C. GARANTIR L'EXISTENCE DE LA FILIÈRE NON-OGM
1. Une coexistence nécessaire
Le rapport du Commissariat général au Plan avait bien montré 146 ( * ) le caractère peu réaliste, dans le contexte européen et national, des deux hypothèses extrêmes de diffusion des OGM : l'interdiction totale d'une part, la banalisation totale de l'autre.
Votre rapporteur souhaite insister sur l'importance de l'agriculture biologique . Si celle-ci n'occupe que 1,4 % de la surface agricole utile (SAU), elle représente une référence d'un poids bien supérieur dans l'esprit de nos concitoyens. Même ceux d'entre eux qui ne consomment pas de produits de cette filière sont attachés à son existence, vécue comme un élément de liberté de choix du consommateur.
a) L'impossibilité de l'interdiction
Devant ce qu'ils perçoivent confusément comme une menace potentielle, et en l'absence de gains immédiatement perceptibles par les consommateurs, certains se demandent parfois si l'Europe ne pourrait pas tout simplement se passer des OGM. Il s'agit là d'une question très pertinente, que votre rapporteur s'est lui-même posé en abordant le dossier.
Votre commission estime, au terme de sa réflexion et au vu des éléments présentés au chapitre II de ce rapport, que cette voie ne peut être retenue de façon systématique et uniforme. Nous avons un besoin impératif de certains OGM, par exemple dans le domaine de la pharmacie, et beaucoup moins d'autres.
b) Le scénario irréaliste de la banalisation
Certains, interprétant les réactions de plus en plus hostiles aux OGM en Europe comme l'expression d'une peur millénariste, ont imaginé que le problème se résorberait de lui-même et qu'on assisterait à une banalisation des OGM, comme aux Etats-Unis. Dans ce scénario , les OGM ne sont en rien différenciés des autres aliments, et ne sont donc pas étiquetés 147 ( * ) . Votre rapporteur estime qu'une telle évolution est irréaliste, dans le contexte européen et national, pour des raisons culturelles (attention particulière à la qualité et à l'identité des aliments), socio-historiques (moindre degré de confiance dans les institutions de contrôle sanitaire et alimentaire, du fait des scandales et crises des années 1980-1990) et politiques (sensibilisation de l'opinion publique depuis plusieurs années sur la question des OGM).
2. Une coexistence possible...
Votre commission estime totalement inenvisageable d'imposer les OGM à la société. Cela implique que les cultivateurs d'OGM respectent les bonnes pratiques évoquées plus haut, notamment le respect des distances d'éloignement des cultures OGM et non-OGM.
Il est vraisemblable que les OGM ne se développeront pas dans certaines régions. Cela pourra parfois s'expliquer par des raisons économiques, à savoir que dans les zones de petites exploitations, leur apport serait peut-être faible ou nul. Mais le cantonnement des OGM dans certaines régions pourrait aussi se justifier par la difficulté à implanter ces cultures dans certaines zones où les agriculteurs choisiront de se consacrer très majoritairement aux cultures conventionnelles ou bio, comme l'indiquait le rapport du Commissariat général au Plan 148 ( * ) .
Votre rapporteur estime que la coexistence des filières est possible , pour peu que soient établies et respectées des procédures permettant de limiter la présence fortuite d'OGM dans les cultures conventionnelles et bio, et qu'une indemnisation des producteurs soit prévue dès lors qu'une présence fortuite ferait baisser la valeur de leur production 149 ( * ) .
3. ... avec un coût à prendre en compte
La question du coût de la coexistence de deux (OGM/non-OGM) ou trois filières (OGM/conventionnelle/bio) est très délicate à trancher, car il s'agit d'une équation à plusieurs inconnues.
a) L'impact décisif des seuils
Le principal facteur déterminant est le niveau des seuils de présence fortuite admise. La seule certitude en la matière est que le « seuil zéro » 150 ( * ) est impossible dans une situation de coexistence des filières. La revendication actuelle de l'agriculture bio en France de ce seuil zéro correspond donc de facto à un refus de toute culture OGM sur le territoire.
Il est intéressant de noter que les coûts de ségrégation croissent logiquement à l'inverse du seuil de tolérance, mais de façon exponentielle. Un second élément à garder à l'esprit est que les seuils des produits finis en conditionnent d'autres. En effet, pour atteindre un objectif de présence fortuite dans le produit fini, il importe d'être à un niveau de présence de plus en plus faible au fur et à mesure que l'on remonte la chaîne de production, puisque l'on peut imaginer qu'à chaque étape, la part irréductible de présence fortuite vient s'ajouter dans le produit. Les seuils actuellement discutés au niveau communautaire, de 0,9 % pour le produit fini, signifient donc que ses ingrédients respectent un seuil encore inférieur.
La question des seuils se négocie au niveau communautaire, ce qui est logique dans un marché unique, mais pose des problèmes politiques dans la gestion du dossier. Cette situation interdit en effet des positions radicalement différentes selon les pays, si bien qu'en définitive, la question sera tranchée à la majorité. Il importe de conserver cet élément à l'esprit.
b) L'équilibre OGM/non-OGM
Il va de soi que la situation, en matière de coexistence, sera fort différente selon que les deux filières seront d'un poids équivalent ou que l'une d'entre elles sera largement dominante. Dans le cas d'un rapport déséquilibré, une spécialisation géographique pourrait éventuellement réduire une partie des coûts de ségrégation des filières. En revanche, une situation d'équilibre obligerait à doubler toutes les infrastructures de production et transformation, ce qui représenterait un coût très important.
Toutefois, des éléments contraires jouent aussi : une production de masse des deux filières limiterait les coûts d'acheminement au consommateur du produit qu'il désire. En tout état de cause, cette deuxième variable est d'interprétation plus difficile que la première, sur laquelle votre rapporteur souhaite maintenant insister.
* 146 Op. citatum, p.170 et sq.
* 147 Le principe, aux Etats-Unis, est de ne pas différencier les produits dès lors qu'existe une équivalence en substance, c'est-à-dire que le produit ne comporte pas de différences substantielles pour le consommateur : seul le résultat final compte, pas la façon dont on y est parvenu. Au contraire, l'approche européenne consiste, en matière d'OGM, à fonder le traitement différent sur la nature du processus de production, et non sur son résultat.
* 148 Op. citatum, p. 177 : « le choix OGM/non-OGM n'a pas de raisons d'être universel à l'échelle d'un pays, ni générique pour tous les produits ». Ce même rapport relevait toutefois que les opérateurs français semblaient « très sceptiques quant à la possibilité d'arriver à une (...) réponse collective » telle que cette forme de « planification territorialisée ».
* 149 Cf. infra E.
* 150 Dit aussi « zéro technique », car il est conditionné par la puissance d'analyse des instruments de contrôle. En réalité, il est actuellement de l'ordre de 0,1 %.