D. DES CONTEXTES POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DÉFAVORABLES
1. En Israël, une coalition gouvernementale paradoxale
Depuis les élections du 6 février 2001, Israël est gouvernée par le plus large gouvernement de coalition de l'histoire du pays, conduite par le Premier ministre Ariel Sharon. Elle regroupe en effet des formations de la droite nationaliste et des représentants du Parti travailliste. Cette coalition paradoxale est due aux contrecoups subis par le précédent gouvernement travailliste d'Ehud Barak : échecs des négociations de camp David, déclenchement de l'Intifada le 28 septembre 2000 et déroute électorale du Premier ministre travailliste lors des élections de février 2001. Autant d'éléments qui ont mis en lumière les rivalités internes du Parti travailliste. La position de M. Peres au sein du gouvernement comme ministre des affaires étrangères est difficile à tenir. Les différences d'approches avec son premier ministre sont fréquentes, sur les dossiers de la sécurité ou des ouvertures à l'égard de responsables de l'Autorité palestinienne.
La désignation du ministre de la défense, M. Ben Eliezer, à la tête du parti travailliste n'a pas modifié la donne. Cela étant, l'entretien accordé à notre délégation par le ministre de la défense a été l'occasion pour ce dernier de confirmer son ambition de participer aux prochaines élections d'octobre 2003 et de briguer la présidence du Conseil, les échéances dussent-elles être avancées s'il décidait éventuellement de quitter le gouvernement.
La cohésion de cette coalition se renforce dans une situation de crise majeure telle que celle engagée le 30 mars dernier à la suite de l'attentat de Netanyha. Les divergences d'appréciation ou de stratégie cèdent alors le pas devant l'union nationale nécessaire. Ainsi l'opinion elle-même soutient-elle majoritairement (70 %) l'opération « Rempart » alors même que, quelques semaines plus tôt, elle condamnait, avec une forte majorité, la politique de sécurité du Premier ministre israélien.
Deux ministres de la coalition issus des partis d'extrême droite avaient quitté le gouvernement lorsque le Premier ministre avait adopté au début du mois de mars 2002, une position plus souple quant à son exigence des 7 jours de calme absolu avant toute reprise des contacts avec les responsables palestiniens et après l'allégement, décidé le 14 mars 2002, du confinement imposé à Ramallah au Président de l'Autorité palestinienne.
Ce mouvement de « balancier » s'est d'ailleurs inversé le 6 avril dernier dans le contexte de l'opération « Rempart » avec l'entrée au gouvernement d'un représentant du parti national religieux.
Une telle coalition ne peut guère élaborer autre chose qu'une gestion au jour le jour. Alors même que les choix cruciaux la sollicitent : sur la reprise ou non des négociations, avec quels interlocuteurs palestiniens et sur quelles bases politiques, sur la réponse à donner à l'offre de la Ligue des États arabes, aux injonctions internationales etc... Le risque d'une anticipation des échéances électorales israéliennes pourrait contribuer à faire des électeurs israéliens les arbitres ultimes des choix nécessaires, sachant que les sondages avaient longtemps placé M. Netanyahou en position de favori et que le candidat travailliste potentiel, M. Ben Elieser, ne semblerait guère en mesure de rassembler au sein de son propre parti.
Le gouvernement actuel reste et restera sans doute tributaire, en cas d'ouvertures à l'adresse des Palestiniens, des menaces de démission répétées des représentants des formations d'extrême droite, comme il pourrait l'être, à l'inverse de celle des ministres travaillistes si une ligne dure sans perspective politique, tendait à se pérenniser.
La proximité des échéances électorales pèsera sur les stratégies suivies au sein des principales composantes de la coalition. D'autant que la nouvelle loi électorale, votée en mars 2001, en supprimant le principe de l'élection du Premier ministre au suffrage universel, est revenue au système précédent où c'est le dirigeant du parti vainqueur aux élections législatives qui sera porté à la tête du gouvernement.
Les enjeux de sécurité, évidemment les plus sensibles pour l'opinion israélienne, ne sont pas le seul sujet de préoccupation. La dégradation sensible de l'économie pèse également pour les choix politiques futurs.
2. Une économie en crise
Israël traverse en effet une crise économique profonde et durable. Les effets conjugués de la crise politique du conflit avec les Palestiniens, du ralentissement de la croissance mondiale et des difficultés des secteurs des hautes technologies et du tourisme ont fait que la croissance en 2001 a été exceptionnellement mauvaise (- 0,5 %) et le PIB a reculé de 3 %. Le taux de chômage atteint désormais 10 % et des régions entières comme le Néguev et la Haute Galilée sont en situation de détresse économique.
Le budget décidé par la Knesset au début de l'année ne prévoit aucun dispositif destiné à pallier ou anticiper les incidences de l'Intifada sur l'économie. Les grèves à répétition affectant le secteur public ont contribué à gripper davantage le fonctionnement de l'économie.
Plus encore que les mauvais résultats du gouvernement dans sa politique de sécurité, la gestion économique avait recueille un désaveu massif de la part de l'opinion publique israélienne qui, selon un sondage réalisé le 8 mars 2001, se déclaraient, à 92 %, mécontents de la politique suivie. Cette donnée devient, avec la sécurité, l'un des enjeux politiques intérieurs prioritaires dans le cadre de la « précampagne » électorale qui, une fois passée la crise en cours, ne manquera pas de s'engager.
3. Des institutions palestiniennes dont l'existence n'est plus que virtuelle
L'élection du Conseil législatif palestinien, le 20 janvier 1996, a été l'acte de naissance des institutions de l'Autorité palestinienne.
Les élections aux 88 sièges du Conseil législatif, orgnisées dans les territoires palestiniens, y compris à Jerusalem-Est, ont donné au Fatah -le parti de Yasser Arafat- une majorité de 66 sièges, auxquels s'ajoutent les élus « indépendants ». Le même jour, Yasser Arafat fut élu à la présidence de l'Autorité palestinienne avec 88 % des suffrages. Les partis islamistes n'ont pas participé aux élections.
Le siège du Conseil législatif est situé à Ramallah mais des séances s'étaient tenues à Gaza et dans d'autres localités de Cisjordanie, Naplouse ou Bethléem.
L'une des fonctions du Conseil législatif était de mettre en place les bases d'un État de droit et d'élaborer une constitution intérimaire. Depuis 1996, son travail législatif n'a pas été négligeable -en particulier par l'adoption d'un régime plutôt libéral dans le monde arabe, relatif aux organisations non gouvernementales, dont plus de 700 sont présentes dans les territoires. Le Conseil a aussi été un lieu de débat où l'opposition, mais aussi les élus de la majorité, n'hésitaient pas à questionner les responsables de l'Autorité et à critiquer son action, à tel point que la publicité des débats a dû être strictement encadrée.
Les compétences du Conseil sont limitativement définies : éducation, culture, santé, protection sociale, impôts directs, tourisme. Sont formellement exclus les sujets relevant des relations internationales et les dossiers du statut final : Jerusalem, réfugiés, colonies, frontières, accords de sécurité et relations de coopération.
Le fonctionnement du Conseil s'est cependant heurté à des obstacles de toute nature qui, avant même le déclenchement de l'opération « Rempart », ont contribué à son affaiblissement et, plus généralement, à celui de l'Autorité palestinienne elle-même.
Le premier obstacle était pratique : les conséquences de l'Intifada, les bouclages des territoires ont empêché le Conseil de se réunir et donc de travailler dans des conditions normales. Les élus ont été conduits à travailler par téléphone, à se rassembler dans leurs circonscriptions ou à adresser leurs propositions sur les sujets inscrits à l'ordre du jour au secrétariat au Conseil.
D'autres obstacles relèvent de causes plus profondes : le président de l'Autorité n'a guère promulgué à ce jour que 50 % des lois votées. Manquent à l'appel des textes essentiels -notamment la loi fondamentale, la législation sur le système judiciaire ou encore le statut des fonctionnaires- autant de textes votés mais non promulgués par M. Arafat.
L'absence de réelle séparation de l'exécutif du législatif ne permet pas un contrôle équilibré -l'exécutif et son président ne sont qu'une « commission exécutive », partie intégrante du Conseil législatif. Au moins 80 % des membres de cette commission exécutive doivent être également des membres élus du Conseil.
La prééminence des cadres de l'OLP au sein de l'institution explique sans doute aussi le maintien de pratiques politiques et économiques incompatibles avec un véritable État de droit. L'autoritarisme du président de l'Autorité ou une certaine opacité dans le fonctionnement de l'autorité exécutive sont fréquemment relevés. Des membres élus du Conseil législatif, rencontrés par votre délégation, ont clairement soulevé ce problème, estimant notamment que la situation de crise en cours ne devait pas dispenser de la mise en place d'une véritable démocratie, libérée également des accusations de corruption portées ici et là.
Enfin, aux compétences limitées déjà évoquées s'ajoute aussi l'enlisement du processus de paix qui a conduit à la reconduction du mandat des membres de l'Autorité palestinienne élus pour 5 ans en 1996, contribuant également à fragiliser sa légitimité.
Enfin, la guerre-désormais ouverte- engagée depuis plusieurs mois a entraîné des difficultés économiques considérables.
4. Une économie profondément sinistrée
Depuis le début de l'Intifada, les restrictions partielles ou totales aux mouvements des biens et des personnes entre les Territoires et Israël ont été en place de façon ininterrompue. Dans une étude couvrant la période octobre 2000-septembre 2001 , l'UNSCO 11 ( * ) avait ainsi répertorié jusqu'à 51 enclaves isolées les unes des autres. Les postes frontière avec l'Egypte et la Jordanie avaient été fermés au trafic commercial respectivement 78 et 72 % du temps.
Deux hypothèses étaient retenues pour évaluer les pertes globales de l'économie palestinienne dues à la politique de bouclage : l'hypothèse « pessimiste » prévoyait une chute du PIB de 50 % entraînant une perte globale d'environ 2,6 milliards de dollars. En ajoutant à ces montants les pertes de revenu des travailleurs palestiniens qui ne peuvent plus travailler en Israël ou dans les colonies (594,5 millions de dollars), les pertes totales étaient estimées à 3,2 milliards de dollars.
Le conflit a affecté considérablement les flux commerciaux entre les Territoires palestiniens et Israël qui correspondent à près de 75 % des échanges globaux des Territoires palestiniens. Au cours du premier semestre 2001, les importations avaient déjà baissé de 33,5 % par rapport au premier semestre 2000 et les exportations vers Israël s'étaient déjà réduites de 17,7 %.
La demande adressée aux entreprises s'est effondrée tandis que le volume des ventes a baissé de 47 %. L'industrie ne tournait qu'à 30/40 % de ses capacités avec un personnel démotivé ou absent pour cause de bouclages. Les entraves à la libre circulation des marchandises ont entraîné une hausse du coût des transactions : matières premières, transport, et un rallongement des délais de livraison. De nombreuses petites sociétés ne remboursaient plus leurs dettes ou faisaient faillite. Toutefois, une économie de résistance s'était instaurée. L'économie souterraine, déjà importante avant l'Intifada (entre 30 et 40 %), aura permis d'assurer la circulation d'un minimum de liquidités.
Enfin, la faiblesse de l'investissement public n'a plus contribué au soutien de l'investissement privé, les donateurs internationaux privilégiant désormais l'aide d'urgence au détriment de l'aide projet.
D'autre part, alors que le taux de chômage s'établissait à 12,7 % avant l'Intifada, ce dernier s'élevait déjà -en 2001- en moyenne à près de 40 % (35 % en Cisjordanie et 50 % dans la bande de Gaza). On estimait à 80 000 le nombre d'emplois détruits dans le secteur privé pendant la période. L'Intifada a renforcé l'importance du secteur public comme employeur potentiel, situation qui ne saurait perdurer sur le long terme en raison de la contrainte budgétaire qu'elle induit.
Le chômage, dû notamment à la perte des emplois en Israël et aux restrictions internes de circulation, a eu des effets directs sur le revenu des ménages qui a chuté de 40 %.
A la fin de l'année 2001, près de 46 % de la population vivait déjà en dessous du seuil de pauvreté estimé à 2,1 dollars par jour et par personne en dépense de consommation.
Une année d'Intifada a eu également des résultats désastreux sur le budget de l'Autorité palestinienne dont les recettes dépendent, à hauteur d'environ 60 %, des restitutions fiscales. A la fin de septembre 2001, près de 268 millions de dollars de restitutions fiscales étaient toujours bloquées par Israël.
Couvrant une période déterminée, d'octobre 2000 à septembre 2001, les analyses économiques précédentes ne prennent pas en compte, et pour cause, les événements du premier trimestre 2002 qui n'ont pu que contribuer à accélérer la pente d'une dégradation continue de l'économie palestinienne.
Dans ce contexte, l'Union européenne a eu -et gardera- un rôle important. Celle-ci éprouve, certes, en dépit de l'action résolue de son Envoyé spécial M. Moratinos, de réelles difficultés à s'affirmer politiquement dans le conflit israélo-palestinien et à déterminer une unité de vues entre ses membres, hors le nécessaire soutien à un engagement américain accru dans la région.
Il reste que l'Union européenne a été, et demeure, un soutien économique majeur du processus de paix initié à Oslo. D'une valeur annuelle moyenne de quelque 500 millions d'euros, l'aide économique et financière européenne a, depuis 1996, permis la réalisation de nombreuses infrastructures dans les territoires palestiniens, dont certaines n'ont d'ailleurs pas survécu aux combats récents -notamment l'aéroport de Gaza.
L'assistance financière régulière, augmentée fréquemment d'une aide d'urgence, a permis de combler le déficit budgétaire de l'Autorité palestinienne. Enfin, l'Union européenne est, après les États-Unis, le deuxième contributeur au budget de l'UNRWA.
* 11 Service du Coordinateur Spécial des Nations Unies dans les territoires occupés.