N° 275
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché au procès-verbal de la séance du 21 février 2002 Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2002 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur les nouvelles télévisions ,
Par M. Jacques VALADE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Audiovisuel et communication |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le rapport d'information qui suit présente les actes de la journée thématique sur les nouvelles télévisions organisée le 30 janvier 2002 par la commission des affaires culturelles du Sénat.
• Les objectifs de la journée thématique
En prenant l'initiative de cette rencontre, la commission a d'abord voulu se donner les moyens de mieux cerner les données de l'évolution de la télévision à court et moyen terme, de façon aussi large, aussi objective et aussi documentée que possible.
La commission des affaires culturelles a aussi souhaité inscrire cette journée thématique dans une perspective dynamique et concrète. Il s'agissait pour elle d'identifier autant que faire se peut les changements qui résulteront du caractère aléatoire du progrès technique, des décisions du marché, des prévisions et des stratégies des différentes catégories d'opérateurs et d'entrepreneurs, de la classe politique et de l'Etat. C'est pourquoi, tout en consultant « techniciens » et observateurs du monde de la télévision, la commission a largement centré la journée thématique sur les interventions d'un nombre significatif de « décideurs » dont les analyses et les entreprises transformeront en propositions aux téléspectateurs les virtualités techniques de départ.
En invitant le ministre de la culture et de la communication à s'adresser aux participants avant le déroulement de la dernière table ronde, significativement dénommée « volonté politique et choix stratégiques », en demandant à des sénateurs d'introduire les quatre tables rondes qui ont ponctué la journée du 30 janvier, la commission a par ailleurs souhaité contribuer à l'esquisse d'un panorama des attentes, des réactions et des questions que les nouvelles télévisions suscitent de la part du politique et des citoyens. Au delà de leur diversité, les propos tenus portent un message commun : le politique est pleinement conscient des responsabilités qui lui incombent à l'égard d'une activité dont l'emprise s'étend à la culture, à l'éducation, à la citoyenneté, dont l'orientation doit par conséquent demeurer conforme à l'intérêt général, dont la dimension économique, de plus en plus sensible, implique l'élaboration d'arbitrages difficiles entre la logique de l'efficacité économique, celle de la culture et celle du lien social.
• La puissance publique face aux transformations de la télévision
La complexité croissante de la loi du 30 septembre 1986 au fil de ses modification successives, celle plus remarquable encore des textes d'application de la loi, montrent la difficulté de la démarche publique qui doit accompagner la création d'un nouveau paysage audiovisuel harmonieux et stable.
On peut considérer comme une illustration de cette complexité le fait que, dans le cadre du lancement de la télévision numérique de terre (TNT), le CSA ait décidé de ne fixer le terme du délai de réponse à son appel à candidature pour l'attribution des fréquences qu'après la parution de l'ensemble de la réglementation applicable aux futurs services. C'est d'ailleurs au cours de l'allocution prononcée lors de la journée thématique que le ministre de la culture et de la communication a annoncé la publication du dernier décret attendu, celui prévoyant la distribution obligatoire par les réseaux câblés des chaînes en clair de la TNT, dans le but de consolider leur économie incertaine.
Un point apparemment assez secondaire et ne concernant pas directement le régime juridique de la TNT, est ainsi à l'origine du dernier retard avant le lancement de l'étape cruciale au terme de laquelle l'on constatera le ralliement des opérateurs au défi de la TNT, ou leur réserve. On constate que le pouvoir réglementaire ne néglige rien.
Autre constatation significative de ce point de vue, la disposition législative qui permet au pouvoir réglementaire d'instituer l'obligation de « must carry » au profit des chaînes de la TNT, a été introduite dans la loi du 30 janvier 1986 par la loi du 1 er août 2000 : cette possibilité, qui du reste n'a pas été explicitement prévue en fonction du lancement de la TNT, n'existait pas auparavant. La puissance publique continue de renforcer ses moyens d'action.
Compte tenu du degré croissant de précision atteint dans le réglage par l'Etat de l'environnement réglementaire des nouvelles télévisions, compte tenu aussi du rôle majeur attribué à la télévision publique dans le paysage audiovisuel en formation et de l'importance de ses missions, il importait, il importera toujours, que le politique et le monde de la télévision se connaissent mieux.
La rencontre du 30 janvier fut dans cette optique une utile occasion d'échange, un moyen d'expression et d'information réciproques riche d'enseignements parmi lesquels il est possible de retenir quelques lignes de force.
• L'entrée dans l'âge des nouvelles télévisions, ou la gestion de l'incertitude
Si l'on tentait de résumer ces lignes de force, on recenserait un grand nombre d'incertitudes, pour une seule certitude : la numérisation inéluctable de l'ensemble du transport des signaux, notamment ceux de la télévision . L'échéancier, les opérateurs, les équipements, l'économie, les programmes de la télévision numérique de demain sont en effet sujets à débat, parfois virulent, on l'a constaté à propos du choix de la TNT comme principal vecteur de la numérisation de la diffusion.
Alors que la TNT est en cours de lancement, qu'elle est la référence à partir de laquelle les acteurs prennent position sur l'évolution de la télévision, qu'elle a été l'objet d'une grande partie des interventions lors de la journée du 30 janvier, sa pertinence économique reste contestée. Sa faisabilité technique fait aussi problème, sur des points certes mineurs -la conformité de l'ensemble du parc d'antennes râteaux de réception-, mais on a vu que tout importe, dans l'économie de la télévision.
Certes, au-delà des incertitudes se profile une seconde certitude, d'une qualité particulière, car ne débouchant sur aucune conclusion sûre. Mais il faut l'avoir constamment à l'esprit, sauf à lancer l'Etat et les opérateurs dans de coûteuses aventures, sauf à risquer de reproduire le modèle du plan câble ou celui de la télévision à haute définition : les usagers de la télévision décideront in fine de ce que sera ou ne sera pas le télévision de demain. Inutile certitude ? Un participant aux débats du 30 janvier faisait remarquer à juste titre qu'il est difficile de savoir quel accueil réserveraient les téléspectateurs à des émissions dont ils n'ont pas l'idée jusqu'à présent. Il n'en est pas moins utile de cerner autant que faire se peut le profil de cette incertaine certitude, d'identifier des repères, de les proposer à l'interprétation des participants.
• L'avis du public
C'est pourquoi la commission des affaires culturelles du Sénat avait souhaité faire procéder à un sondage sur les attentes des Français. Ce sondage a révélé de fait quelques perspectives, peut-être quelques sujets de perplexité, dont les intervenants n'ont pas manqué d'esquisser l'interprétation :
- il est intéressant de savoir par exemple que 72 % des personnes interrogées discutent souvent avec leurs proches ou leurs collègues des émissions regardées : au moment où l'offre de services thématiques devrait faire un nouveau bond, on constate la pérennité de la télévision généraliste, celle qui joue un rôle éminent dans la construction permanente du lien social ;
- il est aussi intéressant de noter que 13 % seulement des français ont entendu parler de la TNT et savent ce dont il s'agit : le rythme d'équipement des foyers, donnée cruciale du succès ou de l'échec, s'en ressentira probablement ;
- autre information susceptible d'alimenter la réflexion des opérateurs : 69 % des personnes interrogées n'envisagent pas d'investir dans l'achat de nouveaux équipements nécessaires à la réception de la TNT, mais 71 % de celles qui manifestent leur intérêt sont disposées à payer un abonnement de plus de 15,24 euros aux chaînes payantes : en dépit des analyses confirmées par le tout récent rapport rédigé sur la TNT par M. Jérôme Gallot, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en dépit de la priorité donnée par la loi aux services gratuits pour la répartition des fréquences, il est possible que les services payants soient appelés à jouer un rôle au moins aussi important que les gratuits dans le lancement de la TNT.
La consultation par sondage des Français sur les nouvelles télévisions suscite donc, comme souvent, plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Comment transformer en stratégies des tendances que l'on sait fluctuantes et dont il faut cependant tirer parti, comment interpréter l'ensemble des données livrées au cours de la journée du 30 janvier ?
Mais la synthèse des incertitudes permet au bout du compte d'identifier quelques contrastes majeurs, quelques contradictions vraisemblablement ordonnatrices de la télévision de demain. Quelles sont ces contradictions, que la journée thématique du 30 janvier a contribué à mettre en lumière ?
• Des difficultés à trancher
On peut envisager les contradictions qui intéressent directement le législateur, avant d'aborder le cas des opérateurs et celui des téléspectateurs :
- il existe vraisemblablement un hiatus latent entre d'une part la réglementation assez largement différenciée des vecteurs de diffusion et d'autre part la convergence numérique, l'alignement nécessaire des conditions de concurrence entre services de même nature : les mêmes services seront à terme indifféremment diffusés sur l'ensemble des supports et les supports serviront indifféremment à la diffusion de services de toute nature, audiovisuels comme de télécommunications.
Plusieurs intervenants ont ainsi évoqué les contraintes pesant sur l'exploitation des réseaux câblés face à la grande souplesse de la diffusion satellitaire. Dans une optique plus large, d'autres intervenants ont évoqué l'opportunité d'optimiser la gestion des fréquences en confiant celle-ci à un régulateur unique, ou même l'utilité de confier à un seul régulateur la gestion de l'ensemble de la communication électronique ;
- un hiatus équivalent existe depuis plusieurs années entre le niveau des obligations imposées aux opérateurs nationaux en termes de diffusion et de contribution au financement de la production, pour d'incontournables raisons de politique culturelle et sociale, et l'ouverture croissante du marché de la télévision au niveau européen et mondial.
De ce hiatus résulte un risque de délocalisation des services français.
Le régime d'autorisation institué pour la TNT offre une possibilité jusqu'à présent inexistante de concilier l'augmentation sensible de l'offre télévisuelle avec le maintien d'un cadre réglementaire précis, exigeant et incontournable. Mais ceci au prix d'une implication déterminante des pouvoirs publics dans la constitution de l'offre : c'est le CSA qui joue le rôle de véritable « programmateur » de la TNT, d'assembleur des bouquets, mission dont plusieurs intervenants ont relevé le caractère unique en Europe, pour ne pas mentionner les Etats-Unis ;
- les opérateurs désireux de prendre le virage de la TNT auront de leur côté à gérer la contradiction entre d'une part les conditions nécessairement aléatoires du passage à l'exploitation commerciale et d'autre part une dynamique de succès exigeant une mise en place rapide et globale du nouveau marché.
Il est possible de se demander si les responsabilités confiées au CSA pour la création de cette dynamique sont de nature à faciliter ce passage au marché ;
- il y a aussi contradiction potentielle, on y a fait allusion plus haut, entre le rôle désormais référentiel de la TNT en matière de télévision numérique et la très large gamme des possibilités offertes par d'autres vecteurs, de même qu'entre l'ampleur des moyens dont le lancement de la TNT nécessite la mobilisation et la modestie relative des attentes actuelles des téléspectateurs en ce qui concerne l'évolution de l'offre.
Sur le premier point, des craintes se sont exprimées, au cours de la journée du 30 janvier, sur les possibilités relativement limitées de la TNT en matière d'interactivité en comparaison du vaste potentiel offert prochainement par l'internet à haut débit, en matière de contenus et dans une perspective d'aménagement du territoire ;
- les attentes des téléspectateurs, enfin, ne sont-elles pas elles-mêmes tissées de contradictions, comme le montre la coexistence entre d'une part un goût prononcé pour le libre choix - 54 % des consultés attendent du progrès technique la possibilité de composer leur propre programme - et d'autre part l'attachement persistant à une télévision généraliste qui implique la présence à un moment donné du gros des téléspectateurs devant un nombre limité de programmes « fédérateurs » ?
• Des complémentarités nécessaires
On pourrait aisément poursuivre la liste des contradictions. Amorçons plutôt celle des complémentarités qui permettront de les surmonter.
On peut citer à titre d'exemple :
- la complémentarité souhaitable entre les vecteurs de diffusion, à réaliser en fonction du potentiel de chacun en termes de couverture géographique et de capacité de transport des signaux ;
- la complémentarité possible entre sources de financement, la gratuité des services financés par la publicité agissant comme levier pour le lancement de services payants, selon le pari esquissé pour la TNT dans le rapport déjà cité du directeur général de la DGCCRF ;
- la complémentarité attendue entre l'augmentation de l'offre télévisuelle et le renforcement de la production française, peut-être plus facile à réaliser que les précédentes, encore que les intentions du législateur se heurtent parfois à de sérieux obstacles. Que l'on considère à cet égard la récente décision prise par les diffuseurs de diminuer le taux de leur participation au financement des oeuvres audiovisuelles, réponse à l'instauration, en application de la loi du 1 er août 2000, d'un régime d'acquisition des droits pour une diffusion unique sur 18 mois au lieu des trois diffusions possibles auparavant.
Sans doute la journée thématique du 30 janvier n'a-t-elle pas permis d'identifier des recettes pour surmonter ces contradictions et pour réaliser ces complémentarités : ce n'était d'ailleurs pas son objectif.
Elle aura en revanche joué son rôle, qui était de fournir à la commission des affaires culturelles, comme à l'ensemble des intervenants et participants, d'utiles repères pour l'exercice, dans l'avenir, de leurs responsabilités respectives.
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