II. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mardi 23 juillet 2002, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Paul Blanc sur la politique de compensation du handicap. |
M. Paul Blanc, rapporteur, a présenté les grandes lignes de son rapport (cf. voir exposé général).
M. Paul Blanc, rapporteur, a ensuite fait part de quelques considérations générales sur le déplacement qu'une délégation de la commission avait effectué au Canada, du 17 au 24 juin 2002, afin d'étudier comment ce pays répondait au défi que constitue l'intégration des personnes handicapées. Il a expliqué que le choix du Canada s'imposait naturellement dans la mesure où ce pays est souvent présenté comme un exemple de politique ambitieuse et volontariste en la matière. Il a rappelé que la délégation de la commission était composée de M. Nicolas About, président, de M. Gilbert Barbier, Mmes Annick Bocandé, Sylvie Desmarescaux, MM. Guy Fischer, André Lardeux, Jean-Louis Lorrain et de lui-même. Il a souligné qu'elle s'était rendue successivement à Montréal, à Ottawa et à Toronto, où elle avait pu rencontrer des parlementaires, les responsables des ministères compétents en matière de personnes handicapées tant au niveau fédéral que provincial, des professionnels de santé ainsi que des personnes handicapées et leurs représentants associatifs. La délégation avait également visité des établissements de réadaptation ainsi que des centres de travail adapté. M. Paul Blanc, rapporteur, a jugé qu'il était bien difficile, à l'occasion d'une mission nécessairement de courte durée, d'émettre un jugement global sur la politique canadienne en direction des personnes handicapées. Il a souligné qu'il serait d'ailleurs sans doute plus exact de parler « des politiques canadiennes »: le Canada est en effet un pays fédéral où la prise en charge des personnes handicapées relève d'une compétence partagée entre l'Etat fédéral, les provinces et les territoires. Les droits des personnes handicapées sont garantis par l'Etat fédéral, qui s'efforce de dégager les grandes lignes d'une politique globale, mais les programmes d'aides et les services offerts relèvent de la seule compétence des provinces et des territoires. Certaines provinces -le Québec, par exemple- ont fait de la politique en direction des personnes handicapées une véritable priorité ; d'autres, en revanche, se limitent au strict minimum. M. Paul Blanc, rapporteur, a estimé que cette situation conduisait à un système complexe, caractérisé par une très grande hétérogénéité des situations et une fragmentation extrême de l'action publique. Il a relevé que les interlocuteurs de la délégation avaient d'ailleurs rencontré les plus grandes difficultés à dresser un tableau d'ensemble de la situation des personnes handicapées au Canada et des politiques qui leur sont consacrées. Il n'existait ainsi, par exemple, pas de revenu minimum garanti pour ces personnes. De fait, la condition et les droits effectifs des personnes handicapées dépendaient avant tout de la province où elles vivent. En outre, les réductions budgétaires drastiques imposées dans les années 90 avaient souvent fragilisé les programmes sanitaires et sociaux dont elles bénéficient. M. Paul Blanc, rapporteur, a considéré que les politiques canadiennes en direction des personnes handicapées n'étaient donc pas exemptes de faiblesses et que le « modèle canadien » n'avait peut-être pas les vertus qu'on lui prête trop souvent en Europe. Il a cependant relevé que les efforts accomplis depuis de nombreuses années, tant au niveau fédéral que provincial, avaient à l'évidence porté leurs fruits : grâce notamment à une prise en charge communautaire remarquable, le regard de la société canadienne sur les personnes handicapées avait incontestablement changé, l'intégration sociale était désormais une réalité et l'accession à une véritable citoyenneté, une perspective qui n'avait plus rien d'utopique. Les membres de la délégation avaient ainsi été frappés de constater la place qu'occupaient les personnes handicapées dans les préoccupations quotidiennes des responsables et des citoyens canadiens. Le milieu urbain avait par exemple été systématiquement adapté, chaque lieu public mais également la plupart des commerces accomplissant de réels efforts en matière d'accessibilité. Dans les grandes villes, les réseaux publics de transport avaient mis en place des services spécifiques destinés aux personnes handicapées. M. Paul Blanc, rapporteur, a souligné que ces éléments avaient donné aux membres de la délégation le sentiment d'une insertion plutôt exemplaire des personnes handicapées dans la société canadienne alors même que les politiques et les programmes qui leur sont destinés méritent à l'évidence d'être amplifiés. M. Francis Giraud a tenu à féliciter M. Paul Blanc, rapporteur, pour la clarté et le réalisme du bilan qu'il tirait de la situation des personnes handicapées dans notre pays et a insisté sur la nécessité, avant toute autre mesure, de modifier l'état d'esprit de la société vis-à-vis des personnes handicapées. Il a rappelé que la question fondamentale, qui avait suscité l'engagement de la réflexion de la commission sur la politique en direction des personnes handicapées, était celle de leur indemnisation et, plus largement, des moyens qui leur étaient donnés pour améliorer leur vie quotidienne. Il a, malgré tout, noté que la simple application des lois existantes constituerait déjà une avancée pour les personnes handicapées, sans pour autant alourdir le coût de la politique du handicap : une meilleure intégration dans le monde du travail, en particulier dans la fonction publique, est par exemple possible, sans modifier les textes existants. Une prévention accrue, notamment des accidents de la route qui font chaque année des milliers de victimes, une meilleure surveillance de la grossesse et de la naissance, la poursuite d'un certain nombre de dépistages pré et post-natals sont également des pistes à suivre. M. Francis Giraud a enfin rejoint le rapporteur pour déplorer le retard de la France en matière d'accessibilité. M. Louis Souvet a salué les positions courageuses du rapporteur dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi et la somme de travail que représentait déjà ce rapport. Il a estimé que les sanctions financières en cas de non-respect de l'obligation d'embauche instaurée par la loi du 10 juillet 1987 devaient être également appliquées à l'Etat. M. Jean-Louis Lorrain a relevé la diversité des positions des associations sur la question de la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Il a souligné l'ampleur des contraintes financières pesant notamment sur les départements au titre de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Il a considéré qu'il était du ressort de l'Etat et, en premier lieu, de l'Education nationale, de faire entrer la société dans une « culture du handicap » qui doit concerner l'ensemble de la vie sociale. Dans le domaine particulier de l'emploi, M. Jean-Louis Lorrain a insisté sur la nécessité, pour la fonction publique, de montrer l'exemple de l'intégration. M. Jean-Louis Lorrain a également souligné l'importance de la recherche et du dépistage, en rappelant que ces démarches devaient s'appuyer sur une réflexion éthique afin d'éviter l'écueil, toujours présent, de l'eugénisme. Il a enfin estimé que la personne handicapée ne devait plus être réduite à son handicap mais prise dans sa globalité, dans son environnement, en particulier familial. Il a insisté sur la nécessité de choisi,r dans un premier temps, les mesures les plus significatives pour engager une réforme de la politique du handicap sans risque de se disperser. M. Jean Chérioux a constaté que la politique actuelle en direction des personnes handicapées aboutissait davantage à assister qu'à assurer la dignité des personnes. Il a souhaité que tout soit mis en oeuvre, que ce soit en matière d'aides techniques, humaines ou d'intégration scolaire, pour que la personne handicapée soit une personne comme les autres. Il a insisté sur la nécessité de sortir du « tout établissement » et d'assurer au maximum une insertion dans un cadre de vie ordinaire. Après avoir souligné l'important travail du rapporteur et l'importance des auditions dans sa démarche, Mme Michelle Demessine a fait part de sa perplexité devant des propositions certes intéressantes mais qui ne semblaient pas remettre en cause fondamentalement le système existant. Elle a souligné l'importance d'une démarche centrée sur la personne et sur la prise en compte de ses aspirations, qui ont considérablement évolué depuis l'entrée en vigueur de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Elle a déploré l'absence de toute statistique fiable qui empêche une évaluation satisfaisante des besoins et a proposé de demander en urgence au Gouvernement de s'atteler à cette tâche indispensable. Mme Michelle Demessine a regretté que, dans le cadre des auditions publiques organisées par la commission, seuls les gestionnaires des établissements aient été entendus et que le point de vue des salariés de ces établissements, qui sont au contact quotidien des personnes handicapées, n'ait pas pu être pris en compte. Elle s'est interrogée sur la nature exacte de l'« allocation compensatrice individualisée » (ACI), proposée par le rapporteur ; elle a partagé son point de vue sur l'importance de ne pas séparer la question de la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) d'une réflexion sur l'ensemble des autres minima sociaux. Concernant l'accessibilité des transports, Mme Michelle Demessine a salué la volonté de raisonner en termes d'accès global aux différents réseaux et a souligné qu'une telle démarche ne demanderait pas de moyens supplémentaires, mais supposait simplement une meilleure coordination des différents acteurs. Elle a également insisté sur la nécessité d'ouvrir davantage l'emploi aux personnes handicapées, en regrettant l'attitude de certaines entreprises qui n'acceptent d'embaucher des personnes handicapées que lorsqu'elles sont aussi productives que des travailleurs « ordinaires ». Reprenant les estimations du « budget social du handicap », Mme Michelle Demessine a déploré le retour en arrière intervenu dans l'effort de solidarité nationale. Elle a cependant souligné que la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse d'intégration des personnes handicapées n'aurait pas nécessairement un coût exorbitant car l'amélioration de l'autonomie et de l'intégration ferait du handicap une charge acceptée par la société elle-même. Elle s'est néanmoins interrogée sur le financement de la réforme envisagée et s'est inquiétée de ce que l'absence de moyens pourrait compromettre la réalisation du programme proposé par le rapporteur. M. André Vantomme a tenu à saluer le travail de M. Paul Blanc, rapporteur, ainsi que la démarche de M. Nicolas About, président. Il s'est félicité du nombre et de la diversité des auditions effectuées par la commission qui ont permis d'entendre des personnes proches du terrain. Il lui a semblé que l'exposé du rapporteur faisait apparaître trois questions : celle des mentalités et des trop nombreuses réticences de la société face à l'intégration des personnes handicapées, celle du manque d'information sur la réalité de leur situation et celle de l'importance des moyens à mettre en oeuvre pour mener à bien la réforme envisagée. Il s'est ensuite interrogé sur le sort qui serait réservé aux propositions des rapporteurs ainsi que sur les moyens à mobiliser pour donner une réalité à cette réforme, en insistant sur la nécessité de ne pas décevoir les attentes. M. Nicolas About, président , a fait part de sa volonté de ne pas voir ce rapport « rester dans un placard ». Il a souligné que la question du handicap était sans doute un des rares domaines pour lesquels un accord pouvait être trouvé entre les différentes sensibilités politiques. Il s'est déclaré prêt à un travail en commun dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi. Soulignant le fait que le handicap figurait explicitement au rang des trois grands chantiers du quinquennat du Président de la République, M. Nicolas About, président , a admis que l'éventualité d'un projet de loi gouvernemental ne pouvait pas être écartée. Il a néanmoins estimé que, compte tenu du travail fourni, la commission avait un devoir de proposition. Après avoir félicité le rapporteur pour le souci de pragmatisme avec lequel il avait abordé un sujet difficile, M. André Lardeux a fait part des réticences rencontrées à l'encontre de la création d'un établissement pour adultes handicapés sur sa commune, pour illustrer le regard encore négatif porté par la société française sur les personnes handicapées. Il a évoqué, par contraste, l'attitude de la société canadienne, qu'il avait pu apprécier lors de la mission effectuée par la commission au mois de juin dernier. M. André Lardeux a ensuite évoqué deux défis : celui du vieillissement des personnes handicapées, qui demande une adaptation des établissements existants, et celui de la prise en charge des polyhandicapés qui, du fait d'une espérance de vie désormais plus longue, ne trouvent plus de solution en établissement au-delà de 20 ans. Soulignant la nécessaire implication des collectivités locales dans la politique du handicap, il a insisté sur la nécessité de permettre, dans le cadre de la décentralisation, une expérimentation dans le domaine de la création d'établissements pour personnes handicapées. Revenant également sur la question de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), M. André Lardeux a rappelé que sa gestion posait moins de problème depuis que la mise en oeuvre de l'APA évitait son détournement au profit des personnes âgées dépendantes. Il a par ailleurs souligné que les personnes touchant une pension d'invalidité de la sécurité sociale, au demeurant souvent modeste, ne devaient pas être tenues à l'écart de la réforme. M. André Lardeux est ensuite revenu sur les différents aspects de l'accès à la cité : concernant les transports, il a indiqué que le surcoût de la mise en accessibilité n'était sans doute pas aussi important que certains acteurs voulaient bien le laisser croire. En matière d'emploi, il a insisté sur la nécessité de changer le regard des fonctionnaires sur le handicap. Il a également émis des doutes sur l'adaptation du statut de la fonction publique à la question de l'emploi de personnes handicapées. S'agissant des établissements, il a regretté la multiplicité de leurs statuts et s'est prononcé pour leur harmonisation. Evoquant également la question de l'outil statistique, il s'est interrogé sur l'existence réelle des moyens de faire une enquête et a souligné la difficulté liée à l'absence d'une véritable définition du handicap. Faisant part de son souci d'une véritable intégration des personnes handicapées dans l'emploi, M. Michel Esneu a rappelé que la sanction financière du non-respect de l'obligation d'emploi n'avait pas pour objectif d'alimenter un fonds, mais d'inciter à l'embauche. Il a plaidé pour une restauration de la solidarité au sein des entreprises ; ces dernières devraient normalement considérer l'intégration des personnes handicapées comme une charge normale et non comme un surcoût. Il a, par ailleurs, estimé que le département était l'échelon le plus pertinent pour la mise en oeuvre de la politique en direction des personnes handicapées, mais que l'efficacité de son action était liée à un renforcement de ses moyens, notamment financiers. M. Alain Vasselle a d'abord tenu à saluer le consensus qui entourait la présentation du rapport. Il a rappelé que la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975 était attendue depuis longtemps et s'est félicité de l'avancée que constituaient les propositions du rapporteur. Rappelant que M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, avait élevé la prévention au rang de priorité, M. Alain Vasselle a proposé d'en étendre le principe à la prévention du handicap. Il a souligné plus particulièrement la difficulté liée au dépistage du handicap mental : il a estimé qu'une sensibilisation des familles à risque devait être engagée, sans toutefois porter atteinte à leur libre choix. Il a ensuite souligné les différences sensibles de prise en charge d'un département à l'autre, insistant sur le fait que, dans certains départements, la participation demandée aux personnes handicapées était telle qu'elles ne disposaient plus que de 500 francs (environ 75 euros) par mois. Il s'est également interrogé sur les difficultés engendrées par l'exigence désormais imposée d'une utilisation effective de l'ACTP à la rémunération d'une tierce personne. Concernant le maintien à domicile, M. Alain Vasselle a plaidé pour la multiplication des solutions de transition et des passerelles entre domicile et établissement que représentent, par exemple, les accueils de jour. Il a approuvé, par ailleurs, la répartition des compétences consistant à confier à l'Etat la garantie de la solidarité nationale et au département la mise en oeuvre locale de l'action en direction des personnes handicapées. Il s'est interrogé sur le chiffrage des propositions du rapporteur : s'il a admis qu'une telle évaluation était sans doute prématurée dans un rapport d'orientation, il a estimé que celle-ci serait nécessaire à moyen terme, dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi. M. Alain Vasselle a enfin fait part de deux préoccupations : celle d'étendre à terme aux personnes handicapées le dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise récemment voté et celle de faire un bilan complet de la question du recours sur succession et des apports, salués par les personnes handicapées, du Sénat en la matière. M. Bernard Seillier a d'abord tenu à encourager M. Paul Blanc, rapporteur, pour la mise en oeuvre de ses propositions, dont l'objectif avoué est d'aboutir à une réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Il est ensuite revenu sur les circonstances qui ont amené la commission à entreprendre une réflexion approfondie sur la question du handicap. Il a également souligné qu'un lien important existait entre société et handicap, et que notre société de compétition révélait et même accentuait sans doute le handicap. Concernant la réforme de la loi d'orientation de 1975, M. Bernard Seillier a proposé de s'inspirer de la démarche retenue pour la mise en oeuvre de la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, caractérisée par une approche individualisée et une réévaluation permanente de l'efficacité des dispositifs. M. Jean-Claude Etienne a salué la tonalité générale du rapport qui faisait apparaître une démarche nouvelle, consistant à prendre en compte, non seulement les besoins de la personne handicapée, mais aussi ses capacités, pour construire avec elle un parcours de vie. Revenant sur la mission au Canada effectuée par la commission, Mme Annick Bocandé en a souligné les nombreux enseignements. Elle a ainsi pu constater que la politique française présentait un certain nombre de points largement positifs, concernant notamment la garantie de ressources accordée aux personnes handicapées. Elle a cependant insisté sur l'avance prise par le Canada dans l'amélioration de la vie quotidienne et la reconnaissance des personnes handicapées. Mme Annick Bocandé a, par ailleurs, souligné les insuffisances notables de la politique d'intégration scolaire des enfants handicapés : elle a estimé qu'il était anormal que l'Education nationale laisse à la charge des familles et des associations une part prépondérante du financement des aides humaines nécessaires à l'intégration de ces enfants dans l'école ordinaire. Elle a rappelé que l'intégration avait d'autant plus de chances de réussir qu'elle était précoce et qu'elle apportait au moins autant aux autres élèves qu'aux enfants handicapés eux-mêmes. Mme Sylvie Desmarescaux a souligné les enseignements qu'elle avait tirés tant des auditions que de la mission au Canada. Soulignant les disparités de prise en charge d'un département à l'autre, voire d'un établissement à l'autre, elle a insisté sur la nécessité d'assurer une égalité de traitement aux personnes handicapées. Après avoir entendu les réponses de M. Paul Blanc, rapporteur , la commission a décidé d'autoriser la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information . |