N°
352
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juin 2003
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le contenu des programmes de télévision ,
Par M.
Jacques VALADE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; M. François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Serge Lepeltier, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Audiovisuel et communication. |
ACTES
DE LA JOURNÉE THÉMATIQUE
SUR « LA TÉLÉVISION POUR QUOI
FAIRE ? »
organisée par la commission des Affaires culturelles
Sous le haut patronage de M. Christian Poncelet, Président du
Sénat,
de M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de
la Recherche,
de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication,
et la présidence de M. Jacques Valade,
Président de la
commission des Affaires culturelles du Sénat
Le mercredi 19 mars 2003
Les
débats sont animés par M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste.
INTRODUCTION
Message d'accueil de M. Christian Poncelet, Président du Sénat
Je suis
heureux de voir aujourd'hui la commission des Affaires culturelles poursuivre
et porter au plus haut une longue tradition qui fait du Sénat une
Assemblée reconnue pour sa connaissance du monde de l'audiovisuel. Je
remercie et félicite son président Jacques Valade d'en avoir pris
l'initiative.
Le nombre et la qualité des intervenants et des participants à ce
colloque de la commission des Affaires culturelles confirme, s'il en
était besoin, que c'est ici que s'élaborent les solutions pour
l'audiovisuel de demain.
Vous savez tous que le Sénat, quelquefois à contre-courant des
partis politiques, avec sa spécificité et sa distance de
réflexion, a souvent pris des positions fortes : pour le maintien
de la redevance, pour un service public fort et de qualité. C'est ici
qu'ont été pour la première fois préfigurés
les fondements de la télévision numérique terrestre, dont
les difficultés actuelles, justement pointées par le
Gouvernement, tiennent peut-être en partie aux modifications introduites
par l'Assemblée nationale d'alors.
Aujourd'hui, ce colloque ouvre de nouveaux champs à la réflexion,
peut-être les plus essentiels, comme son titre l'indique, en nous
invitant, en invitant la représentation nationale à dire ce
qu'elle attend de l'audiovisuel. Après tant d'années de
discussions sur les tuyaux et les financements, sur les structures et les
technologies, le paysage semble stabilisé : il est plus que temps
de jeter un regard nouveau sur les contenus.
La question longtemps taboue de la violence et de la pornographie a
été abordée et l'on s'achemine vers des solutions
équilibrées. Le Gouvernement a réaffirmé avec
force, à la fois sa confiance dans l'audiovisuel public contre toutes
les rumeurs de privatisation, son attachement à une ressource
affectée qui semble indispensable, son exigence d'un haut niveau d'offre
culturelle.
Ce qui est en cause, ce sont donc moins les intentions que les circonstances
qui bousculent tous les équilibres fragiles : le contexte
international et ses répercussions sur les ressources publicitaires, la
situation du groupe Vivendi, celle du groupe Suez, le drame qui vient de
frapper le Groupe de Jean-Luc Lagardère, grand industriel, grand homme
de communication, dont je tiens à saluer avec émotion la
mémoire, la situation délicate de beaucoup de chaînes
thématiques, au moment où leur nombre est susceptible d'augmenter.
Voilà quelques nuages que vos travaux permettront de dissiper pour
couvrir de rayons de soleil le célèbre paysage audiovisuel
français.
Je vous remercie pour votre participation à cette nouvelle
journée de la commission des Affaires culturelles du Sénat.
Bon travail.
Allocution d'ouverture par M. Jacques Valade,
sénateur
de la Gironde, Président de la commission des Affaires culturelles du
Sénat
Mesdames, Messieurs, je ne puis ouvrir ce colloque sans avoir, à mon
tour, une pensée émue à la mémoire de Jean-Luc
Lagardère, qui nous a quittés vendredi dernier. Ce capitaine
d'industrie flamboyant, au dynamisme sans bornes, a su, en 25 ans, faire de son
Groupe, entre autres activités, un géant des médias. Il
avait son mot à dire sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui.
Je tiens à remercier le Président Poncelet pour son message et
à l'assurer que, tout au long de cette journée, nous tenterons
d'inscrire nos travaux dans le cadre qu'il vient de brosser dans la
continuité de l'action de la commission des Affaires culturelles du
Sénat dans ce domaine.
Je tiens ensuite, au nom des membres de la commission des Affaires culturelles
et en mon nom personnel, à remercier toutes celles et tous ceux qui ont
répondu favorablement à notre invitation et tous ceux qui nous
ont aidés à organiser cette journée.
J'aurai enfin, au cours de la journée, le plaisir d'accueillir Monsieur
Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la
Recherche, et Monsieur Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la
Communication. Qu'ils soient, dès à présent,
remerciés pour leur participation et leur contribution à cette
journée.
Un an après nous être penchés, dans cette même salle,
sur l'avenir de la télévision numérique terrestre dans le
cadre du premier colloque de la commission des Affaires culturelles
consacré aux nouvelles télévisions, nous voilà
aujourd'hui réunis pour aborder un nouveau thème : celui des
programmes télévisés.
Il nous a en effet paru nécessaire d'examiner les perspectives
d'évolution de l'audiovisuel, non plus à travers un prisme
technologique, mais sous un angle plus culturel dans le cadre de
l'évolution de notre société.
L'actualité de ces jours derniers, la tension internationale, le
bouleversement qu'elle va engendrer, la contribution de la
télévision à la relation du conflit imminent et à
l'évaluation de ses conséquences, donnent un relief singulier
à nos interrogations. Mais également, l'actualité de ces
derniers mois permet de souligner la pertinence de cette approche.
La succession, par un hasard malencontreux, de faits divers inquiétants
imputables à l'influence de certaines catégories de programmes
à caractère violent ou pornographique, l'irruption puis la
multiplication sur les antennes des émissions de la
télé-réalité et la question lancinante de la
nécessaire spécificité des programmes proposés par
les chaînes du service public ont ainsi alimenté le débat
public au cours de l'année écoulée.
L'importance de ces phénomènes est telle que chacun d'entre eux a
donné lieu à diverses études, rapports et analyses,
souvent controversés, mais toujours aptes à susciter la
réflexion. Surtout, ces interrogations rappellent aux élus que
nous sommes que la télévision est devenue, au sein de notre
société, un média omniprésent dont l'influence sur
les populations les plus réceptives ou les plus fragiles ne doit jamais
être sous-estimée.
Alors que 94 % des Français possèdent un poste de
télévision et passent en moyenne trois heures et demi par jour
devant leur petit écran, alors qu'apparaissent de nouveaux supports et
que le nombre de chaînes disponibles ne cesse d'augmenter, et alors que
la télévision est accusée de plus en plus ouvertement et
de plus en plus fréquemment de favoriser le développement de
quelques-uns des maux qui caractérisent notre société -je
citerai pêle-mêle les violences de toute nature, l'illettrisme ou
encore l'affaiblissement du sentiment d'appartenance au corps social- la
commission des Affaires culturelles du Sénat, vous l'avez compris, ne
pouvait faire l'économie d'un large débat sur le thème des
programmes télévisés.
Concernant un sujet aussi sensible, à propos duquel toute action
précipitée, aussi judicieuse soit-elle, paraît vouée
à l'échec -nos collègues députés en ont
d'ailleurs fait la douloureuse expérience il y a quelques mois à
peine- la commission a, comme à son habitude, choisi de
privilégier l'échange, l'écoute et la réflexion,
afin de pouvoir faire face, le moment venu, à ses responsabilités.
C'est dans cet esprit que nous allons aujourd'hui confronter les opinions et
les expériences, peut-être découvrir la possibilité
de rectifier des erreurs, certainement accéder à une meilleure
connaissance des tendances actuelles de ce média qui continue à
nous fasciner : la télévision.
Pour ce faire, il faudra d'abord se pencher sur les contenus et notamment sur
la qualité des programmes proposés au public par les
différentes chaînes qui composent un paysage audiovisuel en
constante évolution. Il nous faudra ensuite évaluer l'impact des
images télévisées sur les différents publics et
tenter de discerner les tendances à venir dans un domaine où
chaque année nous apporte son lot de surprises -parfois mauvaises. Il
sera enfin temps de s'intéresser aux modalités de la
régulation. À l'heure où l'Internet devient un support
pour la diffusion de programmes télévisés, à
l'heure où la multiplication des chaînes est envisageable, en
particulier grâce à la TNT et au moment où le Sénat
s'apprête à se saisir du texte destiné à favoriser
la confiance dans l'économie numérique, il sera
particulièrement stimulant d'entendre s'exprimer sur ces sujets les
représentants de quelques-unes des principales institutions
chargées de réglementer et de réguler le secteur de
l'audiovisuel.
Quels contenus ? Quels impacts ? Quelles tendances ? Quelles
régulations ? Vous aurez reconnu les différents
thèmes des quatre tables rondes qui vont se succéder au cours de
cette journée.
Afin que vos débats d'aujourd'hui éclairent efficacement nos
réflexions et nos décisions de demain, je vous demanderai, sans
jamais vous départir de la mesure et de la cordialité qui sied
habituellement aux débats de notre Assemblée, de nous faire
partager vos analyses, vos doutes, vos craintes et vos interrogations en toute
franchise et en tout liberté.
Telle est la règle que je vous propose et qui doit assurer le
succès de notre rassemblement.
En vous remerciant encore d'avoir accepté notre invitation, je vous
cède la parole.
*
* *
Première table ronde : quels contenus ?
Mme Jacqueline Aglietta, président-directeur général de Médiamétrie
Médiamétrie est l'entreprise
interprofessionnelle de
mesure d'audience des médias audiovisuels et interactifs. Tous les
grands acteurs de l'audiovisuel sont représentés à son
capital : les chaînes de télévision, les stations de
radio, ainsi que les publicitaires et les annonceurs. Notre rôle n'est
pas de porter un jugement sur les programmes, ni donc de dire ce que la
télévision doit faire ou ne doit pas faire. Nous fournissons les
mesures d'audience et de performance aux intervenants des différentes
« familles », qui sont d'ailleurs pour la plupart nos
actionnaires : les éditeurs publics et privés, les
chaînes gratuites ou payantes, les producteurs audiovisuels, les
annonceurs, les régulateurs et les investisseurs en
général. Pour tous, la mesure d'audience est devenue
indispensable pour guider leurs choix, puisque les analyses approfondies que
nous fournissons quotidiennement concernent les choix du public, ses modes de
vie, ses goûts et ses attentes. Il s'agit de comprendre comment atteindre
le public que l'on cherche à acquérir, sans que ce soit
forcément le plus grand nombre.
La recherche de la meilleure adéquation entre l'offre de programme et la
demande est un art, une science difficile. Cette recherche s'inscrit dans un
ensemble d'obligations économiques et réglementaires. Elle se
nourrit de la connaissance des offres possibles, de la connaissance des publics
et de ses attentes. On assiste à un aller-retour permanent entre offre
et demande.
Médiamétrie est en quelque sorte le médiateur entre cette
offre qui se cherche constamment et le public qui réagit en permanence.
Elle contribue à cette connaissance en France, avec le Médiamat
et le MédiaCabSat et tout ce qui se fait dans le monde, avec
Eurodata TV Worldwide, base de données mondiale des programmes et
des audiences de 600 chaînes couvrant 70 pays.
Quelle offre est proposée aujourd'hui au public ? Comment a-t-elle
évolué ?
Au fil des années, les demandes du public se sont
précisées, le comportement des téléspectateurs
s'est sophistiqué. En conséquence, l'offre s'est
démultipliée, ce qui conduit à une fragmentation des
audiences. Des chaînes généralistes réussissent, au
prix d'efforts incessants, à rassembler un large public en
élargissant leurs gammes de programmes, d'une part, et d'autre part,
nous trouvons des chaînes thématiques aux contenus de plus en plus
ciblés afin de maximiser la fidélité et la satisfaction de
leurs abonnés. Que l'on cherche à satisfaire des exigences les
plus larges ou les plus pointues, il faut dans tous les cas mesurer,
étudier et évaluer l'audience et la performance des programmes,
afin de rester en prise avec les réalités économiques du
marché.
En 15 années, le nombre de chaînes a été
multiplié au moins par dix. Le public a répondu favorablement
à la nouvelle offre qui en a découlé. En France
aujourd'hui, près du quart de la population dispose de plus de 15
chaînes, et ce chiffre est en augmentation régulière. Dans
le même temps, les moyens d'accès aux programmes se sont
diversifiés et sont devenus mobiles. Le public aura demain à sa
disposition, en plus du réseau hertzien, du câble et du satellite,
la télévision sur Internet, grâce au haut débit, le
numérique terrestre, la télévision sur le
téléphone ou dans la voiture... Les occasions de consommer la
télévision se sont, elles aussi, multipliées, avec
l'augmentation du temps libre, du fait notamment que l'on travaille moins et
que l'on vit plus longtemps.
La croissance de l'offre de programmes s'inscrit donc totalement dans
l'évolution des modes de vie.
Comment le public réagit-il aux programmes qui lui sont
proposés ?
Il convient de rappeler qu'en termes de temps la télévision est
le premier des loisirs à domicile des Français, le loisir
n'excluant pas, bien entendu, la culture et la connaissance. C'est parce que la
télévision est un loisir que sa consommation en dix ans est en
progression constante et régulière dans le monde entier. Un
Américain du Nord regarde en moyenne la télévision quatre
heures par jour, un Européen la regarde un peu moins de trois heures et
demi. En Asie pacifique le public y consacre un peu moins de deux heures et
demi par jour. Au-delà des offres et des modes de vie différents
de ces grandes zones géographiques, il est intéressant de
remarquer que, quelle que soit la zone, près de la moitié de la
population regarde la télévision à l'heure de grande
écoute.
Les enfants de 4 à 14 ans passent un peu plus de deux heures par jour
devant la télévision, soit deux fois moins que les plus de 50
ans. Ils regardent bien sûr plus la télévision qu'avant,
mais ceci dans les mêmes proportions que leurs aînés :
cette durée a augmenté de 10 % au cours des dix
dernières années.
Observons les comportements des téléspectateurs européens
face aux programmes américains, dont on entend fréquemment dire
qu'ils envahissent nos écrans. Seuls six des 50 programmes les plus
regardés en France, Grande-Bretagne, Espagne, Allemagne et Italie
étaient des programmes américains. On constate, par ailleurs, que
durant les cinq dernières années, cette proportion a tendance
à baisser. Les programmes les plus regardés en première
partie de soirée sont des programmes nationaux. En revanche, les
programmes américains représentent toujours une part
significative du reste des grilles de programmes, même s'ils ne
réalisent pas de fortes audiences.
La télévision, sur le plan économique, est cependant
marquée par la mondialisation. En dix ans, le secteur audiovisuel
européen a connu un développement sans précédent,
mais après la constitution des grands groupes, on assiste à un
repli sur eux-mêmes des Européens. Ce repli s'explique par les
lourds investissements consentis, en particulier dans les bouquets
numériques, et par l'inflation des droits de programmes, notamment
sportifs. Les télévisions financées par la
publicité souffrent de la récession du marché
publicitaire, et les télévisions du secteur public tendent aussi
à être déficitaires.
Ce contexte explique la mondialisation des formats : les chaînes
hésitent à lancer des éditions originales, qui
coûtent cher ; les annonceurs hésitent à investir de
nouvelles émissions. On voit donc plus souvent des émissions
phares, fréquemment d'origine anglo-saxonne, qui connaissent des
succès d'audience dans d'autres pays. Nous pensons ici, bien sûr,
aux émissions de télé-réalité.
Qu'observe-t-on concernant l'évolution de l'offre ?
On constate une diminution de l'offre de fiction sur les chaînes
hertziennes. Cependant ces fictions sont programmées à des
moments-clés, bénéficiant donc d'importants moyens de
production. En conséquence, la fiction reste le premier genre de
programme consommé par le public, qui les regarde autant qu'il y a dix
ans.
Durant les dix dernières années, le public a par ailleurs
augmenté le temps qu'il consacre à l'information, alors que, sur
la période, l'offre de journaux télévisés est
restée stable.
Plus généralement, lorsque l'on examine l'évolution de
l'offre, on est frappé en France comme ailleurs par le renouvellement
croissant des programmes : l'importance des nouveautés a bien
entendu pour but de conquérir et de fidéliser des publics de plus
en plus exigeants. Je considère comme une performance quotidienne de la
part des télévisions de savoir attirer et séduire le
public.
Dans le domaine de la télévision, nous sommes à l'aube de
profondes mutations, qui tiennent en particulier à la
démultiplication de l'offre, à la fragmentation des audiences, au
développement de l'interactivité. Il est donc plus que jamais
nécessaire de se poser la question-titre de ce colloque :
« La télévision, pour quoi faire ? ».
Quoiqu'il advienne, Médiamétrie continuera d'accompagner ce
mouvement, comme elle le fait depuis près de vingt ans.