II. AUDITIONS DU MERCREDI 10 AVRIL 2002
M. Nicolas ABOUT, président - La première journée du 27 mars dernier qui a été consacrée à l'audition de ce que nous appelons les « personnalités qualifiées », nous avait surtout permis d'entendre un certain nombre d'auteurs de rapports sur le handicap.
Nous abordons aujourd'hui le thème de l'accès à la vie quotidienne : insertion scolaire, insertion professionnelle, accès à la culture, accessibilité en général et notamment aux transports publics. L'accessibilité aux transports publics constitue un point essentiel car il n'y a pas d'accessibilité nulle part sans possibilité de transport.
Je vous rappelle que ces auditions font l'objet d'une retransmission audiovisuelle sur la chaîne parlementaire en différé et que leur compte rendu intégral sera également publié en annexe du rapport d'information que la commission publiera fin juin début juillet dans le cadre de sa réflexion sur la nécessaire réforme de la loi de 1975.
Pour commencer cette journée très importante, nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Louis Brison, qui est chargé de mission auprès du ministre de l'Education. Vous êtes, Monsieur, Conseiller à l'intégration scolaire des enfants handicapés auprès du ministre de l'Education. Notre commission, au moment de dresser un bilan de la politique en direction des personnes dites handicapées, ne pouvait bien sûr ignorer cette question de la scolarisation. Je vous rappelle qu'il y a quinze jours, le professeur Fardeau indiquait ici même que l'intégration dans l'école ordinaire lui paraissait le point-clé de la réforme. Mais nous en connaissons aussi les limites et les difficultés, comme des exemples récents l'ont montré avec force. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre sur ce sujet particulièrement important. Peut-être pourriez-vous, dans un propos liminaire, présenter ce que sont vos responsabilités, avant de répondre aux questions que notre rapporteur ne manquera pas de vous poser, afin de rendre ce débat le plus vivant possible pour les téléspectateurs.
A. AUDITION DE M. JEAN-LOUIS BRISON , CHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE
M. Jean-Louis BRISON - Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité ce matin à exposer devant vous un certain nombre des lignes de force de la politique du ministre de l'Education nationale sur le plan de l'intégration scolaire, qui est effectivement pour nous un sujet éminemment sensible et important. Les lignes de force de cette politique aujourd'hui ont été définies à plusieurs reprises par le ministre de l'Education nationale, notamment dans deux interventions publiques qu'il a été amené à faire. Je n'évoquerai que la deuxième, qui a eu lieu à la Sorbonne le 27 novembre dernier, devant les inspecteurs d'Académies et les directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales, au cours de laquelle le ministre de l'Education nationale a tracé les grands axes de sa politique en matière d'intégration scolaire.
Ces axes sont au nombre de quatre.
Premier axe : amorcer l'intégration scolaire des élèves en très grande difficulté
Il s'agit de rendre irréversible l'intégration des élèves handicapés et des élèves malades dans le second degré. Toute l'histoire du système éducatif nous montre que l'intégration scolaire à partir de la loi de 1909 a été, tout au long du siècle, l'affaire exclusive du premier degré. La culture pédagogique, les moyens et les personnels appartiennent toujours à la culture de l'école et ne sont pas convenablement installés et mis en oeuvre dans les collèges et les lycées. Au nom de la continuité éducative de la classe de maternelle à la classe de terminale et même à l'université, il convient de construire cette continuité.
Deuxième axe : revisiter le premier degré
Ce deuxième axe s'explique par les difficultés que nous pose également le premier degré.
Troisième axe : avoir une politique plus volontariste et plus précise en direction de tous les élèves qui ne sont pas à l'école et qui ne peuvent pas y être, momentanément ou durablement.
La notion d'intégration scolaire ne doit sans doute plus se penser exclusivement en termes de présence à l'école, mais aussi en termes de présence de l'école dans les lieux où se trouvent, momentanément ou durablement, les élèves malades, y compris chez eux.
Dernier axe : transformer l'Education nationale
Il s'agit de transformer cette immense maison en une maison plus claire et plus accessible aux parents. Il y a manifestement un service à rendre à chacune des familles en termes d'accueil, de conseil, d'accompagnement et de prise en charge, qui doit être considérablement amélioré. C'est naturellement une affaire de moyens, de culture et de mentalités. Nous ne sommes plus aujourd'hui dans un traitement de groupe. Il s'agit désormais d'apporter à chacun de ces élèves et à chacune de ces familles, un service différencié et personnel.
M. Nicolas ABOUT, président - Je suis particulièrement sensible au troisième axe, c'est-à-dire la volonté de répondre autrement, par la présence de l'école là où se trouvent les enfants. C'est effectivement un grand défi et nous suivrons avec un grand intérêt la façon dont vous allez y parvenir.
Je laisse à notre rapporteur, M. Paul Blanc le soin de vous poser la première question.
M. Paul BLANC, rapporteur - La mise en place du plan Handiscol remonte à 1999. Aujourd'hui, trois ans plus tard, où en sommes-nous ?
M. Jean-Louis BRISON - Le plan Handiscol, qui a été initié par Mme la ministre déléguée à l'Enseignement scolaire en mars 1999, est un ensemble de vingt mesures organisées en cinq chapitres, qui n'ont pas tous la même intensité et ne se situent pas tous sur le même plan. Par conséquent, ce sont, pour certaines d'entre elles, des réalisations à très court terme, et pour d'autres, des réalisations à plus long terme. Je me propose de vous présenter un panorama de l'ensemble de ces mesures, en sachant que certaines d'entre elles ont été réalisées et que d'autres nécessiteront un travail plus long.
Devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées de janvier 2001, nous avons fait un bilan et avons annoncé que ce plan avait vocation à être évolutif, et donc à intégrer aussi de nouvelles mesures.
Il y a donc cinq ou six mesures nouvelles que je voudrais vous rappeler.
Le premier principe est de réaffirmer le droit et de favoriser son exercice pour les familles en publiant un texte de cadrage sur l'intégration scolaire, ce qui a été fait dès novembre 1999.
Il est aussi apparu prioritaire de revoir et réunifier la réglementation.
En effet, les parents et les professionnels se trouvent devant un maquis de textes et de références qui ne sont pas faciles à débrouiller en raison de redondances et de nombreux recoupements. Enfin, les circulaires d'application de la loi de 1975 se sont égrenées jusque dans les années 1979-1980 et il faut aujourd'hui être expert pour identifier les éléments essentiels. Le rapport de M. Pichon sur l'unification et la révision de cette réglementation d'application de la loi de 1975 a été remis aux deux ministres en octobre 2001. Les conclusions de ce rapport sont venues alimenter nos réflexions sur la loi de 1975 et sur les circulaires que nous sommes en train de préparer sur l'intégration scolaire. La diffusion du guide pratique à l'intention des familles a été effectuée à 75.000 exemplaires en 1999 et nous en sommes à une deuxième édition actualisée en janvier 2002 puisque entre-temps, certaines choses ont évolué. La cellule d'écoute des familles fonctionne en permanence avec un numéro vert au centre national de Suresnes et nous étudions actuellement la possibilité d'installer ce type de dispositif dans les départements.
Il importait également de rapprocher les outils statistiques des deux ministères.
Un groupe de travail entre le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et le nôtre est en train de travailler dans ce domaine. Il s'agit d'un des sujets les plus épineux qui soient que de rapprocher ces outils statistiques, dans la mesure où le domaine du handicap chez les enfants défie la statistique.
M. Nicolas ABOUT, président - Y a-t-il une réelle volonté de le faire ?
M. Jean-Louis BRISON - Oui, les équipes y travaillent depuis maintenant deux ans. Ce point rejoint d'ailleurs un sujet analogue qui est l'uniformité de l'informatisation des Commissions départementales de l'éducation spéciale, que nous devrions normalement obtenir au mois de janvier, après un plan de trois années très difficile à mettre en oeuvre. Je rappelle une incidence importante de la loi de 1975 sur la statistique, puisque la loi confie aux Commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES) le soin de repérer et d'attribuer le statut de handicapé à l'enfant. Il est clair que depuis 26 ou 27 ans s'est installée, dans les cent départements que compte le territoire, d'une commission à l'autre, une sorte de droit local, et parfois coutumier, dans le repérage de ces situations. Il n'est pas certain qu'un même dossier étudié par les commissions d'une région donnée aboutisse aux mêmes conclusions que dans une autre région. Au fil des années, le repérage et la statistique qui en découle s'avèrent donc extrêmement difficiles.
M. Paul BLANC, rapporteur - Avez-vous une idée du nombre d'appels enregistrés par la cellule d'écoute ?
M. Jean-Louis BRISON - Ces appels se chiffrent à peu près à une vingtaine par jour.
M. Paul BLANC, rapporteur - Y a-t-il un coordinateur par département ?
M. Jean-Louis BRISON - Pas pour l'instant.
M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, le nombre d'enfants handicapés non scolarisés est estimé à 40.000. Confirmez-vous ce chiffre ?
M. Jean-Louis BRISON - J'infirme clairement le chiffre de 40.000 et m'en suis d'ailleurs à plusieurs reprises expliqué avec les auteurs de l'enquête réalisée par un collectif rassemblé par l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE). L'enquête a été réalisée sur des bases qui ne sont pas parfaitement fiables ni recevables. C'est-à-dire qu'ont été mêlées des catégories d'élèves qui se recoupent partiellement pour aboutir à des chiffres inquiétants. Nous ne pouvons pas nier sérieusement le fait que nous sommes dans l'incapacité de fournir des statistiques fiables par types de handicaps et par tranches d'âge d'élèves pour les raisons que j'ai précédemment évoquées. Nous souhaitons d'ailleurs voir cette situation évoluer profondément. C'est dans cette perspective que s'inscrivent l'informatisation des CDES et l'uniformisation des enquêtes des DASS et des inspections d'académies.
Ce qui est clair, en revanche, c'est que ce chiffre de 40.000 recouvre des réalités qui ne sont pas comparables. En effet, que signifie être scolarisé pour un enfant gravement handicapé dont le temps de classe sera nécessairement limité du fait de sa prise en charge thérapeutique ? Parlons-nous ici des enfants scolarisés à temps plein ? A temps partiel ? Parlons-nous des enfants scolarisés dans les écoles de droit commun ou dans les établissements spécialisés ? Dans cette deuxième hypothèse, nous devons introduire des catégories. Or, nous ne pouvons additionner des choses qui ne sont pas additionnables.
Une enquête que nous avons conduite auprès des inspecteurs d'académies et des DASS pour préparer la rencontre avec les deux ministres fait état de 6.600 places en établissements spécialisés, ou en classes d'intégration (CLIS) ou en unités pédagogiques d'intégration (UPI) manquantes au mois de septembre pour résoudre les problèmes de la rentrée. Ce chiffre a été validé par chacun des inspecteurs d'académies et par chacune des DASS dans tous les départements. Nous nous sommes fondés sur les listes d'attente des enfants orientés en CDES qui n'ont pas eu de place en établissement, les enfants qui pourraient être en classes d'intégration scolaire ou en unités pédagogiques d'intégration dans les collèges. Nous leur avons demandé de nous fournir ces chiffres pour un seul département et le chiffre du mois d'octobre avoisine les 7.000 individus.
M. Nicolas ABOUT, président - Pourriez-vous revenir sur les cinq ou six mesures nouvelles que vous avez évoquées ?
M. Jean-Louis BRISON - Ces mesures nouvelles sont les suivantes :
• la création d'un groupement d'intérêt public pour l'édition adaptée des manuels scolaires en braille ou en gros caractères pour les élèves aveugles ou malvoyants, qui est en cours de finalisation. Aujourd'hui, l'édition d'ouvrages de ce type est le fait d'associations tout à fait remarquables, mais demeure très coûteuse et mal coordonnée et les besoins des élèves sont mal repérés en temps utile pour préparer la rentrée. En outre, il n'était pas possible de passer une convention avec le syndicat national des éditeurs de manuels scolaires pour avoir un accès direct à leurs fichiers source, ce qui mettait chacune des associations dans une situation difficile ;
• la reconnaissance académique de l'apprentissage de la langue de signes pour les élèves sourds, dont les parents souhaiteraient que leur éducation se fasse, conformément à la loi de 1991, en langue des signes française ;
• la publication d'une nouvelle circulaire sur les conditions particulières de passage des examens et concours pour les candidats handicapés, avec adaptation des épreuves ;
• l'application du plan interministériel de 28 mesures en faveur des élèves présentant de très graves difficultés du langage, suite au rapport Ringard-Weber de 1999 sur les dyslexies et les dysphasies. Le plan d'action a été officialisé en avril 2001 et est en cours d'application ;
• la publication et la mise en application concrète des mesures contenues dans le rapport Gibert, Président de l'Université de Rouen, sur la situation des étudiants handicapés.
M. Nicolas ABOUT, président - Je me réjouis de la création d'un groupement d'intérêt public en faveur de l'édition de manuels scolaires en braille et suis d'ailleurs l'auteur d'un amendement visant à obtenir des bulletins de vote en braille.
M. Paul BLANC, rapporteur - Qu'en est-il des deux circulaires dont le ministre de l'Education nationale a annoncé au mois de mars la publication prochaine ?
M. Jean-Louis BRISON - Elles ne sont pas encore publiées, mais devraient l'être incessamment. Elles concernent l'organisation de l'enseignement spécialisé de ce que nous appelons l'adaptation à l'intégration scolaire dans le premier et le second degré.
Je rappelle que pour le second degré, cette circulaire générale sur l'accueil des élèves handicapés au collège et au lycée est quasiment une première, puisque la première circulaire de ce type date de février 2001.
M. Paul BLANC, rapporteur - S'agissant de l'évaluation, que vous contestez fortement, des 40.000 enfants handicapés qui ne seraient pas scolarisés, je comprends que vous considérez que l'absence de scolarisation est le fait de l'inadaptation des établissements et de l'insuffisance de coordination. Quelles en sont, selon vous, les causes ?
M. Jean-Louis BRISON - L'Ecole a un important travail d'accueil des enfants handicapés à poursuivre. Il convient, dans un premier temps, de distinguer entre les différents chiffres. Ainsi, la Direction de l'enseignement scolaire estime que dans le premier degré, il y a 60.000 élèves handicapés intégrés contre 16.000 au collège. L'inadaptation et l'impréparation des collèges et des lycées sont manifestement en cause, car il n'y a pas de raison fondamentale qui justifie une telle rupture dans les chiffres entre le premier et le second degré. Cette rupture se retrouvera plus souvent entre le collège et le lycée, voire entre le lycée et l'université, en raison de la prépondérance du handicap intellectuel. Toutefois, pour ce qui est de la rupture entre l'école et le collège, nous sommes clairement confrontés à un défaut de structure dans le second degré, de formation professionnelle des enseignants du second degré. C'est donc le chantier sur lequel nous travaillons prioritairement depuis trois ans en développant les unités pédagogiques d'intégration.
Une autre raison concerne la double inadaptation des établissements médico-éducatifs en termes de répartition géographique sur le territoire. Je ne mets pas en cause la qualité des services qu'ils rendent, mais ils sont relativement inadaptés en termes de répartition géographique. Ces établissements ont une histoire fort ancienne et sont, pour l'essentiel, des établissements associatifs, ce qui est naturellement tout à leur honneur. Mais en tant que tels, ils sont nés d'initiatives privées, de familles, d'associations caritatives, etc. La carte de ces établissements correspond donc à la population telle qu'elle était implantée dans les années 1950 et 1960, mais qui ne correspond plus à la réalité actuelle. La région parisienne est ainsi très largement sous-dotée en ce qui concerne ce type d'établissements. En outre, à l'intérieur de ces établissements, la dotation en postes d'enseignants n'est pas équitable, pour les mêmes raisons historiques. Ayant été créés par des associations qui étaient, à l'époque de leur création, plus ou moins proches de l'Education nationale, ces établissements ont pu bénéficier d'une dotation en enseignants spécialisés ou pas. Certaines associations gestionnaires de l'époque ont même pu ne pas le souhaiter. Par conséquent, l'offre de scolarité proposée s'en trouve aujourd'hui profondément déséquilibrée d'un établissement à l'autre.
M. Nicolas ABOUT, président - A l'époque, c'est plutôt l'absence de l'école qui laissait les éducateurs spécialisés seuls face à leurs problèmes.
Mme Gisèle PRINTZ - Je voudrais souligner la difficulté qu'il y a à évoquer les handicapés de manière générique, compte tenu de la grande diversité des situations que ce terme recouvre, qu'il s'agisse de handicapés moteurs, d'autistes, de handicapés physiques mais qui bénéficient de toutes leurs facultés intellectuelles, etc. Il est donc impossible d'intégrer toutes ces personnes de la même façon.
M. Louis SOUVET - Effectivement, vous nous donnez des chiffres globaux, mais il serait intéressant de se pencher sur la répartition interne dans le monde handicapé. Il est certain que les problèmes sont différents, comme vient de le souligner ma collègue.
Les handicapés physiques peuvent être accueillis comme les autres, et ne nécessitent en fait que des moyens matériels. Quelle est l'ampleur de la population à accueillir ?
S'agissant des handicapés sensoriels, ils n'ont généralement pas de problèmes d'ordre intellectuel. Le besoin concerne surtout des éducateurs spécialisés capables d'entrer en contact avec eux.
Enfin, en ce qui concerne les handicapés mentaux, le problème est tout autre et j'aimerais bien avoir des données statistiques les concernant.
M. Jean-Louis BRISON - Pour répondre à Mme Printz, les procédures et les projets dans les établissements médico-éducatifs sont naturellement différents à chaque fois, mais les structures d'accueil à l'école et au collège sont censées être également différentes. C'est-à-dire que nos structures d'accueil qui sont des classes d'intégration scolaire quand il s'agit d'intégrer les enfants en groupe sont définies en quatre grandes familles :
- les CLIS 1, dont la vocation est d'accueillir les enfants qui présentent des handicaps dits intellectuels ;
- les CLIS 2 et 3, pour les handicaps auditifs et visuels ;
- les CLIS 4, pour les handicaps moteurs.
Le nombre de ces CLIS et de ces UPI sur le territoire est naturellement très disproportionné entre ces quatre catégories, puisque sur les 60.000 élèves handicapés intégrés dans le premier degré, 42.104 sont en CLIS et moins de 20.000 sont intégrés sur un mode plus individuel, et pas nécessairement dans une classe spécialisée au sein de l'école. Sur les 42.104 qui sont en CLIS, 38 851 sont en CLIS 1, 2.050 sont en CLIS 2 et 3 et 1.198 sont en CLIS 4.
M. Paul BLANC, rapporteur - Si je vous comprends bien, vous êtes donc favorable à une intégration ad hoc sur le modèle du protocole récemment signé à Paris, c'est-à-dire à un règlement presque au cas par cas. L'Education nationale est-elle prête à franchir le pas vers une telle décentralisation ?
M. Jean-Louis BRISON - Je fais une distinction entre le droit et les faits. Je ne prendrai pas l'exemple du protocole récemment signé à Paris. Le traitement individuel de chaque cas est inscrit dans la loi de 1975 et dans toutes les circulaires d'application de cette loi. Chaque famille, chaque enfant doit trouver auprès de la commission ad hoc , c'est-à-dire soit la commission départementale soit la commission délocalisée qui est la commission de circonscription, la possibilité de mettre en place des solutions à partir d'une analyse fine et personnelle de la situation de l'enfant. Ces procédures fonctionnent, mais il est clair qu'il nous faut profondément améliorer l'accueil des familles, le type d'analyses et de services que nous pouvons leur rendre. Néanmoins, il ne peut y avoir, pour ces élèves, que des scolarités sur mesure et des réponses individuelles. Les moyens de réponse sont des moyens collectifs, mais les progrès scolaires de l'enfant handicapé, qui a des besoins très spécifiques, et sa vie à l'école sont précisés dans le cadre d'un projet individuel. Certains projets existent et sont bien préparés et d'autres ne le sont pas.
Il convient d'améliorer considérablement la formation des enseignants et de renforcer l'équipement des commissions pour leur permettre de consacrer le temps nécessaire aux examens individuels des dossiers, mais il n'y a pas d'autre principe éducatif que celui-là. J'insiste sur la notion de service individualisé.
M. Paul BLANC, rapporteur - Si cette disposition existait dans la loi, pourquoi a-t-il fallu avoir recours à une grève de la faim ?
M. Jean CHERIOUX - Il est exact que la création des institutions médico-éducatives s'est faite sans cohérence d'ensemble. En outre, ces institutions relèvent de la tutelle de la sécurité sociale et l'assurance maladie n'est pas au fait de leur réalité, comme nous avons pu le constater dans cette enceinte au cours d'une audition. Cette situation nous donne l'impression d'une sorte de ghetto, totalement en dehors des préoccupations de l'Education nationale. Il serait intéressant qu'il y ait des passerelles afin de permettre aux plus aptes de ces enfants d'entrer dans le système éducatif. Or, nous avons le sentiment que la coupure est totale.
En outre, l'amendement Creton a également compliqué les choses en bloquant les places. N'avez-vous pas envisagé de créer ces passerelles entre l'Education nationale et l'ensemble de ces établissements ?
M. Jean-Louis BRISON - Pour répondre à la question provocatrice de M. Blanc, je suis dans une position délicate dans la mesure où je ne peux pas faire état de tout ce que je sais sur la situation de chacune de ces familles, dont la situation a défrayé la chronique à Paris, avant de finalement aboutir à la conclusion de ce protocole connu du public. Ces cinq familles ont été reçues un certain nombre de fois par les autorités académiques, par la DASS de la Ville de Paris de janvier à mars, au cabinet du ministre de Mme Royal dans les semaines qui ont précédé. Les cinq enfants avaient des propositions de scolarité. Malheureusement, il est parfois inévitable, dans un certain nombre de cas, que lesdites propositions ne conviennent pas aux familles des enfants.
J'ai présidé pendant quinze ans un certain nombre de commissions départementales d'éducation spéciale en tant qu'inspecteur dans différents départements et j'ai pu me rendre compte que nous sommes parfois confrontés à des revendications légitimes de parents, que nous devons gérer. Ces revendications sont parfois marquées par une souffrance et une implication personnelles extrêmes, qui méritent le respect.
M. Nicolas ABOUT, président - La prochaine question du rapporteur sur les auxiliaires d'intégration scolaire vous donnera certainement l'occasion de vous exprimer sur l'incapacité du système scolaire de répondre aux familles. En fait, sous couvert de la possibilité d'accueillir tel ou tel enfant en raison de la nature de son handicap, c'est la non-préparation des enseignants, l'absence d'auxiliaires d'intégration scolaire et l'absence de réponse de l'Etat qui créent la situation de handicap pour beaucoup de ces enfants déficients, alors qu'il serait parfaitement possible de mieux les intégrer.
M. Jean-Louis BRISON - En réponse à la question de M. Chérioux sur les établissements médico-éducatifs, il faut effectivement travailler à rapprocher les deux systèmes. Le ministre s'est exprimé à ce sujet et a pris des engagements. C'est la première fois qu'un ministre de l'Education nationale tient un discours aussi précis sur les établissements médico-éducatifs et enjoint ses inspecteurs d'académies à se préoccuper de ce qui s'y passe et de la manière dont la scolarité s'y déroule. Il faut prendre la mesure de l'histoire et de la difficulté. Il a récemment déclaré, à la Sorbonne, qu'il ne concevait pas qu'un institut médico-professionnel ne soit pas conventionné avec un lycée professionnel pour l'accès à un certain nombre d'ateliers et de formations.
Il est inimaginable qu'un institut médico-éducatif qui accueille des adolescents ne soit pas associé à la vie d'un collège. Il y a des activités culturelles, pédagogiques et sociales qui sont inscrites dans la vie du collège que l'établissement spécialisé voisin peut partager. L'intégration scolaire ne se limite pas à l'intégration individuelle pour sa propre formation intellectuelle dans tel établissement scolaire de droit commun. C'est aussi le rapprochement de ces deux systèmes de formation pour faire en sorte qu'il n'y en ait plus qu'un seul et que les parents aient le sentiment d'une logique de parcours.
Il faut également que les commissions départementales de l'éducation spéciale cessent de prononcer des orientations au-delà de deux ans. C'est-à-dire qu'il faut que la révision de l'orientation de l'enfant dans un établissement médico-éducatif, contrairement à ce que dit la loi, n'excède pas les deux années et que les maintiens dans les établissements médico-éducatifs ne soient plus administrés par les commissions départementales comme allant de soi.
M. Nicolas ABOUT, président - Permettez-moi de m'étonner que les ministres puissent être surpris de cette absence de relations... Leur rôle n'est pas de s'étonner en fin de mandat, mais de donner des ordres en temps utile pour que les choses se fassent !
M. Jean-Louis BRISON - Le ministre actuel l'a fait au mois de novembre et a été le premier à le faire !
M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué l'insuffisante scolarisation des handicapés au lycée et à l'université. Permettez-moi d'évoquer un exemple que j'ai personnellement vécu dans ma commune où existe un lycée proposant des classes de BTS en micromécanique. Il s'agit d'une formation peu répandue et qui est susceptible de s'adresser à des handicapés moteurs, et notamment à de jeunes victimes d'accidents de la route, malheureusement fort nombreuses, et qui ont poursuivi un cycle déjà avancé et qui, du fait de leur handicap, ne peuvent pas exercer n'importe quelle profession.
J'avais proposé que ce lycée prévoie la possibilité d'y poursuivre des études jusqu'à la maîtrise, dans la mesure où un étudiant engagé dans cette filière serait susceptible de créer par la suite des systèmes de domotique adaptés à une situation qu'ils connaissent malheureusement trop bien. Le projet que j'ai présenté au proviseur du lycée a reçu son accord, mais il aurait également fallu obtenir l'accord du Président de l'université et du rectorat. Faute de ces deux accords, le ministre a opposé une fin de non-recevoir à ce projet, qui est donc resté en plan, il y a trois ans.
Le ministère de l'Education nationale est-il bien conscient de ces problèmes et a-t-il réellement la volonté de faire évoluer les choses en la matière en mettant en place certaines expérimentations, même si aucun texte ne le prévoit expressément ?
M. Dominique LECLERC - Dans la mesure où nous évoquons la non-scolarisation des enfants handicapés, je tiens, pour ma part, à vous faire part d'une réflexion au sujet de la non-scolarisation des enfants des gens du voyage. Je vous interpelle sur ce sujet en tant que maire d'une commune de banlieue de 5.000 habitants en province. Ma commune dispose d'une aire d'accueil dans un plan départemental qui est saturée depuis de nombreux mois. En outre, depuis plusieurs semaines stationnent de manière illégale plus d'une centaine de caravanes. Or, aucun des enfants ne fréquente l'école de la commune.
Comme vous le savez, les préfets sont arc-boutés sur la mise en place des plans d'aires d'accueil des gens du voyage. A ce sujet, j'ai toujours souligné à quel point il était facile de créer des ghettos ! En revanche, le corollaire que constitue le suivi scolaire, médical et social n'intéresse personne. Je regrette d'avoir à le dire, mais, nous, maires, constatons cette absence de suivi scolaire de ces enfants que je considère comme eux aussi handicapés. Vivant au milieu de ces populations, je suis bien placé pour constater que ces enfants sont souvent des asociaux non-éduqués et il est permis de se demander ce que ces enfants deviendront une fois adultes.
Par ailleurs, ces populations croissent en nombre dans l'indifférence totale et je souligne qu'elles n'ont pas été prises en compte dans le dernier recensement. Au nom des générations à venir, allons-nous finir par nous occuper du seul facteur d'intégration de ces populations, à savoir le suivi scolaire ? A l'heure actuelle, les moyens sont dérisoires puisque nous ne disposons guère que de deux bus et de trois enseignants pour l'ensemble du département ! En tant qu'élu local, je suis très inquiet du devenir de ces personnes.
M. Nicolas ABOUT, président - Après la déficience intellectuelle, sensorielle et physique, nous en arrivons donc à l'évocation d'une quatrième déficience, qui est la déficience sociale. Quel regard portez-vous sur cette quatrième déficience ?
M. Jean-Louis BRISON - Je n'ai pas réponse à tout ! Je sais que ces problèmes existent et je souscris totalement à votre analyse sur ce sujet. Si nous ne savons pas trouver des moyens plus souples et fermes en même temps pour scolariser ces enfants d'une manière ou d'une autre, nous nous exposons à des problèmes sociaux considérables. Je ne peux vous répondre sans vous paraphraser.
J'évoquerai également la situation des élèves qui sont chez eux pour cause de maladie ou qui sont entre deux périodes d'hospitalisation, pour lesquels nous avons un programme important de scolarisation à domicile, avec une référence à la classe d'appartenance de l'élève. Là aussi, il nous faut conquérir et récupérer des élèves qui sont, aux yeux de l'école, des élèves invisibles, disséminés pour des raisons très fluctuantes, soit chez eux, soit dans des modes de vie qui nous posent des problèmes (je fais ici allusion au problème des sectes) et je rappelle que la loi autorise les parents, avec un certificat de l'Académie, à scolariser leurs enfants à leur domicile. Le contrôle de cette scolarisation est imputé à l'Etat. Il m'est arrivé, en tant qu'inspecteur d'académie, d'aller vérifier que l'éducation et l'instruction reçues par ces enfants étaient conformes aux programmes prévus par l'Etat et je sais que ce contrôle est extrêmement difficile à mener.
M. Paul BLANC, rapporteur - L'Education nationale a-t-elle cette volonté d'expérimentation que j'évoquais précédemment et la volonté de s'inspirer d'exemples de terrain susceptibles de faire avancer les choses ?
Enfin, ma dernière question porte sur les aides humaines importantes qu'exige l'intégration scolaire. Aujourd'hui, ces aides sont représentées par les auxiliaires d'intégration scolaire. Combien sont-elles ? En outre, il s'agit le plus souvent d'emplois-jeunes. Comment comptez-vous les pérenniser et prévoyez-vous une formation adéquate afin de les accompagner ?
M. Jean-Louis BRISON - C'est effectivement une question essentielle. Les auxiliaires d'intégration scolaire sont des moyens tout à fait extraordinaires pour accompagner l'intégration. Il convient toutefois de prendre garde à ce que cette tierce personne, mise à disposition de l'enfant et de l'école, ne serve pas, comme c'est parfois le cas, de « monnaie d'échange » entre l'école et la famille, pour faire en sorte que l'intégration ait lieu. Cette tierce personne doit intervenir dans des conditions particulières. Il est bien établi qu'il s'agit ici de promouvoir l'intégration scolaire des enfants les plus handicapés et que cette tierce personne présente dans la classe ne doit pas venir comme une mesure palliative d'un défaut de formation des maîtres spécialisés ni d'un défaut d'information des autres acteurs de l'intégration. Le dispositif a été lancé par ce gouvernement. Mme Royal a signé en mars 1999 une convention avec la Fédération nationale des associations qui gère ce type d'emplois. Deux systèmes existent :
- les auxiliaires d'intégration scolaire, d'origine associative, qui sont environ entre 1.800 et 1.900 ;
- les aides-éducateurs de l'Education nationale, qui sont environ 65.000, dont les missions peuvent inclure de concourir à l'intégration scolaire.
La demande est extrêmement forte, mais se heurte à la difficulté de la formation des enseignants. Un certain nombre d'IUFM, comme ceux de Dijon et de Nancy-Metz, ont mis sur pied des formations de ce type en confondant les deux filières, ce qui me paraît une très bonne chose.
Il faut également savoir sur quels métiers on peut déboucher, car le dispositif emplois-jeunes doit aider les jeunes en difficulté et leur mettre le pied à l'étrier.
M. Jean CHERIOUX - Il ne s'agit pas non plus de les renvoyer sur une voie de garage !
M. Jean-Louis BRISON - Précisément, cela ne doit être qu'un passage. Il n'est pas question que cette fonction se transforme en un métier. Elle ne doit servir aux jeunes qui y passent qu'à découvrir les métiers de l'éducation, du soin et de l'accompagnement social. Les savoirs qu'ils auront acquis en étant auxiliaires d'intégration scolaire, une fois leurs acquis validés, leur permettront de déboucher sur d'autres métiers.
Ces mesures se construisent difficilement, je le reconnais, mais je rappelle que ce sont des dispositifs récents. Le système fait que le salaire de ces auxiliaires d'intégration scolaire est payé à 80 % par l'Etat et les 20 % restants par les associations.
M. Nicolas ABOUT, président - Ou par les communes ! D'ailleurs, comme d'habitude, petit à petit, ce seront les communes qui assumeront la charge du financement, au fur et à mesure du retrait de l'Etat.
Mme Gisèle PRINTZ - S'agissant des enfants des gens du voyage, nous avons un groupe scolaire désigné pour accueillir ces enfants et cela ne pose aucun problème.
M. Nicolas ABOUT, président - C'est un dossier extrêmement difficile et nous savons que l'avenir de ces enfants passe par l'école. Toutefois, ainsi que vous l'avez dit au tout début de votre intervention, l'école ne peut répondre correctement que si elle s'adapte, notamment en sortant de ses bâtiments pour aller au contact des enfants, qu'ils soient ou pas en situation de handicap.