3. ... et dans des conditions bien différentes de celles en usage dans les universités américaines
Au cours
de son audition, Mme Christine Musselin, qui a effectué des travaux de
recherche notamment sur la comparaison des modalités de recrutement des
universitaires en France et aux Etats-Unis, a indiqué que
la grande
différence entre les systèmes universitaires français et
américain porte précisément sur la gestion des
personnels.
Aux Etats-Unis, le processus de recrutement est peut-être aussi long
qu'en France, mais il est réalisé dans des conditions tout
à fait différentes, privilégiant le contact avec les
candidats plutôt qu'un parcours administratif de tri de dossiers de
candidature comme en France. Le recrutement est en effet trop important pour ne
pas lui consacrer beaucoup de temps, celui-ci devant être utilisé
de façon rationnelle et efficace : la priorité est donc
portée sur les candidats qui ont de réelles chances d'être
recrutés. Notre ancien collègue André Maman, professeur
à Princeton, estimait même que «
les
universités françaises consacrent beaucoup moins de temps que les
universités américaines à recruter les
enseignants
».
C'est pourquoi les « choses sérieuses » commencent
quand il ne reste qu'une quinzaine de candidats potentiels. Chacun d'eux est
alors auditionné sur ses travaux scientifiques pendant une bonne heure
par chaque université dans laquelle il a présenté sa
candidature, y compris par les étudiants les plus avancés.
Est alors dressée une
short list
de quatre ou cinq
candidats. Ils passent deux jours complets sur le campus, aux frais de
l'université qui dispose d'un budget dédié au recrutement,
visitent les services et sont présentés aux différentes
instances de l'université. Puis ils sont reçus en entretien
pendant deux heures par l'ensemble du département dans lequel ils
seraient amenés à travailler, étant précisé
que cet entretien ne porte plus tant sur leurs travaux de recherche -
l'appréciation de leurs qualités scientifiques a
déjà eu lieu - que sur des sujets d'ordre général,
afin notamment de cerner leur personnalité. Ils sont ensuite
invités à déjeuner puis à dîner par les
membres du corps enseignant concernés, parfois même par la
direction de l'université.
L'instance équivalente à nos commissions de spécialistes
établit alors une liste de classement de ces quelques candidats, mais ne
procède pas au recrutement proprement-dit, qui est effectué par
l'ensemble des personnels du département à l'issue d'un vote
intervenant après avoir entendu l'avis du doyen
42(
*
)
.
Ce n'est que lorsque l'enseignant est choisi que commencent les
négociations salariales, déconnectées du jugement
scientifique porté sur lui, les universités américaines
ayant la possibilité d'avoir une stratégie d'employeur.
Ainsi, aux Etats-Unis, trois éléments sont pris en compte
à l'occasion des recrutements :
- le jugement scientifique
porté sur le candidat : ce point est
à la fois fondamental, parce que c'est une condition évidente de
recrutement d'un universitaire de très bon niveau, et secondaire,
puisque son appréciation ne suscite guère de débat, la
décision finale n'étant pas arrêtée sur ce
critère ;
- le jugement des qualités pédagogiques
du candidat, qui
est l'objet de débats beaucoup plus nourris puisque leur
appréciation est nettement plus délicate ;
- le jugement sur la personnalité du candidat
, qui est
très important aux Etats-Unis : l'appréciation
du
good will
(ou « bonne citoyenneté »)
vise à répondre à des questions telles que : ce
candidat sera-t-il un bon collègue ? va-t-il accepter d'assumer des
charges administratives ? a-t-on envie de travailler avec lui ? C'est
d'ailleurs pour connaître la personnalité des candidats que
ceux-ci passent autant de temps sur le campus et qu'ils sont reçus par
un maximum de monde.
Un message d'internaute : la journée de visite « à l'américaine »
«
Cela fait quelques années que je
travaille aux
Etats-Unis (National Institute of Health, Bethesda). Voila en quelques mots
comment se déroule la journée de visite d'un candidat à un
poste ouvert au concours.
Une commission a été créée pour effectuer le
recrutement, avec différents membres du laboratoire et des membres de
laboratoires proches (thématiquement et géographiquement).
1/ L'accueil. Bien entendu, les frais de transport sont pris en charge par le
laboratoire qui recrute. Le dossier du candidat qui est auditionné a
été sélectionné. Le patron du laboratoire prend le
petit-déjeuner avec lui : l'occasion de présenter le
laboratoire d'une façon générale.
2/ Le candidat discute une demi-heure ou une heure avec les différents
membres de la commission. C'est un vrai dialogue. Chacun essaie de voir ce que
ce candidat pourrait apporter, comment passe le contact et le candidat se fait
une idée de ce qu'il pourrait faire dans le laboratoire, etc.
3/ Le séminaire : l'occasion pour le candidat de présenter
ce qu'il a fait. Comme le candidat a déjà discuté avec
plusieurs personnes, souvent la séance de questions se prolonge.
4/ Le chef du laboratoire reprend la main le soir : bilan de la
journée avec le candidat.
Au bout de cette journée, parfois une journée et demi, le
laboratoire et le candidat ont une bien meilleure idée l'un de l'autre.
Le laboratoire cherche à convaincre, à recruter quelqu'un de
bien. Ce n'est pas seulement au candidat de se vendre. Enfin, c'est aussi un
contact humain qui passe. Plus tard, après que 4 ou 5 (ou parfois plus
!) candidats eurent été auditionnés, la commission de
recrutement mise en place autour du poste se réunit pour décider.
Entre temps, chacun a pu mûrir sa décision. Pour un laboratoire,
ce n'est pas tous les jours qu'un nouveau membre arrive. Il faut
« se » choisir avec soin !
Rien à voir avec une audition de 10 minutes où rien ne se passe.
Et comment prendre le temps de considérer un candidat en 10
minutes ?... Il y a parfois de bonnes choses à prendre
outre-Atlantique
».
Or, ce dernier aspect est abordé en France, mais de façon
curieuse. Bien sûr, il est important, mais il est
généralement mal traité.
Les instances de recrutement,
c'est-à-dire les commissions de spécialistes, n'accordent que
très peu de temps à connaître les candidats, ne serait-ce
que parce qu'il y a trop de dossiers, et que des pratiques « à
l'américaine » seraient matériellement impossibles
à organiser dans ces conditions.
C'est pourquoi, elles sont si sensibles aux candidats locaux
: en
portant leur choix sur des candidats que connaissent déjà la
plupart des membres des commissions de spécialistes, elles minimisent le
« risque » relatif à la personnalité du
candidat, mais, ce faisant, elles adoptent une attitude contraire à
l'égalité de l'accès aux emplois publics, qu'elles avaient
pourtant voulu protéger en se refusant à une
présélection des dossiers.
Comme souvent en France, la
recherche de l'égalité procédurale aboutit à des
inégalités de fait !
Le système actuel de recrutement des maîtres de conférences
donne lieu à un jugement tout compte fait mitigé.
En effet,
si près de 55 % des répondants le jugent très ou assez
satisfaisant, et 43 % peu ou pas du tout satisfaisant, il convient surtout de
noter que
85 % d'entre eux le considèrent comme assez ou peu
satisfaisant
: le système ne suscite donc pas l'enthousiasme de
la profession, même s'il satisfait davantage les professeurs que les
maîtres de conférences, ce qui est relativement logique.
Quand on interroge les universitaires sur le système de recrutement des
maîtres de conférences qui aurait leur préférence,
environ 35 % (et 41 % des professeurs) sont favorables au maintien du
système actuel, c'est-à-dire la qualification par le CNU puis le
recrutement par les établissements, tandis que plus de 24 % seraient
favorables au système inverse donnant au CNU un rôle de
confirmation des décisions de recrutement locales - système qui a
d'ailleurs été en vigueur dans le passé. Près de 16
% des répondants sont favorables à l'instauration d'un concours
national sur épreuves, soit un taux finalement peu élevé.
Enfin, environ 22 % des répondants préconisent un autre
système, même s'ils formulent des propositions extrêmement
différentes les unes des autres, si bien qu'aucune
« solution » alternative consensuelle n'est
esquissée.