M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Pour Arte, la tendance semble simple : culture et qualité, sans souci de l'audimat. Est-ce bien cela, Jérôme Clément ?
M. Jérôme Clément, président du comité de gérance Arte
Les
choses ne sont pas aussi simples que cela !
Il est vrai que nous ne sommes pas confrontés à des soucis
commerciaux, à la rentabilité et à l'amortissement... mais
nous vivons tout de même dans le monde concurrentiel que certains ont
déjà décrit : nous touchons 70 millions de
foyers en Europe, mais encore faut-il qu'ils appuient sur le bon bouton
lorsqu'on leur propose un programme !
Je suis dans l'ensemble d'accord avec l'analyse de Nicolas de Tavernost
concernant le marché et la période d'ajustement que nous vivons.
J'ajouterai que dans le domaine du satellite et du câble, la question de
la distribution est centrale. En Allemagne, par exemple, sur le réseau
satellitaire, nous venons de changer de mode de distribution : nous y
avons perdu ainsi une partie de notre audience, tout simplement parce que le
téléspectateur ne nous trouve plus ! Les responsables de ce
domaine, Canal Satellite et TPS en France, doivent mesurer l'ampleur du
problème et des répercussions que cela peut entraîner pour
les autres.
Concernant les tendances des contenus, notre position est
particulière : nous sommes une télévision de l'offre,
même si nous prenons bien entendu en compte l'état de l'opinion et
de la société, même si nous surveillons les audiences.
Nous avons changé d'époque, et il nous faut trouver d'autres
façons de traiter un certain nombre de sujets. L'ironie et le second
degré, que Canal + affiche, par exemple, sont aujourd'hui beaucoup moins
porteurs et séducteurs. Les questions qui se posent aujourd'hui, en
raison de la situation internationale, du souci de développement
durable, des problèmes écologiques ou encore de la situation
économique, font que le sérieux, la vérité et le
traitement en profondeur des sujets posés doivent être de mise. Je
rejoins ainsi Patrick de Carolis : les documentaires et les magazines
d'investigation et d'analyse ont un réel avenir. C'est d'ailleurs sans
doute la raison pour laquelle nous-mêmes connaissons aujourd'hui un
regain de popularité.
C'est le besoin d'authenticité, d'équilibre et
d'épanouissement qui fait que la
télé-réalité est à l'ordre du jour. On ne
peut pas la mettre en oeuvre à propos de tout et de n'importe quoi, mais
la tendance me paraît extrêmement forte.
En ce qui nous concerne, il s'agit d'accompagner un certain nombre
d'évolutions tout en résistant à d'autres. Doit-on en
effet toujours suivre la demande, même si elle est porteuse de valeurs
qui ne sont pas les meilleures ? Notre réponse est claire : il
faut lutter contre certaines évolutions.
Pour ce qui est de l'accompagnement que nous devons opérer, la
compréhension du monde qui nous entoure, avec des émissions de
décryptage, des mises en perspectives historiques et européennes,
constitue une vraie mission, attendue par le public. Il est frappant de
constater que les sujets que nous traitons actuellement sur la crise irakienne
nous permettent de multiplier notre audience par deux ou trois... Cela a
été le cas aussi pour un sujet « difficile »,
sur les Nations Unies, sujet qui n'était même pas annoncé
dans les programmes, ou encore pour une soirée sur la Politique Agricole
Commune ! Ces exemples révèlent de véritables
attentes.
Nous avons donc décidé de faire de l'analyse sociale,
économique et politique, environnementale et géopolitique un
élément majeur de notre nouvelle politique, puisque c'est une
mission qui correspond à une demande. Cela demande de la
ténacité, mais on finit par rencontrer le public, avec de la
persévérance et du travail.
Je ne sais si cela permet de « ré-enchanter » la
vie, mais cela permet de mieux la comprendre et de répondre à un
certain nombre d'interrogations fondamentales, ce qui, notons-le,
intéresse tous les âges.
Nous accompagnons d'autres évolutions et répondons à
d'autres attentes, par des fictions qui touchent à l'intime. Notre
collection « Masculin-Féminin » rencontre ainsi un
joli succès. Là encore, c'est l'authenticité qui a
payé.
Les tendances auxquelles nous voulons résister sont pour nous
évidentes : il s'agit de tout ce qui touche au repli identitaire,
à la violence, à la xénophobie, au racisme, etc. Cela
paraît évident, mais parler de l'identité culturelle des
autres, ou simplement leur laisser une place, leur ouvrir une fenêtre,
demande toujours un effort. Même si cela ne connaît pas toujours le
succès, nous considérons que c'est un devoir important. La place
de l'autre est un débat essentiel aujourd'hui, il est donc
nécessaire de lui donner la parole, qu'il puisse montrer sa
réalité : c'est ce que nous tentons de faire.
Tout cela s'accompagne enfin d'un travail sur la mémoire et sur
l'Histoire.
Nous devons bien entendu tenir compte des réalités
économiques et commerciales, mais l'enjeu du support dont nous disposons
est plus vaste. Nous avons une responsabilité citoyenne notamment
vis-à-vis des enfants dont nous façonnons d'une certaine
manière les esprits. Dans le monde incertain où nous vivons, nous
devons être attentifs à cette mission.