II. LES MACHINES À SOUS ET AUTRES PRATIQUES CLANDESTINES
A. UN NOUVEAU MARCHÉ POUR LE GRAND BANDITISME
En face de l'essor des machines à sous légales des casinos, autorisées au compte-gouttes par un ministère de l'Intérieur très parcimonieux dans ce domaine, l'apparition d'un autre type de « bandits manchots » parfaitement illégaux, l'accroissement de leur nombre et les conditions de leurs implantations, pose de graves problèmes à la Police française.
1. Un phénomène difficile à cerner
Déjà, on estime qu'au regard des
13 000 machines installées dans les casinos, existe un
« parc » de 6 000 appareils clandestins
installés dans les bars de province et de 400 en banlieue parisienne.
Tel professionnel français dit 30 000, tel autre de 20 à
30 000 !
Quelqu'un connaît-il vraiment ce chiffre ? c'est peu probable.
Pour certains experts étrangers « l'estimation
basse » des autorités françaises est très
éloignée de la réalité et ils pensent qu'il y a
déjà 100 000 machines clandestines en service chez nous
; chiffre n'est pas forcément étonnant quand on sait qu'en
Espagne on en compte 252 000 et 227 000 en Allemagne, toutes
légalisées.
Que sont ces « baraques » ? Qui les met en place ?
Ce sont en apparence de simples jeux de comptoirs, d'arcade, des machines
d'adresse, des flippers, des jeux vidéo qui ont été
modifiés secrètement par l'adjonction de logiciels qui les
transforment en machines à sous tels que Bingo ou Vidéo poker. Le
joueur, au lieu de gagner des parties gratuites ou des bricoles, gagnera de
l'argent avec des mises par exemple de 10 à 20 francs pour une
vidéo poker.
La machine fonctionne en jeu d'adresse tant que le logiciel n'est pas
activé ; il le sera, soit par le cafetier derrière le bar, soit
par le joueur, connu de la maison, et qui procède sur la
« baraque », à une manoeuvre spéciale
comme : appuyer plus de dix secondes sur un bouton et poursuivre par
deux impulsions, etc.
Les gains du joueur lui seront discrètement payés dans les
toilettes par le cafetier. La « baraque »
rétrocèderait aux gagnants de 40 à 50 %.des enjeux
selon certains ; ce n'est pas l'avis du Directeur Régional de la police
judiciaire de Marseille, M. X. Guillepain, qui estime ce chiffre à
20 % maximum. Le bénéfice sera réparti pour
moitié entre le cafetier et le placier qui a fourni la machine.
Le placier travaille pour un réseau
, un ou plusieurs
intermédiaires et enfin le « caïd » qui ramasse
l'essentiel de la mise. Les réseaux sont nombreux, concurrents et
gérés par les gangs. Le jeu a pénétré dans
le monde de la criminalité et des guerres du milieu.
2. Une activité des plus rentables
Un
nouveau et très important « marché » pour le
« Milieu ».
Les investissements pour la machine (25 000 F) et pour le logiciel
(10 000 F) sont dérisoires au vu des rendements
escomptés (30 000 F en moyenne par mois ).
Certains parlent de 2 000 F par jour pour les emplacements les plus
productifs.
C'est bien l'avis du Directeur Guillepain qui estime ces rapports à 20
à 60 000 F par mois et par machine.
Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce qu'on estime à
2 milliards de francs le chiffre d'affaire du parc clandestin (6 000
machines au minimum selon la police ) à rapprocher des 9 milliards
de francs du produit brut des jeux des machines à sous légales.
S'il fallait croire à l'estimation de 100 000 machines (voir
plus haut) rapportant 30 000 francs par mois, ceci
représenterait 36 milliards de francs par an ! C'est peut
être beaucoup !
3. Des problèmes de répression
La
répression
de ce nouveau phénomène criminel est
très difficile à effectuer parce quelle réclame, du
renseignement, (les dénonciations sont exceptionnelles ), de longues
enquêtes préliminaires de la police nationale, de la gendarmerie
et des douanes, très souvent associées dans ces opérations
délicates
13(
*
)
.
Planques nocturnes, observation des bars suspects, repérage et filature
des « placiers » pour identifier le réseau des
machines placées (souvent imposées aux cafetiers sous la menace),
dépôts et ateliers, saisine du Parquet, commissions rogatoires,
descentes massives de police (dans plusieurs dizaines de bars
simultanément), saisies des carnets de gains, des machines
14(
*
)
, arrestations, mises en examen,
instruction, procès. C'est un combat très difficile.
Les prévenus risquent deux ans de prison, 200 000 francs
d'amende et des droits de fraude prélevés par les
Douanes
15(
*
)
,ce qui est
dérisoire pour les délinquants au regard des gains potentiels.
D'ailleurs, les réseaux protégent leurs clients, payent les
amendes et vont même jusqu'à dédommager les bars
condamnés par les Préfets à une fermeture administrative
de six mois à la condition cependant que les tenanciers acceptent
de reprendre les « baraques » lors de leur
réouverture !
Pour le SRPJ de Marseille, la principale difficulté provient du fait que
ce genre de délit est mineur et qu'il n'y a pas même la
possibilité d'une présentation à un magistrat ; pas
même celle de demander une commission rogatoire pour diligenter un
contrôle des machines suspectes.
C'est assez pénible à reconnaître, mais la seule
répression réelle semble celle exercée par les
règlements de comptes en série qui caractérise ce secteur
du banditisme.
Les efforts remarquables de « fidélisation » de la
part du « milieu » pour les bars
« associés" s'expliquent par le fait que pour lui ce
« nouveau marché » est non seulement
extrêmement rentable mais aussi infiniment moins risqué que celui
des braquages, du trafic de drogue ou de la prostitution.
Les « baraques » appelées aussi
« gagneuses » (surnom réservé jusqu'ici aux
prostituées), ne « balancent » pas, ne sont jamais
malades et rapportent un argent fou !
4. Une délinquance en progression
Par
contre, les « parts de marché » sont difficiles
à conquérir et à conserver car la concurrence des gangs et
la guerre des réseaux a déjà fait 48 morts en
quelques années dans le « Triangle de la Mort » :
Bouches-du-Rhône, Vaucluse-frontières espagnoles et italiennes.
(cf. les travaux de Xavier Raufer et Stéphane Quere -Université
de Paris II - Panthéon Assas - Mars 2001 « Machines
à sous :une guerre bien réelle »).
En fait, toujours d'après le SRPJ de Marseille, en août 2001,
on peut retenir un chiffre assez supérieur à 52 morts en
quelques années. Actuellement, en région PACA trois
règlements de compte sur quatre sont à mettre au compte des
machines à sous clandestines.
Même si la région Sud, jusqu'à Orange, détient tous
les records, la remontée vers le Nord s'effectue relativement lentement.
Mais ce n'est qu'une question de temps et la région parisienne est
maintenant touchée : en octobre 2000,en Seine-Saint-Denis, un coup
de filet a concerné 21 bars et donné
41 interpellations, la saisie de 30 pokers, 15 flippers bingo,
20 logiciels, et celle de carnets de gains de 78 000 francs en
pièce de 10 francs.
Pour les mêmes faits, en avril 2001, à Bastia, on trouvait dans le
box des accusés 28 personnes, toutes frappées
inexplicablement de cette forme grave du mutisme qui sévit de
façon endémique dans l'Ile de Beauté. !
Dans la seule Région Ile-de-France, le potentiel de croissance de ce
trafic est immense et inquiétant estime la Brigade de répression
du proxénétisme qui s'est dotée en 1995 d'un groupe
spécialisé dans les jeux et les machines à sous.
De toute façon, le phénomène ne peut que croître
puisque le profit augmente.