C. 1997-2002 : LA REMISE EN CAUSE DES INVESTISSEMENTS DE TRANSPORTS

Le désengagement de l'Etat, parallèlement aux efforts croissants des collectivités locales, s'est accompagné d'une remise en cause des besoins en infrastructures de la France, remise en cause qui a atteint son paroxysme dans le souhait de découpler la croissance économique de la croissance de la demande de transports.

En réalité, la demande de transports ne cesse de croître, du fait de la mobilité des personnes, de l'intensification des échanges liée à la construction et bientôt à l'élargissement de l'Union européenne. Le débat ne peut dès lors porter que sur l'arbitrage entre les modes de transports (route, fer, fluvial, maritime) selon leurs avantages socio-économiques et environnementaux, mais la négation de la croissance économique ne peut servir de base à une politique d'infrastructures.

Comme l'a souligné la commission d'enquête du Sénat en 1998, « les nouvelles orientations de la politique des transports du gouvernement ont, par leur ambiguïté, suscité un certain trouble dans l'opinion en général et dans notre Haute-Assemblée, en particulier .

« Dans le domaine routier, un certain nombre de liaisons autoroutières prévues au schéma directeur ont été remises en cause .

« En matière de transports ferroviaires, les grands projets de création de lignes à grande vitesse (achèvement du TGV Méditerranée, du TGV Rhin-Rhône, et du TGV Atlantique) n'ont fait l'objet d'aucun engagement chiffré ni d'aucun calendrier précis.

« Dans le domaine fluvial, l'abandon du canal Rhin-Rhône, décidé sans que soit modifiée la loi d'orientation du 4 février 1995 qui disposait que ce projet devait être réalisé en 2010, a pu traduire, aux yeux de certains, une forme de mépris à l'égard de la loi et donc de la représentation nationale » 11 ( * ) .

1. La philosophie des schémas de service

La loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT), a prévu que les anciens schémas sectoriels sont remplacés par des schémas de services, établis par l'Etat à un horizon de vingt ans, dans le cadre d'une concertation conduite à l'échelle régionale.

Depuis leur approbation par décret en date du 18 avril 2002, les schémas de services collectifs de transports se substituent donc aux schémas directeurs mono-modaux consacrés au fer ou à la route.

Les actions inscrites dans les schémas de services de transport sont fondées sur cinq axes stratégiques multimodaux qui concernent particulièrement les liaisons ferroviaires :

1. Le développement des liaisons internationales de voyageurs, notamment par le développement des services ferroviaires rapides européens.

2. L'organisation multimodale du transport de fret à l'échelle nationale et européenne, avec un objectif de doublement minimum du fret ferroviaire à l'horizon de dix ans.

3. Le bon fonctionnement des grands corridors de transport internationaux, notamment les axes qui connaissent aujourd'hui une forte concentration des flux les plus importants : Belgique-Paris-Bordeaux-Espagne, Allemagne-Lyon-Marseille, l'arc méditerranéen.

4. L'organisation multimodale des liaisons transalpines et transpyrénéennes, en donnant la priorité aux transports ferroviaires et au cabotage maritime.

5. L'organisation des déplacements urbains et périurbains, en accordant une priorité absolue au développement des transports collectifs et aux autres modes alternatifs à l'usage des véhicules individuels à moteur.

Dans le cadre des objectifs décrits précédemment, les schémas de services proposent un certain nombre d'investissements. Pour ce qui est des transports ferroviaires, les investissements prévus sont les suivants :


lignes nouvelles à grande vitesse Languedoc-Espagne, Rhin-Rhône, Lyon-Turin, Tours-Bordeaux, et Le Mans vers Rennes et Angers,


constitution progressive d'un réseau trans-européen de fret ferroviaire (RTEFF) contournement ferroviaire fret de Lyon,


lignes nouvelles mixtes Lyon-Turin et Nîmes-Montpellier,


aménagement d'itinéraires ferroviaires alternatifs tels que Le Havre-Rouen-Amiens-Reims-Dijon, Belgique-Longwy-Toul, Clermont-Béziers, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse-Narbonne,


organisation d'un service performant de transport combiné à l'échelle européenne, avec un réseau structurant de terminaux d'échanges multimodaux,


nouveaux itinéraires ferroviaires pour les liaisons transalpines et transpyrénéennes , et notamment, pour les liaisons transalpines, nouvel itinéraire ferroviaire mixte pour le fret et les voyageurs,


aménagement d'infrastructures ferroviaires périurbaines des grandes métropoles et des réseaux de villes, en particulier ceux de Lille, Metz-Nancy, Strasbourg, Mulhouse-Bâle, Lyon, Marseille, Cannes-Nice, Nîmes-Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Nantes-St. Nazaire, Caen-Rouen-Le Havre, Orléans-Blois-Tours.

Pour ce qui est du mode routier, les investissements prévus sont les suivants :


optimisation de la capacité des voies existantes avec la mise en place des plans de gestion du trafic (PALOMAR),


aménagements d'itinéraires alternatifs aux principaux axes congestionnés : prolongement vers la Belgique de l'autoroute A 34 Reims-Charleville, réalisation d'une autoroute entre Amiens et la Belgique,


investissements de capacité ou contournements d'agglomérations destinés aux flux de transit : contournements de Strasbourg, Lyon, Montpellier, Bordeaux ...


• développement de systèmes d'information routière et de gestion du trafic des réseaux de voies rapides dans les grandes agglomérations sujettes à congestion, développement de contournements urbains routiers.

Ainsi, les schémas de services transport se contentent de reprendre les opérations autoroutières prévues au SRDN de 1992 à l'exception de quelques projets, sans que les calendriers de réalisation soient pour autant modifiés, et rien n'est véritablement précisé pour les nouvelles liaisons autoroutières.

Quant au programme ferroviaire, il est ambitieux mais rien n'est dit sur ses modalités de financement. Or, les projets de lignes à grande vitesse inscrits ou envisagés dans le cadre des schémas de services représentent un investissement global de l'ordre de 25,91 milliards d'euros.

Dans son rapport au nom de la délégation à l'aménagement du territoire du Sénat, votre rapporteur spécial a fortement critiqué les schémas de services de transports, en raison de l'absence de schéma d'infrastructures et surtout de l'absence d'évaluation financière.

« Sur la crédibilité même du document, votre rapporteur a procédé à un constat majeur : le schéma ne présente aucune vision sur la France des transports en 2020.

« L'absence de schéma d'infrastructure ne peut que décrédibiliser l'ensemble.

« En second lieu, le document ne propose aucun schéma financier. On relève ainsi :

« - l'absence de toute évaluation financière des orientations proposées ;

« - l'absence de référence aux moyens budgétaires de l'Etat alors que dans le même temps, le schéma fait appel au co-financement systématique des infrastructures de transport par les collectivités territoriales 12 ( * ) ».

2. L'annonce symbolique d'un rééquilibrage entre le rail et la route

Ces dernières années ont été marquées par un discours politique volontariste sur le fret ferroviaire.

Le développement du fret ferroviaire, du transport combiné et plus généralement de l'intermodalité était le principal mot d'ordre du précédent gouvernement en matière de transport, et il avait fixé un objectif de trafic de 100 milliards de tonnes-kilomètre en 2010 pour le fret ferroviaire.

L'objectif de croissance du transport combiné rail-route était l'un des points forts de la politique globale de développement durable des transports visant au rééquilibrage de l'offre de transport en faveur des modes plus respectueux de l'environnement et de la sécurité.

Votre rapporteur spécial a eu à plusieurs reprises l'occasion d'affirmer son soutien à une politique visant au rééquilibrage des modes de transports. Il en constate cependant l'échec ces dernières années.

En effet, en ce domaine, les résultats de l'entreprise SNCF, les moyens budgétaires et les investissements en infrastructure ont été en flagrante contradiction avec les déclarations du précédent gouvernement, qui, pendant cinq ans, dans une période de croissance des échanges, n'a réalisé aucun progrès en matière de développement du fret ferroviaire.

Au contraire, le transport par fret ferroviaire s'est affaibli et la part du rail a décru dans le transport de marchandises.

L'année 2001 s'est caractérisée par une baisse du volume de trafic de 9 %, en raison, tout d'abord, du ralentissement de l'activité économique qui a particulièrement affecté le transport des marchandises, mais surtout de l'impact des grèves menées au printemps et des problèmes de qualité des prestations qui ont contribué à la baisse des trafics. Ainsi, en 2001 on est revenu au niveau de 1990, soit un trafic de 50,4 milliards de tonnes-kilomètre. L'année 2002 a été marquée par une stagnation du trafic de fret.

Au total, comme le souligne le rapport de nos collègues Hubert Haenel et François Gerbaud 13 ( * ) , depuis 1974, le fret ferroviaire français, qui représentait alors 46 % du volume des marchandises transportées, a connu un déclin se traduisant à la fois par une forte baisse des trafics, une chute régulière des recettes et des parts de marché (quasiment un point par an). Le mode ferroviaire ne transporte plus aujourd'hui en France que 20% de volume des marchandises.

L'évolution récente montre un infléchissement très net du fret ferroviaire parfaitement contradictoire avec l'objectif de doublement annoncé par le précédent gouvernement.

Evolution du trafic de fret ferroviaire sur longue période

Il convient donc, tout en poursuivant un objectif résolu d'amélioration du fret ferroviaire, dont notre pays et l'Union européenne ont besoin, de ne pas céder aux illusions faciles . Aucun pays de l'Union européenne n'est pour le moment parvenu, et l'on pourrait même dire n'est sur le chemin, d'un rééquilibrage des modes de transport.

3. L'illusion du « découplage » entre la croissance et la demande de transports

Au-delà de l'approche légitime consistant à développer une analyse multimodale du développement des infrastructures de transports, incluant la recherche d'un rééquilibrage entre la route et le rail, la nécessité même d'investir dans les infrastructures transports a été remise en cause par le précédent gouvernement.

Au niveau européen, le Livre blanc de la commission européenne sur les infrastructures de transports , publié en septembre 2001, a envisagé le « découplage » entre la croissance et les transports. Le récent rapport de la DATAR, sans reprendre à son compte cette notion, estime que la France est « équipée », que ses besoins en infrastructures devraient logiquement se réduire. En matière d'investissements en infrastructures, notre pays ne serait devancé que par des pays en retard d'équipement (Espagne, Portugal) ou qui ont décidé de consacrer un effort important au fer (Suède, Allemagne).

Tout en gardant à l'esprit la prédominance du mode routier, et ses implications, notamment en termes d'infrastructures, votre rapporteur spécial est favorable à soutenir les modes alternatifs comme le transport fluviomaritime ou encore le transport ferroviaire, pour la raison même qu'il est aujourd'hui particulièrement faible, notamment pour le transport de marchandises.

Votre rapporteur spécial estime que l'idée de découpler l'évolution des modes de transports de la croissance économique n'est pas tenable : l'arrêt de l'investissement conduirait à affaiblir la croissance économique en créant des dysfonctionnements et des engorgements.

* 11 « Fleuve, rail, routes : pour des choix nationaux ouverts sur l'Europe » - n° 479 (1997-1998) - Sénat - M. Jean François-Poncet, président, M. Gérard Larcher, rapporteur.

* 12 « Les schémas de services collectifs : l'avis de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire », rapport d'information n° 395 (2000-2001).

* 13 « Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail ». Rapport de mission de MM. Hubert Haenel et François Gerbaud - février 2003.

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