amener les ménages à accepter un niveau d'endettement très élevé, qui peut se révéler difficilement soutenable si une chute des cours réduit brutalement la valeur de leur patrimoine 21 ( * ) .
Contribue à la stabilisation de l'économie l'utilisation des outils de politique économique, politiques monétaire et budgétaire, dans un sens contra-cyclique. Il existe également des « stabilisateurs automatiques » dans les grandes économies contemporaines, liés au développement de l'Etat-Providence. Ces outils ne sont pas dénués d'efficacité : la chute des cours de Bourse qui s'est produite depuis l'an 2000, a été de plus grande ampleur que celle intervenue en 1929. Si elle a eu un effet négatif sur la croissance, elle n'a pas pour autant entraîné de dépression globale.
La stabilisation de l'économie peut aussi être favorisée par l'émergence de grands investisseurs institutionnels nationaux, dotés d'une régulation adéquate - on reviendra sur ce point ultérieurement.
* 19 Ces différents points sont détaillés dans le rapport du Commissariat général du Plan « Rentabilité et risque dans le nouveau régime de croissance », rapport du groupe présidé par Dominique Plihon, pp. 33-35.
* 20 « Plus-values, consommation et épargne. Une estimation de l'effet richesse aux Etats-Unis et au Royaume-Uni », C. Houizot, H. Baudchon, C. Mathieu et F. Serranito, Revue de l'OFCE, n° 73, avril 2000.
* 21 La dette des ménages américains représente 80 % du PIB aux Etats-Unis début 2003 ; le ratio correspondant dans la zone euro est de seulement 46 %, et de 36 % pour la France.