TROISIÈME
PARTIE
CONCLUSION ET PROPOSITIONS
Le principal atout du cinéma français tient à sa diversité , c'est à dire à sa capacité d'adaptation et de renouvellement face aux multiples évolutions, technologiques ou économiques, qui affectent le cinéma au niveau mondial.
Cette diversité résulte d'un ensemble d'équilibres qu'il est dès lors essentiel de préserver :
• Equilibre au stade de la production, entre le cinéma d'auteur et le cinéma commercial, entre les productions 100% françaises et les coproductions ;
• Equilibre au stade de la distribution entre les entreprises intégrées et les entreprises indépendantes
• Equilibre au stade de l'exploitation, entre le cinéma américain et le cinéma européen.
Sa principale faiblesse résulte d'une valorisation insuffisante de ce potentiel.
• Valorisation insuffisante de la production cinématographique : près de 1300 films français ont été produits entre 1995 et 2001 : 700 ont obtenu moins de 25.000 entrées. Plus de la moitié des films français produits ces dernières années n'a jamais été diffusée sur une chaîne de télévision en clair.
• Valorisation insuffisante des compétences techniques et artistiques développées dans le cinéma, dans les autres secteurs de la communication audiovisuelle. Si la France est le premier pays d'Europe pour la production cinématographique, elle n'est que le cinquième pays d'Europe pour la fictions TV, avec 553 heures produites en 2001, derrière l'Allemagne (1.800 heures), la Grande-Bretagne (1.463 heures), et même derrière l'Espagne (1.306 heures) ou l'Italie (761 heures) 113 ( * ) .
Les évolutions en cours tendent à bouleverser ces équilibres et à accentuer ces faiblesses, à travers un double mouvement : la concentration croissante des ressources disponibles sur les films les plus chers ; l'intégration verticale et l'internationalisation des entreprises autour des grands groupes de communication.
I. LA QUESTION DU FINANCEMENT
La réflexion engagée récemment la demande du gouvernement concerne à juste titre le financement : c'est sur cette question d'abord que s'est exprimée l'inquiétude des professionnels et, quels que soient les autres ajustements à apporter au système de soutien, il est nécessaire d'éviter un décrochage financier qui mettrait en péril l'existence de pans entiers de la production, de la distribution et de l'exploitation cinématographiques.
Cela posé, les ressources nouvelles potentiellement mobilisables du côté des opérateurs de télévision et des éditeurs vidéo pour alimenter le compte de soutien, même complétées par la création de fonds régionaux ou le déplafonnement des Soficas, représentent des masses financières d'un volume limité. Elles apparaissent d'autant plus insuffisantes pour peser, à elles seules, sur les évolutions en cours, qu'elles seront en partie absorbées par l'inflation des coûts, qu'elles contribuent de ce fait à entretenir.
Il semble dès lors souhaitable d'inciter les professionnels à accompagner les mesures qui seront prises pour élargir et diversifier les financements du cinéma, par le réexamen d'un certain nombre de dispositions, notamment celles qui concernent l'utilisation du compte de soutien . Même si chacun sait que les réformes en ce domaine ne seront pas faciles à mettre en oeuvre.
Ainsi, il ne serait pas absurde d'envisager de moduler une partie du soutien automatique, en la bonifiant en fonction des conditions de son affectation, lorsque cette affectation correspond à un des objectifs économiques ou culturels posés par les Pouvoirs publics 114 ( * ) . Par exemple, si l'un de ces objectifs concerne le renforcement de la production indépendante, la part du soutien automatique mobilisé par un groupe intégré sur une production nouvelle, pourrait être bonifiée si cette production est portée par un producteur indépendant.
Plus généralement, le clivage de plus en plus marqué entre l'économie des films chers à vocation commerciale et celle des films d'auteur à petit budget devrait conduire à explorer des modes d'intervention spécifiques.
1. Inciter les investisseurs à participer au financement du cinéma commercial 115 ( * )
Les possibilités de plus value des investissements dans le cinéma justifient la mise en place de mesures visant à associer de nouveaux partenaires financiers à la production et à la distribution des films, et à encourager la prise de risque commercial.
Les faiblesses du cinéma français sont en effet dues, pour une large part, à ce qu'il est financé en vase clos. Les préfinancements accessibles auprès des chaînes de télévision et du CNC permettent à des producteurs qui disposent de peu de fonds propres de n'avoir à prendre que des risques financiers limités, en se contentant d'une rentabilité réduite. Ce qui, en cas de sous-financement, aboutit à sacrifier des dépenses pourtant essentielles, dans le développement, la réalisation et l'exploitation du projet. Or ce sont ces postes qui, pour un investissement relativement faible au regard du coût de la production, contribuent de manière déterminante au succès d'un film 116 ( * ) .
Sortir d'une logique de préfinancement, c'est à dire non pas minimiser les risques mais maximiser les perspectives de profit en finançant un film en fonction de son potentiel commercial, suppose l'intervention d'investisseurs.
Un telle intervention n'est pas seulement nécessaire pour compenser le tassement attendu des apports financiers de la télévision dans le financement de la production, ou pour éviter que la tendance des chaînes à « produire pour la télévision » réduise progressivement la diversité et la créativité du cinéma français, au profit des standards dominants du moment. Elle constitue un moyen de rapprocher l'industrie cinématographique française du marché, et de l'adapter aux nouvelles perspectives de développement du secteur.
L'enjeu n'est pas de faire basculer l'ensemble de la production cinématographique dans une logique de rentabilité commerciale. Ce n'est ni possible, ni souhaitable. Il s'agit de mieux valoriser ce qui peut l'être.
Les propositions concernant la réforme et la modernisation du régime des Soficas, ainsi que la possibilité de faire migrer une partie de leurs financements vers l'amont (l'écriture) et vers l'aval (la distribution), vont dans ce sens.
D'autres mécanismes, accompagnés ou non d'incitations fiscales, sont sans doute aussi à étudier sur la base des expériences étrangères :
• L'extension au secteur audiovisuel de dispositifs qui existent déjà dans d'autres secteurs liés à l'innovation technologique , permettant aux entreprises de disposer de fonds propres suffisants pour développer leur activité sur plusieurs années, à l'image de se qui se pratique dans de nombreux pays étrangers, comme la Grande -Bretagne.
• La mise en place, sous le contrôle éventuel de l'IFCIC, de nouveaux produits financiers, comme des fonds communs de placement indexés sur les résultats de l'exploitation en salle, des fonds de capital-risque finançant le développement des projets ou les frais de sortie, ou des fonds d'investissement intervenant dans le financement des droits de second marché au delà de ce qui est aujourd'hui financé par les diffuseurs et les Soficas, ...
Une telle action pourrait s'appuyer sur les dispositions prises récemment par la Banque européenne d'investissement à l'initiative de la Commission européenne, en faveur de l'investissement dans l'audiovisuel et les nouvelles technologies.
• Enfin, il faut poser de manière claire la question de savoir si, à partir du moment où l'on veut élargir le financement de la production, il n'est pas opportun d'ouvrir l'accès au compte de soutien aux filiales françaises des sociétés étrangères, américaines en particulier, quand elles produisent des films français 117 ( * ) . Cette question, évoquée de façon récurrente par les professionnels, se pose dans des termes nouveaux dans une période où on assiste à une délocalisation croissante de la production américaine 118 ( * ) .
2. Définir des politiques spécifiques de soutien aux films qui n'ont pas vocation à se situer d'emblée dans un projet commercial.
Le cinéma de création représente une composante essentielle du cinéma français. Il est un des principaux vecteurs de l'influence culturelle de la France à l'étranger. Il constitue aussi l'espace où se forment les réalisateurs du cinéma grand public de demain.
Cette position apparaît aujourd'hui fragilisée, en premier lieu par des insuffisances de financement - non pour produire des films, mais pour les produire dans des conditions cohérentes. Mobiliser des ressources alternatives pour le cinéma commercial, permettrait de libérer plus de moyens pour l'innovation et la prise de risque artistique.
Mais le principal problème rencontré par ce type de films est celui de leur exposition. Ce problème peut être abordé à trois niveaux :
• Celui de la diffusion télévisée. Arte, en France, comme la BBC ou Channel Four en Grande Bretagne, ont développé une politique de production alternative pour la création cinématographique, qui repose sur la diffusion à la télévision, mais qui n'exclut pas une présentation dans les festivals de cinéma, voire une exploitation en salles, quand elle se justifie. L'importance des enjeux dans ce domaine, doit conduire à engager un débat entre les professionnels sur la question de savoir si le moment n'est pas venu d'introduire des possibilités de dérogation dans la chronologie des médias, en fonction de la nature et des conditions d'exploitation des films.
• Celui de l'exploitation en salle. Il serait souhaitable d'encourager les exploitants à s'engager auprès des distributeurs sur des durées minimales de présentation des films, éventuellement en partenariat avec des collectivités locales ou avec des fondations et, plus généralement, de favoriser la mise en place de dispositifs permettant à des films qui ont eu une exposition limitée lors de leur sortie dans les salles commerciales, de trouver leur public autrement (centres culturels ; circuits universitaires..).
• Celui de l'exploitation en DVD. Les nouvelles formes d'édition vidéo représentent, à plus ou moins long terme, une possibilité d'accès au public pour des films marginalisés par les contraintes de l'exploitation en salles, voire par celle de la diffusion télévisée. Encore faut-il que se soit préalablement mise en place la logistique de distribution et de commercialisation indispensables. Les entreprises concernées par cette activité de niche trouveront difficilement leur équilibre économique si elles ne bénéficient pas d'un soutien des pouvoirs publics dans la phase actuelle d'émergence du marché.
* 113 Observatoire européen de l'audiovisuel / la production de fiction en Europe, en 2001.
* 114 Inversement, introduire des possibilités de bonification pour le soutien automatique, justifierait d'envisager avec les professionnels un plafonnement de ce soutien pour les films à budget élevé. Il n'est pas anormal que les producteurs fassent le choix d'engager des dépenses considérables pour s'assurer la participation d'un comédien à forte notoriété, ou financer des effets spéciaux particulièrement spectaculaires. Il n'est pas absurde que les diffuseurs acceptent de participer à leur financement, s'ils considèrent que ce coût est justifié. Mais est-il légitime que la totalité de ces dépenses relève d'une aide automatique du CNC ?
* 115 Dans l'approche qui est exposée ici, un film commercial est un film qui est considéré comme tel par ceux qui investissent dans sa production.
* 116 En règle générale, l'investissement d'une chaîne de télévision et les aides du CNC assurent la plus grosse partie des besoins de financement. C'est au financement de la partie complémentaire, à risque élevé mais à fort rendement potentiel, qu'il importe d'intéresser des investisseurs. A chaque fois les sommes en jeu sont marginales par rapport au coût de la production ; à chaque fois, les profits à en attendre sont sans commune mesure avec les dépenses à engager.
* 117 Dans l'état actuel de la réglementation, l'entreprise de production doit, pour bénéficier du soutien, être établie en France et ne pas être contrôlée , directement ou indirectement par des personnes physiques ressortissantes d'Etats non européens, ou par des personnes morales établies sur le territoire d'Etats non européens.
* 118 Les majors américaines ont de plus en plus tendance à choisir des lieux de tournage hors Etats Unis, voire à créer des filiales locales, au gré des opportunités sociales, financières ou fiscales. Il n'est pas inutile de rappeler que les avantages fiscaux du système allemand des fonds de placement ont permis à Hollywood de collecter en 2001 quelques 2 milliards de dollars auprès des investisseurs d'outre-Rhin, à côté desquels les 25 millions d'euros mobilisées par les Soficas françaises pour financer les productions nationales représentent objectivement peu de choses.