D. LA CHUTE DES INVESTISSEMENTS ET LE DÉMANTÈLEMENT DES FINANCEMENTS PUBLICS
De nombreux éléments se sont conjugués, au milieu des années 90, qui ont conduit à une très forte chute des investissements. Cette chute a été particulièrement manifeste pour l'investissement ferroviaire dès 1997, avec un creux atteint en 2000, mais elle est également de plus en plus sensible pour l'investissement routier et autoroutier avec la fin du mécanisme dit de l'adossement, qui avait, malgré les critiques dont il a fait l'objet, notamment par la Cour des comptes, permis d'équiper notre pays dans des conditions financières satisfaisantes.
1. L'abandon de l'adossement autoroutier
Jusqu'à la fin des années 90, l'Etat utilisait la procédure dite de l'adossement pour développer le réseau autoroutier. Les nouvelles sections d'autoroutes étaient financées par les péages prélevés sur les sections plus anciennes. Pour compenser la dégradation de la rentabilité moyenne de l'activité du concessionnaire, la durée du contrat de concession était généralement allongée.
Le régime de l'adossement a pris fin en 2001, sur décision du gouvernement français 14 ( * ) , suite à un avis du Conseil d'Etat le 16 septembre 1999, qui a conclu que les règles applicables à l'attribution des concessions faisaient désormais obstacle à ce que la réalisation d'une nouvelle section d'autoroute soit confiée à une société dont l'offre prévoit que l'équilibre financier de l'opération sera assuré par la prolongation de la durée d'une concession en cours concernant un autre ouvrage, la passation d'un nouveau contrat s'accompagnant alors de la conclusion d'un avenant au contrat en cause.
Par ailleurs, sur habilitation du Parlement, le précédent gouvernement a pris une ordonnance le 28 mars 2001, qui :
- proroge les concessions des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes de plusieurs années (12 ans à 15 ans) ;
- prévoit que les clauses permettant une reprise du passif des sociétés concessionnaires à la charge de l'Etat cessent de produire effet à compter de la publication de la loi ;
- modifie les règles d'inscription au bilan des sociétés des provisions pour caducité.
Terme des concessions des SEMCA après la réforme
ASF |
ESCOTA |
SAPRR |
AREA |
SANEF |
SAPN |
ATMB |
SFTRF |
COFIROUTE |
2032 |
2026 |
2032 |
2032 |
2028 |
2028 |
2015 (A40) 2035 (tunnel) |
2050 (A43) 2050 (tunnel) |
2030 (concession interurbaine) 2077 (A 86 Ouest) |
L'allongement des concessions, qui entraîne un avantage financier pour les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (voir infra), constitue la contrepartie des autres mesures de la réforme, notamment la suppression des engagements de reprise de passif par l'Etat inscrits dans les contrats de concessions des SEMCA, la suppression du régime des charges différées et l'alignement de leurs pratiques comptables sur le droit commun.
Toutefois, votre rapporteur spécial regrette qu'à l'occasion des débats au Parlement, le précédent gouvernement n'ait jamais fourni une évaluation financière de l'impact de l'allongement des concessions autoroutières, comme il n'a pas souhaité donner d'informations sur l'incidence réelle de l'ouverture du capital d'Autoroutes du sud de la France.
S'il a été mis fin à la procédure d'adossement, il faut cependant rappeler, en conclusion, que cette pratique reste valable pour les concessions déjà attribuées mais aussi pour les « petits bouts » d'autoroute qui peuvent être la prolongation limitée d'une autoroute existante, la jonction de deux autoroutes ou les petits contournements urbains.
2. Le démantèlement des financements dédiés
a) La suppression du FITTVN
Le Sénat a exercé une influence majeure sur les travaux qui aboutirent au vote de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, texte qui avait été déposé en premier lieu sur son Bureau.
Son rôle fut même décisif dans la décision de créer un certain nombre de Fonds d'investissements consacrés à l'aménagement du territoire, en particulier le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN).
L'article 37 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 a donc créé, à l'initiative du Sénat, un Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN) et a institué deux taxes spécifiques pour l'alimenter : la taxe d'aménagement du territoire (TAT) et la taxe sur la production d'énergie hydroélectrique.
Le FITTVN, destiné à l'origine à permettre de développer de nouvelles infrastructures, essentiellement dans un objectif de péréquation intermodale et d'aménagement du territoire, a cependant été progressivement détourné de son objet afin de compenser les insuffisances du budget de l'Etat , comme votre commission l'a souligné à plusieurs reprises 15 ( * ) .
La loi de finances pour 2001 a, contre l'avis du Sénat, supprimé le FITTVN, les taxes qui l'alimentaient étant désormais perçues au bénéfice du budget de l'Etat.
b) La création de nouveaux établissements publics sans ressources
Le seul financement dédié qui subsiste concerne la création de deux établissements publics spécialisés créés par la loi du 3 janvier 2002 relative à la sécurité et aux infrastructures de transports. L'audit relève que « les ressources de ces établissements ne sont pas aujourd'hui assurées ».
On ne saurait mieux dire.
Votre commission des finances a, dès l'origine, fortement critiqué la création de ces établissements publics dans la mesure où ces créations relevaient de l'affichage .
Notre collègue député Hervé Mariton, rapporteur spécial du budget de l'équipement et des transports à l'Assemblée nationale, de faire adopter un article additionnel au projet de loi de finances pour 2003 qui prévoit que le gouvernement déposera, avant le 30 juin 2003, sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat, un rapport sur le Fonds pour le développement de l'intermodalité dans les transports (FDIT) et sur le Fonds pour le développement d'une politique intermodale des transports dans le massif alpin (FDPITMA).
En effet, les seules ressources envisagées pour le FDIT correspondaient à la cession partielle des participations de l'Etat dans la société concessionnaire d'autoroute ASF, soit environ 280 millions d'euros. Il s'agissait de financer la part de concours publics de la France dans la concession de la section internationale de la ligne ferroviaire Perpignan-Figuéras. Outre que ce versement ne représente que 15 % du montant de l'ouverture de capital d'ASF, il n'était pas nécessaire de passer par un nouvel établissement public pour attribuer ces crédits (le compte de privatisation 902-24 permettait notamment de doter RFF).
Par ailleurs, concernant l'établissement public, qualifié de « pôle multimodal alpin », qui doit recevoir les dividendes des trois sociétés concessionnaires d'autoroutes de la zone (AREA, SFTRF, STMB), au moins deux sociétés d'autoroutes sur les trois ont besoin d'un plan de recapitalisation et donc votre rapporteur spécial a toujours estimé étrange que l'on puisse considérer qu'elles pourraient verser des dividendes.
Votre rapporteur spécial estime donc, sous réserve du rapport qui sera prochainement remis, qu'il serait légitime de supprimer ces fonds catégoriels qui n'ont pas de ressources financières suffisantes au profit du mécanisme de péréquation qu'il préconise dans le présent rapport.
3. La chute des investissements de l'Etat
Parallèlement à la réforme ferroviaire, à la fin de l'adossement, au démantèlement des financements dédiés, la seconde moitié des années 90 a enregistré une chute importante des investissements de l'Etat.
Un récent rapport du Conseil économique et social 16 ( * ) a fait le point sur l'investissement public, en soulignant que les années 1990 avaient constitué une « rupture » après plusieurs décennies d'investissements.
De fait, si l'on rapporte le montant des investissements publics au PIB, le désengagement sur longue période est manifeste.
Source : INSEE - comptes nationaux
Si l'on se concentre plus particulièrement sur les investissements de transports, le dernier rapport de la commission des comptes des transports de la Nation fournit des éléments éclairants .
Les dépenses en infrastructures de transport |
|||||||||||||
(en milliards d'euros courants) |
|||||||||||||
1980 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|
1 - Réseau routier |
3,6 |
7,5 |
7,9 |
8,4 |
8,5 |
8,7 |
8,6 |
9,1 |
8,9 |
8,6 |
8,2 |
8,2 |
8,4 |
1.1 - réseau non concédé |
2,9 |
5,9 |
6,2 |
6,7 |
6,7 |
6,6 |
6,0 |
6,1 |
6,1 |
6,3 |
6,3 |
6,4 |
6,7 |
dont réseau départ. et local |
1,8 |
4,2 |
4,5 |
4,9 |
4,6 |
4,7 |
4,4 |
4,1 |
4,2 |
4,7 |
4,7 |
5,0 |
5,1 |
dont réseau national |
1,1 |
1,8 |
1,7 |
1,9 |
2,1 |
1,8 |
1,6 |
2,0 |
1,9 |
1,6 |
1,6 |
1,5 |
1,5 |
1.2 - réseau concédé |
0,8 |
1,5 |
1,7 |
1,7 |
1,8 |
2,2 |
2,5 |
3,0 |
2,8 |
2,3 |
2,0 |
1,8 |
1,7 |
Réseau ferré principal |
0,8 |
2,0 |
2,5 |
2,4 |
1,9 |
1,4 |
1,4 |
1,9 |
2,0 |
1,9 |
1,6 |
1,3 |
1,1 |
2.1 - Réseau grande vitesse |
0,2 |
1,0 |
1,5 |
1,3 |
0,7 |
0,4 |
0,3 |
0,7 |
0,9 |
0,8 |
0,7 |
0,6 |
0,3 |
2.2 - Réseau principal hors LGV |
0,6 |
1,0 |
1,0 |
1,1 |
1,2 |
1,1 |
1,1 |
1,2 |
1,1 |
1,1 |
0,9 |
0,7 |
0,8 |
3 - TCU |
0,7 |
0,8 |
1,0 |
1,2 |
1,5 |
1,4 |
1,4 |
1,2 |
1,2 |
1,1 |
0,9 |
1,0 |
1,0 |
3.1 - TCU de province |
0,3 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,5 |
0,5 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,5 |
3.2 - RATP |
0,2 |
0,3 |
0,4 |
0,4 |
0,6 |
0,5 |
0,6 |
0,5 |
0,5 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
3.3 - SNCF Banlieue |
0,1 |
0,2 |
0,2 |
0,3 |
0,4 |
0,4 |
0,4 |
0,3 |
0,3 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
4 - Autres infrastructures |
0,4 |
0,8 |
0,9 |
1,0 |
0,8 |
0,9 |
1,0 |
0,9 |
0,9 |
1,0 |
1,0 |
1,1 |
1,3 |
4.1 - Ports maritimes |
0,2 |
0,3 |
0,3 |
0,2 |
0,2 |
0,3 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,2 |
0,3 |
4.2 - Aéroports et nav.. aérienne |
0,2 |
0,5 |
0,6 |
0,7 |
0,5 |
0,5 |
0,6 |
0,6 |
0,6 |
0,7 |
0,6 |
0,8 |
0,8 |
4.3 - Voies navigables |
0,0 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,2 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,1 |
0,2 |
0,1 |
5 - Ensemble |
5,5 |
11,1 |
12,4 |
13,0 |
12,7 |
12,5 |
12,4 |
13,0 |
13,0 |
12,7 |
11,7 |
11,7 |
11,8 |
Traduits sous forme de graphique, les chiffres présentés par la commission des comptes des transports de la Nation montrent l'évolution suivante.
Source : commission des comptes des transports de la Nation
A partir d'un point haut en 1991-1992, les investissements ferroviaires ont diminué jusqu'en 1995 avant de se reprendre puis de diminuer de nouveau à partir de 1997, le point bas étant incontestablement atteint en 2000-2001. Le réseau ferré n'a ainsi représenté que 13 % des investissements en infrastructures en 2000. En 2001, le réseau ferré n'a représenté que 11 % des investissements de transports : 300 millions d'euros ont été consacrés aux lignes à grande vitesse et 800 millions d'euros au réseau principal. L'investissement ferroviaire est plus de deux fois moindre en 2001 qu'en 1992. L'investissement en lignes à grande vitesse représente en 2001 environ 20 % du niveau de 1991-1992.
Concernant les investissements routiers , selon la Cour des comptes, alors que les dépenses du domaine « équipement et transport » ont progressé de 3,2 % sur la période 1996-2000, celles consacrées au secteur routier ont diminué de plus de 14 %. Ce secteur a donc supporté l'essentiel des redéploiements de crédits.
Selon le rapport de la commission des comptes des transports de la Nation, les dépenses en infrastructures routières ont effectivement fortement diminué sur la période 1996-2001. Les moyens du budget de l'Etat ont chuté de près de 22 % sur la période, ceux des sociétés concessionnaires d'autoroutes de 42,8 %.
Seule la forte hausse des investissements des collectivités locales (+ 24,2 %) permet de limiter la réduction des programmes d'investissements. En 1996, le budget « routes » des collectivités locales était le double de celui de l'Etat, il est désormais plus du triple. De fait, en 2001, alors que les contributions du budget de l'Etat ont été légèrement revalorisées, les contributions budgétaires des collectivités locales progressent davantage et la réduction du programme d'investissement des sociétés d'autoroutes se poursuit.
Evolution des dépenses en infrastructures routières
(en milliards d'euros)
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Evolution 1996/2001 |
|
Total réseau routier |
9,07 |
8,93 |
8,32 |
8,20 |
8,28 |
8,37 |
-7,7% |
Budget de l'Etat |
1,97 |
1,89 |
1,57 |
1,55 |
1,49 |
1,54 |
-21,8% |
Budget des collectivités locales |
4,13 |
4,22 |
4,47 |
4,68 |
5,02 |
5,13 |
24,2% |
Sociétés concessionnaires d'autoroutes |
2,97 |
2,82 |
2,29 |
1,97 |
1,78 |
1,7 |
-42,8% |
Source : METL- Comptes des Transports de la Nation pour l'année 2001
L'effort en faveur du réseau routier non concédé, qui est réalisé essentiellement par les collectivités locales, représente la majeure partie de l'effort en faveur de l'investissement en infrastructures de transports .
En conclusion , l'Etat aujourd'hui ne finance plus l'investissement en transports faute de moyens dédiés et surtout faute de vision de long terme. Seules les collectivités locales assurent le relais comme l'a montré la Cour des comptes. Dans ce contexte, le gouvernement a pris l'excellente initiative d'un audit.
* 14 En effet, on observera que la Commission européenne n'a jamais engagé de procédure contre la France s'agissant de l'adossement, mais que notre pays l'a sollicitée de sa propre initiative pour changer ce système. En revanche, le gouvernement a attendu que la France soit condamnée par la Cour de justice des communautés européennes pour appliquer le régime de la TVA aux péages autoroutiers.
* 15 Sous le titre « Rendre sa vocation au FITTVN », notre collègue Auguste Cazalet, rapporteur du budget des transports terrestres, estimait en 1999 que ce fonds devrait répondre à un besoin essentiel, à savoir le développement de nouvelles infrastructures. Il regrettait qu'il ait été détourné de son objet pour compenser les défaillances du budget des transports terrestres. Entre 1996 et 1999, l'effort consenti par l'Etat pour les investissements dans le domaine des routes et des transports terrestres a en effet diminué de 1,3 milliard de francs, alors que la création d'un compte spécial du trésor avait pour justification la nécessité d'augmenter les moyens.
* 16 « L'investissement public en France : bilan et perspectives », M. Charles Demons, novembre 2002.