M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Après le domaine de l'information, nous allons aborder celui de la fiction, avec le point de vue des producteurs.
M. Jacques Peskine, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
Je
voudrais en premier lieu m'associer à l'hommage rendu à Jean-Luc
Lagardère, notamment en rappelant des faits datant de 1992. Cette
année-là, la mort de La Cinq aurait pu être la mort de la
production audiovisuelle française : c'est parce que Jean-Luc
Lagardère a su assumer l'ensemble de ses responsabilités à
l'égard de la production que nous avons pu conserver ce secteur.
Pour aborder de manière pragmatique cette question des contenus, il faut
rappeler que la télévision est à la fois le support d'une
forme d'expression, mais aussi un média, à la différence
de l'édition et du cinéma par exemple. La combinaison de ces deux
fonctions, en matière de contenu et de responsabilité, est
parfois difficile à assumer.
En tant que média, des responsabilités extraordinaires
pèsent sur la télévision : on peut se demander ce
qu'aurait été la pornographie au
II
ème
siècle de notre ère ou la violence
au III
ème
siècle s'ils avaient, en plus,
disposé de la télévision ! Rappelons ainsi que ce
sont des traits de notre espèce largement préexistants et qui, le
cas échéant, lui survivront certainement ! La
télévision serait même responsable de
l'analphabétisme !
Nous devons assumer la responsabilité du média qu'elle constitue,
certes, mais il ne faut pas oublier qu'elle n'est que le miroir de notre
société.
Je me concentrerai sur l'autre aspect : la télévision comme
support d'expression.
La télévision est frileuse, portée à
l'auto-imitation, l'innovation lui est toujours douloureuse et difficile. Cette
réalité s'explique par les risques pris et à prendre, qui
font peur et que donc l'on veut éviter. Ajoutons à cela que la
télévision française est sans doute l'une des plus
frileuses du « monde audiovisuel développé ».
Nous voyons en effet qu'elle n'invente plus beaucoup. Ceci est d'ailleurs
autant vrai pour la télé-réalité que pour la
fiction ou le documentaire.
Prenons l'exemple de la fiction. Qu'est-ce qui a été
inventé comme formes télévisuelles en matière de
comédie ? Des séries comme les
Simpson
ou
Absolutely Fabulous
, dans des pays pas vraiment réputés
pour leur innovation... ou d'autres séries, crues sans être
violentes, qui portent un regard sur la société au travers de
nouvelles formes, plus créatives, moins
stéréotypées que ce que l'on peut faire en France. Ce
problème, distinct de celui de notre responsabilité
vis-à-vis de la société, est important pour nous tous, et
il est légitime de s'interroger sur ses causes et sur ses remèdes.
Concernant les causes, je reviendrai sur la notion de demande, notion
très ambiguë dans le domaine de la télévision. La
demande passe par la télécommande... qui ne peut faire
fonctionner que les chaînes qui existent ! Il s'agit donc
plutôt d'un choix.
Par ailleurs, cette demande, on « l'éduque », sans
dire ici que l'on « oblige », bien entendu. Il y a six ans,
par exemple, France 2 choisit de diffuser le vendredi soir des séries de
52 minutes au lieu de séries de 90 minutes : au début,
l'audience a baissé, mais trois ou quatre années plus tard, la
situation s'est rétablie ! Cet exemple nous montre bien que la
demande n'est pas un fait en soi. C'est un élément
évolutif, que l'offre elle-même fait encore évoluer !
Mais, bien entendu, on ne peut pas croire qu'en proposant n'importe quoi
durablement, le public finira par s'habituer. Le public est sélectif,
évidemment.
Un autre handicap se présente en matière de création
télévisuelle en France : nos créateurs n'ont jamais
vraiment accepté qu'elle soit un lieu de création. La
série, forme reine puisqu'elle permet de fidéliser le public, est
considérée par eux comme une forme inférieure de la
création. Cette attitude est regrettable et constitue un
véritable handicap.
Un dernier élément nous différencie de nos voisins :
la question de l'argent. Exceptés ceux qui y sont, tout le monde en
France pense que la télévision est riche ! Non ! La
télévision française est pauvre ! La
télévision publique française pèse deux milliards
d'euros, la télévision publique anglaise trois milliards, la
télévision publique allemande 4,5 milliards... Ceci a
évidemment des conséquences sur nos capacités à
investir dans des grands projets et à prendre des risques.
Notons que les recettes publicitaires sont amputées d'un bon tiers en
raison de la réglementation : trois milliards d'euros de
recettes en France, cinq milliards en Angleterre ! Je ne dis pas que
changer ceci demain matin résoudrait tous les problèmes, mais
c'est une donnée que l'on ne peut occulter.
Je crois cependant que les contenus des télévisions, ici et
ailleurs, sont beaucoup plus riches que ne le disent les milieux dirigeants
parisiens. Si les Français passent trois heures quotidiennement devant
leur télévision, ce n'est pas parce qu'ils sont stupides ou
demeurés, mais parce qu'elle leur apporte beaucoup :
divertissement, information et connaissance.