Postes européennes : libéralisation et service public, entre mythes et réalités
LARCHER (Gérard)
RAPPORT D'INFORMATION 176 (2001-2002) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES ; GROUPE D'ÉTUDE "Poste et Télécommunications"
Rapport au format Acrobat ( 249 Ko )Table des matières
- INTRODUCTION
-
INTRODUCTION DU COLLOQUE
- I. LES PERSPECTIVES EUROPEENNES : UN MARCHE OUVERT, CONCURRENTIEL ET REGULE
-
II. LA GRANDE MUTATION DES ACTEURS ET DES SERVICES POSTAUX
EN EUROPE
- M. Graham Corbett, président de la Postal Services Commission de Grande-Bretagne
- M. José Marcos, directeur des affaires internationales de la poste espagnole
- M. Bernard Damiens, directeur de la régulation et des affaires internationales de la poste belge
- M. Philip Doddenberg, membre du comité exécutif de la poste néerlandaise
- M. Gerhard Harms, vice-président de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la poste allemandes:
- Débat avec la salle
- M. Mark van der Horst, président du comité postal de la European Express Association
- M. Jacques Lemercier, vice-président de l'UNI-Europe Poste, secrétaire général de FO communication
- M. Alain Bréau, président de Transport et Logistique de France (TLF)
- Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université Paris IX (Dauphine)
- M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications (CSSPPT)
- Débat avec la salle
-
III. TRANSITIONS DYNAMIQUES ET INTERROGATIONS
RECURRENTES
- Michel Barnier, commissaire européen, responsable de la Politique régionale et de la Réforme des institutions (message)
- M. Walter Maschke, directeur général de la poste allemande
- M. Christian Stoffaës, président d'Initiative pour des services d'utilité publique en Europe (ISUPE) et directeur de la Délégation à la prospective internationale à Electricité de France
- M. Jacques Guyard, président de la CSSPTT, député de l'Essonne
- M. Gilles Guitton, directeur général de Fédération bancaire française
- M. Hubert Haenel, sénateur du Haut-Rhin, président de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne
- Débat avec la salle
-
IV. QUELLES STRATÉGIES POUR LA POSTE
FRANÇAISE 2000-2010 ?
- M. Gilles Savary, député européen
- M. Jean Besson, député du Rhône, membre de la CSSPPT
- M. Patrick Bourgeois, secrétaire fédéral de la CGT-PTT
- M. Richard van Bruygom, directeur général France chargé des opérations de Fedex
- Débat avec la salle
- M. Bernard Siouffi, délégué général de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD)
- M. Jean-Claude Lechanoine, président de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (AGEA)
- M. Martin Vial, président de la poste française
- CONCLUSION DU COLLOQUE
- ALLOCUTION DE CLÔTURE
- « POSTES EUROPÉENNES : LIBÉRALISATION ET SERVICE PUBLIC, ENTRE MYTHES ET RÉALITÉS »
N°
176
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 janvier 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude « Poste et télécommunications » sur les Actes du Colloque « Postes européennes : libéralisation et service public, entre mythes et réalités » organisé par le Sénat le 20 juin 2001,
Par M.
Gérard LARCHER,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
M. Gérard Larcher,
président
; MM.Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard
César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade,
vice-présidents
; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin,
Patrick Lassourd, Bernard Piras,
secrétaires
; MM. Jean-Paul
Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard
Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel,
Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme
Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle,
Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau,
Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel
Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre,
François Fortassin, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM.
Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis
Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette
Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kerguéris, Gérard Le Cam,
Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves
Mano, Max Marest, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel
Percheron, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Raoul, Paul
Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude
Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel,
André Trillard, Jean-Pierre Vial.
(2) Le groupe d'études est composé de : M. Pierre
Hérisson, président, MM. Gérard Larcher, Georges
Gruillot, Pierre-Yvon Tremel, Jacques Bellanger, François Trucy,
Philippe Adnot, Paul Girod, vice-présidents, M. Max Marest,
Mme Marie-France Beaufils, secrétaires, MM. Pierre André,
Michel Bécot, Paul Blanc, Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Marcel Debarge,
Robert Del Picchia, Gérard Delfau, Michel Doublet, Christian Gaudin,
François Gerbaud, Joseph Kerguéris, Pierre Laffitte, Serge
Lagauche, Lucien Lanier Patrick Lassourd, Joseph Ostermann, Jean-Marc Pastor,
Charles Revet, Yves Rispat, Daniel Soulage, Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre
Vial.
Postes et télécommunications. |
INTRODUCTION
Message de M. Christian Poncelet, président du Sénat
Messieurs les parlementaires, Mesdames, messieurs,
C'est tout d'abord mon regret de ne pouvoir ouvrir personnellement ce colloque
que je tiens à vous exprimer par l'intermédiaire de mon ami le
Président Gérard Larcher.
Le sujet dont, à son initiative, vous débattrez tout au long de
cette journée est, à mes yeux, essentiel à un double
titre : il s'agit d'un service public auquel je suis
particulièrement attaché puisque j'y ai commencé ma
carrière professionnelle et auquel mes fonctions de Président du
Sénat me rendent particulièrement attentif. Il constitue en effet
un « noyau dur » de l'équilibre des territoires.
L'Europe l'a d'ailleurs consacré en reconnaissant son caractère
de service universel.
Dans le même temps, l'Europe requiert l'achèvement du
marché intérieur, c'est-à-dire l'ouverture à la
concurrence du secteur postal.
Avec persévérance, Gérard Larcher, qui préside le
groupe d'étude « Postes et
Télécommunications » du Sénat, demande au
gouvernement, depuis 1997, une loi d'orientation sur La Poste qui lui permette
précisément de s'adapter à cette situation concurrentielle
nouvelle comme ont su le faire d'autres postes européennes. Le
gouvernement aurait dû mettre à profit le délai ouvert par
l'accord Kohl-Chirac de 1996 pour organiser les conditions de cette adaptation.
Il n'en a rien été, et, qui plus est, les Quinze n'ont pu
s'entendre, en décembre dernier, sur une étape
intermédiaire.
Ce colloque est donc particulièrement bien venu puisqu'il permettra de
confronter les stratégies mises en oeuvre par nos partenaires
européens pour adapter leur secteur postal à la concurrence tout
en gardant présent à l'esprit la nécessité pour la
poste française de réussir sa mutation en préservant la
qualité d'un service au public.
Je sais que mes collègues sénateurs ne sont à court ni de
convictions ni de propositions dans ce domaine. Pour cette raison, si le
gouvernement veut bien les entendre par dessus les tumultes électoraux,
je dirai, cher Gérard Larcher, qu'il n'est pas trop tard pour sauver La
Poste mais qu'il faut faire vite et j'espère que vos travaux
d'aujourd'hui permettront d'accélérer un mouvement
inéluctable.
INTRODUCTION DU COLLOQUE
M. Gérard Larcher, vice-président du Sénat, Sénateur des Yvelines, président du groupe d'étude « Poste et Télécommunications »
Je
formule le voeu qu'à la fin de cette journée, ce qui nous aura
été exposé nous permette de mieux répondre à
deux questions qui m'apparaissent essentielles dans le débat postal et
la transformation des postes.
La première question est de savoir si l'Union européenne peut
faire l'économie de services postaux à même d'assurer des
tâches d'intérêt général qui ne correspondent
pas toujours aux impératifs du marché.
En d'autres termes, l'Union se doit-elle d'instituer un service universel
postal de qualité ? Nous, Français, appelons cela
« service public postal », car nous avons l'habitude de
faire exécuter par des personnes publiques ce qu'à Bruxelles on a
appelé « service universel » car, ailleurs en
Europe, il peut être mis en oeuvre par des personnes de droit
privé.
À cette question, je réponds « oui » car,
pour moi, il est des exigences de solidarité collective sans le respect
desquelles il n'est pas de société équilibrée, et
que la seule application des règles du marché ne me paraît
pas à même de satisfaire de manière convenable.
J'évoque là, notamment, les exigences de solidarité
sociale et de solidarité territoriale qui imposent un traitement
égal de situations différentes pour assurer une solidarité
citoyenne.
À première vue, cette question a déjà reçu
une réponse apaisante puisque la directive postale de 1997 instaure un
service universel. Les États de l'Union européenne ont le plus
souvent en commun un modèle social qu'ils semblent, en cette
circonstance, avoir eu le souci de préserver. Cependant, cette
réponse de principe suscite désormais des interrogations quant
à sa mise en oeuvre effective. En effet, la Commission de l'Union
européenne propose maintenant de garantir ce service universel avec un
monopole sur les lettres de moins de 50 g (contre 350 g
actuellement). En outre, plusieurs États membres préconisent de
programmer, à terme plus ou moins lointain, une libéralisation
totale excluant tous droits réservés aux opérateurs de
service universel.
Serait-il toujours possible, dans ces conditions, de garantir
l'affranchissement au même prix d'une lettre postée de
Lozère vers les Hautes-Alpes et une lettre de poids équivalent
envoyée de Lyon à Paris ? Serait-il aussi possible, de
garantir un service universel postal véritable et effectif ? Dans notre
pays, et par-delà les clivages politiques ou philosophiques, beaucoup en
doutent.
Sur ce sujet, il nous faut d'ailleurs être clairs. En France, la notion
de service public est un concept politique fort. Elle est une invention
républicaine ayant pour but d'inscrire dans la réalité
sociale ces deux idéaux : égalité et
fraternité. Elle n'a pas vocation à légitimer de grands
conservatismes ou de petites hypocrisies. S'il est normal que les droits acquis
soient préservés, le service public postal ne doit pas être
l'alibi du corporatisme. Il n'est pas non plus de nature à justifier le
maintien pour l'éternité de structures administratives issues
d'un passé révolu. Il n'a pas davantage à cautionner le
transfert vers les postes de charges relevant de la responsabilité de
l'État. Il ne peut pas servir d'excuse à une insuffisante
transparence des comptes.
Non, accepter de tels détournements masqués derrière des
mots mythiques tels que le service public serait se résigner à un
dévoiement de valeurs qui sont au coeur de notre pacte national
français et, pour partie, intégrées à
l'idéal communautaire. Cette observation m'amène à
formuler une seconde question. Pourquoi, parmi les pays de l'Union, la France
apparaîtrait-elle comme le pays qui semble rencontrer le plus de
difficultés à adapter son opérateur postal à la
nouvelle donne économique et réglementaire
européenne ? Pourquoi semblons-nous connaître en ce domaine
un déficit d'adaptabilité ou de modernité ? Cette
interrogation, qui peut paraître très
« franco-française », s'adresse aussi à nos
amis européens car, le plus souvent, ces réformes
réalisées chez eux n'ont même pas connu un début
d'engagement chez nous.
Je ne prendrai qu'un seul exemple : le statut de notre Poste. Longtemps
administration d'État, comme la plupart de ses homologues
européens, elle est un établissement public depuis dix ans.
Savez-vous combien de postes de l'Union européenne auront encore ce
statut hérité du droit administratif au
1
er
juillet 2001 ? Deux. Elles étaient cinq le
1
er
janvier 2000. La poste belge a été
transformée en société anonyme en mars dernier, la British
Post est devenue société par actions au mois de juillet suivant.
La poste espagnole devrait avoir, en vertu de la loi budgétaire 2001, le
statut de société anonyme au plus tard à la fin du mois de
juin 2001.
La seule autre poste de l'Union qui conservera le même statut que le
nôtre en juillet 2001 sera la poste luxembourgeoise. Or, les postiers de
ce pays semblent savoir que la transformation de leur poste en
société de capitaux est nécessaire. Est-ce le cas en
France ? Il semble bien que non.
Pourquoi une telle situation ? La réponse découle d'un
mélange de peurs compréhensibles et respectables, mais aussi
d'incompréhensions à dissiper. Elle est peut-être
également le fruit de confusions parfois savamment entretenues. En
effet, une transformation en société de capitaux publics n'est
pas une privatisation, c'est une sociétisation. Et les personnels
conservent leur statut de fonctionnaires, même si leur entreprise devient
société anonyme.
Quoi qu'il en soit, nous risquons d'être les derniers de l'Union
européenne à conserver dans la première décennie du
XXI
e
siècle une poste dont le statut date du
siècle dernier et paraît être devenu quelque peu
obsolète ; actuellement, seul un capital social peut
garantir un développement postal durable, la nécessaire
autonomie de gestion, des alliances solides, et l'unité
économique et sociale de l'opérateur. L'actualité montre
que cette autonomie de gestion lui aurait peut-être permis de placer des
« jetons jaunes »à côté des
« noisettes de l'écureuil » dans le partenariat avec
la Caisse des Dépôts et Consignations, plutôt que
d'être mis à l'écart dans la naissance du grand pôle
financier public.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment peut-on
envisager d'impulser un changement qui s'avère
a priori
garant
des grands intérêts de la Nation et de La Poste elle-même
tout en étant, bien entendu, respectueux du droit des femmes et des
hommes qui ont fait et font l'entreprise ?
Autant d'interrogations que je vous lance, Mesdames et Messieurs, pour la suite
de notre journée.
I. LES PERSPECTIVES EUROPEENNES : UN MARCHE OUVERT, CONCURRENTIEL ET REGULE
M.
Jean-Claude Larrivoire
Le Président Larcher vient d'exprimer des orientations précises
pour l'évolution de la poste française. Nous allons maintenant
entendre celles de plusieurs responsables européens. M. Paul Watershoot,
directeur général à la Commission Européenne,
chargé du marché intérieur, ouvre le débat.
M. Paul Watershoot, représentant de M. Frits Bolkestein, commissaire européen, responsable du marché intérieur
Je
comptais d'abord vous énumérer les changements qui ont eu lieu
récemment dans le marché postal, en tenant compte de la situation
de l'ensemble de la Communauté. Puis, vous rappeler la situation en ce
qui concerne la directive de 1997 et faire le point sur le débat actuel.
Une des premières constatations est qu'en Europe, la
profitabilité des opérateurs publics s'est
considérablement améliorée, la plupart d'entre eux
étant désormais bénéficiaires. Cette tendance qui
résulte de la directive actuelle est générale dans la
Communauté.
Les opérateurs s'efforcent de davantage tenir compte des besoins en
offrant un service de plus en plus varié, adapté aux
différentes catégories d'usagers. On a constaté que
grâce à la directive de 1997, la qualité du service
transfrontalier a considérablement augmenté. On note
également que se développent des collaborations entre
opérateurs publics et privés ainsi que des prises de
participation dans le capital des opérateurs dans les différents
États membres, ou des coopérations avec des opérateurs
privés, notamment dans le domaine exprès et des paquets. Souvent,
dans un certain nombre d'États, le réseau et les comptoirs
postaux sont aménagés sous forme de franchisage des
opérateurs.
On constate aussi que les services à valeur ajoutée sont
particulièrement contestés entre opérateurs publics et
privés, essentiellement les services exprès, les services
à valeur ajoutée de types nouveaux.
Des changements ont lieu au niveau réglementaire. Dans certains pays, il
n'y a plus de domaine réservé ; dans d'autres, il est
moindre que ce qui est autorisé par la directive en vigueur. Dans tous
les pays, la structure des opérateurs se transforme d'une administration
vers une entreprise commerciale.
Un certain nombre de problèmes résultent de ces changements. Le
principal est l'utilisation des ressources financières qui proviennent
du domaine réservé. Nous avons eu des décisions
récentes de la Commission dans ce domaine, car les ressources du domaine
réservé et qui, parfois, sont liées au niveau du tarif
national, conduisent à créer des ressources qui sont
utilisées dans une situation concurrentielle ou des ressources
utilisées pour le rachat d'entreprises dans les autres États
membres.
Quels sont les points essentiels de la directive actuelle ? Le maintien
d'un service universel de qualité qui est accessible à tous. Ce
service universel peut être financé par un domaine
réservé. Le mot important est « peut », ce
n'est pas une possibilité automatique d'attribuer un certain domaine
à l'opérateur public, c'est une possibilité qui doit
être en équilibre avec les charges supplémentaires qui
résultent du service universel.
Dans la directive, il y a la faculté d'établir un système
de licence en ce qui concerne le domaine couvert par le service universel, et
un système de fonds de compensation, qui peuvent être
utilisés si le domaine réservé ne suffit pas. Il ne peut
pas être utilisé au-delà. Le principe de base de la
directive est une ouverture progressive et contrôlée du
marché.
La situation du cadre réglementaire actuel est un équilibre entre
la réalisation du marché intérieur et le maintien du
service universel, basé sur la situation en 1997. Le degré
d'harmonisation est limité dans la directive car elle ne couvre que le
domaine réservé au maximum, la qualité du service
transfrontalier et le service universel minimal, c'est-à-dire que les
États membres peuvent prévoir un service universel qui va
au-delà du minimum prévu dans la directive.
Dans la Communauté, apparaît une réduction du domaine
réservé. Voici quatre exemples : le courrier domestique, le
publipostage, le courrier transfrontalier et le service à valeur
ajoutée. Que constate-t-on pour le courrier domestique ? Un certain
nombre d'États membres n'ont plus du tout de domaine
réservé, pourtant le service universel fonctionne bien. Trois
États membres ont une limite plus basse que celle autorisée par
la directive actuelle de 350 g, et un État membre (l'Espagne) a
ouvert le marché local à la concurrence. En ce qui concerne le
publipostage, trois États membres n'ont pas de domaine
réservé, et trois États membres ont d'autres
possibilités, d'ouverture du marché de publipostage. Pour le
courrier transfrontalier, cinq États membres ont
libéralisé ce marché, et cinq États membres ont
libéralisé le marché de fait, soit dix États
membres où le courrier transfrontalier sortant est
libéralisé. Pour ce qui concerne le service à valeur
ajoutée, le principe de la libéralisation est acquis dans la
directive de 1997. Ce principe a été confirmé par des cas
décidés par la Commission en matière de concurrence. Un
certain nombre d'États membres ont établi le système de
licence à cet égard.
Concernant la nouvelle proposition, rappelons-en les principes. D'une part, il
y a une réduction progressive des domaines réservés, c'est
le passage de la limite de poids. D'autre part, il y a une précision
quant à la définition de services nouveaux, et il y a un
calendrier avec des étapes en 2003 et une autre étape en 2007,
qui dépendra d'un examen de la situation au préalable.
Abordons à présent les points de discussion de cette nouvelle
proposition. Le premier point est le degré d'ouverture du marché
en 2003. Le Parlement européen veut une ouverture beaucoup plus
limitée que ce qui a été proposé par la Commission.
Deuxième point, faut-il une étape intermédiaire en
2006 ? Interrogation qui a surgi lors du débat au Conseil en
décembre. Troisième point, faut-il des dérogations pour
certains États pour les courriers transfrontaliers sortants ? Nous
avons constaté que certains pays tirent des ressources importantes des
courriers transfrontaliers sortants, et désirent avoir une
dérogation en ce qui concerne l'ouverture de ce marché à
la concurrence. Il s'agit essentiellement de la Grèce, du Luxembourg, de
l'Espagne et de l'Irlande. Quatrième point, quelle définition
faut-il avoir pour les services spéciaux ? La question est de
savoir s'il faut une limite de prix pour les services spéciaux ouverts
à la concurrence ? Finalement, le point le plus important, faut-il
prévoir une étape ultérieure en 2009 et si oui, avec quel
contenu ? Cette date peut avoir différentes significations selon
qu'elle est plus ou moins définitive en ce qui concerne l'existence de
monopoles.
Comment peut-on résumer le débat actuel ? En
décembre 2000, lors des discussions au Conseil, en ce qui concerne
les étapes 2003 et 2006, la présidence française
était très proche de trouver des solutions. Les points
contentieux qui subsistent sont la définition des services
spéciaux, la nécessité d'une limite de prix, et
l'utilité de l'étape 2009.
La présidence belge a prévu un Conseil au mois d'octobre, qui
devrait débattre de cette situation.
M. Jean-Claude Larrivoire :
L'Union européenne étant sous la présidence
suédoise, l'expérience suédoise a été moteur
dans le jeu de la libéralisation, préconisée par la
direction européenne. Je passe la parole à M. Nils Gunnar
Billinger, directeur général de l'Agence nationale des postes et
des télécommunications suédoise.
M. Nils Gunnar Billinger, directeur général de l'Agence nationale des postes et des télécommunications suédoise
En
Suède, nous avons organisé notre Agence de manière qu'elle
combine à la fois les télécoms et les services postaux, au
sein d'une seule et même entité. Cela nous permet de tirer des
leçons des expériences des deux secteurs. Nous avons choisi
très rapidement la libre concurrence dans le domaine postal en 1994, et
l'expérience suédoise a été présentée
comme un exemple par les partisans du libéralisme, ainsi que par les
défenseurs des prestataires de ce type de services. Voici le tableau des
sept dernières années sur le marché suédois.
Deux questions se posent lorsque l'on parle des conséquences de la
déréglementation suédoise. Premièrement, en quoi
les consommateurs ont-ils profité de la concurrence sur le marché
des services postaux ? Deuxièmement, en quoi la concurrence
a-t-elle affecté les possibilités d'offrir un service postal
universel ?
En ce qui concerne les services postaux universels, les obligations ont
été définies par la loi sur les services postaux qui
stipule que quiconque, où qu'il se trouve dans le pays, a droit à
avoir des services postaux de bonne qualité et à un prix
raisonnable. On a également décidé que l'ancienne
administration postale devrait fournir ce service. Le problème d'une
compensation des services qui ne seraient pas bénéficiaires par
le gouvernement ne s'est jamais posée. À plusieurs reprises, la
mise en place d'un fonds de compensation a été envisagée
mais jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à le faire car
les services postaux en Suède ont toujours été
bénéficiaires. Comme dans la plupart des autres pays, les
services au guichet ne sont pas bénéficiaires et la poste
suédoise a parfois été aidée par le gouvernement.
Si on étudie les activités du service au guichet, on se rend
compte que les services universels, au sein des services postaux, ne se sont
pas détériorés depuis que le monopole est tombé. Au
contraire, il s'est plutôt amélioré. Par exemple, le
priority mail
, pour lequel subsiste un monopole. Les délais se sont
améliorés et la poste suédoise est
considérée comme l'une des meilleures au monde dans ce domaine.
Le nombre de foyers qui ne bénéficient pas d'un service de
livraison cinq jours par semaine s'est réduit et plus de 99 % des
foyers bénéficient de ce service cinq jours sur sept.
La question abordant les effets de la déréglementation sur les
prix a été fort débattue. Le prix de 3 couronnes
suédoises pour une lettre de 20 grammes est passé, depuis la
déréglementation en 1997, à 5 couronnes, sachant que
la TVA est de 25 % et a été introduite à deux
reprises en 1994 et en 1995. 200 à 300 couronnes par mois sont
dépensées sur Internet en moyenne, alors qu'un foyer moyen
dépense 200 couronnes (20 à 30 euros) par an en courrier. Le
coût de cette augmentation par foyer est relativement mineur. Les
services postaux en Suède sont loin d'être les plus chers
d'Europe. Ils sont dans la moyenne européenne. D'autre part, depuis
1997, il n'y a eu aucune augmentation, un prix plafond interdisant d'augmenter
le prix des timbres au-delà de l'augmentation moyenne du coût de
la vie. Si l'on peut dire que la déréglementation n'a pas eu
d'effets négatifs sur la qualité des services postaux, en quoi
a-t-elle été positive pour le consommateur ? Je vais donc
faire une description de la situation de la concurrence au niveau du
marché du courrier aujourd'hui.
Sur ce marché, la poste suédoise a toujours été en
concurrence avec d'autres opérateurs, en particulier avec la
Dadge
Poste
qui, grâce à l'acquisition d'une grosse agence, a pu
prendre une partie importante des services colis en Suède. Aucune
restriction n'a non plus été imposée sur les services de
coursiers. Pendant longtemps, les sociétés de coursiers
internationaux ont pu offrir toute une gamme de services sans aucune
restriction quant au poids ou à la valeur. L'abolition du monopole a
permis l'entrée de nombreux opérateurs locaux. Les
activités desdits opérateurs tombaient parfaitement dans le champ
de compétences qui était auparavant couvert par le monopole.
Néanmoins, il a fallu plusieurs années avant que leur
établissement ne prenne de l'ampleur. Certains ont même
réussi à prendre des parts de marché considérables
sur le marché national (15 % du volume total du courrier). Depuis
l'abolition du monopole en Suède, la société
City Mail
a le mieux réussi en tant qu'alternative au service postal officiel.
À partir de 1991, cette société s'est concentrée
sur les envois groupés. Depuis juillet 2000, l'opérateur du
Royaume-Uni,
Royal Mail
, possède les deux tiers de cette
organisation. Grâce à l'aide de
Royal Mail
,
City
Mail
a pu s'étendre géographiquement à l'ouest et au
sud de la Suède, et couvre aujourd'hui 40 % de toutes les adresses
du pays.
City Mail
représente 10 % des envois groupés
et 5 % du volume total des envois des lettres.
Ceci m'amène à faire deux observations. Tout comme le
marché des télécoms suédois
déréglementé il y a dix ans, le marché est devenu
une sorte de test pour les sociétés étrangères pour
apprendre à concurrencer les anciennes sociétés de
monopole. La deuxième observation est que l'expansion
géographique à laquelle a procédé
City Mail
dans les environs des grandes villes, comme Göteborg ou Malmö,
révèle qu'il est indispensable pour une société de
pouvoir s'offrir une distribution dépassant le centre-ville. Pour
attirer les grosses sociétés, les sociétés qui ont
de nombreux clients, ou les administrations locales, il est crucial de pouvoir
offrir ou assurer une distribution couvrant des domaines assez étendus.
Dans la plupart des cas, il s'agit de zones qui entourent les grandes villes.
Par conséquent, cette déréglementation a eu un effet
positif sur le consommateur. La concurrence dans n'importe quel domaine
donné permet au consommateur de choisir le prestataire qui lui convient,
le prestataire qui pourra lui fournir le meilleur service au meilleur prix.
L'évolution du marché postal suédois a suivi cette
direction et a affecté de manière positive le domaine des
livraisons en volume. Où qu'ils se trouvent, les opérateurs
locaux offrent des prix plus bas que le service national, car les services
nationaux doivent avoir des prix uniformes qui rendent impossible la
concurrence sélective, dans des zones précises. Néanmoins,
la loi sur les services postaux permet à la poste suédoise
d'avoir un tarif particulier, à condition qu'il ne s'applique pas au
niveau national, quelle que soit la concurrence dans une zone
géographique donnée. Les services postaux suédois n'ont
pas fait usage jusqu'à présent de cette possibilité. Au
cours des quinze à vingt dernières années, les services
postaux suédois ont considérablement évolué et sont
devenus l'un des leaders mondiaux. La gestion, la rationalisation, la
modernisation des services ont eu des effets positifs sans pour autant faire
perdre des emplois.
Il ne faut pas négliger le fait que la poste suédoise, toujours
détenue par le gouvernement, doit encore se concentrer sur certains
domaines protégés. Lorsque les enthousiastes, ou ceux qui
défendaient les monopoles, ont réalisé que le
marché postal n'était pas devenu aussi chaotique que
prévu, ils ont changé leur position disant que la concurrence
s'était peu développée : 95 % du marché
des lettres étaient encore détenus par cette entreprise
traditionnelle. Notre problème aujourd'hui est un problème de
concurrence trop faible.
Pour conclure, il n'y a pas de raisons économiques ou politiques
raisonnables qui aillent à l'encontre d'une libéralisation du
marché des services postaux. Rien ne fera la différence
vis-à-vis du consommateur. Je pense donc que la libéralisation
s'impose.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Daniel Paris,
MEDEF
Une question pour M. Watershoot. Selon vous, parmi les principes de la
directive de 1997, il y avait l'attribution de licences pour l'exercice du
service universel et l'ouverture progressive de son marché. La
disposition de la loi de 1999 en France, qui attribue aux seuls
opérateurs publics la licence qui permet d'exercer le service universel,
vous paraît-elle compatible avec ces principes de la directive de
1997 ?
M. Paul Watershoot
Dans le domaine de l'attribution des licences, il s'agit d'un type
d'harmonisation qui est facultatif, c'est-à-dire que les États
membres ont la possibilité d'utiliser le système de licence s'ils
l'estiment utile. Un certain nombre de pays en ont fait usage, notamment
l'Allemagne où il y a huit cents licenciés pour le service de la
valeur ajoutée. Si la France prévoit un seul licencié qui
est l'opérateur public, ce n'est pas un problème en termes de
droit communautaire.
M. Alain Bréau,
président de TLF
Nous constatons qu'en Europe, les services universels restant sous monopole
bénéficient de tarifs différents. Une étude parue
dans
La Tribune
signale que la lettre de base sous monopole est à
0,56 euro en Allemagne et à 0,46 euro en France, pour des
contraintes géographiques qui sont plus favorables en Allemagne qu'en
France. Ma question est la suivante : devant de telles disparités
de tarifs, le monopole devient une rente. Pourquoi la Commission, après
avoir défini juridiquement le service universel, les services
spéciaux, les services annexes, n'intervient-elle pas dans la
définition du juste prix du service universel restant sous
monopole ?
M. Paul Watershoot
C'est une question complexe. Le principe de la directive, c'est que le tarif
doit être lié au coût. Un outil est prévu dans la
directive, c'est un système de comptabilité analytique qui doit
prévoir la location des coûts entre le service
réservé et le service sous concurrence. C'est une obligation qui
n'existait pas lors de l'entrée en vigueur de la directive, qui devait
être appliquée l'année passée. La plupart des
opérateurs ont pris les mesures nécessaires pour allouer le
coût correctement. Nous n'avons pas encore les résultats de cette
opération. L'article 7 de la directive prévoit qu'un domaine
réservé peut être maintenu pour financer le service
universel. Il est un équilibre établi dans cet article qui
implique une justification de la part de l'État membre d'avoir un
domaine réservé. Un certain nombre d'États membres ont
réduit ce domaine réservé car ils estimaient que ce
n'était pas utile d'aller jusqu'aux 350 g prévus dans la
directive.
Dernier élément, la décision de la Commission concernant
la
Deutsche Post
qui a constaté que les ressources provenant du
domaine réservé et du tarif élevé qui existait en
Allemagne contribuaient à une distorsion de concurrence sur le
marché des paquets. Donc, les États membres ne peuvent pas faire
n'importe quoi en ce qui concerne le transfert des ressources qui proviennent
du domaine réservé vers le secteur concurrentiel.
Mme Emmanuelle Dardenne,
collaboratrice de Corinne Lalieux,
députée fédérale belge
J'ai deux questions pour M. Billinger. Dans son exposé, il ne nous
a pas parlé de tous les indicateurs. En termes de réseaux de
distribution, quelles sont les conséquences de l'ouverture du
marché ? Le nombre de bureaux de poste est-il le même ?
Sont-ils en l'état par rapport à ce qu'ils étaient avant
la libéralisation ?
M. Nils Gunnar Billinger
Une augmentation des points de services en Suède a été
notée et l'indice de satisfaction est en hausse sur plusieurs points. Le
nombre de lettres envoyées depuis la modernisation des services postaux
a augmenté. Comme je l'ai dit, nous avons des petits opérateurs
locaux, et dans les petites villes où ils se trouvent, le consommateur
peut poster ses lettres plus tard, les services postaux nationaux s'adaptent
à ces changements. Ils peuvent également offrir des prix plus bas
que leurs concurrents.
Question de la salle :
Je représente le Bureau européen des consommateurs. Actuellement,
la directive postale de 1997 prévoit la possibilité d'appliquer
un tarif identique sur l'ensemble du territoire pour les services contenus dans
le service universel. Pourquoi ne prend-on pas cette possibilité
d'appliquer un tarif identique en le rendant obligatoire pour les États
membres ?
M. Paul Watershoot
,
représentant de M. Frits
Bolkestein, commissaire européen, responsable du marché
intérieur
En ce qui concerne ce point particulier, la directive de 1997 prévoyait
que les États membres peuvent maintenir un tarif uniforme sur l'ensemble
du territoire. Cela reste valable dans la nouvelle directive.
Mme Geneviève Meunier,
journaliste
Quels pays de l'Union européenne ont mis en place des autorités
de régulation ?
M. Paul Watershoot
Tous les pays. Nous avons entamé des procédures d'infractions
avec quatre ou cinq États membres (Belgique, France, Espagne,
Grèce, j'ai oublié le dernier...) puisque le principe, dans la
directive de 1997, est que le régulateur doit être
indépendant par rapport à la gestion quotidienne de
l'opérateur public existant. Or, parfois, le régulateur
dépend de la même entité que celle qui gère ou qui
est propriétaire de l'entreprise publique.
II. LA GRANDE MUTATION DES ACTEURS ET DES SERVICES POSTAUX EN EUROPE
M.
Jean-Claude Larrivoire
Je passe la parole au représentant du Royaume-Uni, M. Graham
Corbett, président de la
Postal Services Commission
, organisme
correspondant à l'autorité de régulation outre-Manche.
Monsieur le Président, la
Post Office
du Royaume-Uni suit-elle
les directives européennes ?
M. Graham Corbett, président de la Postal Services Commission de Grande-Bretagne
Il
n'y a pas de domaine réservé
prédéterminé. Au Royaume-Uni, nous avons des zones de
licence qui correspondent à l'ancien système. L'Union
européenne, qui a des difficultés pour trouver un accord sur les
prix et sur les poids, devrait reconsidérer le système des
licences. La directive permet d'accorder des licences qui permettent d'avancer
pour introduire une concurrence efficace dans le cadre d'un système
harmonisé.
Un deuxième travail se consacrera aux services postaux universels. Deux
modèles existent : le modèle prix d'entrée et le
modèle du coût. Le modèle prix d'entrée se concentre
sur l'impact des pertes de marché. Il est utilisé pour
prédire les dommages que pourrait causer l'entrée de la
concurrence sur le marché. N'est-ce pas un problème qui se pose
pour tous les prestataires vis-à-vis des nouveaux entrants sur le
marché ? L'impact est non négligeable, mais il faut en
diagnostiquer les causes. Analyser les avantages commerciaux au niveau de
l'analyse de l'entrée de concurrents est nécessaire. Lorsqu'il
s'agit d'adopter des changements, il faut être réactif et
éviter les barrières qui pourraient affecter le choix des clients
ou des consommateurs. Il faut qu'il y ait une véritable transformation.
Ceci s'applique au Royaume-Uni et aux autres pays. Une meilleure prestation des
services offerts et plus d'efficacité s'imposent. D'autre part, s'il y a
la possibilité du choix, le client s'orientera vers le meilleur service.
La vraie menace n'est pas la concurrence, mais la lenteur face au changement.
Il faut donc assurer la continuité du service. Ces services auront un
coût. Certes, il s'agit d'un actif commercial. Le manque de
réponse à ce défi est problématique.
Néanmoins, les services universels pourront survivre dans une zone
ouverte à la concurrence. C'est en répondant à autant de
nouvelles réalités que nous irons vers un véritable
changement.
M. Jean-Claude Larrivoire
Nous allons poursuivre notre tour d'horizon des postes européennes avec
l'Espagne, représentée par M. José Marcos, directeur
des affaires internationales de la poste espagnole,
Correos y
Telégrafos
. Chez vous, M. Marcos, certains services sont
déjà libéralisés comme le courrier intra-urbain ou
le publipostage.
M. José Marcos, directeur des affaires internationales de la poste espagnole
Quelle
est notre position par rapport aux changements passés, présents
et à venir dans le secteur postal européen, surtout du point de
vue réglementaire ? Quelle est la situation du marché postal
espagnol et concrètement celle de
Correos y Telégrafos
,
opérateur chargé de la prestation du service postal universel en
Espagne.
Lorsqu'on défend l'ouverture à la concurrence du secteur postal
en Europe, on tend à citer fréquemment, comme justification des
initiatives, la nécessité d'établir des règles du
jeu communes avec un marché intérieur harmonisé dans
lequel les différents opérateurs postaux pourraient se
concurrencer dans des conditions équivalentes.
Cette idée, attirante dans sa conception, entraîne quelques
inquiétudes quand on observe que dans la réalité, les
positions de départ sont sensiblement différentes dans chacun des
pays membres de l'Union. Ces différences s'expriment surtout par le
degré d'ouverture du marché préexistant, dans le
degré de modernisation des opérateurs, dans les
différences socio-économiques entre les États et dans
l'hétérogénéité des statuts juridiques des
opérateurs.
À titre d'exemple, en Espagne depuis plusieurs dizaines d'années,
les services les plus rentables du marché, comme le trafic postal
urbain, le publipostage, et les colis exprès, sont déjà
libéralisés. Plusieurs centaines d'opérateurs postaux
enregistrés, de taille variée, opèrent dans le segment de
la lettre urbaine et du publipostage ; dans quelques cas, ils outrepassent
leurs droits, tout en transgressant la loi du service postal espagnol, en
accord avec la directive 97/67. Cette forte pression concurrentielle a
causé des distorsions dans la structure du marché espagnol, pas
toujours au profit des gros clients, et presque toujours au préjudice
des citoyens, usagers du service postal universel. La concurrence a
imposé des tarifs postaux très bas, ce qui a impliqué pour
tous les opérateurs des marges très réduites, très
éloignées de celles du marché, où un secteur
réservé important se maintient encore.
Il y a aussi des différences entre le degré de modernisation de
l'organisation et les systèmes des opérateurs postaux en Europe.
Je suis pleinement convaincu qu'une gestion efficace peut se réaliser
tant dans le secteur public que dans le secteur privé. J'ajouterai
même que, quand on parle de services d'intérêt
général, je crois plus convenable une gestion publique qui prend
en considération non seulement la valeur perçue par des
actionnaires privés, qui comporte une concentration des efforts de
l'entreprise dans les segments les plus rentables, mais aussi la
responsabilité sociale d'un service comme celui de la poste, avec
l'obligation du service public aux citoyens et aux entreprises.
Une gestion moderne est une gestion d'entreprise, basée sur la
satisfaction de la clientèle qui utilise les technologies modernes, et
qui produit une permanente augmentation de la qualité et de la
diversification des services. Les grandes transformations des opérateurs
postaux qui se montrent aujourd'hui leaders dans le secteur se sont produites
quand ils étaient encore des administrations publiques.
De même, ces dernières années, les opérateurs
postaux, en retrait par rapport à la tête du secteur, ont
initié des programmes de modernisation nécessitant un effort
énorme de la part des cadres dirigeants et des employés, et
s'accompagnant d'investissements très lourds en technologie, en
systèmes et en infrastructures générales. Ce besoin
d'investir dans les systèmes basiques a rendu difficile la
possibilité d'aborder des programmes ambitieux d'acquisitions que
d'autres opérateurs, qui avaient complété jadis leur
modernisation, ont développé récemment.
Tous ces efforts, qui peuvent s'exprimer dans l'amélioration des
paramètres de qualité, dans les index de satisfaction de la
clientèle et des employés et dans l'efficacité
économique, peuvent être considérés comme inutiles
si se produit une transition rapide à un marché ouvert sans
évaluer l'impact des mesures prises. Les différences
socio-économiques entre les différents États membres ont
une influence décisive sur le marché postal.
Le service postal est un marché basé sur le réseau qui,
s'il est homogène et si la densité de trafic dans le
réseau est élevée, atteint l'efficacité
économique. Pensez-vous que les coûts du système postal
soient les mêmes dans un État avec cent vingt cinq envois postaux
par habitant et par an, et dans un autre avec quatre cents ? Croyez-vous
que le service peut être le même dans un pays avec les dimensions
ou l'orographie de l'Espagne, ou avec la géographie insulaire de la
Grèce, que dans d'autres pays avec les dimensions ou l'orographie des
Pays-Bas, par exemple ?
On ne peut, on ne doit pas laisser les régions européennes
défavorisées sous la menace d'un service postal universel
à un prix croissant ou de qualité décroissante. À
mon avis, le service postal universel ne doit pas être un service
minimal, résiduel, mais doit jouer un rôle clé, non
seulement pour satisfaire les besoins de communication des usagers, mais aussi
pour satisfaire les besoins croissants de réception des envois
matériels, des colis par exemple. S'il n'y avait pas de service
universel colis à prix abordables, le commerce électronique
B
to C
en Europe ne se développerait pas d'une façon
adéquate.
Le dernier aspect différenciateur que je voudrais signaler est celui qui
concerne les statuts juridiques des opérateurs postaux. La plupart des
grandes postes publiques européennes ont adopté le modèle
de société anonyme, comme forme d'organisation.
L'opérateur public espagnol a été le dernier à
adopter cette formule par la loi de décembre 2000 ; cette
société anonyme sera constituée dans quelques jours.
À cet égard, voici trois réflexions : Pourquoi ce
modèle sociétaire pour l'Espagne ? Quelles ont
été les étapes du processus ? Quelles sont les
garanties qui ont accompagné le processus ?
Il s'agit du modèle d'organisation qui, à notre avis, et suivant
les alternatives que la législation espagnole nous offre, se
présente comme le plus convenable pour que l'État assure des
services mixtes, comme c'est le cas du secteur postal, dans lequel des
obligations de prestations universelles et des facteurs de marché
coexistent.
L'adoption de ce modèle d'organisation suppose un important élan
pour la modernisation de
Correos
et pour l'implantation d'une culture
d'entreprise adéquate au défi du
XXI
e
siècle. Mais du strict point de vue de la gestion,
on améliore significativement les capacités
opérationnelles. De cette façon,
Correos
élargira
ses sources de financement et d'investissement, aura de la flexibilité
pour adopter les prix selon les clients, les produits et la concurrence, et
finalement, pourra disposer d'une politique propre en matière de
ressources humaines, qui s'avère indispensable dans la première
entreprise du pays. Le processus de transformation en société
anonyme d'Etat, survenu dans notre pays, a été un processus
responsable, cohérent et participatif.
Au cours des dernières années, les modèles d'organisation
des opérateurs publics européens et les alternatives que la
législation espagnole présente ont été
analysés. Cette réflexion a visé la recherche d'une
formule juridique pour maintenir intégralement le titre public, et pour
favoriser une gestion plus flexible. Le processus d'approbation de l'initiative
pour transformer
Correos
en société anonyme s'est fait en
un temps record.
Au mois de mars 2000, le Parti Populaire a gagné pour la
deuxième fois les élections générales, et dans son
programme électoral s'annonçait déjà le projet de
transformation de
Correos
en société anonyme. Au mois de
juin, le ministère des Infrastructures, auquel appartient
Correos
, prévint dans une séance parlementaire que les
travaux visant la transformation allaient commencer. De juin à
octobre 2000, des travaux internes se sont développés et les
premiers contacts aux niveaux syndical et politique ont eu lieu. En
octobre 2000, les travaux parlementaires ont commencé, et en
décembre 2000, on a approuvé une loi et
démarré le processus.
En six mois, on a développé un intense processus de
négociations politiques et syndicales, qui va culminer avec la
transformation de
Correos
en société commerciale.
Trois garanties ont accompagné le processus :
Concernant le titulaire, le capital social de la société anonyme
Correos y Telégrafos
est complètement public. Pour toute
modification sur le capital social, il sera nécessaire d'avoir une
autorisation avec force de loi. Concernant le service public : se produit
une subrogation de la société dans les droits et les obligations
de
Correos
, surtout ceux qui touchent le service postal universel.
Concernant les travailleurs : tous les droits des travailleurs sont
respectés. Les fonctionnaires prêteront toujours leurs services
dans la nouvelle société anonyme, tout en conservant leurs
conditions de fonctionnaires de l'administration de l'État. C'est une
première pour l'Espagne car c'est la première
société anonyme avec des fonctionnaires.
Pour finir, voici un résumé concernant la libéralisation
et la gestion. La libéralisation du secteur postal doit se faire de
façon progressive, en tenant compte d'une évaluation de l'impact
social des mesures qui concernent l'emploi et la cohésion sociale et
territoriale.
Nous croyons aussi que l'harmonisation du marché postal ne pourra pas
s'opérer avec une législation homogène pour tous.
L'innovation et la gestion moderne ne doivent pas être
considérées comme étant incompatibles avec le mot
« public ». Du point de vue du statut juridique des
opérateurs postaux, les gestionnaires doivent demander des formules
juridiques flexibles, par exemple, la société anonyme qui assure
une capacité et une souplesse d'action similaires à celles des
entreprises concurrentielles.
M. Nunes aimerait faire passer le message suivant : « Les
solutions aux problèmes sont logiques et non
idéologiques. » Je vous invite à aller au-delà
des filtres idéologiques afin d'arriver à comprendre la
réalité actuelle d'un marché essentiel pour le
développement d'une économie européenne concurrentielle.
Je vous invite également à reconnaître les
différences et à réglementer pour que celles-ci ne
s'accroissent pas.
M. Jean-Claude Larrivoire
L'expérience espagnole montre que chaque pays a ses
particularités. La poste belge suit-elle à la lettre la directive
de Bruxelles ? Nous écoutons M. Bernard Damiens, directeur de la
régulation et des affaires internationales de la poste en Belgique.
M. Bernard Damiens, directeur de la régulation et des affaires internationales de la poste belge
Le
débat actuel sur l'ouverture des marchés entraîne nombre de
questions sur le maintien d'un service universel de qualité. La
définition même de service universel demande à être
clarifiée. Il existe en effet une confusion entre les notions de service
universel, de service public et de service d'intérêt
général.
Le concept de service universel a émergé dans la foulée de
l'affirmation du principe d'ouverture du marché. Il est apparu qu'il y
avait un risque, si on ne régulait pas ce marché, que seuls les
segments intéressants seraient desservis, entraînant l'exclusion
de certains citoyens de l'accès à certains services.
Quand on parle du service universel, il faut envisager trois
éléments essentiels, à savoir : le champ du ou des
services universels, le financement et la régulation.
Quand on parle du service universel postal, il faut l'entendre au sens de la
directive 97/67, dont a parlé M. Watershoot tout à l'heure,
qui a trait au service des envois adressés : le courrier au sens
large et le colis. Or, de nombreuses postes européennes sont
chargées d'autres missions dites de service public, notamment dans le
domaine dit de la poste financière. Le maintien d'un réseau
étendu de bureaux de poste ne se justifie pas sous la forme actuelle,
pour les activités liées au courrier. En revanche, les
transactions financières appartiennent soit à la prestation d'un
service universel bancaire, encore à définir sur le plan
européen, soit à une interface entre le monde non
bancarisé et le monde bancarisé. Ce dernier type de service ne
doit pas être sous-estimé, car certains citoyens ne veulent pas de
compte bancaire, ne peuvent pas en avoir, et doivent, pour effectuer des
paiements sur un compte de tiers, avoir accès à un système
de guichet, par exemple pour payer leur note d'électricité. Ces
prestations nécessitent une infrastructure plus spécifique,
dotée de personnels et de moyens spécialisés. La
Communauté doit donc définir les services qu'elle souhaite mettre
à disposition de chaque citoyen. Ce qui conduit à la
problématique du financement de ces services, et nous amène au
deuxième point : le financement du service universel.
En matière de courrier, le financement est, pour l'instant, dans la
plupart des pays, assuré par le service réservé. Nous
avons affaire dans le domaine du courrier à des domaines
emboîtés. Les services postaux ont trait aux services
combinés, ou non, de levée, de tri, de transport et de
distribution des envois adressés. Le service universel est une partie
seulement du service postal, il reprend les envois postaux jusqu'à
2 kg et les colis jusqu'à 20 kg. Ceci signifie que d'autres
opérateurs peuvent opérer en service universel avec ou sans
système de licence, selon les législations nationales.
Le service réservé est celui que seul l'opérateur
désigné peut effectuer, c'est une partie du service universel. Il
couvre les envois de correspondance, de publipostage jusqu'à un poids
maximal de 350 g et cinq fois le prix de base. Le service
réservé est destiné à couvrir les coûts du
service universel postal, donc du courrier exclusivement. Cette distinction est
préoccupante car nous serons confrontés demain à des
opérateurs qui n'ont pas la charge d'un réseau de bureaux. Si
nous voulons nous battre à armes égales, ce que réclament
les concurrents potentiels, on ne peut nous imposer dans ce marché
particulier des contraintes qui lui sont totalement étrangères.
Il appartient donc à la Communauté de définir le type de
services qu'elle souhaite offrir à tous pour un prix abordable, et de
veiller à ce que le financement de ces services soit assuré.
En matière postale, la création d'un fonds de compensation, qui
consiste à faire financer les parties non rentables du service universel
par tous les opérateurs du marché, a été
envisagée. Mais ce principe est extrêmement difficile à
mettre en pratique.
Premièrement, aucun principe de fonctionnement n'a encore
été défini.
Deuxièmement, la définition même des coûts qui
pourraient être supportés par le fonds peut différer d'un
État à l'autre, et risque de susciter une série de
polémiques, notamment quand il faudra déterminer si le fonds doit
payer les coûts réels de l'opérateur public.
Troisièmement, une autre polémique peut surgir quant à
savoir qui doit contribuer à ce fonds. Toutes sortes d'arguments seront
avancés pour justifier que, finalement, seul l'opérateur public
doit financer le fonds.
Quatrièmement, le système va engendrer une charge administrative
considérable, aussi bien auprès du régulateur,
qu'auprès de tous les opérateurs obligés de tenir des
comptabilités distinguant clairement les activités en service
universel des autres. Il est exigible de l'opérateur public une totale
transparence des coûts, ce qui l'exposerait aux attaques de la
concurrence qui pourrait ainsi analyser ses forces et ses faiblesses, sans que
la réciproque puisse être exigée. Vous comprendrez que nous
ne sommes pas favorables au système de fonds de compensation.
Le dernier point est celui de la régulation, élément
essentiel du débat. II est impératif d'organiser l'ouverture du
marché dans un cadre juridique extrêmement précis et de
trouver un arbitre capable de le faire respecter. Les concurrents potentiels
réclament de pouvoir faire jeu égal avec les postes, et
souhaitent obtenir les mêmes droits que l'opérateur historique.
La poste belge supporte l'idée d'un jeu équitable, mais d'un jeu
qui comporte des droits et des obligations respectés par les deux
parties. Le risque d'écrémage des marchés postaux sera
d'autant plus grand que les concurrents de la poste recevront des droits non
liés aux obligations correspondantes en matière de
qualité, de fiabilité, de régularité, de couverture
géographique, de prix et de respect des législations sociales.
Une fois les règles définies, il est essentiel de s'y tenir.
M. Jean-Claude Larrivoire
En 1989, il y a douze ans, le gouvernement néerlandais décidait
la privatisation des services postaux, ce qui n'empêchait pas
l'État de garder le rôle d'actionnaire principal. La TPG a donc
été la première poste cotée en Bourse en Europe.
Une politique à l'opposé de ce qui se passe en France. Nous en
examinons le bilan avec M. Philip Dobbenberg, membre du comité
exécutif de TPG.
M. Philip Doddenberg, membre du comité exécutif de la poste néerlandaise
Je suis
heureux de parler de certains problèmes concernant la
libéralisation aujourd'hui, parce qu'il y a eu peu d'avancées
dans ce domaine.
Pourquoi libéraliser ? La libéralisation est
nécessaire pour que le marché soit sain. La libéralisation
crée un marché normal où la concurrence peut se
développer, ce qui permet l'innovation. La loi de l'offre et de la
demande permet d'offrir une variété de services et de garantir la
satisfaction du client. Sans libéralisation, les clients, et en
particulier les entreprises, vont changer de fournisseurs et vont tenter de
trouver des alternatives au courrier traditionnel. Aujourd'hui, c'est chose
simple, surtout du fait des nouvelles possibilités technologiques
offertes par le marché. Stimuler le marché est donc
impératif. Aujourd'hui, en Europe, les premiers effets sont visibles, en
particulier lorsqu'on regarde les volumes des divers services postaux. Je pense
que les choses vont trop lentement.
Parlons de notre situation. Nous avons encore un domaine réservé
qui représente 27 % du marché des services postaux, sans
inclure les colis et le service exprès. En France, il doit être de
90 %, donc il y a une grosse différence. 27 % revient à
dire que près de 75 % du marché est déjà
libéralisé chez nous. Cela démontre que la
libéralisation est possible sans pour autant avoir des
conséquences négatives sur la société ou sur les
obligations des services postaux universels.
Avant de libéraliser le marché, l'opérateur traditionnel
doit être à même d'agir en tant qu'entreprise, il doit
pouvoir prendre ses propres décisions d'investissement et doit pouvoir
agir en fonction des lois du marché du travail. Je crois que les
avantages sont tout à fait importants. Aux Pays-Bas, depuis la
privatisation, les prix sont restés bas, la qualité s'est
améliorée, et l'industrie a employé plus de gens. Bien
sûr, me direz-vous, c'est un petit pays plat, facile à desservir.
Ce sont des arguments superficiels. La Suède, pays aussi grand que la
France, a réussi, tout en libéralisant son marché,
à avoir des services postaux qui fonctionnent dans un environnement
concurrentiel. L'argument lié à la taille du pays ne
représente qu'une faible partie des coûts totaux des services
postaux. Lorsque vous voyez ce qui se passe au niveau concurrentiel, je dirais
que les prix de transport seront les mêmes pour tous les acteurs.
Lorsqu'on compare les prix et la qualité, on se rend compte que nous
nous sommes considérablement améliorés, nous avons
introduit des systèmes de tris automatiques. Aujourd'hui, le niveau de
qualité est de 96 %. Nous avons pu maintenir des prix
modérés. Nous avons maintenu une stabilité des prix pour
les lettres pendant dix ans, ils ne seront augmentés qu'en juillet 2001.
Le nouveau prix sera de 0,39 euro, ce qui est particulièrement bas par
rapport aux autres pays.
Au niveau de l'emploi. Il y a eu un programme de restructuration très
important du tri. Huit mille personnes ont été licenciées
au cours des dix dernières années. Néanmoins, nous avons
créé d'autres emplois qui ont très largement
compensé ces pertes. Aujourd'hui, nous employons plus de gens
qu'auparavant, certainement plus à temps partiel et moins à plein
temps, mais lorsqu'on regarde la force de travail sur une base plein temps, on
constate qu'on est à cinq cents emplois de plus qu'en juillet 1994.
Nous avons été à même d'employer plus de
salariés dans un environnement concurrentiel.
Le nombre de points de vente a également progressé. Nous avons
des points de vente qui sont organisés en fonction d'un marché de
consommation. Nous avons des postes destinés aux entreprises, que l'on
appelle « points entreprises ». Le nombre de bureaux a
augmenté, ils se sont adaptés en termes de géographie, de
besoins des consommateurs et des différents segments de marché.
En ce qui concerne le marché mondial, on assiste à un processus
de consolidation. Il faut garder à l'esprit ce qui se passe dans les
domaines afférents, tels que le domaine des colis. Le marché des
services postaux s'intègre dans le marché en
général. En 1996, nous avons acheté TNT, mais d'autres
acteurs comme
Deutsche Post
n'ont pas encore fait leur entrée.
Nombre d'entre eux parlent déjà de grands desseins
stratégiques. Il existe trois ou quatre acteurs principaux, et des
rapprochements géographiques sont possibles, au niveau des services.
Que nous réserve l'avenir ? Comment aller de l'avant ? Le
marché doit être libéralisé, et il faut qu'il y ait
une date fermement inscrite.
Il faut définir clairement ce que le marché permet et ce qu'il ne
permet pas. Aujourd'hui, l'entrée est libre, ceci n'affecte pas les
services offerts par les services postaux car c'est l'un des rares segments qui
est en forte croissance. Il y a du potentiel, et les nouveaux entrants peuvent
prendre des parts de marché sans qu'il y ait d'effets négatifs ou
pervers sur les opérateurs traditionnels. Grâce au
développement du marché, les nouveaux venus
accéléreront la croissance du marché. Par
conséquent, je ne vois que des avantages à la
libéralisation des services postaux. Avancer dans ce domaine est positif
pour l'industrie, pour les entreprises et pour les clients en
général.
M. Jean-Claude Larrivoire
Merci pour ce plaidoyer pour la poste libérale aux Pays-Bas. Voyons maintenant la poste allemande qui est cotée en Bourse depuis novembre 2000, mais l'Allemagne qui s'était battue pour la libéralisation du marché postal en Europe a décidé de marquer le pas. Monsieur Gerhard Harms, vous êtes le vice-président de l'Autorité de régulation de la poste allemande.
M. Gerhard Harms, vice-président de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la poste allemandes:
Nous
avons environ 1,7 million d'employés dans le secteur postal ;
1,4 million dans le secteur administratif, ce qui représente
environ 1,4 % de notre PIB. En 1980, l'Allemagne célébrait
ses cinq cents ans de service de poste. Traditionnellement, les services
postaux fournissaient un service simple concernant les courriers, les colis,
etc., et ils étaient considérés comme étant un
monopole naturel appartenant à l'État et à tous les
États de l'Europe.
Jusqu'au début des années 1990, les services postaux
étaient considérés comme une administration ; une gamme
très étendue de services postaux s'était pourtant
dessinée, mais les attentes des consommateurs ont été un
peu négligées. Depuis quelques années, nous assistons
à des développements économiques qui n'avaient pas
été possibles auparavant. Actuellement, les services postaux sont
le fruit du changement. Dans certains domaines, des clients commerciaux forment
la demande la plus importante, elle provient de la mondialisation de
l'économie, des opérations fournies par les spécialistes
à l'extérieur de l'entreprise, des contraintes de temps, du
désir d'améliorer la rentabilité. Les services de colis
express et de colis seront transformés par les services
électroniques. Les produits en ligne doivent être livrés
dans les plus brefs délais, suite à la commande. Les perspectives
sont excellentes, notamment dans le domaine de la logistique avec la gestion
des livraisons, des commandes, avec comme principe un seul endroit pour la
prestation de plusieurs services.
Les taux de croissance annuelle se situent au-dessus de 10 % , et il
reste encore un potentiel de croissance à travers les frontières.
Les services à valeur ajoutée pourront satisfaire les besoins des
clients, donc au-delà des services ordinaires de courrier. Or, seuls les
monopoles peuvent exploiter ces opportunités de croissance.
Beaucoup de choses ont changé du côté de l'offre
également. Les administrations nationales ont été
transformées en entreprises publiques, en entreprises privées, ou
en entreprises qui suivent les règles du marché privé.
À ces entreprises s'ajoutent d'autres entreprises privées de
coursiers, de livraisons de colis et également de distribution de
lettres.
La Constitution allemande, en 1994, a stipulé que les services postaux
ne seraient plus fournis par l'État, mais par plusieurs fournisseurs
prestataires privés. Je souligne le mot
« plusieurs ». De vastes changements se profilent dans ce
secteur. La plupart de ces agences ne seront présentes que dans leur
propre pays, et des réseaux de logistique et de ventes pourront fournir
des solutions pour les clients.
En termes d'activité, les acteurs du marché cherchent des
opportunités de croissance dépassant les frontières
nationales. Le cadre réglementaire n'a cependant pas beaucoup
changé. Il existe encore beaucoup de monopoles en Europe. Les limites de
prix ne changent pas cette situation, même si nous n'avons qu'une limite
de 50 g, comme la Commission l'a proposé, les opérateurs en
place gagnent tout de même 80 % du marché selon leurs propres
calculs. Le service continue d'être assuré car la part de
marché de ces monopoles diminue très lentement. En Allemagne, les
concurrents ont 2 % du marché au bout de trois ans. Cependant,
seuls 25 % de ce marché restent ouverts. Cela équivaut
à un potentiel de marché de 2,5 milliards d'euros. Si nous
groupons les revenus de tous les concurrents, ce chiffre reste peu
élevé. Cela indique que les opérateurs en place garderont
un monopole de fait, malgré l'élimination des monopoles. Mais une
telle entreprise peut encore décider des prix ; tel un monopole, il
n'est pas affecté par le marché, et cela a un impact sur la
couverture des coûts. Or, l'article 7 de la directive postale
indique que les services ne doivent être réservés que pour
maintenir un service de base.
En 1997, il était prévu que le marché allemand soit ouvert
entièrement à partir du 1
er
janvier 2003. Il est
peu probable que les monopoles soient éliminés d'ici à
2003. Le gouvernement fédéral a donc répondu à ce
problème en prévoyant la libéralisation complète
retardée, c'est-à-dire tant que les autres États membres
n'en seront pas au même stade.
Il faut regarder l'avenir des emplois. Les emplois vont être
assurés par un climat encourageant des activités, des produits et
des services stimulés par la concurrence. La demande pour les services
postaux pourra à ce moment-là partager la croissance du
marché des communications. Du point de vue allemand, l'Europe ne doit
donc pas tarder à libéraliser ses marchés postaux.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Jacques Lemercier,
secrétaire général FO PTT et
vice-président de l'UNI-Europe Poste
On a l'impression, à écouter M. Dobbenberg, qu'il
piétine d'impatience et que la poste néerlandaise risque de se
trouver en difficulté si la directive met du temps à sortir.
Est-ce exact ? On dit que la poste néerlandaise a été
aidée par l'État pour faire des rachats, est-ce la
réalité ? Et n'est-ce pas en contradiction avec ce qui nous
a été dit sur le libéralisme ?
M. Philip Doddenberg:
Je piétine d'impatience car il s'agit de la survie des postes en tant
que moyens. Nous avons une obligation d'avoir une poste en tant que moyen de
communication, et si nous tardons trop, nous perdrons ce secteur. Ce n'est pas
uniquement lié à la situation néerlandaise. Le
gouvernement a financé ses postes et télécommunications au
moment de l'achat. C'était une entreprise un peu différente
à cette époque-là, mais je ne suis pas au courant d'aides
venant de la part du gouvernement.
Question de la salle :
Dans les pays qui ont fortement ou totalement libéralisé, a-t-on
vu apparaître des opérateurs de taille significative et ayant
apporté des innovations notables au service des consommateurs, comme
cela a pu l'être dans le marché des
télécommunications ?
M. José Marcos
En Espagne, il y a beaucoup d'opérateurs privés concurrents de la
poste. L'un d'eux s'annonce comme étant un opérateur alternatif.
Cet opérateur essaie d'apparaître comme un deuxième
opérateur. Dans sa campagne, il parle d'une innovation qui est l'usage
d'une enveloppe pré affranchie... Sinon, je ne vois pas d'innovations
significatives chez les autres opérateurs. Il y a peut-être une
valeur ajoutée qui n'était pas fournie par la poste espagnole,
mais il ne s'agit pas de vraies innovations.
M. Graham Corbett
C'est un peu tôt pour la Grande-Bretagne puisque ce n'est que depuis le
26 mars 2001 que le monopole a été cassé.
Jusqu'à présent, nous avions des applications de TNT pour
régulariser les services offerts. Récemment, nous avons
reçu une application de la part de
Heys
pour des services
concurrentiels.
M. Daniel Paris,
MEDEF
J'ai une question pour l'ensemble des intervenants. Pourquoi, les années
passant, les opérateurs privés n'ont-ils pas réussi
à prendre une part du marché plus importante dans les secteurs
ouverts à la concurrence ?
Monsieur Marcos, pourquoi s'est-on arrêté à la
libéralisation de la distribution pour le service urbain ? Y
a-t-il une coopération entre le réseau de l'opérateur
public et les opérateurs privés ? Y a-t-il
possibilité pour les opérateurs privés d'avoir
accès au réseau de distribution de l'opérateur public ou
non ?
M. José Marcos
En Espagne, il y a quarante ans, seuls les courriers interurbains sont
restés réservés, le reste a été
libéralisé. Cela veut dire que l'on peut collecter, trier et
distribuer une lettre tant que celle-ci ne sort pas d'une ville. De l'autre
côté, les opérateurs privés peuvent avoir davantage
d'offres pour le tri, la préparation du courrier, mais n'ont pas
accès à la distribution.
*
* *
M.
Jean-Claude Larrivoire
Au coeur même de la grande mutation des services postaux en Europe, la
European
Express Association
, qui regroupe les quatre principaux
organismes privés en charge du service postal. Nous recevons son
président, M. Mark van der Horst.
M. Mark van der Horst, président du comité postal de la European Express Association
La
European Express Association
est une association européenne qui
regroupe AGEA, FEDEX, TNT, UPS et les associations nationales au niveau du
courrier exprès.
Nous sommes partisans de la libéralisation du service postal. Par
rapport au titre de ce colloque « mythes et
réalités », je vous donnerai le point de vue de
l'industrie privée au niveau du courrier exprès.
Premier mythe : j'étais convaincu, après le Conseil des
télécoms de décembre 2000, que certains États
membres étaient tout à fait contre la libéralisation
postale de l'Europe. Quelle erreur, car il est visible aujourd'hui qu'ils sont
en train de se préparer d'une façon admirable. Mais, même
si une date finale semble s'esquisser, les États membres seront-ils
d'accord pour une date finale pour la libéralisation, avec un même
régime.
Deuxième mythe : la libéralisation a un impact négatif sur
l'emploi. Le fait que le marché évolue avec rapidité est
un aspect important à expliquer. Conserver les services tels qu'ils sont
fournis aujourd'hui, et l'emploi tel qu'il est aujourd'hui n'est pas
réaliste ; dans les sociétés privées, le
marché et les besoins des sociétés changent, et les
besoins des utilisateurs restent déterminants. Pour réussir, il
faut suivre le potentiel du marché et l'utiliser. Car, arrêter le
développement ou créer des circonstances qui freinent les
opérateurs privés et les opérateurs publics stopperait la
croissance.
Troisième mythe : le monopole est indispensable pour pouvoir offrir un
service universel. On peut utiliser le domaine réservé tant que
l'on montre qu'il est nécessaire pour offrir le service universel. Mais,
à l'usage, on constate que les monopoles ne sont pas
nécessairement utilisés dans ce but, mais plutôt dans celui
de développer les opérations des opérateurs postaux au
niveau international dans le domaine du service spécial. Si ce genre de
monopole permet de servir le consommateur au niveau du service universel, il ne
doit pas être utilisé pour obtenir des subventions croisées
dans les domaines qui sont déjà en libre compétition.
Quatrième et dernier mythe : il existe différentes
propositions au niveau de la directive. Le scénario possible est celui
d'avoir une libéralisation de 350 g à 150 g. L'impact
de cette ouverture du marché sera nul car, avec la diminution de
350 g à 150 g, il y aura une ouverture de marché de
moins de 10 %.
On se rend compte que le marché ne peut s'ouvrir entièrement
dès demain. Différentes étapes ainsi qu'une date finale
sont donc à prévoir nécessairement.
M. Jean-Claude Larrivoire
Quelle est la date finale que vous souhaiteriez ?
M. Mark van der Horst
La plus réaliste. Il y a la date de 2007 dans la directive actuelle,
c'est peut-être une date à discuter.
M. Jean-Claude Larrivoire
Après un opposant très diplomate à la politique du
monopole, le point de vue plus mesuré d'un syndicaliste, M. Jacques
Lemercier, secrétaire général de FO communication et
vice-président de l'UNI-Europe Poste.
M. Jacques Lemercier, vice-président de l'UNI-Europe Poste, secrétaire général de FO communication
J'interviens aujourd'hui au titre de l'UNI, l'
Union Network
International
, qui est la nouvelle internationale qui recoupe treize
secteurs, dont le secteur postal, et qui est l'interlocuteur à Bruxelles
de la Commission européenne. Mes propos seront d'abord européens
et ensuite, je me démarquerai un peu de la position européenne
qui est un consensus syndical, et je donnerai la position de Force
Ouvrière.
Au niveau de la Commission européenne, le débat sur la
libéralisation a subi des à-coups. Pendant de nombreuses
années, M. Bangemann a refusé tout dialogue et a
ignoré les organisations syndicales. Actuellement, M. Fritz
Bolkestein nous reçoit, nous écoute, nous entend parfois.
Il y a donc un effort de concertation réel. Pour répondre aux
propos du président Larcher, notre internationale n'est pas
corporatiste, c'est une internationale qui défend les salariés et
l'intérêt général. Nous sommes profondément
européens, nous estimons être un partenaire à part
entière dans la construction européenne, et on ne peut
écarter l'UNI qui est un syndicat prêt à collaborer,
prêt à trouver des compromis.
Notre objet à nous, syndicalistes, est de regarder la situation des
salariés, leur rémunération, leur carrière, leur
précarité, etc. Notre travail au niveau international est de nous
battre pour éviter le
dumping
social. Nous travaillons à
la mise en place d'une convention collective européenne, pour
éviter que des opérateurs émergents, en sous-payant leur
personnel et en n'offrant pas de protection sociale, n'appliquent des prix
défiant toute concurrence et n'écrèment le marché.
Nous réfléchissons également à l'avenir de nos
métiers, et nous travaillons beaucoup sur la e-économie pour
être capables de prendre le virage de façon que personne ne se
trouve exclu.
Après discussions et malgré les divisions, nous sommes
arrivés à des compromis, et nous avons accepté, nous qui
étions des tenants du monopole, une libéralisation graduelle et
maîtrisée. Nous avons accepté que l'ouverture se fasse
progressivement, et nous avons accompagné cela de demandes fortes,
notamment d'études d'impact sur l'emploi et sur les conséquences
du financement du service universel. À ce jour, elles sont
insatisfaisantes. Nous avons fait du
lobbying
, et avons réussi
à convaincre des députés de droite et de gauche à
un compromis validé par le Parlement européen. Ce qui a
été voté par le Parlement doit donc être
respecté, et nous nous battrons pour cela. La Commission ne doit pas se
substituer aux gouvernements.
Quelques remarques concernant les propos des interlocuteurs
précédents : Sur la Suède, je n'ai pas tout à fait
les mêmes chiffres. Sur l'emploi, il y a eu une recrudescence du temps
partiel ; le chiffre en ma possession est de 46 %. Si
l'ouverture à la concurrence conduit à détériorer
la qualité de nos emplois, vous comprendrez que les organisations
syndicales se battent. Les nouveaux recrutés en Suède n'ont pas
du tout les mêmes conditions de traitement que les anciens. Les jours de
congés sont passés de 35 à 23. Il y a donc des
salariés à deux vitesses.
Nous appelons de nos voeux à une véritable collaboration des
postes européennes, quels que soient leurs statuts. Nous nous battons
pour le tarif unique et la péréquation géographique. Nous
sommes opposés aux fonds de compensation.
Ce que nous souhaitons, c'est le respect des contraintes nationales. Le
principe de subsidiarité doit jouer. Il ne faut pas que cette directive
soit trop contraignante car elle risque de ruiner les services publics
nationaux. Nous sommes, enfin, opposés à la date d'ouverture
totale à la concurrence dans la prochaine directive.
M. Jean-Claude Larrivoire
Poursuite de la table ronde aux multiples facettes avec un opérateur
privé français. M. Alain Bréau, vous êtes le
président Transport et Logistique de France, TLF. Est-il confortable
d'être un opérateur privé en France ?
M. Alain Bréau, président de Transport et Logistique de France (TLF)
Je vais
avoir la charge redoutable et sacrilège de défendre le point de
vue des entreprises privées. L'organisation, dont je suis le
président, TLF, représente 4.500 entreprises qui interviennent
dans tous les métiers du secteur logistique et du transport, à
savoir : logistique, transit international, commissions de transport,
messagerie, transport de l'eau et de charges complètes. Tous ces
métiers concourent à une activité qui, au total,
représente un chiffre d'affaires de 300 milliards de francs et,
dit-on, 10 % de la formation des prix de revient industriels, ce qui,
à l'évidence, est un facteur très important de
compétitivité d'une économie. Je souhaite défendre
ces entreprises, ce secteur d'activités, et faire quelques remarques sur
l'objet de ce débat.
En particulier, sur l'une de nos composantes qui est le secteur de la
messagerie. Qu'est-ce que la messagerie ? C'est la distribution d'envois,
colis, palettes aux entreprises ainsi qu'aux particuliers et aux
commerçants. Il y a encore vingt ou trente ans, La Poste effectuait ce
travail jusqu'à 5 kg pour l'essentiel, et au-dessus
c'étaient les opérateurs professionnels (messagers, groupeurs
privés) qui assuraient le service. La taille moyenne de nos envois est
de 50 à 100 kg, et cela concerne aussi bien les entreprises que les
particuliers comme destinataires. L'activité en question est
effectuée par quelques centaines d'entreprises au maximum, pour un
chiffre d'affaires total de 40 milliards de francs. Il y a à peu
près trente mille camions, camionnettes émanant des entreprises
qui sillonnent la France tous les jours à des tarifs équivalents,
sans réclamer aucune aide de l'État. Nous pratiquons une
tarification identique parce que notre clientèle ne souhaite pas que les
destinataires, directement ou indirectement, acquittent un prix de transport
différent selon leur lieu d'habitation. Et, contrairement aux
idées reçues, la distribution dans les zones rurales coûte
moins cher qu'en région parisienne.
Jusqu'à ces dernières années, le secteur de la messagerie
vivait une vie normale, avec une crise économique qui était le
reflet de la crise économique générale du pays, et
même de l'Europe. La représentation importante du secteur public,
à travers les filiales de la SNCF et de La Poste qui, d'après mes
estimations, représentent à peu près 30 % du
marché, est une situation unique en Europe. Depuis deux ans, on assiste
à l'arrivée en force du capitalisme d'État dans le monde
du capitalisme privé, capitalisme d'État essentiellement postal,
mais aussi ferroviaire, puisqu'on a vu le capitalisme d'État prendre une
part de marché supplémentaire, d'environ 20 %, sous l'effet
des acquisitions de la
Deutsche Po
st qui reste à majorité
de capital d'État, de la poste française, de la poste anglaise,
ainsi que des chemins de fer belges.
Situation inquiétante car il est à craindre que d'ici peu, la
part privée du secteur de la messagerie ait disparu à la suite
d'un combat disproportionné. Les premiers d'entre nous auront
été achetés, les derniers risquent d'être
piétinés. Les entreprises privées du secteur peuvent-elles
survivre ?
Par rapport à ce scénario, permettez-moi de développer une
interrogation. Pourquoi l'initiative a-t-elle été prise d'envahir
le secteur de la messagerie industrielle ? Les postes donnent l'impression
de vouloir constituer, avant même l'ouverture de la concurrence,
l'architecture d'un cartel futur, cartel permettant d'éviter que les
concurrents potentiels ne viennent un jour sur le marché traditionnel du
courrier. Nous acheter maintenant permet d'éliminer à l'avance
toute concurrence future, c'est reconstituer une vie peu compétitive.
Les organismes habitués à vivre pendant des décennies sous
monopole sont plus enclins à se chercher des protections qu'à
vouloir affronter une concurrence réelle. Dans ce métier de
main-d'oeuvre, il est clair que le coût des personnels postaux est
supérieur à celui des personnels sous convention collective
transport. La deuxième raison est ce que j'appellerais une
stratégie imitative et nationale. Lorsque la
Deutsche Post
a
commencé à annoncer l'achat du transitaire
Swisslansas
, la
presse française et la presse économique libérale de
droite ne se sont pas interrogées sur le motif de ce rachat, mais ont
dit : que fait la poste française ? Chaque pays, chaque
gouvernement, à travers les lois et règlements, à travers
des aides publiques, semble vouloir défendre son champion national.
Pour éviter les excès, nous avons présenté les
demandes suivantes :
Premièrement : l'existence dans les groupes postaux d'une
comptabilité analytique pour permettre aux autorités du pays, aux
autorités européennes et à nous, comme concurrents, de
vérifier s'il y a ou non des subventions croisées. Le tarif du
courrier sous monopole en Allemagne est de 20 % supérieur à
ce qu'il est en France. Si l'on rapporte cela au chiffre d'affaires
concerné, cela doit faire environ 8 milliards de francs de recettes
et donc de résultat par an de différence. 8 milliards de
francs ou deux fois 8 milliards de francs pour être large, compte
tenu des prix d'acquisition considérables qu'ont accepté les
postes dans leur stratégie de croissance externe, ajoutés
à deux ans de très gros bénéfices donnés par
les différences et le tarifaire, permettent d'acheter la totalité
du secteur que je représente en France. Une comptabilité
analytique vérifierait que la rente du monopole n'est pas
utilisée pour constituer un nouveau monopole, à l'ombre du
marché.
Deuxièmement : la présence de véritables autorités
de concurrence, si possible au niveau européen, pour vérifier la
réalité des prises de marché et des risques d'abus de
position dominante.
Et enfin, nous réclamons, avec l'interlocuteur précédent,
une ouverture du marché postal.
M. Jean-Claude Larrivoire
Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université
Paris-Dauphine, comment la juriste réagit-elle devant tout ce que l'on a
pu entendre ce matin ?
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université Paris IX (Dauphine)
Je
voudrais faire trois observations qui sont des observations
générales, prolongeant les précédentes dans une
perspective plus juridique. Il s'agit plus précisément
d'anticiper la façon dont le droit en la matière, parce qu'il
s'agit de décisions et de mouvements juridiques qui ont une certaine
autonomie par rapport aux évolutions économiques et politiques
déjà décrites, va encercler dans l'avenir les postes
européennes, mais aussi, parce que le droit est flexible, la
façon dont celui-ci pourra être utilisé.
Tout d'abord, il convient donc de revenir sur la nature même du
juridique. Le droit forme un système. Cela signifie que les normes qui
le composent, les interprétations dont celles-ci sont l'objet, ne sont
pas simplement empilées. Elles sont mises en corrélation, et
c'est cette corrélation qui évite au droit le vice de la lacune
parce que les raisonnements permettent de trouver une solution à un cas
particulier, même non directement prévus par la loi. Cette
puissance de système est particulière forte pour le droit
communautaire, agencé sur des principes et des buts poursuivis. Cela
n'apparaît pas à première vue lorsqu'on segmente l'analyse,
pour se concentrer notamment simplement sur les directives, lesquelles, prises
isolément, ne sont jamais que des compromis entre Etats signataires, un
balancement entre contraintes économiques et marges de manoeuvres
politiques. Cela ne doit pas masquer le fait que le droit communautaire avance
selon une hiérarchie de principes, une logique propre qui englobe et
dépasse l'adoption de telle ou telle directive. C'est le juge,
communautaire ou national, qui donne vie à cette logique. Dès
lors, alors qu'une directive ne peut venir à la vie qu'avec l'accord des
Etats qui peuvent mesurer ce à quoi ils s'engagent, aucun gouvernement,
pas même une alliance de gouvernements, ne peut arrêter le droit
communautaire quand il prend sa forme judiciaire, sa forme contentieuse.
Une fois rappelé cet effet systémique du droit communautaire, je
voudrais insister sur deux principes méthodologiques à l'oeuvre.
Ils ont tout deux pour objet l'appréciation que le juge fera des
comportements des opérateurs - publics ou privés, historiques ou
nouveaux entrants - et des Etats. Le premier principe a trait à la
légitimité du comportement, il est de nature probatoire. Le
second principe est un instrument de mesure pour apprécier
l'adéquation d'un comportement.
Le premier principe repose sur le fait qu'un comportement en accord avec un
principe n'implique pas la charge pour celui qui le tient de démontrer
sa conformité, alors qu'un comportement contraire à un principe
oblige l'opérateur ou l'Etat concerné à démontrer
sa légitimité exceptionnelle. Ce n'est pas que le droit
communautaire ne supporte pas d'exceptions, au contraire il est un entrelacs
complexe, et de ce fait difficilement pénétrable, d'exceptions.
C'est une question probatoire : celui qui se prévaut de l'exception
a la charge redoutable de prouver la légitimité de son
comportement. Alors, malgré l'accueil toujours plus favorable du droit
communautaire au service universel - si ce n'est au service public -, au droit
de la régulation - si ce n'est au droit public -, le principe reste
celui du marché librement ouvert et concurrentiel. Une autre
organisation a le rang d'exception. A partir de cette logique communautaire et
dès lors, même lorsqu'il s'agit de mettre en place une
régulation postale, partout où la concurrence sera possible,
celle-ci devra se déployer, partout où la dérogation
à la concurrence n'aura pas été expressément
stipulée, celle-ci devra être refusée. C'est une
règle qui s'appliquera automatiquement quels que soient les
gouvernements, les opinions politiques, les forces, les syndicats, les nouveaux
entrants.
Le second principe essentiel concerne la mesure de l'action. Le contrôle
exercé sur les comportements au nom du droit communautaire repose sur le
principe de proportionnalité. La proportionnalité suppose que
toutes les actions se mesurent au regard des objectifs qui ont justifié
qu'on donne à celui qui agit le pouvoir de le faire. Par exemple, les
services réservés, pour financer le service universel, ne devront
pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la
satisfaction de l'objectif. Cela implique la démonstration permanente de
la proportionnalité de ces systèmes très
sophistiqués par rapport aux raisons pour lesquels de tels
privilèges sont accordés ou tolérés. C'est le juge
qui opèrera le respect de ce principe de proportionnalité,
indépendamment des marges d'autonomie que la directive aura admise pour
les Etats dans la transposition qu'ils opéreront du texte dans leur
droit national.
Cette puissance du juge, on la retrouve encore dans le contrôle des
subventions croisées, qui pourront être sanctionnées au
titre de textes particuliers mais aussi en invoquant la prohibition
générale de l'abus de position dominante. C'est souvent les
textes de base qui développent la plus grande puissance, même sur
des secteurs très spécifiques et régis par des textes
particuliers. Les exigences précises sur la filialisations des
activités ou sur l'obligation de comptabilité analytique sont
ainsi relayées par le contrôle prenant la forme soit d'une
intervention du régulateur soit d'un contentieux devant le juge. Cela
sera d'autant net que la régulation spécifique sera inexistante
ou embryonnaire, le juge étant contraint de relayer la lacune par le
recours au droit commun. Mais le droit commun est beaucoup plus violent que les
dispositions particulières, parce qu'il ne peut affiner ses instruments,
qui sont destructeurs puisqu'il s'agit généralement d'interdire
purement et simplement un comportement, le juge ne pouvant, comme le feraient
des textes, réduire sa puissance à un encadrement de ce
comportement. C'est pourquoi d'une façon générale, les
opérateurs, y compris l'opérateur historique, a
intérêt à la mise en place d'une régulation
spécifique, plutôt que de subir la menace d'une condamnation pour
abus de position dominante, déclenchée par n'importe quel juge
appliquant le droit communautaire (la Commission européenne, la Cour de
justice des communautés européennes, le Conseil de la
concurrence, n'importe quel juge français, judiciaire ou administratif)
pouvant sanctionner au titre de l'abus des subventions croisées, des
droits exclusifs disproportionnés, des exceptions injustifiées.
Le danger est d'autant plus vif que la Commission européenne
possède la caractéristique d'être à la fois l'organe
politique de la concurrence et l'organe gardien du droit de la concurrence.
Elle aura donc naturellement tendance, quand elle n'arrive plus à
avancer avec sa casquette d'organe politique de la concurrence, notamment dans
l'élaboration des directives, à exercer son pouvoir de
surveillance et de sanction, sur le mode juridictionnel. L'expérience
montre qu'une telle stratégie facilite grandement la signature des
directives sectorielles de libéralisation.
Ainsi, de fait et de droit, les juges deviennent de plus en plus puissants en
droit de la concurrence. Par l'évolution des pratiques et des textes,
par exemple la loi française du 15 mai 2001 sur les
nouvelles
régulations économiques
, ils ne se contentent pas de
contraindre au versement d'argent, sous forme d'amendes ou d'indemnisations -
ce qui finalement n'est pas très contraignant, les opérateurs,
voire les Etats pouvant alors en quelque sorte acheter
l'illicéité de leur comportement. Ils exigent des adaptations
comptables, l'arrêt de certaines activités, ce qui équivaut
à un quasi-pouvoir de démantèlement des entreprises, de
cession d'actifs et rapproche singulièrement sanction des comportements
anticoncurrentiels et contrôle des concentrations.
Pour le moment, on peut considérer que le droit de la concurrence a
été clément avec le secteur postal. Ainsi, et par exemple,
le Conseil de la concurrence a validé les activités
financières de la poste française, notamment parce que la Poste
française avait pu démontrer qu'il y avait de fortes raisons
justifiant cette situation, le but et l'effet social de la façon dont la
Poste exerce cette activité justifiant cette activité.
Si l'on cherche à anticiper la réorganisation juridique du
secteur, au-delà d'une transposition de la transposition, on peut enfin
se demander quels seront les nouveaux principes juridiques de régulation
du secteur, principes qui ne réduisent pas nécessairement la
puissance et la liberté des opérateurs (le droit est trop
perçu en France comme une contrainte mutilante) mais peuvent être
des ressorts de comportements économiques dynamiques.
Quelles sont donc les idées déclenchantes d'un nouveau
système ? Il pourra s'agir de mettre en premier des droits subjectifs
des personnes qui bénéficient du mécanisme global,
c'est-à-dire les droits des utilisateurs intermédiaires et
finaux. Cette idée de prérogatives des opérateurs et des
consommateurs est assez étrangère à la théorie
classique du service public. C'est pourtant le passage d'avantages
concédés par l'Etat ou des collectivités publiques
à des assujettis à une organisation au service du public, qui a
droit à un service de qualité à un prix équitable,
qui s'est opéré à propos du secteur électrique. On
peut imaginer semblable mouvement pour le secteur postal.
Si l'on admet que l'organisation postale doit avoir pour objectif de
concrétiser de véritables droits des personnes à
être satisfaites, cette conception opère une meilleure
proximité de la régulation du secteur avec les mécanismes
de marché parce que le marché repose sur le droit du client. La
régulation a alors un rôle non pas frontalement contraire mais
simplement correcteur de l'effet d'exclusion produit par le
marché : la régulation fait en sorte que le service soit
fourni même aux personnes qui n'auraient pas les moyens de se l'offrir
sur un marché. Cette plus grande proximité avec le marché,
opérée notamment par le passage de la notion de service public
à celle de service universel, prend moins difficile la cotation des
titres de l'entreprise nationale en charge de ce service. C'est le cas de
France Télécom. Nous verrons pour les autres opérateurs
historiques dans les différents secteurs, notamment pour la Poste
française pour laquelle la cotation pose peut-être un
problème politique mais n'engendrerait pas de schizophrénie
juridique.
Enfin, si la régulation se met ainsi au milieu de l'État et du
marché, l'élément clé en est l'autorité de
régulation. L'autorité de régulation, qui doit être
nécessairement indépendante des opérateurs et de l'Etat,
qui peut être de nature administrative, est l'expression même de
cet entre-deux. Si l'on devait s'orienter vers la création d'une
autorité de régulation postale, celle-ci est beaucoup plus qu'un
arbitre de transition entre le présent et le futur, entre le public et
le privé. Elle devrait être l'organisme construisant les grands
équilibres des secteurs, en charge de les maintenir en disposant de tous
les pouvoirs nécessaires à cela. Si une telle autorité,
véritablement en charge de cette fonction et effectivement dotée
des pouvoirs requis pour cela, est mise en place, alors on pourra dire vraiment
que l'organisation juridique du secteur postal est passée d'un
système à un autre. L'avenir le dira.
M. Jean-Claude Larrivoire
M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la
Commission supérieure du Service public des Postes et
Télécommunications, vous êtes aussi l'auteur d'un rapport
sévère pour la France sur l'ouverture à la concurrence des
services postaux de la Communauté.
M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications (CSSPPT)
Je
voudrais essayer de démontrer que la première des choses à
faire est de lever un certain nombre de tabous, si nous voulons moderniser la
poste française, en profitant de l'ouverture européenne.
Quelques mots pour planter le décor. Rappelons que dans la dynamique
concurrentielle, il y a manifestement un certain nombre de bouleversements
rapides du paysage postal mondial et européen. On a beaucoup
parlé de l'Europe, mais il y a aussi le phénomène de la
mondialisation à prendre en compte.
La poste française tergiverse dans l'ouverture à la concurrence
et la modernisation. Aujourd'hui, la poste française, c'est 17 000
bureaux de poste implantés sur un territoire national important et
beaucoup moins compact que dans d'autres pays. Dans le plus petit village de
notre pays, c'est parfois la seule activité économique, c'est
aussi 300 000 postiers qui font de l'opérateur le premier employeur
après l'État. Il existe dans notre pays un lien affectif puissant
entre La Poste et la nation française. Les origines remontent au roi
Louis XI.
Il faut noter que les syndicats postaux contestataires les plus radicaux,
après chaque élection, gagnent du terrain. Le nombre de jours de
grève des agents de La Poste au premier semestre 2000 représente
99 000 journées. Il s'agit d'un phénomène qu'il
convient d'introduire dans notre réflexion.
Majoritairement, les parlementaires et les personnes responsables en France,
reconnaissent qu'il est indispensable d'aller vers une réforme de La
Poste, en s'inscrivant dans les nouvelles règles qui doivent permettre
d'évoluer rapidement.
Préserver l'emploi ainsi que l'aménagement du territoire qui sont
liés, et maintenir une forme de service public auquel les
Français sont attachés en sont les données. Il faut du
courage politique pour entamer ce genre de réforme. Le
précédent gouvernement a su mener à terme la
réforme de France Télécom en 1996, cette
sociétisation (société anonyme de droit privé),
dont le gouvernement suivant a tiré les bénéfices.
Une troisième vague de privatisations est en cours dans notre pays, le
secteur gazier est lui aussi en attente de modernisation. Pour La Poste, on a
l'impression que le sujet est encore tabou, d'ailleurs rien n'a
été fait ou presque depuis la directive de 1997. Nous disons donc
avec le sénateur Larcher : Sauvez La Poste ! Pour que la
France garde toute sa place dans le paysage postal européen et mondial,
il faut une révolution postale, certes pacifique, mais réelle.
Je développerai à cet égard les trois axes suivants :
- Débattre et évangéliser, je crois que le mot est
approprié, sur la nécessité de la
réforme
postale.
- Proposer les contours de la révolution postale.
- Moduler le rythme de la concurrence européenne.
Pour évangéliser et expliquer la nécessité de la
réforme postale, il faut débattre des enjeux postaux, il importe
qu'il y ait véritablement une loi postale, telle que nous la
réclamons. Le gouvernement a empêché un véritable
débat parlementaire autour d'une vision stratégique de l'avenir
de La Poste. Nous avons provoqué un débat en séance
publique au Sénat sur la proposition de directives postales de la
Commission en décembre dernier Or, l'Assemblée nationale qui, en
toute logique, soutient le gouvernement, n'en a pas fait, ce qui peut
paraître incroyable compte tenu de l'enjeu.
Le deuxième axe, proposer les contours d'une révolution
pacifique, nous le faisons avec M. Larcher par divers rapports et
propositions : Il est nécessaire de sociétiser La Poste, en
reprenant tout simplement le processus expérimenté avec les
télécoms. La Poste a la nécessité de la
consolidation du pôle financier public autour de la Caisse des
dépôts et consignations et des Caisses d'épargne, pour des
raisons d'organisation juridique des services financiers postaux. Il n'est pas
question pour nous de séparer les services financiers de La Poste. Nous
voulons seulement une modernisation par paliers, avec un calendrier. Comment
mettre en oeuvre des stratégies internationales offensives de croissance
externe, dans la messagerie par exemple, avec le statut que nous avons
aujourd'hui ?
Je voudrais également parler du fait de moduler le rythme de l'ouverture
à la concurrence européenne. La réforme postale ayant pris
du retard en France, nous demandons à Bruxelles de modérer le
rythme d'ouverture de la concurrence. Nous avons d'ailleurs pris position pour
le périmètre des services réservés en faveur d'un
compromis proche de celui qui aurait pu être adopté au Conseil des
télécoms, le 22 décembre dernier. Nous avons soutenu
la fronde contre les propositions de la Commission européenne
derrière le gouvernement français, néanmoins nous
proposons autre chose, dans nos frontières, que le seul immobilisme qui
condamne notre opérateur. Entre le
statu quo
impossible et le
marché forcé proposé par la Commission, il nous faut
trouver une troisième voie qui, à la fois, consolide et
enrichisse le service universel postal. L'ouverture à la concurrence et
le maintien d'un haut degré d'exigence de service public ne sont pas
incompatibles, mais nécessitent des aménagements spéciaux,
des services réservés sont nécessaires, ainsi que la mise
en place d'un fonds de service universel. Nous sommes très favorables
à la mise en oeuvre du service universel.
Il y a un avenir pour La Poste à condition qu'on ait le courage de la
réformer et qu'on cesse de mettre en avant des tabous qui la mettent
dans une situation d'immobilisme, qui remonte à 1997.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Régis
Lonchaud,
secrétaire
fédéral de Sud PTT
Une question à M. Bréau. Dans le transport, on voit se
développer un salariat déguisé qui est de plus en plus
condamné dans les tribunaux, à la Cour de Cassation. On
s'aperçoit que beaucoup d'entreprises du transport ne respectent pas le
code du travail et les conventions collectives. Je voudrais savoir ce qu'en
pense votre fédération.
M. Alain Bréau
Je ne suis pas sûr d'avoir un avis sur cette question. Mais à
l'intérieur du groupe de la poste française, sans faire de
délation, savez-vous à quelles conditions un certain nombre
d'opérations sont sous-traitées ?
Mme Francesca Coratel
, poste italienne
La poste italienne a dû faire face à un processus de modernisation
très difficile, compte tenu des conditions de départ. Les
résultats sont là, mais cela ne signifie pas que la poste
italienne s'équipe pour être une poste de succès, ni que
ses efforts ont été faits pour être la plus
compétitive. Le but principal de tous les efforts d'amélioration
s'est concentré sur une amélioration de l'offre du service
public, qui représente une charge importante, alors que la dimension de
notre monopole fait partie des plus réduits en Europe. Le fait d'avoir
une telle situation va nous aider à faire face à la
libéralisation, la libéralisation ne représentant pas la
solution à tous les problèmes. Les exemples de la Suède et
de l'Espagne ont bien démontré qu'il y a différentes
manières de décliner ce concept.
Mme Geneviève Meunier,
journaliste
Un très gros client de la poste française disait qu'en l'an 2000,
7 à 10 % de ses mailings sur l'année ne sont jamais
arrivés au jour J. La réponse du postier : les
35 heures. La voix syndicale européenne s'exprime-t-elle sur ce
problème de distorsion sociale. Y a-t-il une réflexion
aujourd'hui au niveau européen ?
M. Jacques Lemercier
Il y a une réflexion européenne sur les 35 heures, et la
France a été motrice en la matière. Vue de
l'extérieur, La Poste est dans d'excellentes conditions de concurrence
puisque les 35 heures ont eu un coût que les postiers ont
payé eux-mêmes. Il n'y a pas eu d'aide de l'État
malgré les 10 ou 12 000 créations d'emplois qui ont eu lieu.
Désormais, dans nos réunions internationales, nous recherchons
comment arriver aux 35 heures. Cela se fera par paliers avec discussions
dans les branches.
M. Philippe Thomas,
ADREXO, société
privée de distribution en boîte aux lettres
Y a-t-il un agenda pour la création de l'autorité de
régulation postale en France ?
Mme Marie-Anne Frison-Roche
On est mis en demeure de le faire. La distinction entre opérateur et
régulateur, ce qui est le grand principe constitutionnel de tous les
secteurs régulés, et qui revient à créer, selon des
modalités choisies, une autorité de régulation, doit
être faite.
M. Alain Rouvière,
FO Ariège
Je voudrais réagir aux propos du dernier intervenant et donner une
information : dans mon département, l'Ariège, suite à
l'ouverture du capital de France Télécom, on est passé de
230 à 120 emplois. Appliquera-t-on des méthodes similaires pour
l'emploi et le maintien de l'emploi à La Poste au niveau des
élus ?
M. Pierre Hérisson
L'exemple de mon département ferait la démonstration inverse
quant au nombre d'emplois ! En termes d'aménagement du territoire,
le maintien des emplois correspond à une réalité
économique, une réalité d'aménagement et une
réalité de développement. On ne maintient pas des emplois
si ce n'est pas véritablement nécessaire. Aujourd'hui,
globalement, l'entreprise France Télécom, société
anonyme de droit privé, est une entreprise qui a fait la
démonstration du maintien des salariés, et en a augmenté
le nombre dans tous les secteurs où c'était nécessaire. Au
bout de quatre ans, il y a une meilleure couverture de l'utilisation des moyens
offerts par les nouvelles technologies, sur le téléphone national
en particulier. Le souci du maintien de l'emploi, nous devons l'avoir, or, en
termes d'aménagement, des points difficiles subsistent, et c'est pour
cela que nous restons favorables au maintien du service universel car des
secteurs auront à régler le problème par un
équilibre à travers le service universel.
Question de la salle :
Les 35 heures ont été mises en place au sein de La Poste
sans appui financier de l'État. Le poids des retraites se fait de plus
en plus lourd et obère les capacités de développement de
La Poste en France. La poste n'est-elle pas tenue par l'État de
transporter gratuitement la presse ? Avant de parler de
sociétisation, le rôle des politiques n'est-il pas avant tout de
clarifier les relations financières entre l'État et La
Poste ?
M. Pierre Hérisson
Tout d'abord une précision, la poste française ne transporte pas
gratuitement la presse. Il y a un partage fait entre la contribution de celui
qui demande le transport, par une aide de l'État à La Poste, et
La Poste. Sur la question que vous posez, un certain nombre de parlementaires
demandent une véritable comptabilité analytique de manière
à assurer une transparence, puisqu'il s'agit bien d'une entreprise
chargée d'un service public. Quand je parle de modernisation, c'est
demander à La Poste d'avoir des exigences comptables telles que l'on
puisse mesurer le problème lié aux subventions croisées ou
aux aides.
Si la poste française n'a pas bénéficié des aides
telles qu'elles sont prévues sur la loi de la réduction du temps
de travail, il y aurait eu des compensations par ailleurs...
III. TRANSITIONS DYNAMIQUES ET INTERROGATIONS RECURRENTES
M.
Gérard Larcher
Michel Barnier, ayant été retenu à Bruxelles, a transmis
le message que voici.
Michel Barnier, commissaire européen, responsable de la Politique régionale et de la Réforme des institutions (message)
Je veux
simplement vous dire ce que je pense des propositions de la Commission sur
l'évolution du secteur postal et pourquoi je les ai soutenues dans
l'état où elles ont été proposées au Conseil
des ministres. Selon moi, ces propositions constituent une base de
négociations, et s'en écarter serait une erreur.
Une nouvelle étape graduelle et contrôlée est
nécessaire pour l'ouverture à la concurrence des services
postaux, et décider aujourd'hui de leur libéralisation totale
serait, à mes yeux, une erreur irréparable et inacceptable.
Pourquoi faut-il une nouvelle étape de libéralisation ? Car
l'économie européenne a plus à craindre de l'immobilisme
que de la concurrence, notamment dans les services postaux.
La Poste est un service d'intérêt général, c'est
aussi une activité économique ; la performance des services
postaux, tous opérateurs confondus, contribue à la performance de
notre économie nationale et de certains secteurs, en particulier le
secteur de la banque, de l'assurance ou de la vente à distance.
Au moment où nous achevons, avec la monnaie unique, le marché
intérieur des services financiers, où nous tentons d'offrir un
cadre favorable au commerce électronique en Europe, nous ne pouvons pas
rester sourds aux demandes de ces secteurs d'amélioration des
prestations, de réduction des coûts des services postaux.
Plus généralement, le second rapport sur la cohésion
économique et sociale, rendu public le 31 janvier, a montré
à quel point les services dont nous parlons sont désormais les
principaux moteurs de la compétitivité économique. Leur
développement est à la fois une condition et un indicateur du
rattrapage de certaines régions en difficulté.
Or, une certaine dose de concurrence accompagnée d'exigences accrues sur
la qualité des services favorise la transparence des coûts et
contribue à la compétitivité des activités
consommatrices ou utilisatrices de services postaux, et leur ouvre des
débouchés potentiels.
Il faut donc apprécier les enjeux de l'ouverture à la concurrence
des services postaux dans un cadre plus large, qui est celui du marché
intérieur.
Ayant marqué mon orientation vers une nouvelle étape
graduée de libéralisation, je reste fermement opposé
à toute forme de libéralisation totale. Car les services
d'intérêt économique général servent
l'intérêt économique et dans le même temps
l'intérêt général. Ils jouent un rôle dans la
cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union. C'est
d'ailleurs pour cette raison que cette spécificité, cette
garantie que les missions de service public puissent être
respectées, est accordée ou reconnue de manière durable
dans le traité de l'Union.
Voilà pourquoi je resterai attaché, au moment où se
prépare cette nouvelle étape d'ouverture à la concurrence,
aux cinq principes suivants :
Le premier est la différenciation entre les services
d'intérêt général. La distribution du courrier n'est
pas celle de l'électricité, du gaz ou de l'eau. Les transports ne
sont pas les télécommunications. Chaque secteur, en fonction des
évolutions technologiques, de la croissance du marché, du poids
des infrastructures, de son propre rôle dans l'aménagement du
territoire, se prête plus ou moins à la concurrence. On doit agir
au cas par cas. Le marché postal ne connaissant pas les taux de
croissance ni le niveau d'innovation technologique des télécoms,
la Commission a proposé un rythme plus mesuré pour ce service.
Le deuxième principe est l'adaptabilité du service universel.
L'innovation technique ne suffit pas à distinguer les activités
nouvelles, soumises à la concurrence, et celles plus traditionnelles,
qui seraient réservées au secteur public. C'est pour cette raison
que la Commission n'a pas proposé de reconnaître le courrier
hybride, préparé et transmis électroniquement à
l'opérateur postal, comme une activité concurrentielle par nature.
Le troisième principe est la fiabilité du service universel. La
frontière entre le service public, je pense au secteur
réservé, et la concurrence doit reposer sur un calcul
actualisé à chaque étape de libéralisation des
activités nécessaires à l'équilibre
économique du service universel.
Le quatrième principe est la sécurité juridique et
économique. Les opérateurs qui veulent investir
nécessitent une certaine visibilité, une certaine
sécurité juridique et économique pour pouvoir
décider de leurs choix et de leurs investissements.
Le cinquième principe est la garantie d'accès au service public,
la charte européenne des droits fondamentaux, qui a été
proclamée à l'occasion du Conseil européen de Nice,
reconnaît ce principe d'accès aux services économiques
d'intérêt général, tel qu'il est prévu par
des législations et par les pratiques nationales. Cet enjeu de
l'accès aux services postaux d'intérêt
général n'est pas le même dans un pays qui compte 17 000
bureaux de poste et dans un pays qui en compte à peine un millier. Il
faut garantir que l'ouverture à la concurrence n'aura pas de
conséquences négatives sur l'accès aux services postaux
dans les régions les plus isolées ou très lointaines.
Nous devons regarder cette question de la libéralisation sans
idéologie. Oui, la modernisation des services postaux sous l'aiguillon
de la concurrence est aujourd'hui nécessaire au développement de
ces services, et plus largement à la compétitivité de nos
entreprises. Mais cette libéralisation doit rester « graduelle
et contrôlée », afin de préserver
l'adaptabilité, la viabilité économique et la garantie
d'accès au service postal universel sur l'ensemble du territoire.
M. Jean-Claude Larrivoire
Le dynamisme et les interrogations en suspens seront illustrés par la
poste allemande. Monsieur Maschke, vous êtes directeur
général de la
Deutsche Post
; à voir son cours
à la Bourse allemande ces derniers jours, les actionnaires privés
ont des raisons d'être satisfaits de sa libéralisation
partielle.
M. Walter Maschke, directeur général de la poste allemande
Je
donnerai un aperçu des bouleversements dans notre domaine ces
dernières années. Première phase du
développement : transformation du service en société
en 1990, puis privatisation en 1995. La première étape est la
séparation du secteur public des activités d'affaires et des
télécoms, et une gestion privée. La poste a
été ensuite séparée en trois
sociétés, filiales de la
Deutsche Post
: poste,
télécoms et poste-banque. La poste et la poste-banque utilisent
les bureaux de poste existants pour une stratégie concertée et
pour faire des économies d'échelle.
La
Deutsche Post
a été lancée comme une
société possédée à 100 % par
l'État allemand, mais le but avoué était d'avoir
très vite des actionnaires. Le succès de ces réformes
repose sur la synchronisation opérée par le gouvernement tant au
niveau des télécoms qu'au niveau de la poste. La Constitution
allemande protège les services universels afin d'assurer un tarif
uniforme et abordable, et une qualité des services. Point clé des
discussions en Europe.
En 1997, le gouvernement allemand décide de libéraliser le
marché et de l'ouvrir à la concurrence de manière
graduelle. Par rapport à d'autres pays, nous avons adopté une
position radicalement libérale. Il y avait 100 concurrents, et quelque
3000 licences ont été accordées à des entreprises,
surtout des PME locales. Le processus de déréglementation a donc
été accompagné de réglementations au niveau de
l'État.
En 2000, nous avons eu une entrée sur le marché boursier avec une
capitalisation boursière de 23 milliards d'euros, c'était la
plus grosse introduction boursière de cette année-là.
Le gouvernement allemand veut une privatisation complète d'ici à
2008. Les acteurs nationaux seront les mêmes que ceux qui existent
aujourd'hui dans le domaine des colis, UPS, DPD, etc. De grands bouleversements
sont attendus sur les marchés locaux parmi les acteurs qui existent.
Depuis 1990, les revenus ont triplé, ils sont passés de
9,5 millions d'euros à près de 3 milliards d'euros.
Nous sommes passés de 380 000 personnes à moins de
230 000 personnes sans grève ni manifestation majeure. Nous
voulions absolument réduire les effectifs en période de
croissance, plutôt qu'en période de pression économique. La
société publique, avec son déficit considérable,
s'est muée en une société privée efficace et
bénéficiaire.
Le processus de transformation : de nouvelles plates-formes d'affaires ont
été lancées. Nous avons uni nos forces grâce
à la fusion ancienne/nouvelle économie. De nouvelles structures
ont été mises en place pour les colis et pour les bureaux de
poste. De nouveaux services ont amélioré la qualité afin
de pouvoir atteindre une plus grande satisfaction chez nos consommateurs.
La
Deutsche Post
a été réinventée
grâce au processus de réorganisation de nos services postaux, de
25 % l'automatisation est passée à 85 %, nous avons
réduit les systèmes de triage puisque nous avons pu comprimer le
nombre de centres de tri. La qualité est passée de 75 %
à plus de 95 % pour les livraisons en une nuit. Le système
de livraison des colis a été réorganisé, nous en
avons amélioré la qualité et nous sommes devenus
particulièrement dynamiques sur ce marché-là.
Deuxième phase du développement, 1998-2000. Depuis 1998, nous
avons encore lancé de nouvelles plates-formes pour pouvoir atteindre de
nouveaux clients, et nous préparer au moment où les licences
d'exclusivité expireraient en Allemagne.
Les tendances ont permis à l'entreprise de se développer à
travers des acquisitions. Tout d'abord, les services à valeur
ajoutée vis-à-vis du client. Nous nous sommes concentrés
sur les clients-entreprises. Nous avons pris en charge leur service de
logistique. Les experts s'attendent à une augmentation de 9 % par
an dans ce domaine. Nous avons offert des services de plus en plus
intégrés. Nous avons également diversifié notre
portefeuille au niveau géographique, ainsi qu'au niveau du portefeuille
produit en quantité et en qualité.
Face à la tendance de la mondialisation, se profile une augmentation du
flux d'affaires au niveau mondial et du commerce électronique, une
croissance importante des envois transfrontaliers et des envois au niveau
national ; par conséquent, les clients demandent des réseaux
internationaux de plus en plus intégrés. Nous offrons donc des
solutions personnalisées.
La mise sur le marché boursier a eu beaucoup de succès. Le volume
était de 6,6 milliards d'euros, et la capitalisation
boursière était de 23,4 milliards d'euros. Un programme de
participation de nos employés au capital a été
lancé, 60 % d'entre eux ont acheté des actions, et nous
pensons accentuer cette tendance.
Voici nos résultats financiers. Nous avons atteint des records absolus
puisque nous avons augmenté nos revenus de 46 %, à plus de
3 milliards d'euros, soit une augmentation de 158 % par rapport
à 1999. La division exprès, elle, a augmenté de 26 %,
et la logistique a doublé ses bénéfices et est devenue
bénéficiaire pour la première fois. Au niveau des services
financiers, il y a eu une augmentation de 178 % jusqu'à 500
millions d'euros. À ces excellents résultats financiers,
rajoutons un processus de transformation radicale au niveau de la gestion de
l'entreprise.
Au niveau de l'offre de produits, nous sommes devenus un fournisseur logistique
global, la répartition du chiffre d'affaires par activités est
visible. Notre portefeuille de produits au niveau de la logistique et des
services financiers représente 66 % des revenus par rapport aux
26 % d'il y a deux ans. La proportion des revenus au niveau du courrier a
donc été réduite à 34 %.
L'acquisition de DHL, de IAE... nous a permis d'étendre notre
présence mondiale et d'élargir notre portefeuille de produits.
Nous sommes présents dans deux cents vingt pays, c'est un
complément parfait à notre réseau européen. La part
de revenus internationaux, qui est passée de 2 % en 1998 à
29 % en 2000, montre cette transformation.
Aujourd'hui, nous touchons le milieu de la phase finale de notre
transformation. Nous aimerions devenir les leaders au niveau de la logistique
à l'échelle mondiale, avec des systèmes
intégrés qui offrent tous les services, depuis la livraison des
colis jusqu'au service financier. Nous avons appuyé le processus de
libéralisation en Europe de manière très forte.
L'Allemagne et les Pays-Bas ont les climats les plus concurrentiels de tous les
marchés des services postaux en Europe.
La limite des 350 g, et la licence exclusive, telle que nous l'appelons en
Allemagne, est accordée jusqu'à 200 g, et 50 g
lorsqu'ils sont adressés directement. Nous avons donc appliqué
avec succès les directives mises en place le 1
er
janvier
1998. Nous sommes en train de discuter l'extension de certaines licences
exclusives afin de ne pas créer en Europe de distorsions au niveau de la
libéralisation.
Pour résumer : notre mise sur le marché boursier fut un
succès phénoménal ; la
Deutsche Post
s'apprête à devenir le numéro un sur le marché
mondial, et l'Allemagne est devenue moteur sur la libéralisation en
Europe.
M. Jean-Claude Larrivoire
Merci pour ce florilège de succès. M. Christian
Stoffaës est à Électricité de France, directeur de la
délégation à la prospective internationale. Vous
êtes aussi le créateur et le président d'ISUPE, Initiative
pour les services d'utilité publique en Europe, qui regroupe une
vingtaine de grandes entreprises françaises unies dans la promotion pour
un concept européen de service public.
M. Christian Stoffaës, président d'Initiative pour des services d'utilité publique en Europe (ISUPE) et directeur de la Délégation à la prospective internationale à Electricité de France
Je ferai
une mise en perspective de la question qui vous réunit dans le contexte
plus général des services publics et de la construction
européenne. Avec d'autres collègues, des économistes, des
juristes, d'autres entreprises de service public, en France et en Europe, nous
avons suscité en 1992, au moment de l'achèvement du marché
intérieur, une structure de réflexions et d'influences pour
porter la question des services publics à la réflexion
communautaire et au niveau européen. Or, il y a autant de notions de
service public qu'il y a de secteurs, et nous essayons de trouver des concepts
communs à tous ces secteurs. Les approches nationales sont très
contrastées puisque le service public est une construction
institutionnelle. Il y a un clivage entre les pays à structure
centralisée, comme la France, et les pays à structure
fédéraliste où les services publics sont exploités,
gérés et régulés au niveau régional,
municipal ou local, comme en Allemagne. Il existe aussi une distinction
importante entre les pays de droit romain, de droit écrit, de droit
public, et puis les pays de droit libéral, les pays anglo-saxons et les
pays scandinaves. Tous les pays européens ont des services publics, sans
en avoir la même conception, donc, nous nous attachons à faire
émerger un concept harmonisé, un concept minimal, à partir
duquel peut se construire une notion européenne.
La Poste est certainement un des points essentiels. Le transport aérien
est maintenant un secteur ouvert, mais a encore beaucoup
d'éléments de service public, à cause des infrastructures
lourdes des aéroports, de la navigation aérienne, du
contrôle aérien. Les télécommunications
s'éloignent du service public, mais des aspects très importants
de desserte universelle demeurent.
La Poste est assez centrale parce que l'effet de péréquation
tarifaire est très important : la distribution de la lettre en zone
urbaine, à haute densité, coûte 1 franc,
1,50 franc, c'est-à-dire à peu près la moitié
du prix du timbre actuel et, en zone rurale, elle coûterait trois fois
plus cher. Si on ouvre la concurrence, si on libéralise, il y aura
l'écrémage du marché, les entreprises prendront les
segments les plus compétitifs, et ceux moins compétitifs comme la
distribution en zone rurale seront délaissés ; si le prix du
timbre est de 10 francs en zone rurale, plus personne n'enverra de
courrier. Pour éviter cela, le secteur postal aux États-Unis est
public. Les États-Unis, fondamentalement hostiles à toute forme
d'intervention de l'État dans l'économie, ont quand même
une entreprise publique qui est la poste (même si des segments sont
libéralisés). Au début du
XIX
e
siècle, la poste américaine était
privée, mais le Congrès américain a décidé
de la nationaliser au milieu du XIX
e
siècle. Il est
intéressant de voir comment un pays libéral est venu à une
construction de service public.
Voici un rappel historique concernant l'Europe. Pendant deux ou trois
décennies, la question des services publics dans la construction
européenne ne s'est pas posée. Ils étaient circonscrits
dans leur territoire national ou régional. Certes, le traité de
Rome de 1957, traité de libre-échange, accessoirement axé
sur la concurrence, existait. Le consensus a donc engendré année
après année une démarche inexorable que l'on appelle la
construction communautaire. On abaissait les barrières
douanières, on abrogeait les contingentements aux échanges
commerciaux, mais on ne se posait toujours pas la question des services publics.
Progressivement, la mécanique communautaire a commencé à
s'intéresser à ces questions. Au début des années
1980, des contestations devant la Cour de justice sont apparues. Dans le cadre
des règles de concurrence, il y a eu des plaintes, des jugements, des
décisions rendues par la Direction générale de la
concurrence, et on a commencé à éroder la notion de
service public.
Le service public relève en effet du droit national, et le marché
commun n'a pas de références nationales, il dépend du
droit commercial. Souvent, il a été question de règles
d'exception à la concurrence, d'entreprises publiques disposant d'un
monopole ou de versions atténuées du service public, ou de
contrats de concession, de droits d'exclusivité, mais c'étaient
toujours des atteintes aux règles de la liberté du commerce et de
la liberté d'entreprise.
Au milieu des années 1980, dans les pays occidentaux, il y a eu un
mouvement que l'on a appelé la révolution
néo-libérale, dont l'exemple le plus frappant en Europe a
été l'Angleterre de Margaret Thatcher, ce mouvement a
gagné en Espagne, en Allemagne, en Italie, en France sous des formes
diverses. Cela a concerné au premier chef les services publics. La
notion de dérégulation, celle de privatisation des services
publics résulte des changements politiques et d'orientation de
l'économie. Par ailleurs, le traité de 1985, qu'on appelle l'Acte
unique européen, a stipulé qu'il fallait achever le marché
intérieur dans les secteurs qui en étaient exclus. Trois cents
directives ont été annexées à l'Acte unique.
Deuxièmement, l'Acte unique est passé à la règle de
la majorité qualifiée qui a profondément changé le
rapport de forces au sein du mécanisme communautaire.
C'est-à-dire qu'un pays peut être contraint d'accepter une
directive qu'il n'a pas votée. On est passé à un concept
de pouvoir fédéral, c'est un abandon de souveraineté pour
le domaine des marchés intérieurs.
À partir de là, toute une mécanique s'est mise en place.
La Commission européenne a fait des concertations avec les industriels
et avec les États membres, et toute une série de directives de
dérégulation d'ouverture de la concurrence dans tous les secteurs
concernés sont nées : les télécommunications,
le transport aérien, le chemin de fer, l'électricité (elle
a pris plus de temps puisque les directives datent de 1996), la poste (1998),
le gaz naturel aussi. Et des problèmes et des conflits sont
aussitôt apparus.
Au début des années 1990, on a assisté aux
premières réactions, car dans beaucoup de secteurs, il s'agissait
de véritables révolutions. Le service public était
interpellé. Aujourd'hui, des compromis sont à trouver. La notion
de service public européen va-t-elle commencer à
émerger ?
En 1993 et 1994, des arrêts de la Cour de Justice ont
été rendus, dont l'arrêt Corbeau, qui reconnaît que
la notion de service public, notamment de service universel, impose des
restrictions à la concurrence. L'année d'après, il y a eu
un arrêt d'une commune des Pays-Bas sur le secteur électrique,
enfin il y a eu le traité d'Amsterdam, et Michel Barnier, qui
était ministre des Affaires européennes à l'époque,
a joué un rôle important dans l'adoption de l'article 7-D,
qui introduit la notion de service public au nom de la cohésion
régionale, donc la notion de service universel.
C'est ainsi que la notion de service universel a commencé à
apparaître dans un certain nombre de directives, notamment celles de la
poste et de la communication. Une construction juridique européenne
émerge donc.
Où en est-on aujourd'hui ? Les conflits sont d'actualité. Il
y a trois mois, dans le secteur électricité-gaz, un incident
important a eu lieu au sommet de Stockholm ; ce dernier a
désavoué la Commission taxée d'aller trop vite trop loin.
Plus récemment, le Premier ministre français, dans son
discours-cadre sur les institutions européennes, a indiqué
clairement son souhait de demander la rédaction, l'élaboration et
l'adoption d'une directive-cadre sur les services publics européens.
Faire une directive sur les services publics, c'est risquer de
générer un processus analogue à celui de la
dérégulation, qui a duré une quinzaine d'années...
Il va falloir voir comment la notion de service public s'applique à
toute une série de secteurs. Un grand débat politique, social et
européen va s'ouvrir, dans le contexte de l'intégration accrue du
marché européen, que constitue l'avènement de l'euro. La
poste, à l'évidence, en sera un des acteurs principaux.
Dernière remarque, lorsque l'euro sera instauré, le prix des
timbres-poste devra s'afficher et s'harmoniser en euros, il faudra trouver un
chiffre rond. Quand le prix du timbre sera le même en France, en
Allemagne, en Espagne, en Italie, en Grèce, etc., la question
d'après, c'est la fusion des postes européennes. Il est possible
que la poste devienne, dans les prochaines années, le premier service
public européen, comme il y a une poste fédérale aux
Etats-Unis, qui couvre l'espace de tous les espaces
fédérés.
M. Jean-Claude Larrivoire
Jacques Guyard, député de l'Essonne et président de la
Commission supérieure du Service public des Postes et
Télécommunications. Monsieur le Président, les directives
européennes sont-elles à vos yeux compatibles avec la notion
française de service public ?
M. Jacques Guyard, président de la CSSPTT, député de l'Essonne
Je
souscris à tout ce qu'a dit Michel Barnier. Il s'agit de la
reconnaissance d'une exigence de civilisation qui, je crois, fait le fonds de
la citoyenneté européenne. Dans ce domaine, notre pays est
homogène. Nous souhaitons tous la libéralisation progressive,
seul le tempo varie. Il ne faut pas aller plus vite que la musique. Cette
position européenne est tout à fait claire et compatible avec ce
que nous attendons du service public de La Poste, elle nous aidera à
aller plus vite dans la modernisation de la poste française. La poste
française a actuellement besoin de savoir exactement où elle va.
Nous avons une série de problèmes à régler dans
l'année qui vient. Par exemple, l'absence de référents
politico-administratifs communs ; en France La Poste relève du
ministère de l'Industrie, alors que tous ses concurrents relèvent
les uns du ministère des Transports et les autres du ministère
des Finances. Le dialogue professionnel est difficile à organiser dans
ces conditions.
Les points les plus importants sont néanmoins aujourd'hui en train
d'avancer. Le statut des retraites a commencé à bouger dans le
bon sens, avec la prise en charge par l'État d'une partie de
l'héritage. Le statut immobilier de La Poste s'améliore avec la
conjoncture et par la loi. Les problèmes de comptabilité
analytique et de TVA doivent progresser. Si des garanties claires sont
apportées aux 300.000 salariés d'un côté, aux
citoyens et aux entreprises de l'autre, les discussions sont des discussions de
second niveau.
Nous avons voté récemment que La Poste devait, en France,
distribuer le courrier six jours par semaine, or la qualité de ce
service se dégrade. Il est sûr que nous ne maintiendrons pas la
qualité du service public sans un domaine réservé.
Un mot sur les services financiers de La Poste. Nous avons besoin que les
services financiers de la poste restent présents et dynamiques. Je suis
tout à fait d'accord pour un solide pôle financier public, mais le
pôle financier est formé de trois éléments : la
Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne
et La Poste, qui n'a pas la puissance capitalistique des deux autres. Son
réseau existera s'il reste partie prenante du pôle financier
public, et s'il en est le bras séculier proche du public. Et il est
essentiel, pour La Poste, de savoir à quoi s'en tenir.
À propos des problèmes de régulation du système,
tant que la concurrence reste marginale dans le domaine du courrier proprement
dit, l'intérêt d'une autorité de régulation reste
faible. Je souhaite que la création d'un médiateur de La Poste
soit l'occasion d'une recherche méthodologique et que le débat
prévu sur la loi des dispositions d'ordre économique et financier
soit un vrai débat.
Un dernier mot à Walter Maschke, pour lui dire que, actuellement, La
Poste signe des accords avec ses alliés méditerranéens.
L'avenir de La Poste est international, il est en particulier européen,
et de fait la réussite de l'Europe, ce ne sera jamais l'Europe du Sud
contre l'Europe du Nord.
M. Jean-Claude Larrivoire
Gilles Guitton, directeur général de la Fédération
bancaire française, vous avez beaucoup de choses à dire sur la
concurrence bancaire de La Poste, qui risque d'être de plus en plus
importante, et sur le fait que les banques sont peut-être le plus gros
client de La Poste.
M. Gilles Guitton, directeur général de Fédération bancaire française
Tout le
monde s'attend à des débats passionnels entre la profession
bancaire et La Poste. Or, on oublie que nous sommes d'abord des clients
extraordinairement importants de La Poste. Les quatre principales banques
françaises dépensent plus de 4 milliards de francs
d'affranchissement chaque année.
Nous sommes, que nous le voulions ou pas, dans une économie de
concurrence et de compétitivité. Ce choix a été
fait au niveau français d'une part, et à un niveau
européen surtout. Dans une économie de concurrence, l'ensemble de
la chaîne de production se doit d'être compétitif. C'est en
ces termes-là que se pose également, à propos des services
publics, le problème de leur compétitivité. Nous sommes
dans un monde totalement homogène, nous participons tous d'une
manière ou d'une autre au combat de la concurrence et de la
compétitivité.
En tant que clients de La Poste, nous ne sommes pas satisfaits de la situation
actuelle. Il serait important que nous puissions lier avec La Poste un certain
nombre de partenariats plus tournés vers la productivité.
La poste allemande a démontré que les entreprises et le citoyen
allemands bénéficient de son efficacité et de sa
productivité, en ayant des coûts abaissés et un service de
qualité. L'aiguillon de la concurrence est extraordinairement fort pour
inciter à cette recherche de productivité, et nous souhaitons que
La Poste se mette dans cette forme d'esprit
« entrepreneuriale » en développant une
véritable culture d'entreprise. Nous souhaitons avoir avec nos
fournisseurs des relations très franches, mais compétitives de
part et d'autre.
Le deuxième point est l'intervention de La Poste sur les services
financiers. Si je regarde les graphiques qui ont été
présentés par M. Walter Maschke, on voit que, dès
1990, les Allemands ont pris des mesures de clarification. Clarification en
distinguant bien ce qui relevait de la poste, des colis, des services
financiers qui sont trois activités différentes. Lorsqu'on parle
de La Poste, on parle plus volontiers d'une structure que d'un ensemble
d'activités. Or, La Poste recouvre un certain nombre d'activités
à caractère économique qui ont leurs propres
caractéristiques. Notre premier souci, avant de parler de concurrence,
c'est que l'ensemble des banques est prêt à jouer pleinement, de
manière loyale et transparente, le jeu de la concurrence. Que La Poste
distribue des services financiers est un choix qui a été
fait ; toutefois, elle est tenue de le faire dans des conditions de
concurrence normales de transparence. Il est navrant que la directive de 1997
ait été traduite, pour sa plus grande partie, dans les textes
réglementaires français, au mois de février 2001
seulement. Nous souhaitons que ce décret ne reste pas lettre morte et
que nous allions de manière loyale vers une comptabilité
analytique. Que signifie une comptabilité analytique lorsqu'il y a
55 % de charges indivises ? Peu de chose.
Il est impressionnant aujourd'hui de constater le mouvement de transparence. Il
faut que cette transparence s'applique à tout le monde. L'ensemble des
entreprises, soit en raison des nouvelles directives européennes, soit
en ce qui concerne les établissements de crédits, par les
stipulations du Comité de Bâle, va avoir l'obligation de
dévoiler publiquement l'essentiel de son fonctionnement ; la poste
doit aussi répondre à cette obligation.
N'allons pas dire que les entreprises bancaires sont des fanatiques du
libéralisme sauvage. L'État comme régulateur social est
sans ambiguïté l'acteur approprié. Certes, les choses
doivent se faire dans des conditions données, mais il faut que les
obligations soient définies de manière très claire et
qu'elles soient assorties d'un financement tout aussi clair, afin
d'éviter les subventions croisées de financements dont on ne sait
pas d'où ils viennent et qui les alimente.
Deux mots pour terminer. Ce que nous souhaitons, c'est avoir un service qui, en
matière de courrier, soit le plus compétitif possible parce qu'il
s'agit là de la compétitivité des entreprises
françaises. La poste doit, enfin, se soumettre à des conditions
de clarté et de concurrence directe et loyale dans sa partie
financière.
M. Jean-Claude Larrivoire
Au chapitre des transitions dynamiques, la
Free and Fair Post Initiative
représentée par Axel Rindborg, conseiller du président.
Que se cache-t-il derrière cette appellation ?
M. Axel Rindborg
, conseiller du président de la Free
and Fair Post Initiative
Voici le discours que j'ai été chargé de vous transmettre
de la part de mon président.
La
Free Fair Post Initiative
, officiellement lancée à
Bruxelles le 23 octobre 2000, est une initiative européenne qui
regroupe principalement les utilisateurs de services postaux européens,
mais aussi quelques concurrents des monopoles postaux.
Avec dix sept membres, La FFPI représente plus de 4,7 millions de
sociétés en Europe. On retrouve, parmi ses membres, les
organisations patronales françaises, le MÉDEF, suédoises,
belges, des entreprises comme le groupe
Zeegler
, la
société américaine NPS, ainsi que des organisations
sectorielles, telles que le Euro-Commerce qui est le groupement européen
des entreprises de distribution.
Notre groupement est le
European Publish Council
qui représente
les plus grands éditeurs européens. La FFPI a
développé des contacts étroits avec nombre d'organisations
européennes, comme le Bureau européen des Unions des
consommateurs qui milite comme la FFPI en faveur d'une date finale pour la
libéralisation du secteur postal.
L'objectif de la FFPI est de participer au débat sur l'évolution
du secteur postal et d'y faire entendre la voix des utilisateurs de services
postaux. D'une manière plus précise la FFPI défend une
ouverture totale de ce marché et le maintien d'une concurrence saine et
loyale.
La FFPI reconnaît toutefois que le maintien du service universel est
primordial pour garantir la fourniture de services postaux de qualité
pour le bénéfice des consommateurs.
Pour arriver à distinguer le mythe de la réalité, il
convient de comprendre ce qui se passe dans le marché postal : sur le
plan de la concurrence, il faut constater que le marché postal
européen évolue à plusieurs vitesses et de manière
souvent inquiétante. Certains opérateurs postaux continuent de
défendre avec vigueur le maintien de monopoles, tout en abusant de plus
en plus de leur position monopolistique pour limiter la concurrence sur les
parties non réservées du marché. Les utilisateurs et les
consommateurs souffrent de cette distorsion de concurrence, car ce sont eux qui
en paient le prix. La Commission européenne essaie toutefois de les
protéger en intervenant par les moyens de décisions contre ces
abus.
Par ailleurs, certains opérateurs, notamment la
Deutsche Post
,
ont déjà adopté une approche commerciale du marché.
Cette évolution contribue également à créer de plus
en plus de distorsions sur le marché, notamment parce que se multiplient
les présomptions de subventions croisées entre le domaine
réservé de monopole et le secteur concurrentiel. Le nombre de
plaintes déposées par les opérateurs privés et
publics, concernant des pratiques anticoncurrentielles et d'état
présumés, ne cesse de croître.
Il faut donc reconnaître que le cadre réglementaire en place n'est
pas en adéquation avec l'évolution du marché qui doit
être encadrée. À défaut, sans une adaptation des
dispositions réglementaires européennes existantes, les
distorsions de concurrence vont se multiplier. Le marché sera
confronté à des soubresauts difficilement maîtrisables, ce
qui est en train de se passer dans le secteur de l'énergie. Or, dans ce
genre de situation, la régulation des marchés est entre les mains
des juges et de la Cour européenne de justice, ainsi que de
fonctionnaires de la Commission à Bruxelles, qui prennent les
décisions au cas par cas. Ce scénario, où
l'insécurité juridique est très grande, est redoutable
pour les acteurs du secteur postal et pour les membres de la FFPI, car les
victimes sont les consommateurs. Seule une date butoir pour la
libéralisation du marché assurera une transition graduelle et
encadrée, et permettra de se préparer à la concurrence en
limitant l'impact de l'ouverture, notamment en matière d'emploi.
Un autre mythe, la libéralisation, conduirait au chaos. Dans le cadre
d'une libéralisation organisée, l'expérience montre qu'il
n'y a pas de big bang, l'opérateur historique reste l'opérateur
dominant, notamment parce que ce dernier dispose d'un réseau historique
d'une grande valeur. À n'en pas douter, ce sera le cas aussi du secteur
postal. Il est en effet difficile de pénétrer le marché
postal car les opérateurs en place, comme La Poste, disposent d'un
réseau qui leur permet d'offrir à leurs clients, privés ou
sociétés, un accès à tous les Français. Cet
accès a une valeur commerciale sans égale. De plus, les
prestataires de service universel ont un capital sympathie important
auprès de leurs clients, ainsi qu'une marque connue et des moyens
logistiques colossaux. En qualité de prestataires de service universel,
les opérateurs postaux, comme La Poste, sont extrêmement bien
placés pour évoluer dans un marché
libéralisé. C'est une réalité économique
à prendre en compte.
En conclusion, la FFPI considère que le gouvernement européen
doit arrêter une date butoir pour la libéralisation et encadrer ce
processus d'ouverture de marché à la concurrence.
L'élément primordial est la création d'une dynamique
positive pour que les opérateurs se préparent à
l'ouverture du marché et accordent une attention plus grande aux besoins
de leurs clients.
M. Jean-Claude Larrivoire
M. Hubert Haenel, président de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, nous donnera le point de vue de sa
délégation et il nous dira comment il ressent tout cela à
un moment où nous savons que le Conseil des ministres aura à
nouveau à engager le débat sur la directive, son avenir, et devra
arrêter une décision. Aurons-nous des dates butoirs ou
continuerons-nous dans une certaine forme d'incertitude ?
M. Hubert Haenel, sénateur du Haut-Rhin, président de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne
Ces
mythes et réalités relèvent souvent d'un débat de
nature théologique. M. Guitton, quand vous avez parlé de
comptabilité analytique, le sujet est au coeur du débat
concernant le service public. Pendant longtemps, les services publics
étaient un puits sans fond, et on ne pouvait pas répartir
l'argent alloué en fonction des différentes missions, des
différents emplois. Il est souvent très salutaire d'aborder le
service public sous cet angle, car cela permet de recadrer les choses.
Pour les syndicats et pour certains ultralibéraux, la
libéralisation des services publics est l'objectif final ; pour les
uns c'est la fin du service public, pour les autres c'est enfin un
véritable service au public. Dans le ferroviaire, on dit : il faut
une libéralisation encadrée, l'aiguillon du marché et un
cadre qui soit clair pour tout le monde. Dès que l'on parle de
libéralisation, le concept même de service public tombe, et avec
lui, le service public en tant qu'instrument puissant d'aménagement du
territoire.
Le processus d'ouverture à la concurrence des services postaux est une
excellente illustration des différents aspects de la
problématique européenne des services d'intérêt
général. La Poste est l'ancêtre de tous les services
publics de réseaux, c'est aussi celui qui a poussé le plus loin
la logique de péréquation tarifaire, puisque le prix du timbre
est indépendant du lieu de destination et de la distance parcourue. Il
s'agit là d'une différence notable avec le transport ferroviaire
ou avec les télécommunications. Ce principe audacieux,
conçu jadis par les monarchies européennes, a été
jusqu'à aujourd'hui un puissant facteur d'unification des territoires
nationaux. Dès lors, on peut se demander pourquoi une évolution
des anciens monopoles postaux est apparue tout à coup
nécessaire ? Deux explications sont possibles. L'une est de nature
fataliste, l'autre est volontariste.
L'explication fataliste fait la part belle aux mutations techniques et
économiques, autrement dit, la poste traditionnelle se trouvant
confrontée à la montée en puissance du fax et d'Internet,
au développement de la vente par correspondance et à
l'externalisation des structures de production, il y aurait moins de lettres,
mais plus de colis. Dans chaque État membre, elle est assurée par
une pluralité d'entreprises privées, dont certaines ont une
dimension multinationale.
Les évolutions technologiques ont également rendu possible des
fraudes nouvelles, comme la délocalisation électronique de la
production des envois dans un pays tiers aux tarifs inférieurs,
d'où ils sont repostés vers les pays d'origine. L'explication
volontariste fait la part belle à la capacité d'initiative de la
Commission européenne. Celle-ci a pu imposer un début d'ouverture
des monopoles postaux à des États membres qui étaient, au
départ, en majorité réticents.
Comme dans d'autres domaines, cette politique de libéralisation repose
sur la conviction qu'une harmonisation de la qualité des prestations des
services postaux est nécessaire à la réalisation du
marché unique. À terme, une productivité accrue des postes
européennes apparaît comme une contribution à
l'amélioration de la compétitivité mondiale de l'Europe.
Il semble que la vérité se situe à mi-chemin de
l'explication purement fataliste et de l'explication volontariste. Quelle que
soit sa justification, la réforme en cours comporte le risque qui serait
de négliger, sous couvert de plus grande efficacité des services
postaux, leur fonction irremplaçable de lien social et
d'aménagement du territoire.
Je veux adopter ici un point de vue résolument positif sur la
transformation des postes européennes. Cette réforme, si elle est
conduite avec réalisme, peut marquer une étape
supplémentaire dans la reconnaissance de la légitimité des
services d'intérêt général par l'Union
européenne.
La directive postale de 1997 consacre ainsi la notion de service universel.
Bien sûr, certains considèrent que celui-ci est défini
a
minima
et cantonne les postes européennes dans leur mission la plus
traditionnelle qui, accessoirement, est aussi la moins rentable. Dans la
nouvelle proposition de directive, adoptée par la Commission l'an
dernier, l'exclusion des services spéciaux du périmètre
des services réservés aux monopoles accroît le risque d'un
écrémage des véritables sources de valeur ajoutée,
par les nouveaux entrants sur le marché. Le service universel ne doit
pas être figé sous prétexte d'être
préservé. N'oublions pas qu'en droit administratif
français, l'adaptabilité est l'un des grands principes du service
public à la française.
Le fait que les textes communautaires admettent, au sein des services dits
réservés, la possibilité de subventions croisées
entre les secteurs rentables et les secteurs moins rentables marque un autre
progrès. Certes, les activités concurrentielles doivent
être clairement isolées, et les opérateurs sont tenus de se
doter d'une comptabilité analytique, mais il me semble qu'un peu de
clarté et de rigueur comptable ne peut jamais nuire à la
qualité de la gestion du service public.
La possibilité de mettre en place un fonds de compensation des charges
du service public universel, alimenté par les contributions de tous les
opérateurs postaux, apparaît comme une innovation
intéressante. C'est un moyen de concilier l'arrivée de nouveaux
venus sur le marché, avec le maintien d'un certain financement pour le
service public. Selon la proposition de directive, la mise en place d'un tel
fonds est laissée à l'appréciation de chaque État
membre et s'effectue sur une base nationale.
En outre, on peut s'interroger sur l'idée à terme de disposer
d'un mécanisme de compensation à l'échelle du territoire
communautaire, car dès lors que les barrières des monopoles
postaux sont à l'essai, il peut paraître équitable que les
pays disposant de l'avantage compétitif, à savoir un territoire
peu étendu et fortement urbanisé, soient rendus solidaires des
autres.
Si l'on remonte au Livre Vert de 1992, le processus de libéralisation
des postes européennes est engagé depuis maintenant une
décennie. Dès le début et jusqu'à aujourd'hui, il y
a eu une divergence d'appréciation entre la Commission qui veut aller
vite, et le Conseil qui veut ménager des temps de transition. La
position du Conseil n'est que le fruit d'un compromis entre les positions
tranchées des États du nord et ceux du sud de l'Europe. Plus que
le rythme d'évolution du cadre réglementaire communautaire, c'est
le rythme d'adaptation des opérateurs publics nationaux qui importe.
La mutation en cours de certaines postes européennes est impressionnante
par rapport au retard pris par la poste française. En effet, dans un
marché européen des services postaux en rapide recomposition,
seules les entreprises publiques qui se transforment à temps pourront
asseoir une position dominante. Ces postes les plus dynamiques auront ainsi la
possibilité de rejeter sur les autres les inconvénients d'une
concurrence accrue en termes d'emplois et de difficulté à
maintenir une bonne couverture du territoire. La transformation du
marché européen des services postaux ne sera pas un jeu à
somme nulle. Il s'agit d'une activité de main-d'oeuvre qui emploie en
Europe 1,7 million de personnes, dont 300.000 en France, et dont les
rendements sont fortement croissants. La Commission présuppose que la
contraction des effectifs des prestataires du service universel sera
vraisemblablement compensée par un accroissement de l'emploi chez les
opérateurs privés et les nouveaux arrivants sur le marché.
Il suffirait de démontrer, compte tenu des gains de productivité
probables, qu'il peut y avoir des variations importantes d'un pays à
l'autre.
Enfin, la réforme des postes européennes est un enjeu essentiel
pour l'aménagement du territoire communautaire. La
Deutsche Post
offre l'exemple d'un opérateur public qui a su diminuer
considérablement ses coûts, sans trop réduire le nombre de
ses points de contact avec la clientèle. Le bureau de poste traditionnel
évoluera en bureau de poste vendant d'autres produits, en agence postale
ouverte dans des magasins variés, en guichets mobiles dans les zones
trop faiblement peuplées en France.
Pour les services postaux, l'introduction au niveau communautaire d'une dose de
concurrence est un aiguillon indispensable, même si le rythme d'ouverture
du marché doit rester raisonnable. Ne pas considérer la
libéralisation comme l'objectif final ; pour les uns c'est la fin
du service public, pour les autres c'est enfin un véritable service au
public.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Philippe Thomas,
ADREXO
Je m'adresse au président Jacques Guyard qui évoquait la possible
nomination d'un médiateur. Y a-t-il une date prévisible à
cette nomination ?
M. Jacques Guyard
La proposition est dans le texte qui va être soumis au Parlement. Il
s'appelle médiateur dans le projet de loi, mais sur le contenu de la
notion de médiation, le débat est ouvert.
Question de la salle
M. Stoffaës, êtes-vous pour une autorité de régulation
unique pour les Quinze ?
M. Christian Stoffaës
Cette question est émergente dans certains secteurs, elle a
été posée par le rapport Bangemann, dans les
télécommunications. Cette perspective va changer la structure des
pouvoirs, s'il y a des autorités fédérales de
régulation des services publics en Europe, elles joueront des
rôles très importants dans le système.
Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ISUPE sur ce sujet. Dans le
jeu d'acteurs, les entreprises ont intérêt à ce qu'il y ait
des organes fédéraux de régulation car elles ont besoin de
stabilité juridique ainsi que d'un interlocuteur. Certains
régulateurs nationaux ont commencé à prendre de
l'importance. Pratiquement tous les pays membres, dans le cadre des directives
de dérégulation, ont institué des autorités
indépendantes ; leurs relations sont complexes avec les
ministères, car jaillissent entre eux des rivalités. Il y a
toujours l'interférence de la DG4, donc tout un climat trouble et
conflictuel est en train de s'établir. Se font jour des collèges
européens de régulateurs qui vont réclamer la
création d'une instance fédérale ; dans
l'électricité, ils se rencontrent déjà de temps en
temps.
Le débat du fédéralisme européen s'annonce comme
l'un des grands débats à venir.
M. Jean Besson,
député du Rhône
Je voulais demander à M. Stoffaës une précision. Une
des difficultés du régulateur européen, c'est qu'il est
à la fois la régulation et la réglementation. Or en
France, nous avons fermement maintenu la distinction entre la
réglementation, c'est-à-dire le pouvoir régalien de
l'État, et la régulation qui est l'arbitrage de la corporation.
M. Christian Stoffaës
En effet, qu'est-ce que le pouvoir régulateur ? Dans certains
secteurs, les règles de concurrence ne sont pas suffisantes et
requièrent d'être surveillées parce qu'il y a des secteurs
qui engendrent des effets de monopole, que l'on appelle les monopoles
naturels : une entreprise va racheter toutes les autres.
L'avantage de la compétitivité et de l'économie
d'échelle est telle que la concurrence a besoin d'être
surveillée. C'est cela la notion de régulation, et elle
s'applique précisément aux secteurs de service public. Les
Américains définissent le service public comme étant une
construction qui sort de l'économie de marché, si ce n'est qu'ils
le font par l'approche du droit libéral et non pas du droit
régalien (ce n'est pas l'État qui décide qu'une
activité est service public).
La régulation est ce qu'on appelle quelquefois le quatrième
pouvoir, parce qu'elle procède à la fois du pouvoir
législatif, qui fixe les lois, du pouvoir réglementaire, qui fixe
les règlements, et du pouvoir judiciaire, qui rend des arbitrages sur
des cas particuliers. Cela pose donc des problèmes constitutionnels
assez particuliers du fait que ce pouvoir déborde sur les
compétences du Parlement, du gouvernement et du juge.
IV. QUELLES STRATÉGIES POUR LA POSTE FRANÇAISE 2000-2010 ?
M.
Gérard Larcher
Le problème de la poste française est un problème
posé à la société tout entière, et aux
politiques qui la gouvernent.
M. Jean-Claude Larrivoire :
Gilles Savary, député européen, vous qui tenez à
distinguer la mission de service public et l'entreprise qui la sert, la
Commission européenne manque-t-elle de réalisme à ce
sujet ?
M. Gilles Savary, député européen
Je vais
plutôt faire le témoignage de ce qui se passe au Parlement
européen, vu du côté parlementaire.
Premièrement, la France irrite beaucoup, jusqu'à
l'incommunicabilité, en matière de service public, et elle se
trouve dans un état de très grand isolement. Pour
différentes raisons, nous sommes l'un des derniers pays à avoir
des services publics pyramidaux, qui associent le service public à
l'entreprise publique et au statut public.
Deuxièmement, la France, si dynamique soit-elle, lorsqu'il s'agit de
passer aux « travaux pratiques », résiste ;
elle est soupçonnée de vouloir faire du protectionnisme
larvé, tout en affectant, dans les traités et dans les
débats européens, une volonté de constitution du
marché à l'extérieur. Donc, ce paradoxe irrite.
Troisièmement, nos services publics marchent plutôt bien,
contrairement à ce qu'il se passe dans d'autres pays, qui peuvent avoir
de véritables problèmes en matière d'entreprises publiques.
Enfin, dans bien des domaines, nous sommes géographiquement
charnières, et par nos résistances nous dressons contre nous des
pays qui pourraient être des alliés naturels, les Italiens, les
Espagnols ou les Portugais. Certains dossiers en empoisonnent d'autres, et les
résistances françaises sont considérées comme des
obstacles à la continuité, en particulier à la
mobilité des biens et des personnes.
Donneurs de leçons, nous sommes cependant présents sur tous les
marchés. L'exercice de style pratiqué par la France est le
suivant : protectionnisme à l'intérieur, mais
compétition à l'extérieur. C'est vrai pour EDF, c'est vrai
pour La Poste, c'est vrai dans pratiquement tous les domaines pour lesquels on
résiste à l'intérieur. Il y a donc une très grande
incompréhension qui transcende les clivages : à gauche, nous
sommes isolés à l'intérieur de la gauche. Le clivage
Nord-Sud, avec d'un côté les Latins ouverts au service public, et
d'un autre les Anglo-Saxons qui ne concevraient le service public que par des
entreprises privées n'existe plus.
Concernant La Poste, la plupart vous disent qu'il ne faut pas de débat
dogmatique. Or, nous avons clairement le sentiment que la Commission a eu une
approche dogmatique, pour ne pas dire intéressée. Des lobbies
nationaux très forts et très puissants sévissent à
Bruxelles, par exemple le lobby néerlandais qui pilote toutes les
directions pour la poste ; il ne faut pas considérer que la
position néerlandaise est seulement libérale, elle est aussi
nationale. Ce pays, champion de logistique, se trouve trop à
l'étroit dans ses frontières, et a besoin d'aller chercher des
marchés à l'extérieur.
J'en viendrai à ce que disait le sénateur Haenel tout à
l'heure, ne prenons pas la Suède comme canon de ce qui pourrait se faire
en matière postale. Or, la Commission prend la Suède comme canon
de ce qui doit être fait en matière postale. Bien que l'ayant
demandé, nous n'avons jamais réussi à obtenir une
évaluation des étapes premières de la
libéralisation... Toutefois, les conséquences indéniables
en Suède sont les suivantes : baisse des prix pour les entreprises,
augmentation pour les usagers, rétraction du réseau. Aux
Pays-Bas, il y a une journée de moins de distribution, on est à
cinq jours sur sept, et en France on est à six sur sept. Quant à
l'impact social, on parlait précédemment de 1,7 million
d'emplois...
On est donc sur l'approche de la Commission en matière de service
public. La Commission a mandat sur les traités. Les traités,
c'est 80 % en code de la Concurrence. Aujourd'hui, on ne peut pas
reprocher à la Commission de mettre en avant le marché
intérieur, on peut peut-être critiquer les États de ne pas
améliorer progressivement les traités et le contenu de l'Europe.
Par ailleurs, la Commission raisonne en termes de services
d'intérêt général qui ne figurent pas dans les
traités ; ne figurent dans les traités que les services
d'intérêt économique général. C'est une
nuance non négligeable. Son sujet est de dire : les services
d'intérêts général doivent être accessibles
à tous. On s'aperçoit qu'à 95 %, le marché est
accessible à tous, parfois même avec un prix inférieur au
prix pratiqué lorsqu'il n'y a pas de marché.
On parlait tout à l'heure du lien social, y a-t-il un réseau ou
pas ? En tout état de cause, la directive proposée est
extrêmement dure. Au-delà des dates de libéralisation, je
suis d'accord pour considérer que La Poste aujourd'hui est ambivalente.
D'une part, elle est une entreprise ; elle est déjà dans un
environnement concurrentiel ; de ses prestations dépend en grande
partie l'efficacité de notre économie. Elle est présente
sur tout le territoire et offre, à certains endroits, des services
irremplaçables qui décident de la déshérence totale
ou non, de ces dits territoires. Or, le texte nous demande de réduire au
minimum le service universel, ce qui voudra dire que la question du financement
du réseau est posée. On ne peut pas réduire au minimum le
service universel et maintenir un maillage aussi important.
Enfin, on nie le principe d'adaptabilité du service universel puisqu'on
enlève beaucoup de services, dits services spéciaux. Finalement,
le service public postal ne concernerait plus que l'antique lettre...
Le Parlement européen, avec une majorité dépassant
très largement les clivages, a amendé et refusé le texte
du commissaire Bolkestein. Sur la plupart de ces problèmes
sensibles : niveau du service universel, adaptabilité,
progressivité de la libéralisation, une grande partie des
libéraux européens est venue à notre rescousse parce que
la question territoriale se pose de façon accrue pour tous les
élus. Malgré tout, le commissaire Bolkestein refuse l'ensemble de
ces amendements. L'affrontement est plus idéologique qu'il n'y
paraît.
On en vient naturellement à s'interroger sur le statut du service public
au sein des traités de l'Union. Pour ma part, je suis pour une Europe
intégrée, donc un marché postal unique, alors que nos
résistances françaises aimeraient un marché unique de la
poste, à condition qu'il y ait une conception du service public
partagée et que l'on puisse, à l'intérieur de cet ensemble
postal unique, faire prévaloir un cahier des charges du service
universel qui soit communément admis.
C'est la très grande controverse et la très grande question non
résolue. Une question extrêmement lourde concernant la poste
demeure. Le service universel n'a pas le même coût aux Pays-Bas ou
en Grèce. Si on propose un « costume
prêt-à-porter », l'écrémage des
marchés est irréversible : bagarre féroce en France
sur les grandes entreprises et sur les grandes agglomérations, et,
naturellement, déperdition de la présence postale en zone rurale
ou augmentation de prix pour cause de rentabilité. Or, nous voulons
à la fois que la poste française se coltine à la
concurrence, et que soit préservé ce qu'il y a d'essentiel dans
les missions postales, en termes de cohésion territoriale surtout.
M. Jean-Claude Larrivoire
Jean Besson, député du Rhône, membre de la Commission
supérieure du Service public des Postes et
Télécommunications. Quel est, selon vous, la stratégie
pour la poste française dans les dix années à
venir ?
M. Jean Besson, député du Rhône, membre de la CSSPPT
Cette
table ronde inspire un certain nombre de questions, et j'en retiendrai trois
différentes en importance et en ordre.
La première concerne le terme de stratégie. C'est un terme
souvent utilisé par La Poste. La stratégie est un ensemble de
manoeuvres en vue d'un objectif précis : la victoire. Les
invités rassemblés ici ont des démarches
différentes, divergentes selon que l'on s'entretient du courrier, des
colis, de l'exprès, des services financiers ou de l'assurance. Est-il
possible de construire une stratégie d'entreprise globale et
cohérente, dès lors que l'on se met à raisonner par
branche ou par métier, en perdant assez largement de vue la
véritable raison d'être de La Poste, le service aux femmes et aux
hommes, citoyens ou simples habitants, voire même simples visiteurs de ce
pays.
Deuxième point, faut-il utiliser le terme d'évolution, de
révolution ou de réforme ? Par rapport à la
stratégie, il faut choisir et fixer les objectifs. Je n'ai jamais
cessé depuis des années de dénoncer le mythe du changement
au seul motif de la modernisation, de l'adaptation à d'autres concepts.
Il peut y avoir deux raisons pour vouloir changer les choses : soit les
choses vont mal, on a du mal à atteindre les objectifs auxquels on
tient ; soit on a décidé de viser d'autres objectifs ou
d'ajouter de nouveaux objectifs aux anciens. Aujourd'hui, personne ne peut nier
la nécessité de faire évoluer La Poste, ni la
nécessité de soigner les modalités d'articulation entre
les différentes postes, au niveau européen notamment.
L'objectif de ceux qui font la promotion de cette réforme serait-il par
hasard d'améliorer l'indice de satisfaction des clients usagers des
services postaux ? Cela signifierait que la santé de La Poste est
très mauvaise, or est-ce bien exact ? Je n'imagine pas non plus
qu'il s'agisse d'une attitude purement dogmatique du culte libéral,
puisque le grand exemple mondial du libéralisme, les États-Unis,
a pris le contre-pied de cette démarche.
Cette stratégie serait-elle alors faite pour développer de
l'emploi ? Mais aucune expérience n'est probante dans ce sens. Je
ne vois plus guère qu'une seule justification : la concurrence fait
baisser les prix. La Commission européenne peut-elle confirmer que
l'objectif de la réforme est de faire baisser le prix du timbre ?
Pardon à ceux qui ont parlé de révolution ! La
libéralisation ne devrait pas être une religion économique.
Encore faut-il savoir où l'on veut aller.
À La Poste, ça devrait être d'autant plus facile de
travailler dans l'intérêt général et pour des
missions de service public qu'il s'agit d'une entreprise publique. La Poste
exerce plusieurs métiers au sein de la maison mère, et souffre
d'un manque d'autonomie réelle. Le choix des priorités
étant fait par l'État, contrôlé par le Parlement
dans le cadre de la réglementation communautaire. Si ces
priorités vont à l'encontre de ce qu'aurait visé un
entrepreneur normalement soucieux d'accroître la rentabilité de
son entreprise, elles deviennent des contraintes qu'il faut assumer. La
politique de l'emploi et le maintien ou non du statut du personnel, ainsi que
l'aménagement du territoire peuvent être des objectifs de premier
rang.
Je voudrais qu'on aille peut-être plus loin dans le problème
financier. Il y a des points que nous devrons prendre en compte prochainement,
au niveau de la loi. Certains de mes devanciers en ont parlé. En ce qui
concerne la réglementation, le régulateur et le
réglementeur sont très différents, et j'insiste beaucoup
là-dessus.
Selon Churchill, auquel je me rallie, un bon politicien est celui qui est
capable de prédire l'avenir et ensuite d'expliquer pourquoi ça ne
s'est pas passé comment il l'avait prédit.
M. Jean-Claude Larrivoire
La stratégie pour les dix années à venir, telle qu'elle
est vécue par un responsable syndical de La Poste, Patrick Bourgeois,
secrétaire fédéral de la CGT-PTT. Que représente
votre centrale syndicale au sein de l'ex-PTT devenue La Poste ?
M. Patrick Bourgeois, secrétaire fédéral de la CGT-PTT
La CGT
représente plus de 33 % à La Poste, et elle est la
première organisation syndicale, puisque la deuxième arrive
à 19 %, les autres se tenant à 18 et 17 %. Donc la CGT
représente une force, elle sait que les défis à relever ne
se feront pas avec la seule organisation CGT.
La CGT est un acteur avec son autonomie de réflexion, et de proposition
et d'action. Depuis deux décennies aux PTT, les ministres socialistes ou
radicaux alternent avec les ministres de droite, mais sans alternative
politique. La communication d'entreprise relaie le même discours :
la concurrence est fatale, la soumission aux exigences du marché est
inéluctable. La seule différence entre eux serait que certains
accepteraient plus que d'autres de négocier quelques aspects du
calendrier, et des modalités d'alignement sur le marché.
On le sait, la déréglementation, qu'elle soit frontale ou
graduelle, favorise le remplacement du monopole public par le monopole
privé, et se traduit par la même brutalité dans ses
conséquences, en particulier sur l'emploi. Derrière la
déréglementation, il y a les multinationales et leurs exigences
de domination culturelle, économique et politique. Dans tous les pays
où la déréglementation sévit, l'activité du
service public est démantelée, écrémée par
les entreprises privées qui encaissent les bénéfices,
tandis que les usagers, devenus clients, sont sélectionnés en
fonction de leur solvabilité financière, et le personnel
découvre précarité et chômage.
Pour nous, il existe une politique pour maîtriser la mutation
technologique actuelle au profit des citoyens, de leurs besoins par
l'aménagement équilibré du territoire, l'accès de
tous à tous les services, y compris ceux liés aux nouvelles
technologies de l'information et de la communication, le développement
de l'emploi, de la recherche et de l'industrie nationale.
Alors, quelle stratégie pour la poste française pour les dix
années à venir ? Il y a d'abord une question clé qui
est celle du droit à la communication. Aujourd'hui, le droit à la
communication est un des droits essentiels pour vivre libre, travailler,
échanger et se cultiver. Donc la communication est un droit et pas une
marchandise. La Poste a un rôle tout à fait essentiel dans le
domaine démocratique pour faire circuler de l'information.
L'évolution des technologies n'est pas en soi révolutionnaire,
tout dépend de l'usage qu'en font les peuples. La Poste reliera encore
pour longtemps « Les hommes entre les hommes ».
Pour exister véritablement, le droit à la communication suppose
une logique de service public. L'avenir de La Poste est dans l'affirmation de
son identité, de sa différence, elle est un service public. Elle
dispose d'un réseau, de capacités de modernisation et
d'adaptation, et jouit aussi d'une grande confiance dans l'opinion publique.
Le président de La Poste affirmait lui-même, dans un récent
discours, qu'il ne veut pas de la banalisation de La Poste. Dire que La Poste
n'aurait pas de projet industriel pour développer ses activités
serait inexact. La question est : pour quoi faire ?
La Poste est confrontée évidemment à l'ouverture du
marché, à l'explosion des nouvelles technologies, au passage
à l'euro où le choc peut être brutal, en particulier dans
le domaine bancaire et celui des assurances.
L'Europe est le relais des politiques nationales de libéralisation des
services publics. Quand on parle de libéralisation, de
déréglementation, on pense à France Télécom.
La situation évolue dans la même direction à La Poste avec,
certes, un peu de retard sur le calendrier parce que le taux de
rentabilité n'est pas de même nature qu'aux
télécommunications, et qu'il reste pour le capital, notamment en
France, des problèmes complexes à affronter, comme l'emploi, la
présence en zone rurale, la cohésion sociale, et aussi car il y a
des luttes associant les usagers et les élus locaux avec des couleurs
politiques très diversifiées.
La Poste, aujourd'hui, agit comme une multinationale sans qu'elle ait besoin de
changer de statut. Elle a une stratégie de groupe en utilisant la marque
« La Poste » pour redéployer ses activités,
c'est la haute valeur ajoutée vers ces filiales regroupées au
sein de trois holdings, centrées chacune sur les trois coeurs de
métiers de la poste : courriers, colis logistiques, services
financiers. En cela, on peut dire que La Poste a un projet, une
stratégie de développement, mais au prix d'une politique
d'externalisation de ses activités de la maison mère vers ses
filiales, au prix d'une politique de changement de nature de l'emploi. Elle
utilise ces sociétés holdings, GO Poste étant le fer de
lance pour procéder aux opérations de rachats, prises de
participation à des alliances avec des opérateurs privés
et des postes européennes, sans que nous, organisations syndicales, ne
soyons informés de tout ce qui se passe à ce niveau. Les
critères marchands prévalent sur ceux du service public, le
vidant progressivement de sa substance.
Les impacts de cette logique marchande et financière conduisent à
briser l'originalité de notre service postal en France, celle de la
liaison étroite entre la situation des personnels et les services rendus
à tous les usagers. C'est pourquoi nous combattons les multiples
restructurations en cours à La Poste. Nous combattons aussi
l'idée de réduire le service public à un service
improprement baptisé universel.
La CGT agit pour une alternative fondée sur une nouvelle
efficacité économique et sociale. Pour nous, le service public
doit rester une référence de progrès social, celui-ci est
directement lié au développement de ses activités,
à son statut, au recrutement de fonctionnaires, ses garanties
collectives, ses niveaux de rémunération, sa protection sociale
et j'ajouterai le droit de revendiquer, le droit de grève.
Dans les prochaines années, La Poste va voir disparaître le tiers
de ses effectifs avec les départs à la retraite, 100.000 agents
vont partir d'ici à 2009. Anticiper sur ce processus par le recrutement
de fonctionnaires dans tous les métiers est bien un enjeu
stratégique pour transmettre les savoirs, le passage de relais, si on
veut assurer la pérennité de La Poste et le développement
de ses activités.
La modernisation sociale à La Poste, comme dans les autres secteurs en
France et en Europe, passe obligatoirement par une politique de l'emploi
offensive, anticipative, intégrant formation, reconnaissance des
qualifications, garantie collective élevée, droits nouveaux pour
les salariés.
La Poste doit être un moteur pour l'industrie française et la
recherche pour construire des coopérations en France, en Europe, dans le
monde, sur les normes, les services, les produits.
La Poste et les autres postes européennes offrent des capacités
importantes d'emplois dans tous les secteurs de l'économie. Si les
enjeux postaux sont devenus prépondérants dans la construction de
l'Europe, cela nous ramène à la même question : pour quoi
faire ? L'Europe, c'est 18 millions de chômeurs et
55 millions d'exclus, car sa construction est soumise à la logique
des multinationales. La solution n'est pas dans un subtil dosage entre
l'économie de marché et la société de
marché. Ce qui est urgent, c'est de démocratiser la gestion de La
Poste, de la rendre transparente, de respecter et d'étendre les droits
des salariés pour développer une véritable logique de
service public pour répondre aux besoins de tous les usagers.
La démocratisation est la réponse à la
désétatisation et à la privatisation. La participation des
personnels et des citoyens usagers à la gestion et à la
définition des stratégies, telle est l'issue neuve qui pourrait
être poussée, jusqu'à l'autogestion. Naturellement, c'est
à l'opposé des combinaisons étatico-bruxelloises
actuelles. De nouveaux critères de gestion de service public, combinant
efficacité économique et sociale, sont à inventer.
Moins que jamais, le service public n'est un mythe dépassé. C'est
une réalité résolument moderne pour relever les
défis de notre temps. Le droit à la communication est un enjeu de
société, et pour le syndicalisme, il a un rôle essentiel
pour relever ce défi. C'est en ce sens que la CGT proposera à son
prochain congrès fédéral son adhésion à
l'
Union Network International
, l'UNI.
M. Jean-Claude Larrivoire :
En septembre 2000, La Poste signait un accord avec Fedex, leader mondial du
transport exprès. La filiale Chronopost allait travailler main dans la
main avec le géant américain. Richard van Bruygom, vous en
êtes le directeur général pour la France, comment se passe
cette collaboration ?
M. Richard van Bruygom, directeur général France chargé des opérations de Fedex
Elle se
passe très bien, malgré des problèmes de début de
partenariat. Entre la filiale de Chronopost et la filiale de Fedex à
Roissy, il y a une très grande coopération. Il faut dire que les
liens qui unissent Fedex à la France sont multiples.
Notre compagnie est installée en France depuis 1992, l'année
où nous avons déplacé le centre de transit de Bruxelles
à Paris. En 1993, Fedex a décidé, au terme de nombreuses
études d'évaluation, d'implanter son bureau européen
à Roissy CDG, en raison de la situation exceptionnelle de
l'aéroport en France et en Europe. Nos installations représentent
un investissement conjoint avec notre partenaire Aéroport de Paris qui
devrait atteindre 1,4 milliard de francs en 2006.
Aujourd'hui 1350 salariés travaillent pour nous, et Fedex prévoit
un total de près de 3000 emplois directement et indirectement
liés aux activités de l'entreprise. Ce chiffre ne tient pas
compte des 350 salariés travaillant en province, un nombre lui aussi
appelé à croître dans les années à venir.
En janvier 2001, nous avons passé un accord avec Chronopost, au
terme duquel Fedex et La Poste transportent l'un pour l'autre leurs frets
respectifs. Les clients de Chronopost International peuvent disposer du
réseau Fedex pour acheminer leurs envois dans le monde entier. Tandis
que les clients habituels de Fedex peuvent bénéficier des
services et du réseau du groupe de La Poste, plus
particulièrement de sa filiale GO Poste.
Fedex, la plus grande société de transport exprès dans le
monde, connecte un ensemble de pays représentant 90 % du PIB du
monde, livrant à domicile en 24 à 48 heures,
dédouané et garanti de remboursement. L'offre de Fedex permet
à l'équivalent de 80 % du PIB de l'Europe et à la
très grande majorité de la Communauté européenne
des affaires de disposer d'une heure d'enlèvement des produits entre 18
et 20 heures, soit la limite extrême de la journée de
travail. Les colis sont livrés avant 10 heures 30 partout
où cela est possible.
Les services de messagerie sont souvent appelés intégrateurs
parce que nous intégrons la plupart des fonctions du fret traditionnel
aérien. Nous avons bâti notre réputation sur le fait que
nous assurons l'enlèvement, la livraison et le dédouanement des
marchandises qui franchissent les frontières.
Les clients reçoivent également des services à valeur
ajoutée, tels que le suivi de la marchandise grâce au vaste
service de réseau Internet de Fedex ou à l'aide d'un logiciel
spécialisé, fourni gratuitement par la compagnie. Initialement
spécialisé dans le petit colis et les documents, Fedex transporte
aujourd'hui les marchandises de tous gabarits. La livraison exprès est
un moteur de la globalisation de l'économie et aussi un outil
indispensable au développement du commerce économique. Les sites
Internet
Business to business
ou
Business to consumer
doivent
pouvoir s'appuyer sur les services rapides et fiables d'un transporteur
exprès, pour pouvoir répondre à la demande des
consommateurs dans un délai toujours plus courts entre le passage de la
commande et la livraison.
Fedex permet des livraisons intereuropéennes et intercontinentales ainsi
que les services qui les accompagnent, rendant les entreprises
françaises et européennes plus compétitives dans
l'économie mondiale.
Fedex est membre de l'Association européenne de l'exprès, et
soutient les positions de l'EEA au niveau européen.
Je voudrais par ailleurs aborder certains points évoqués au cours
de cette table ronde. En premier lieu, Fedex pense qu'une date butoir pour la
libéralisation des services postaux en Europe doit être
fixée, afin que les opérateurs publics puissent s'y
préparer, mais aussi afin que les acteurs privés aient une
certaine visibilité en ce qui concerne leur projet d'investissement.
Cette visibilité à moyen terme nous est nécessaire pour
innover, pour offrir toujours plus de nouveaux services à nos clients et
créer de nouveaux emplois.
Je voudrais rappeler que Fedex et les autres intégrateurs ne sont pas
des adversaires du service public postal. À ce titre, nous pensons que
le réseau postal joue un rôle important en matière
d'aménagement du territoire et d'infrastructure de communication dans
les zones rurales. Je sais que cette question est très importante en
France, notamment pour les élus issus de zones rurales ou
isolées. Nous sommes convaincus que cette mission de service public ne
sera pas remise en cause par la libéralisation des services postaux en
Europe. Nous souhaitons qu'une définition claire soit apportée
aux services spécialisés et aux services publics postaux afin
d'éviter que ne se mette en place une réintégration dans
la sphère des services publics postaux, des activités de services
spéciaux, comme les services exprès. Nous souhaitons que puisse
se mettre en place des règles de concurrence homogènes dans les
secteurs de services spécialisés. À ce titre, nous nous
préoccupons des systèmes de subventions croisées qui ne
garantissent pas des conditions de concurrence égale dans le secteur
exprès et les secteurs spéciaux.
La libéralisation des services postaux en Europe encouragera
l'amélioration des services postaux universels. Les
développements technologiques plaident en sa faveur. En effet, la
convergence des nouvelles technologies de l'information, des activités
postales et logistiques traditionnelles se fait à vitesse
accélérée depuis quelque temps, et va dans le sens d'une
amélioration des services aux entreprises et aux particuliers.
Les accords de partenariat passés par Fedex avec Chronopost en France et
la poste américaine prouvent qu'une complémentarité est
possible. L'accord sur les transports passé avec la poste
américaine, qui doit prendre effet en septembre 2001, offrira aux
clients de la poste américaine le sérieux, la fiabilité et
la qualité du service aérien exprès de Fedex. Tandis que
les clients Fedex, eux, bénéficieront de l'implantation du
réseau des bureaux de la poste américaine. Une fois encore, le
public gagnera en choix et en flexibilité.
Je terminerai en disant que la libéralisation du service postal
européen constitue à la fois un défi, mais
également un formidable élément de développement
dans la croissance économique en France et en Europe.
*
* *
Débat avec la salle
Question de la salle
Suite aux propos de MM. Savary et Besson, ne pourrait-on pas demander la mise
en place d'une évaluation par des organismes neutres et
indépendants. Car les chiffres énoncés par les uns ou les
autres semblent contradictoires ?
Très sincèrement, je crois qu'il serait utile d'y voir un peu
plus clair, et seul un organisme indépendant peut nous permettre de
savoir à quoi nous en tenir.
M. Gilles Savary
Une très large majorité de parlementaires européens font
la demande de cette évaluation. Elle était prévue dans la
directive précédente, mais n'a jamais été fournie.
Si l'usager représente l'avenir des services publics,
l'évaluation des services est nécessaire. Il est vain de se
renvoyer des modèles, l'important est de savoir si le service est
correct, et à partir de là, procéder aux ajustements qui
sont inéluctables.
M. Raphaël Crinier,
élève de l'École
nationale supérieure des Postes et Télécommunications
Puisqu'elle semble être au centre des débats, on peut se demander
à qui cette libéralisation est profitable. En écoutant
M. Bourgeois, elle ne semble être profitable ni aux usagers ni
même aux salariés. Selon M. Maschke, elle ne semble profiter
qu'à la
Deutsche Post Worldnet company
. Dans ces conditions, sous
couvert de directives européennes, certaines grandes compagnies postales
européennes ne cherchent-elles pas à se développer
à l'international ? Ma question sera double et s'adressera plus
particulièrement à M. Savary. Ne peut-on considérer
comme légitime que la poste française fasse encore quelque temps
du protectionnisme, tant que le champ et le financement du service universel ne
sont pas réellement définis ? Est-ce que l'issue de cette
libéralisation n'est pas entre les mains de lobbies à
Bruxelles ?
M. Gilles Savary
On ne peut pas porter d'accusations de cet ordre-là, mais ce qui est
clair, c'est que la France se porte volontiers sur les marchés des
autres et qu'elle refuse que l'on se porte sur le sien. Cela ne sera pas
tenable longtemps...
Deuxièmement, je suis de ceux qui pensent qu'on appelle
libéralisation ouverture, on ne peut vouloir l'Europe et la cadenasser
de frontières, y compris virtuelles. Notre discours est
extrêmement schizophrène. Dans le domaine du transport, par
exemple, les camions passent, les trains pas. Un cheminot italien n'a pas le
droit de tirer un train sur la France, résultat : ce sont les
camions qui passent parce que l'Europe de la route existe.
Je pense que la poste française a vocation à être un des
opérateurs européens. À partir du moment où la
géographie se dilate, il ne peut plus y avoir de monopole. Si les
frontières françaises disparaissent dans un ensemble de
marché unique, on ne peut pas soutenir qu'on a un monopole, sinon on
remet des frontières. La Poste doit se positionner dans un ensemble
concurrentiel.
Le débat sur le service public est à mener à
l'intérieur des différents marchés, le marché
ferroviaire, le marché postal... Et tout ceci demande une clarification.
C'est la raison pour laquelle je demande un délai dans la
libéralisation postale, plutôt qu'une résistance
obstinée.
*
* *
M.
Jean-Claude Larrivoire
Monsieur Bernard Siouffi, délégué général de
la Fédération des entreprises de vente à distance, la
FEVAD, êtes-vous satisfait des services de La Poste et qu'avez-vous
à nous dire aujourd'hui ?
M. Bernard Siouffi, délégué général de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD)
Je suis
le porte-parole des clients-entreprises. Il est important que vous sachiez ce
qu'ils pensent et ce qu'ils ont à dire sur la libéralisation du
service postal, entre mythes et réalités.
Les clients que je représente sont les entreprises qui vendent à
distance, et les entreprises qui font du marketing direct. Leurs deux
activités portent vraisemblablement l'avenir de La Poste, puisqu'elles
représentent près de 80 % de l'activité. Il s'agit
d'un client qui dépense 9 milliards de francs auprès de La
Poste, et, si on prend le monde du marketing direct, environ 17 milliards.
Dans certaines entreprises, ces coûts sont le premier coût de
l'entreprise.
La vente à distance est un monde plébiscité par plus d'un
foyer sur deux chaque année. Aujourd'hui, elle s'exprime bien sûr
dans les produits, dans les services. On vend à distance dans le monde
de la banque, des assurances, des livres, des disques, du textile, et les
tendances de la vente à distance sont les tendances porteuses de la vie
moderne, aussi bien en termes de distribution qu'en termes d'utilisation des
nouvelles technologies. La vente à distance a été
créée par les technologies et prospère grâce
à chacune des technologies. Sans la technologie, on ne sait ni
gérer un fichier clients, ni téléphoner, ni faire
d'Internet, or, demain, le mariage des télécommunications, de
l'informatique et de l'audiovisuel à travers la télévision
interactive sera un moyen de commerce.
Commerçant, je ne rajouterai pas de choses définitives sur les
débats, si ce n'est que l'activité postale est très
importante pour moi.
La Poste porte, sinon nos espoirs, l'ensemble de nos investissements
commerciaux à travers les catalogues, les mailings, la presse
également. Elle porte nos transactions, c'est-à-dire nos
commandes, nos paiements. Il faut savoir que plus d'une commande sur deux est
passée par courrier, même en 2001. Plus de 52 % des
Français qui achètent à distance le font à travers
un moyen de commande postal. Même si 40 millions de porteurs ont des
cartes bancaires, plus de 40 % paient également par chèque.
La Poste porte l'aller, le retour, elle distribue pratiquement la
totalité de nos messages, sans quoi, on n'arriverait pas à vivre.
Et elle assure la distribution des colis, même si l'activité est
en secteur hors réservé actuellement.
Selon moi, La Poste a de très grandes forces et quelques faiblesses : sa
présence historique sur le territoire français, et sa motivation,
même si sa culture est quelquefois éloignée de la culture
des entreprises, notamment en matière de continuité du service.
Les besoins des professionnels de la vente à distance et du marketing
direct sont simples. Il s'agit d'adapter l'offre à leurs besoins, et
à cet égard, nous avons au fil du temps éprouvé la
nécessité de changer, par exemple, le nom de nos plis
commerciaux : De « pli non urgent » de
troisième catégorie, nous sommes passés à
« poste impact ». L'intitulé est la partie la plus
visuelle, mais on avait besoin de déclaratif paquet. Aujourd'hui, on
peut affranchir informatiquement, par déclaration, on peut aussi adapter
les tarifications linéaires, etc. On peut effectivement mettre en place
des organisations produits à tous égards, et La Poste a beaucoup
travaillé en ce sens. Les entreprises ont besoin de visibilité
tarifaire car elles font des budgets, des plans à deux ou trois ans. La
qualité des services est très importante.
Nous sommes demandeurs d'un service universel, car l'ensemble du territoire
français doit être desservi de la même façon. Dans le
débat du service universel, il y a le débat du service
réservé, dont le périmètre doit être
harmonisé et calibré au niveau européen.
Les professionnels agissent sur l'adaptation de l'offre, sur la
visibilité tarifaire, sur la qualité de service qui, dans les
quinze dernières années, ont beaucoup évolué.
S'agissant de l'adaptation de l'offre, j'ai évoqué
l'évolution produits. S'agissant de la visibilité tarifaire,
j'évoquerai le contrat de plan, et sur la qualité de services, je
fais allusion aux engagements contractuels de qualité, visant
éventuellement à compenser financièrement les
défaillances, quitte à demander aux entreprises une organisation
spécifique avec des accords spécifiques, à partir d'un
panel reconnu et neutre, etc.
La libéralisation est un phénomène qui nous concerne
peu ; néanmoins, nous considérons la libéralisation
comme une évolution passant par plus d'adaptation au marché, plus
de concurrence. Alors, pourquoi la refuser ?
Nous souhaitons que La Poste devienne un prestataire, un fournisseur comme les
autres, avec des relations normales et des relations de contractualisation.
Pour nous, la stratégie de La Poste n'a pas d'alternative, elle doit
contractualiser l'offre, le tarif, la qualité de services, pour
fidéliser ses clients.
M. Jean-Claude Larrivoire
Parmi les activités de La Poste, l'acheminement à prix
raisonnable de la presse et la stratégie espérée. Nous
écoutons Nicolas Clément, président de la Commission des
affaires postales de la Fédération nationale de la presse
française.
M. Nicolas Clément
, président de la commission
des Affaires postales de la Fédération nationale de la presse
française
J'ai intitulé ma présentation : Presse-Poste, la longue
marche vers la relation-client. Le statut de la presse est assez particulier.
Trois grands points. La presse est un acteur singulier, même s'il est en
voie de normalisation. Le chiffre d'affaires postal de la presse, aide de
l'État incluse, est proche de celui de la VPC, et représente plus
de 5 milliards de francs.
Deuxième point, la presse, et notamment la presse quotidienne, a ses
propres exigences. Sa « date de péremption » est la
plus courte parmi celles de tous les produits, ce qui est
bénéfique pour l'ensemble du réseau puisqu'il est
tiré vers le haut en termes d'exigence. La presse est une
activité structure pour l'activité courrier de La Poste.
Troisièmement, c'est un acteur singulier, car c'est un rassemblement
d'entreprises hétéroclites, avec des tailles très
différentes, qui ont des parts d'abonnement et des
périodicités diverses, puisque cela va du quotidien au
trimestriel. À cet égard, les besoins, les attentes et les tarifs
ne sont pas les mêmes. C'est un ensemble dont
l'hétérogénéité même est un garant du
pluralisme de la liberté dans notre pays.
La presse participe largement de la citoyenneté, notamment par le
développement des idées et des libres opinions. L'article 11
de la Déclaration des droits de l'homme le confirme. De ce fait, le
service public est dans l'obligation de distribuer la presse par La Poste, et
cela induit une subvention élevée de l'État
(1,9 milliard par an), qui est constante en francs courants. Il faut noter
qu'il n'y a pas eu d'interruption depuis le 16 avril 1930, si ce n'est
durant la période de Vichy. Cela dit assez clairement pourquoi et
comment il y a un rapport entre aide de l'État et fonctionnement de la
démocratie.
La conséquence plus diffuse de cette singularité est que,
parfois, La Poste a quelques difficultés à considérer la
presse comme un client « normal ». Ajoutons à cela
qu'historiquement, la presse était très atypique, puisqu'elle ne
payait pas, ou peu. Avant les accords Galmot de 1996, on estimait qu'il y avait
trois tiers sur le prix de livraison d'un journal : un tiers payé
par les éditeurs, un tiers par l'État par sa subvention et un
tiers par La Poste. Le tiers payé par La Poste est contestable, mais ce
qui l'était moins, c'est la participation non négligeable de La
Poste.
Par ailleurs, La Poste est un acteur en voie de normalisation grâce aux
accords Galmot de 1996 qui ont été pleinement appliqués de
part et d'autre. Ces accords préconisaient une augmentation en francs
constants de 50 % des tarifs d'affranchissement pour la presse, jusqu'à
la fin de l'année 2001. Pour beaucoup d'entre nous, c'est le fournisseur
le plus important. Le fournisseur principal a augmenté de 50 %. Et
ceci a concerné l'ensemble de la presse, y compris la presse
quotidienne, cette augmentation a été encore supérieure
(100 %) sur les titres « légers » (moins de
70 g et urgents). Dans le même temps, la presse a
amélioré ses routages.
En contrepartie, La Poste a abattu 1,5 % de ses tarifs pour gains de
productivité, déduction faite de l'inflation, chaque
année. D'autre part, elle a assoupli considérablement la
réglementation face aux besoins des annonceurs. Dans les journaux, la
publicité comportait des réglementations. Il était normal
que la presse, étant totalement aidée ou très largement,
cette aide s'accompagnât de contraintes. L'aide venait à la fois
de l'État et de La Poste. La part de La Poste disparue, les contraintes
s'en réduisirent d'autant. Ce fut d'ailleurs bénéfique
pour La Poste.
Fin 2001, deux constats sont à faire : la presse paie le juste prix
de sa distribution, aide de l'État incluse ; la qualité
s'est beaucoup dégradée, notamment à cause du passage aux
35 heures. Les problèmes postaux de ces derniers temps touchent
beaucoup plus qu'auparavant le facteur, qui est incontournable.
La qualité se décline sur trois plans : la qualité
perçue, la qualité mesurée et la qualité de
l'information.
La qualité perçue a été exécrable fin 1999
et début 2000, très médiocre au quatrième trimestre
2000, et ne semble pas devoir être indemnisée. Les effets sont
déplorables sur la relation client. Tous les jours, nos abonnés
réclament, beaucoup préfèrent de fait passer au kiosque.
Or, le kiosque rapporte moins d'argent que l'abonnement. Nous perdons leur
fidélité et dépensons beaucoup de temps et
d'énergie à tenter de les récupérer.
Concernant la mesure de la qualité de la réception, depuis
avril 2000, la SOFRES fait enfin ce travail de mesure, prévu depuis
1992 dans les accords presse-Poste-État...
Quelques chiffres, pour montrer la médiocrité de la
qualité. La situation est désastreuse pour la presse non
urgente : 65 % seulement des publications étaient
distribuées au jour attendu, qui n'est pas le jour de distribution,
entre avril et décembre 2000. Pour la presse magazine urgente,
20 % ne sont pas distribués à temps, et pour la presse
quotidienne nationale et régionale, 5 à 6 %.
Les mesures ci-dessus doivent cependant être affinées pour
être plus opérationnelles, car elles ne permettent pas de faire de
distinctions par département et par jour de livraison. Il y a un
problème de transparence d'informations dans les relations avec La Poste.
Enfin, il est capital que La Poste indemnise quand elle est fautive.
Que souhaiterait-on pour l'avenir ? Je rappelle que la presse paie son
juste prix. Deuxièmement, la concurrence apparaît possible.
Libéralisation ou pas ? Des alternatives existent, mais plus
explicitement dans les zones peuplées.
Un grand quotidien du matin est passé en portage de 5600 exemplaires
à 43 000 en quatre ans. Donc, il y a des alternatives fortes. Le
13 juin, lors des grèves de fabrication des journaux, une grande
partie d'entre eux est passée sur Internet, c'est aussi une alternative.
Troisième point, les hausses tarifaires très fortes des TS3 des
années 1990 se sont traduites par un blocage des tarifs de La Poste.
Le service postal actuel est une forme de service minimal qui doit être
tenu, et dont la qualité doit s'améliorer. C'est vrai pour la
livraison des journaux et pour la livraison des courriers de prospection et de
relance qui doivent pouvoir se faire sans surclassement tarifaire. Pratique
courante depuis quelques années si l'on veut obtenir la qualité
escomptée. Les mensuels passent en tarif urgent pour arriver dans les
temps, les non-urgents arrivent hors des temps à 35 %... Des titres
expédient leur relance de réabonnement en tarif urgent, car les
TS3 n'arrivent pas dans les temps, et surtout leurs délais sont trop
longs et trop aléatoires.
La Poste doit avoir une obligation de résultats et non plus de moyens.
Il faut une mesure améliorée par famille de presse, selon la
périodicité, par département et par jour. Il faut
dès 2002 et non pas 2003 et 2004, une fixation d'objectif sur chacun de
ces critères, et d'indemnisation automatique.
L'État intervient beaucoup dans notre relation, et je suggérerais
qu'il y ait un système de bonus-malus qui soit lié à la
qualité de la prestation de la presse, c'est-à-dire que l'aide de
l'État soit valorisée si La Poste fonctionne bien, ou l'inverse.
Amélioration de l'existant, transparence réelle et
complète sur la situation actuelle de la distribution.
Aménagement du contrat commercial (il faut qu'il soit applicable
à toutes les dépenses que font les groupes de presse ;
actuellement, il n'est applicable que sur nos envois de courriers ; nos
envois de journaux ne bénéficient pas de contrat commercial). Un
système stable aussi dans le temps.
Au-delà du service minimal actuel, on a besoin de choses
supplémentaires, telles que des éditions régionales, des
livraisons le dimanche, des livraisons plus tôt le matin.
M. Jean-Claude Larrivoire
Je passe maintenant la parole à Jean-Claude Lechanoine, président
de la Fédération nationale des syndicats d'agents
généraux d'assurance.
M. Jean-Claude Lechanoine, président de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (AGEA)
J'interviens en tant que président d'AGEA, la
Fédération nationale des syndicats d'agents
généraux d'assurance. À ce titre, je suis le porte-parole
des intermédiaires et je crois pouvoir faire preuve de plus
d'objectivité que ne pourrait le faire une organisation de consommateurs
ou la Fédération française des sociétés
d'assurance.
Petite anecdote, l'Europe, en ce qui concerne l'assurance, a vraiment envie de
bannir le système de bonus-malus.
Aujourd'hui, les agents nationaux d'assurance, 15 000 en France, sont les
premiers opérateurs sur le marché d'assurance dommages et ont des
opérateurs sur le marché d'assurance vie. Nous distribuons sur
l'ensemble du territoire, des produits d'assurance dommages, des produits
d'assurance vie, des produits financiers, nous sommes très
représentés, voire sur-représentés, dans les zones
rurales et semi-rurales, et le sommes beaucoup moins dans les grandes
agglomérations.
Les trois quarts de nos clients sont des particuliers. Un quart de notre
chiffre d'affaires est représenté par les professionnels au sens
large : commerçants, agriculteurs et PME.
En 1997, nous nous sommes clairement opposés avec Groupama, le
Crédit agricole et les Mutuelles sans intermédiaire au projet
d'accord entre La Poste et les AGF pour distribuer de l'assurance dommages.
Ensuite, au moment de la négociation du contrat de plan, nous avons fait
en sorte que cela soit reporté au prochain contrat de plan, qui arrive
à échéance en fin d'année.
Notre opposition relevait de notre inquiétude de voir bouleversé
le secteur de l'assurance en général. Les agents
généraux qui, avec leurs collaborateurs, représentent
aujourd'hui 50.000 personnes en France, soit un quart des effectifs totaux de
l'assurance française, souhaitent un respect par La Poste des conditions
de concurrence normales, tout cela dans le respect de la liberté du
commerce. Nous voulons une égalité de traitement fiscal entre les
différents opérateurs et des conditions de concurrence
équitables.
Aujourd'hui, La Poste est le deuxième réseau de distribution de
l'assurance-vie en France. Sa filiale
Assurposte
avec la CNP fait un
chiffre d'affaires supérieur à 40 milliards de francs, soit
6 % du marché français. La Poste, c'est 17 000 points
de vente, plus de 6000 conseillers financiers. C'est un chiffre d'affaires, en
ce qui concerne les services financiers, d'environ 25 milliards,
c'est-à-dire un quart du chiffre d'affaires de La Poste. Ce sont
28 millions de clients et 45 millions de comptes. L'encours vie et
capitalisation est supérieur aux livrets A et B en l'an 2000, et depuis
1999, l'assurance santé est distribuée.
Les agents généraux, que je représente, s'inscrivent tout
à fait dans une logique de marché. Il faut savoir que le
marché de l'assurance en France est de loin le plus concurrentiel
d'Europe, notamment pour tout ce qui concerne les particuliers. Il faut
rappeler qu'en France, en dehors des agents généraux qui sont les
premiers intervenants sur l'assurance dommages, il existe des mutuelles sans
intermédiaire, des banques, il subsiste des réseaux
salariés, il y a de la vente directe et une quantité d'autres
nouveaux opérateurs. C'est une situation unique en Europe. Nous sommes
particulièrement vigilants et nous le resterons pour tout ce qui
concerne le respect des règles de la concurrence.
Aujourd'hui, même s'il y a quelques avancées (la
comptabilité analytique), nous considérons que La Poste a encore
des avantages concurrentiels sur nous (l'abattement sur la taxe
professionnelle, sur les taxes foncières, etc., au nom de
l'aménagement du territoire). Une forte inquiétude demeure quant
à l'éventualité de la distribution d'assurance dommages ou
la vente d'assurance multirisque habitation par La Poste.
La Poste contribuerait à finir de déstabiliser un secteur
où le nombre d'intervenants est déjà très
important, et ne cesse de s'accroître car arrivent les concessionnaires
automobiles, la grande distribution, la vente à distance, pour la simple
raison que les produits sont de grande consommation.
Ce marché de l'assurance dommages en France est un marché
à croissance très lente, c'est un marché de simple
renouvellement. C'est un marché dur, quasiment saturé dans
certains cas. Le niveau de prix en France, en assurance automobile, est
d'environ la moitié du niveau de prix allemand ou italien, du simple
fait de la concurrence.
L'assurance dommages, aujourd'hui, ne représente plus que 24 % de
la collecte de primes d'assurance en France. Les trois quarts de la collecte se
font autour de l'assurance dite de personne, au sens large.
Les agents généraux sont de petites entités
économiques très représentées dans les zones
rurales et semi-rurales. 22 % sont en dehors de toute zone d'attraction
urbaine et contribuent, à ce titre-là, à entretenir un
tissu économique et social important. J'ai entendu l'expression
« lien social » tout à l'heure, cela nous va
très bien, nous le pratiquons tous les jours.
On a une démarche de prise en charge globale des familles, notamment
à l'occasion des catastrophes naturelles. La Poste, en amplifiant son
activité d'assurance, ne doit pas ruiner d'autres entreprises.
L'État doit jouer un rôle de régulateur. Ce qui est
relativement difficile car l'État est aussi l'actionnaire ou la tutelle
de La Poste.
La Poste a un statut mi-public, mi-privé, qui lui confère des
avantages mais qui lui coûte cher. Son manque de transparence nous heurte
dans un contexte de concurrence. Nous avons du mal à nous
représenter ce que nous avons à gagner de l'arrivée d'un
intervenant aussi important que La Poste.
M. Jean-Claude Larrivoire
C'est l'une des inquiétudes exprimées dans la journée, il
y a eu aussi des reproches et des regrets. On a entendu par ailleurs des
discours triomphants de représentants des postes européennes. M.
Martin Vial, président de la poste française, comment va La
Poste ? Où va-t-elle ?
M. Martin Vial, président de la poste française
La poste
française va bien, mais vu l'accélération du processus
actuel, nous ne pouvons pas faire du sur-place.
Je voudrais d'abord dire très modestement que nous avons à faire
face à quatre principaux défis dans la décennie qui s'est
engagée. Nous y apportons des réponses par quatre choix
stratégiques majeurs, sous réserve que l'équilibre de
notre environnement et les conditions de développement du secteur soient
maintenus au plan européen et que, nous-mêmes, nous fixions un
certain nombre de conditions pour assurer la réussite dans ce
développement.
En ce début de siècle, le premier défi est
l'internationalisation de nos activités. Autrefois, il fallait faire du
Paris-Lyon, aujourd'hui il faut faire du Paris-Madrid. Les blocs sont
tombés, c'est la mondialisation, mais c'est surtout
l'internationalisation de nos clients. M. Siouffi rappelait l'importance
de son secteur professionnel dans l'économie postale. Notre premier
client, qui est un grand groupe de vente par correspondance, réalise
plus de 60 % de son chiffre d'affaires en dehors de notre territoire. Ce
client nous demande aujourd'hui de l'accompagner en dehors de nos
frontières sur les activités courriers et sur les
activités colis. Nous nous devons de répondre au défi
d'internationalisation au risque de disparaître derrière les
grands groupes internationaux qui se constituent autour de nous, et qui
prendront progressivement la valeur ajoutée de La Poste et ses marges.
Je refuse ce scénario.
Deuxième défi, il est lié à l'évolution de
l'économie. Dans le domaine du courrier, nos clients sont d'abord des
entreprises (90 %). Ces clients veulent des réponses simples,
globales, intégrées et de qualité. Ce
défi-là est donc celui de la pluriactivité et de
l'intégration de services, car aujourd'hui, la plupart des grandes
entreprises externalisent tout ce qui n'est pas dans le coeur de leur
métier, et cette externalisation les amène à demander de
plus en plus de solutions clés en main sur de la prestation de service
à caractère logistique, au sens générique du terme.
C'est une analyse qui a été faite par nos grands concurrents. Les
Allemands, il y a seulement trois ans, étaient inexistants dans le
domaine de l'exprès à l'étranger, dans le domaine de la
logistique ; et même sur leur marché intérieur, ils
étaient très faibles dans l'activité colis.
Troisième défi, celui de la déréglementation dans
le secteur du courrier. Nous sommes face à un défi historique
parce que les postes ont été, depuis un siècle,
construites sur des monopoles nationaux et domestiques. Naturellement, le
débat qui s'est ouvert dans les années 1990 autour du Livre Vert,
puis la directive postale de 1997 et depuis 2000, la proposition d'une marche
vers la libéralisation totale engagée par la Commission, est un
défi majeur.
Je voudrais faire quatre remarques sur la question de la
déréglementation et de la libéralisation. Effectivement,
il faut bien dire que le débat économique n'a pas eu lieu, parce
qu'il faut nous expliquer, dans un mécanisme de libéralisation
totale, comment un opérateur qui doit acheminer du courrier six jours
sur sept, va pouvoir assurer le prix du timbre unique dans des conditions
économiques non déficitaires. En d'autres termes, la
libéralisation, c'est l'écrémage sur les grandes villes
puisque vous faites d'autant plus de profit sur votre activité que vous
avez un nombre d'objets élevé par point de remise. De ce point de
vue-là, l'affirmation consistant à dire que le coût de
distribution en zone rurale ne serait pas plus élevé qu'en zone
urbaine contredit tous les modèles économiques postaux.
Deuxième débat majeur, bien connu dans les
télécommunications, celui du droit d'accès. Est-ce que les
concurrents auront un droit d'accès au réseau de distribution des
opérateurs historiques ? Ces questions-là n'ont pas
été traitées à Bruxelles, et nous restons sur des
généralités.
Troisième remarque, c'est le fonds de compensation. J'ai
été président d'une Chambre syndicale du transport
aérien, je sais comment fonctionnent les fonds de compensation dans le
secteur aérien. Ils fonctionnent mal parce que les fonds de compensation
sont forcément voués à une paupérisation des
opérateurs qui doivent maintenir des missions de service public, tout
simplement parce qu'ils sont financés par les concurrents, dont le seul
intérêt est de limiter leur financement au fonds de compensation.
Enfin, dernière remarque, le débat sur l'économie du
secteur, c'est aussi le débat sur ce qui relève du service sous
monopole ou non. Je voudrais rappeler que sur le secteur de la presse, nous ne
sommes pas sur un monopole, tout le monde peut distribuer la presse. La Poste
est soumise à une obligation de service, dont il est dit que l'ensemble
des coûts, s'il n'est pas couvert par les tarifs, est couvert par une
subvention. Le débat sur la façon de financer les missions de
service public n'a pas eu lieu à Bruxelles.
Le secteur postal est un enjeu industriel majeur. D'ailleurs, si autant
d'acteurs veulent la libéralisation du secteur, c'est
précisément parce qu'il y a de l'argent à gagner. Le
secteur postal fait plus de 500 milliards de chiffre d'affaires au plan
européen. Il est normal que les intérêts économiques
ou industriels de nos amis de TPG ne soient pas strictement les mêmes que
ceux de la poste française, ou de la poste allemande, chacun a son
histoire.
Encore une remarque, il s'agit d'un enjeu international. À propos de la
libéralisation, nous sommes à front renversé par rapport
aux États-Unis. Dans le domaine des télécommunications, du
transport aérien, du transport, la vague de
déréglementation est venue des États-Unis. Dans les
discussions OMC, c'est la Commission européenne qui demande l'ouverture
du marché américain...
Dernier débat, l'enjeu sur la qualité de service. Certes, la
libéralisation a pour objet de l'améliorer, mais n'oublions pas
qu'en quatre ans, dans le cadre des accords que nous avons signés entre
opérateurs postaux, cette qualité de service a augmenté de
20 points sur le trafic international. Au sommet réunissant les
présidents des postes européennes, nous avons continué de
nous fixer une amélioration des objectifs accrue de qualité de
service probante.
Quatrième défi, celui des nouvelles technologies. De mon point de
vue, Internet est un défi de substitution sur le courrier physique.
D'ici à la fin de la décennie, 40 % de la facturation sera
faite probablement par voie électronique, c'est une part très
importante de notre chiffre d'affaires et, en même temps, c'est une
formidable opportunité de développement du marketing direct, y
compris par voie physique, et de développement du colis à travers
le commerce électronique.
Face à ces quatre défis, quatre choix majeurs. Premier axe
stratégique, nous installer de façon définitive comme un
groupe multimétiers unitaire. La Poste, ce n'est pas seulement le
courrier. Sur les 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires
(106 milliards de francs) réalisés en l'an 2000, le courrier
représente 10 milliards d'euros, les services financiers
près de 4 milliards d'euros, et le colis un peu plus de
2 milliards d'euros. Nous avons d'ores et déjà une
activité assez largement diversifiée. Il semble qu'il y ait un
contresens quand on pense que La Poste, lorsqu'elle va à
l'étranger, ne s'ouvre pas sur son propre marché
intérieur. Nous allons à l'étranger sur l'activité
colis, mais nous sommes totalement ouverts sur le marché du colis qui
est libre et en concurrence sur le marché français.
La diversification, c'est aussi poursuivre l'extension de nos activités
de services financiers qui représentent une part très
significative de notre chiffre d'affaires, et aussi une part importante de
l'utilisation de notre réseau de bureaux de poste. Les services
financiers utilisent assez largement les bureaux des 17 000
établissements que nous gérons.
À propos de l'assurance, les positions exprimées par ce secteur
économique sont compréhensibles, mais le climat a changé
dans le domaine de l'assurance. Aujourd'hui, les banquiers font de l'assurance
avant même les assureurs, et nous sommes passés d'une phase de
séparation entre activités bancaires et activités
d'assureurs, à une phase où l'économie de la banque
assurance s'installe. À cet égard, des conditions devront
être prescrites.
Deuxième axe stratégique, acquérir la dimension
internationale, dont nous avons annoncé les ambitions il y a un peu plus
de deux ans. Nous avons abouti au résultat attendu de figurer parmi les
trois premiers opérateurs du colis en Europe, puisque nous
représentons aujourd'hui plus de 10 % du marché
européen du colis, à la fois par des acquisitions et par des
partenariats. Un accord stratégique a été signé
avec la poste italienne pour unir nos moyens sur le marché du colis en
Italie et en Europe, sur le marché du colis rapide et de
l'exprès. Un accord de même type, visant à
développer et à mettre en commun nos moyens en Espagne, sera
signé à Madrid. Une structure commune existe et sera
amplifiée par la mise en oeuvre des participations croisées sur
nos activités colis, dans le cadre d'un partenariat stratégique
à long terme.
Troisième axe stratégique, l'intégration de nouvelles
technologies dans notre offre de services. Historiquement, nous avons su
transporter du courrier physique, aujourd'hui, nous entendons transporter du
courrier sous toutes ses formes : courrier physique, courrier hybride et
courrier électronique.
Plusieurs opérateurs, dont MM. Besson et Savary, ont
évoqué la question sur l'identité de La Poste. Notre
quatrième choix majeur est effectivement de faire en sorte que nous
sachions garder notre originalité. La Poste a vocation de créer
de la richesse et, en même temps, de contribuer à
l'intérêt général. Telle est la difficulté et
l'originalité de La Poste. Notre responsabilité est de pouvoir le
faire de la meilleure façon, mais nous sommes jugés sur des
performances de contribution au bon fonctionnement de la société
et, en même temps, sur des performances économiques que nous
demande l'État à juste titre, parce que nous sommes une
entreprise, parce que nous avons un compte de résultat, parce que nous
avons des clients pour lesquels nous devons assurer de la qualité et des
prix les plus compétitifs.
Pour terminer, signalons qu'il y a des conditions incontournables à la
réussite des quatre choix stratégiques majeurs qui viennent
d'être évoqués. Premièrement, la clarté dans
nos comptes à travers une comptabilité analytique de plus en plus
irréprochable, parce qu'il faut que les règles de transparence
jouent de façon réciproque. Je rappelle que notre groupe comporte
aujourd'hui deux cents sociétés consolidées. Nous avons
cherché à respecter de plus en plus ces règles
prudentielles dans le secteur de l'assurance ou dans le domaine bancaire.
Lorsque nous avons créé Efiposte, Assurance Poste
(agréée par la Fédération française des
sociétés d'assurance), Sogéposte, nous avons fait en sorte
que ces filiales soient soumises aux règles de contrôle du secteur
bancaire, du secteur des assurances ou de la COB.
Je voudrais dire que la seconde condition est bien évidemment le
dialogue social. En effet, La Poste est d'abord une entreprise de
main-d'oeuvre. Plus de 80 % de notre valeur ajoutée est
représentée par des charges de personnels. C'est 300 000
personnes. Nous sommes la plus grosse entreprise en termes de taille de
personnel en France. La stratégie de La Poste doit s'élaborer
avec et pour son personnel. Nous avons décidé, dans le
renforcement du dialogue social et malgré des débats et des
aspirations qui peuvent être contradictoires, d'ouvrir un cycle de
discussions avec les organisations syndicales sur les grandes conditions de
développement industriel et économique de La Poste des prochaines
années, et sur ses métiers. Nous tâcherons de faire
converger toutes les idées sur nos métiers courrier, services
financiers, colis, sur l'intégration des nouvelles technologies. Par
ailleurs, d'autres propositions ont été lancées. Tout cela
nous permettra de répondre à ces défis. Les débats
sur la libéralisation dans le domaine du courrier, sur les questions
statutaires des entreprises en charge du service public, ou encore sur le
développement et les capacités de développement sur ces
activités, pourront se nouer à la fois en interne et en
externe.
CONCLUSION DU COLLOQUE
M. Gérard Larcher, vice-président du Sénat, sénateur des Yvelines
En
conclusion de nos débats sur l'avenir des postes européennes, il
convient tout d'abord de se souvenir qu'à Lisbonne il y a eu un accord
unanime des Quinze pour poursuivre la démarche de nouvelle
réglementation postale engagée depuis plus de dix ans. La
traduction française « dérégulation »
pourrait laisser croire à un mode d'organisation sans règles,
alors qu'il existe des règles nouvelles ; il ne s'agit pas de la
naissance d'une quelconque société débridée.
Par ailleurs, il m'apparaît que l'enjeu postal est d'importance pour les
pays de l'Union européenne. Sommes-nous capables de construire des
opérateurs de taille mondiale, au bénéfice de nos
économies nationales et de l'Europe ? Pouvons-nous affirmer que La Poste
saura être un acteur majeur dans une économie mondialisée,
une chance pour l'économie française et européenne, tout
en préservant les valeurs essentielles du pacte républicain, qui
sont : le service public, l'aménagement du territoire et le service
bancaire de base ?
La Commission européenne et la France n'ont pas toujours eu les
mêmes positions sur le dossier postal. Néanmoins, trois demandes
très fortes émergent. La première exige de clarifier
l'avenir en opérant au niveau communautaire un arbitrage politique, afin
de donner une visibilité prospective à tous les acteurs. Quel est
l'arbitrage politique acceptable ? Cette décision reste une vraie
interrogation.
Deuxièmement, comment assurer une plus grande transparence des comptes
postaux, comment défendre des activités telles que les services
financiers, tout en trouvant un équilibre avec d'autres acteurs du
territoire ?
Troisièmement, comment garantir les droits des personnels et des
opérateurs exposés au changement ? Les entreprises postales
sont, en effet, d'abord des entreprises de main-d'oeuvre. A l'intérieur
de ces entreprises, la réalité humaine, avec la richesse dont
elle est porteuse, ne peut être niée.
Il apparaît qu'il y a globalement un blocage très fort entre les
tenants de la libéralisation et les tenants d'une libéralisation
plus prudente. Ce blocage autorise-t-il la programmation dès maintenant
d'une ouverture totale à la concurrence ?
Enfin, une question majeure, Monsieur le Ministre : qu'en est-il de
l'autorité de régulation et du régulateur ? Le futur
médiateur postal a-t-il vocation a exercer ce rôle ? Les
propos tenus par mes prédécesseurs laissent penser que le
changement postal peut faire peur, et en même temps ne doit pas faire
peur. L'évolution de la poste allemande peut rassurer et
inquiéter, car au croisement des deux courbes, il y a une courbe de
bénéfice et une courbe de personnel. Il y a une courbe de
marché et de croissance de marché. La difficulté de
l'exercice d'un opérateur qui est en train de devenir mondial est
perceptible ici.
Un autre enseignement : La Poste, même pour les plus
libéraux, n'est pas une entreprise comme les autres, elle a un
rôle territorial, un rôle de lien social. Cependant, sa
spécificité ne doit pas devenir un alibi pour l'immobilité.
Autre interrogation : qu'en est-il du service universel
européen ? D'un système qui intégrerait davantage les
peuples ? Rappelons le relatif isolement de la France par rapport à
ses autres partenaires dans l'affirmation d'un concept de service public. Nous
devons, d'une part, faire acte de pédagogie, mieux expliquer les valeurs
qui fondent le pacte républicain pour tenter de les faire partager, et,
d'autre part, être en mesure d'imaginer que d'autres formes
d'organisations ont pu sceller des pactes de nations.
Nous avons tous noté un indéniable engagement de La Poste dans
une démarche clientèle et on ne peut que s'en féliciter.
Par ailleurs, je voudrais dire à la presse que sur La Poste pèse
une part de charges qui ne sont pas compensées et qui viennent du
transport des journaux vers leurs lecteurs. Il est important pour La Poste de
participer à l'expression démocratique en transportant la presse
mais elle ne saurait en assumer une part excessive du coût dans un
contexte concurrentiel. L'évolution des accords Galmot
exigera
beaucoup de transparence et d'objectivité, dans l'intérêt
tant de la démocratie que de la presse.
Enfin, une grande question : Peut-on être chez nous
protectionnistes, et conquérants chez les autres ?
Merci à tous.
ALLOCUTION DE CLÔTURE
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie
Tout au
long de la journée, les mythes et réalités du secteur
postal en Europe ont été évoqués. Je voudrais
à mon tour vous livrer ma propre vision de ces mythes et
réalités, et je voudrais, pour la clarté et la
commodité de mon exposé, opposer à trois mythes, trois
réalités très prégnantes et, à mon avis,
évidentes.
D'abord, nous avons le mythe des postes en déclin ; face aux
nouvelles technologies, il y a l'internationalisation des échanges.
J'oppose à cela la réalité de postes qui peuvent utiliser
ces évolutions comme des réservoirs de développement.
Au mythe d'une poste française en repli, j'opposerai la
réalité de quatre ans de croissance et de dynamisme. Au mythe
d'une volonté européenne de libéralisation à
tout-va du secteur, j'opposerai la réalité d'un Parlement
européen et de ses décisions, et d'un large ensemble
d'États membres décidés à faire prévaloir un
service public dynamique, efficace, solidaire, un service public qui
évolue, mais qui ne quitte pas les valeurs sur lesquelles les postiers,
et avec eux les Françaises et les Français, l'ont construit.
Ce sont ces réalités, ancrées dans la vie
économique, nourries d'un dialogue régulier avec les dirigeants
de La Poste et avec son personnel, qui sont les nôtres depuis quatre ans.
Tout d'abord, le développement des échanges et les nouvelles
technologies sont un moteur de croissance nouveau pour les postes
européennes. Le ministre de l'Industrie, que je suis, perçoit
quotidiennement la réalité de la « nouvelle
économie », que je préfère appeler
l'économie du savoir ou de la connaissance. Elle n'a jamais
été pour moi un phénomène purement boursier ou
sectoriel, mais une révolution qui touche tous les secteurs
économiques et donne une nouvelle approche de la relation avec la
clientèle par la fidélisation, que permet une offre de plus en
plus sur mesure. Elle implique aussi de nouvelles relations avec les
fournisseurs, avec les sous-traitants, une nouvelle manière de produire
et de vendre. Les postes se trouvent au coeur de cette évolution, et je
suis particulièrement satisfait que, dès le contrat d'objectifs
et de progrès signé en 1998 entre La Poste et l'État, nous
ayons pu faire du développement de La Poste dans la
société de l'information, une de nos priorités.
La Poste a d'ailleurs pris une longueur d'avance au plan européen avec
les 1000 bornes d'accès à Internet, y compris dans les tout
petits villages ruraux. Les bureaux de poste connaissent bien cette
fréquentation d'Internet à partir de ces 1000 postes.
Je citerai aussi la création de la lettre suivie, le
développement d'une offre complète de service au cyber-marchand,
le lancement des services
Postecs
qui permettront des échanges
électroniques sûrs à l'échelle internationale. C'est
donc une nouvelle poste que nous avons en face de nous : innovante,
moderne, projetée dans l'avenir.
Le développement des échanges offre aux opérateurs postaux
des potentialités de développement nouvelles pour la livraison de
produits. Toutes ces entreprises européennes ont pris la mesure de ces
enjeux. L'enjeu, c'est de constituer des réseaux capables de transporter
des objets à une échelle européenne et mondiale. C'est la
réalisation du marché antérieur, entreprise depuis 1992
par l'Union, qui trouve ainsi une matérialisation physique. Là
encore, dans le cadre du contrat d'objectifs et de progrès, la poste
française construit sérieusement son avenir. Elle s'est
affirmée en quelques mois comme l'un des trois premiers
opérateurs de colis en Europe. Deuxième opérateur en
Allemagne, quatrième au Royaume-Uni, leader en France, présente
dans une quinzaine de pays européens, disposant d'un accord commercial,
que j'ai encouragé avec l'intégrateur Fedex. C'est un motif de
satisfaction qui doit conduire La Poste à poursuivre dans cette voie,
elle est aujourd'hui le premier opérateur de l'Union européenne
par son trafic, elle est le deuxième par son chiffre d'affaires, elle a
donc de très sérieux atouts pour son développement.
En premier lieu, les mythes : celui du déclin inéluctable
des postes a ainsi été pulvérisé. Je vais
maintenant m'attacher à détruire le second, celui d'une poste
française en repli. La poste française va beaucoup mieux qu'il y
a cinq ans. Cinq chiffres illustrent ce propos. De 1996 à 2000, le
chiffre d'affaires de La Poste a augmenté de 18 milliards de
francs, soit 5 % de croissance annuelle pour atteindre, en 2000,
105 milliards de francs. En 2000, les résultats de La Poste sont
positifs pour la quatrième année consécutive avec
945 millions de bénéfices. 24 milliards de francs ont
été investis sur quatre ans, soit deux fois et demi de plus que
sur les quatre années précédentes. Le poids des frais
financiers du groupe a été divisé par deux depuis 1997 par
rapport à la capacité d'autofinancement. Le prix du timbre n'a
pas augmenté, j'en ai pris la décision il y a quelques
années, et nous nous maintenons sur ce cap, conformément
d'ailleurs au contrat d'objectifs et de progrès, signé en
juin 1998, alors que le prix du timbre avait augmenté de 7 %
entre 1993 et 1996. Je voudrais en profiter pour dire combien nous
sommes satisfaits du travail des personnels de La Poste et des dirigeants.
Réussite belle, magnifique, que j'explique par quatre facteurs. D'abord
la capacité de La Poste à se projeter dans l'avenir, celui de
nouveaux potentiels de développement, celui de la recherche, de la
satisfaction des attentes de ses clients. La Poste incarne un peu l'excellence
du service public. La relation qui s'établit entre le public et les
postiers est affective et profonde. C'est ce capital que La Poste doit toujours
mieux mobiliser au service de la modernité.
Deuxième raison de la réussite, La Poste a su associer son
personnel à ce projet et à des avancées importantes :
mise en oeuvre des 35 heures, embauche de 5000 emplois-jeunes, de
20 000 personnes au total sur les années 1999 et 2000
pour satisfaire l'aménagement réduction du temps de travail,
amélioration de la situation des agents contractuels, négociation
en cours d'un contrat d'intéressement. Il me paraît essentiel que
les personnels de La Poste soient en effet associés au niveau
territorial approprié, à la définition et à la mise
en place de nouveaux projets, comme la mise en place de Soft par exemple. Cela
a été la clé du succès de l'aménagement
réduction du temps de travail. Le personnel de La Poste est en fait
très soudé et très motivé par des valeurs communes.
C'est sur cette motivation et cette mobilisation, sur des objectifs
partagés que l'ensemble des équipes de La Poste peut se projeter
en avant comme une véritable entreprise européenne et mondiale.
Troisième raison, La Poste a approfondi son dialogue avec les
élus en matière de présence postale territoriale. Il
existe une Commission départementale de présence postale
territoriale, et je dois dire qu'elle doit continuer de faire oeuvre
d'inventivité, d'écoute, de créativité dans ses
relations avec les élus pour adapter constamment la présence
postale territoriale et à la nouveauté que permettent les
technologies et à la présence renouvelée dans ses aspects
que souhaitent les différents élus.
Quatrième raison, l'État a accompagné ce mouvement avec
détermination, conformément au contrat d'objectifs et de
progrès qui, par exemple, a stabilisé les charges de La Poste en
termes de retraite de ses agents, et c'est un effort considérable de
l'État, en mettant fin à la centralisation des fonds des
chèques postaux au Trésor, en donnant à La Poste pleine
compétence en matière immobilière avec la réforme
du régime domanial de La Poste actuellement en cours d'examen au
Parlement. C'est dans cet esprit que je viens de lancer avec mon
collègue des finances, M. Fabius, et La Poste, les travaux
préparatoires au prochain contrat d'objectifs et de progrès qui
devra, dans le cadre du statut de La Poste, poursuivre et amplifier la
dynamique acquise.
La raison de se satisfaire de la situation est que l'Europe, d'un service
universel postal dynamique, efficace et solidaire, existe. C'est le
troisième mythe que je veux détruire, c'est celui de
l'ultralibéralisme au plan européen. Il existe des forces de
propositions qui font de la mise en place d'une concurrence pure et parfaite
sur le marché postal, un objectif qui se traduirait par une forte hausse
des tarifs, par une réduction drastique des implantations postales et
par une baisse de la qualité du service, si j'en crois les
investigations qui ont été menées dans le pays de l'Europe
du Nord à l'avoir pratiquée. Cette Europe n'est pas celle que
nous construisons ensemble avec nos partenaires et pour laquelle le Premier
ministre vient de tracer des perspectives d'évolution.
J'appuie mon propos sur quelques réalités très tangibles.
Parmi elles, c'est le vote décisif du Parlement européen du
15 décembre 2000, avec une forte mobilisation des élus
français. Ce vote a récusé la perspective du tout
libéral. Il n'a pas récusé les évolutions, ni les
ouvertures, ni les modernisations, bien au contraire. C'est un
élément essentiel parce que des directives dans le domaine postal
sont soumises à une procédure de codécision entre le
Parlement européen et le Conseil, et le rôle du Parlement
européen est décisif pour avancer. Nous voulons avancer. Les
postes européennes et la poste française doivent constamment
s'adapter, c'est une entreprise qui sert le grand idéal et les valeurs
du service public, qui a une vocation européenne et qui a une vocation
internationale, mais c'est une entreprise qui doit bouger. C'est pourquoi nous
avons défendu aux sommets de Nice et de Stockholm une certaine
conception des choses. Nous avons confirmé le calendrier de travail qui
doit être le nôtre. Nous avons insisté sur la
nécessaire prise en compte du vote du Parlement européen. Nous
avons insisté sur la spécificité des missions
économiques, ou d'intérêt économique
général en Europe. Je pense que nous avons été
entendus puisque les récents sommets européens ont tous
confirmé la légitimité de l'existence des valeurs et du
concept de service public, que l'on traduit autrement dans le langage
européen, mais dont le contenu seul compte. Ce service public sera
d'autant plus fort qu'il saura évoluer constamment et toujours à
la pointe de la technologie, qu'il saura donner des réponses toujours
plus adaptées aux demandes des clients.
Enfin, nos partenaires au sein du Conseil de télécommunications,
qui sont nombreux à partager les vues défendues par la France,
comme dix opérateurs postaux européens, comme de nombreux
syndicats, ont pu s'associer à la vision d'un service public dynamique,
efficace et solidaire.
C'est pourquoi, je suis ce soir d'un optimisme raisonné et
réaliste sur l'évolution de nos travaux au plan communautaire
dans les prochains mois. Nous devons disposer d'un cadre juridique clair et
lisible. Nous devons maintenir dans la durée un périmètre
suffisamment large de service réservé aux opérateurs de
service universel, pour permettre de financer les charges liées au
service universel. Là est le noeud du problème et de la
réflexion, car nous voulons assurer la desserte postale en tout point du
territoire à un prix unique, c'est notre tradition, ce sont nos valeurs,
c'est notre conception du service public. Ces objectifs doivent guider, selon
la France, l'élaboration, d'une nouvelle directive. Je pense pouvoir
obtenir de nos partenaires un accord sur ces objectifs qui n'excluent pas des
évolutions, mais qui ne peut pas réduire la capacité de
financement du service universel de manière récessive et
même de manière tendancielle, ce qui tuerait la conception
même du service public que nous avons toujours défendue. Là
est l'équilibre que nous devons maintenir, savoir évoluer, avoir
un comportement d'entreprise pour La Poste, être une entreprise
internationale, européenne, forte sur un certain nombre de
marchés et en même temps, garder la capacité forte de
financer le service public. Nous pouvons réaliser cet équilibre,
et les concepteurs des propositions de la Commission doivent être
certains que cette conception-là n'est pas une originalité
française. La vraie question est de savoir comment maintenir nos valeurs
tout en modernisant l'entreprise. N'est-ce pas par un mélange d'utopie,
de volonté politique, de souci constant du développement de
l'entreprise et du développement économique, au service des
peuples européens ?
Je vous remercie beaucoup.
M. Gérard Larcher
Merci, Monsieur le Ministre, merci à tous les intervenants.
« POSTES EUROPÉENNES : LIBÉRALISATION ET SERVICE PUBLIC, ENTRE MYTHES ET RÉALITÉS »
La Poste
française est avec la poste luxembourgeoise, la dernière poste de
l'Union européenne à conserver le statut d'établissement
public. Les autres ont aujourd'hui le statut de société anonyme.
Bien plus qu'un long discours, ce fait illustre l'ampleur du défi auquel
doit faire face La Poste à l'aube d'un nouveau siècle.
Saura-t-elle poursuivre dans la voie de la modernisation dans laquelle elle
avance moins vite que ses homologues de taille comparable, sans pour autant
déroger aux valeurs de service public autour desquelles elle s'est
construite ?
Pourquoi, au regard des autres pays de l'Union européenne, la France
apparaît-elle à beaucoup, celui qui semble rencontrer le plus de
difficultés à adapter son opérateur postal à la
nouvelle donne économique et réglementaire du vieux
Continent ?
L'Union européenne conduit-elle les changements en cours d'une
façon garantissant que les services postaux nationaux resteront à
même d'assurer des tâches d'intérêt
général, notamment l'animation économique et sociale des
territoires, qui ne correspondent pas toujours aux impératifs du
marché ?
Telles sont quelques unes des questions auxquelles le colloque
«
Postes européennes : libéralisation et
service public, entre mythes et réalités
» a
tenté de répondre. Les points de vue des quelque trente
intervenants à ce colloque sont présentés dans le
présent document.