II. LA QUESTION DE L'INTÉGRATION VERTICALE

Le processus d'intégration verticale observé ces dernières années, et dont Vivendi Universal a été en France l'exemple à la fois le plus spectaculaire et le plus malheureux, va bien au delà de la seule filière cinéma puisqu'il associe aux métiers de ce secteur, l'exploitation de chaînes de télévision, la création de jeux vidéo, l'édition musicale, les développements d'Internet, voire tout un ensemble d'activités qui n'ont en commun que les économies d'échelle que l'intégration est susceptible de favoriser, depuis la gestion d'infrastructures de diffusion, jusqu'à la création de parcs de loisirs ou la propriété de clubs sportifs.

Dans un premier temps, les réactions devant la constitution de ces groupes intégrés ont été partagées.

Des professionnels se sont inquiétés des risques de position dominante, mais d'autres ont considéré qu'il s'agissait là d'un phénomène inévitable, les groupes intégrés étant les seuls à pouvoir disposer des moyens financiers nécessaires pour gérer les incertitudes industrielles et commerciales liées à l'évolution des techniques et des marchés.

A partir du moment où les principales firmes américaines s'engageaient dans cette voie, il paraissait difficile d'exclure que les entreprises européennes - et notamment françaises - fassent de même.

Cette transformation des entreprises semblait d'ailleurs, pour certains, pouvoir contribuer au développement du cinéma en incitant des groupes, qui ont naturellement tendance à privilégier les contenus fédérateurs à fort potentiel de diffusion, à établir des relations stables de partenariat avec des entreprises indépendantes, innovantes. Elle paraissait de même être l'occasion de constituer des majors européennes qui auraient pu servir d'appui à la diffusion de la production européenne.

Les choses n'ont pas évolué dans ce sens : les groupes européens se sont associés à des entreprises américaines plus puissantes qu'eux, contribuant ainsi à accroître les déséquilibres des échanges audiovisuels entre l'Europe et les Etats-Unis, et non à construire l'espace audiovisuel européen.

Un consensus assez général se dégage aujourd'hui pour considérer que les pouvoirs publics ne peuvent pas se désintéresser de cette question, et qu'il est indispensable d'encadrer le processus d'intégration verticale.

La régulation à envisager doit concerner l'ensemble des activités cinéma des groupes intégrés, et se déployer en fonction d'objectifs qui relèvent à la fois du droit de la concurrence et de la politique culturelle :

• Eviter qu'un opérateur détiennent un pouvoir de marché excessif

• Préserver l'autonomie éditoriale et la créativité des entreprises indépendantes de production, de distribution ou l'exploitation des films, tout en permettant le cas échéant, leur adossement à des groupes financiers plus solides (à l'image de ce qui existe aux Etats Unis).

Mais elle doit aussi prévoir les recours possibles en cas de crise :

• Limiter le risque que des difficultés rencontrées par un des ces groupes, dans un de ses pôles de diversification, mettent en danger non seulement ses propres filiales cinéma, mais aussi l'ensemble de leurs partenaires.

• Faire en sorte que la France garde le contrôle de son patrimoine cinématographique, quelles que soient les fluctuations de la structure capitalistique des groupes qui détiennent les catalogues

Le débat autour de l'intégration verticale, tel qu'il se développe actuellement, peut sembler rappeler celui du début des années 80. Ce n'est pas le cas.

A l'époque des voix s'étaient élevées, face à la puissance des trois grands groupes cinématographiques : Gaumont, Pathé et UGC, pour réclamer l'adoption d'une législation anti-trust, calquée sur le « décret Paramount » de 1948 qui, aux Etats-Unis, avait imposé la séparation entre les activités de production et de diffusion.

Cette mobilisation résultait pour une large part des tensions liées à la diminution continue du nombre des entrées et au poids croissant que prenaient ces trois groupes dans la production et dans l'exploitation des films.

Une mission de réflexion et de proposition sur ces questions avait été confiée à Jean Denis Bredin. Son rapport, remis au Ministre de la Culture en novembre 1981, distinguait deux types de risques : le risque que l'intégration verticale réduise le pluralisme et la diversité de la création ; le risque que les groupes intégrés privilégient la distribution et l'exploitation des films produits en interne au détriment de la production indépendante.

Sans méconnaître la réalité de ces risques, le rapport Bredin se refusait à préconiser la séparation entre les activités de production, de distribution, et de diffusion, mais estimait que la libre activité des groupes devait avoir pour contrepartie un certain nombre d'engagements vis à vis des indépendants.

La situation actuelle est aujourd'hui différente pour trois raisons :

• Le processus d'intégration verticale, comme le mouvement de concentration, a pris une dimension internationale, dans une logique souvent plus financière qu'industrielle.

• Les activités cinématographiques, et en premier lieu la production, ne constituent qu'un aspect (généralement le moins rentable) des activités des groupes intégrés d'aujourd'hui. Le risque est alors que ce pôle se retrouve sacrifié au profit d'autres secteurs réputés plus stratégiques.

• Les moyens de régulation dont disposent le CNC ou le CSA ne sont pas adaptés à la nouvelle configuration du secteur audiovisuel.

Le Code de l'industrie cinématographique prévoit qu'une entreprise ne peut exercer d'activité dans une des branches de l'industrie du cinéma, sans une autorisation délivrée par le Directeur général du CNC 119 ( * ) . Ce dispositif ne vise pas à réguler la concurrence. Il n'envisage pas la séparation des métiers entre entités juridiquement distinctes. Il ne s'oppose ni au cumul des autorisations, ni à la concentration des activités ou des entreprises.

La réglementation du secteur de la communication audiovisuelle, en revanche, introduit un ensemble de limitations, plus d'ailleurs pour des raisons de pluralisme que pour des raisons de concurrence : en matière de concentration horizontale (limitation du nombre des autorisations pour une entreprise donnée), et en matière d'intégration verticale (obligation des diffuseurs à affecter l'essentiel de leurs commandes à des producteurs indépendants 120 ( * ) ). Mais elle ne concerne que les activités de télévision. 121 ( * )

Une concertation semble dès lors devoir être engagée à l'initiative des pouvoirs publics, associant les instances chargées de la concurrence et les organismes professionnels.

Elle devrait se donner un double objectif :

• Evaluer la nature et l'importance des risques liés aux différentes modes d'intégration verticale à l'oeuvre actuellement.

• Etudier la forme que pourrait prendre la régulation dans ce domaine, entre l'autorégulation et le contrôle externe: limiter la part qu'un groupe peut détenir dans le capital d'un distributeur, ou d'un producteur ? élargir les compétences du médiateur du cinéma ? créer une instance de régulation sectorielle?

Compte tenu des pressions exercées par la Commission européenne, cette concertation devrait s'accompagner d'une réflexion plus théorique, permettant à la France de conforter ses prises de position concernant la diversité culturelle et le principe de la subsidiarité des politiques nationales dans ce domaine, par une argumentation technique cohérente avec le droit de la concurrence tel qu'il s'élabore dans les instances internationales.

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Les adaptations indispensables du dispositif financier et réglementaire existant sont à envisager dans un contexte caractérisé par une mutation des technologies et une internationalisation des marchés.

Elles doivent viser à préserver la diversité du cinéma français, son dynamisme, sa capacité à se renouveler. Mais elle doivent aussi contribuer à le rapprocher davantage de son marché et de son public, et à créer les conditions d'une meilleure valorisation du potentiel de production et de création qu'il représente.

* 119 Les conditions de délivrance de cette autorisation ont été fixées par une décision réglementaire de mars 1948.

* 120 Cette obligation s'accompagne de dispositions, qui peuvent apparaître trop rigides , et qu'un certain nombre de producteurs indépendants voudraient pouvoir moduler, comme celle qui concerne la limitation des mandats. Des dérogations devraient dans ce cas pouvoir être accordées par une instance de médiation

* 121 Le souci de préserver la diversité des entreprises et le pluralisme des contenus dans le secteur de la télévision, exprimé dans la Directive « télévision sans frontière », est présent dans la réglementation de la plupart des pays européens. Les réponses données varient d'un pays à l'autre, qu'il s'agisse des seuils anti-concentration (seuil capitalistique comme en France, ou part de marché comme en Grande -Bretagne ou en Allemagne), ou des dispositifs mis en place pour garantir le pluralisme (contrôle interne en Grande-Bretagne ou en Allemagne ; contrôle externe en France).

Dans d'autres domaines, comme la presse ou l'édition, la garantie de pluralisme et de diversité repose sur une combinaison d'autorégulation, de régulation sectorielle, et d'interventions publiques.

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