35. Audition de M. Yvon Julian, conseiller en développement industriel, spécialiste de la lutte anti-pollution (11 juillet 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Yvon Julian, conseiller en développement industriel, spécialiste de la lutte anti-pollution.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Yvon Julian .
Nous vous écoutons, avant de vous poser des questions par la suite.
M. Yvon Julian - Le document que vous m'avez envoyé me demandait de commencer par présenter mon parcours et les raisons qui m'ont conduit à me spécialiser dans la lutte anti-pollution. Je suis né et j'ai grandi en Bretagne au bord de la mer, ce qui m'a conduit à être témoin de nombreuses pollutions, notamment par les hydrocarbures. A 17 ou 18 ans, je me suis engagé dans la Marine car elle était la seule arme qui me permettait de poursuivre mes études, les armées de Terre et de l'Air n'offrant pas cette possibilité. Aujourd'hui, je suis donc à même de vous présenter ce rapport en matière de géologie et d'hydrogéologie.
Voilà pourquoi j'ai choisi de faire des études dans ces domaines. Lorsque l'on s'occupe du mécanisme de la pollution et que cette dernière atteint les nappes phréatiques, il faut comprendre comment fonctionne le sous-sol et comment y circulent les particules indésirables. Dans tous les cours, jusqu'à l'agrégation, la baie de Somme est toujours citée en exemple. En effet, c'est un laboratoire qui sert de référence applicable à l'ensemble du bassin parisien mais aussi à toutes les baies et deltas, notamment en Camargue. On constate d'ailleurs une similitude de la communication entre les différents marécage dans la baie de Somme et en Camargue.
Dans le rapport dont vous disposez, j'ai fait état de mes constatations. Ayant suivi des cours de géologie et d'hydrogéologie, je devais comprendre le mécanisme de la pénétration des polluants, notamment des hydrocarbures, dans le sol. J'ai donc parcouru le monde pour étudier les catastrophes naturelles, ce qui m'a permis d'acquérir l'expérience dont je dispose actuellement. Ainsi, en 1967, je prévenais les autorités françaises que, dix jours après l'échouage du Torrey Canyon en Grande-Bretagne, le pétrole allait arriver sur les côtes de Bretagne. A l'époque, les fonctionnaires que j'avais contactés étaient restés sceptiques. Lorsque le pétrole est arrivé, tout le monde s'est demandé qui était cet « empêcheur de tourner en rond ». J'ai ainsi lancé l'idée des barrages flottants, au cours d'une réunion au ministère de la Marine Marchande. Je suis en effet l'initiateur et l'inventeur de ces barrages flottants pour lesquels j'ai d'ailleurs déposé des brevets. Ces derniers ont été utilisés au moment de l'échouage de l'Amoco Cadiz. A l'époque, j'avais été réquisitionné par M. Christian Bonnet, ministre de l'Intérieur, pour être le conseiller du directeur des opérations auprès de Monsieur Girondeau, patron de la Sécurité routière. En effet, cette personne n'avait pas d'expérience en termes de marées noires. J'ai donc été son conseiller pendant plus d'un mois et demi. Finalement, j'ai reçu une attestation du ministère de l'Intérieur certifiant que mes compétences en matière de lutte contre les marées noires étaient reconnues et que le seul matériel efficace était celui que j'avais inventé.
D'autre part, suite au naufrage de l'Amocco Cadiz, j'ai écrit un livre : « Le pétrole qui tue », tiré à 40.000 exemplaires et aujourd'hui épuisé. Cet ouvrage traite des pollutions par hydrocarbures à l'échelle de la planète, notamment des sites sur lesquels je suis intervenu, comme celui de l'Amocco Cadiz ou le Golfe du Mexique.
A chaque fois que l'on fait face à une situation de catastrophe, le schéma est le même. J'ai appris par la presse que des déversements avaient été effectués dans l'un des canaux (Somme ou Nord). En mars, le bief entre Ham 1 et Ham 2 aurait été vidangé, alors que le sol était déjà saturé. Parallèlement, dans un autre bief de cinq kilomètres de long, la pression d'eau était telle que l'on ne parvenait pas à le vider. Finalement, ce sont 130.000 m 3 d'eau qui ont été déversés. Cette quantité aurait pu être absorbée dans des conditions normales. Mais, là, le sol était saturé et il n'a pas pu jouer son rôle d'éponge. Je me suis rendu sur place. J'ai commencé à suivre l'affaire et à écouter les différents acteurs s'exprimer. J'ai notamment appris qu'un jeune élu du conseil général avait proposé la construction d'un bras de dérivation. Or j'envisageais de proposer cette solution lors de ma venue. En effet, mon expérience fait que je sais qu'il faut faire très vite pour résoudre les problèmes lorsque des gens sont dans des situations catastrophiques. Sur place, j'ai interrogé l'administration mais je me suis vu refuser les informations dont j'avais besoin, principalement auprès des voies navigables, de la DDE et de la préfecture, cette dernière m'ayant indiqué qu'il fallait que j'envoie une demande écrite !
Cela m'a rappelé la situation de l'Erika. Le Préfet maritime avait annoncé qu'il n'y aurait pas de pollution en Bretagne. Or mes calculs indiquaient que le pétrole allait arriver 48 heures plus tard. Le 17 décembre, sur RTL, j'annonçais en direct que la marée noire allait envahir la Bretagne, l'île de Sein et l'île de Ré. Je prévenais donc de l'imminence d'un sinistre alors que les autorités prétendaient que rien n'allait se passer. En effet, je souhaitais que des dispositions soient prises pour éviter que la catastrophe ne s'étende. J'ai donc envoyé un fax très précis à la ministre de l'Environnement, Madame Dominique Voynet, ainsi qu'à Monsieur Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement et des Transports, et à mon député, Monsieur Roger Meï. J'ai proposé mes services le 20 décembre mais je n'ai reçu une réponse que le 28 décembre m'indiquant que mon dossier avait été transmis aux services de l'administration.
Pour l'Amocco Cadiz, M. Christian Bonnet a su prendre les décisions en temps voulu. Je précise que je n'ai aucune préférences politiques. Mais, il avait simplement jugé que mes compétences étaient valables. Lors de la première réunion, un expert américain avait été invité à grands frais ; lorsqu'il est entré dans la salle, il est venu me saluer car c'est moi qui l'avais formé ! Or la DDE ne reconnaissait pas mes connaissances car je n'étais pas titulaire d'un diplôme de grande école.
Pour les inondations de la Somme, j'ai le sentiment qu'il s'est passé un peu la même chose. En effet, les gens de la région me donnaient régulièrement des informations qui me permettaient d'analyser la situation. Dans ce domaine, je souhaiterais que l'on arrête de dire tout et n'importe quoi. En effet, à chaque fois qu'une catastrophe se produit, les fonctionnaires conduisent les politiques à prendre des décisions qui sont contraires au bon sens. En fait, les politiques font confiance à certains fonctionnaires qui refusent de reconnaître qu'ils ne savent pas.
Je suis remonté à la source de la Somme, en compagnie de Monsieur Leleu. A ce propos, je précise qu'avant-hier, le débit de la Somme était, à la source, d'environ 1 m 3 /seconde. En faisant mon enquête, j'ai découvert qu'à 1,5 kilomètre de la source de la Somme, la hauteur des marques de limon sur les végétaux était la même qu'en aval, dans les marais en bordure du fleuve. Cela me fournit donc une explication pour les millions de m 3 qui semblaient de trop dans les calculs que j'avais effectués sur la seule base de la pluviométrie ou du débit de certaines nappes phréatiques.
Par ailleurs, dans le Canard Enchaîné, les riverains de la Somme ont été ridiculisés, ce que je n'apprécie pas. En effet, ils sont ceux qui ont les informations. Ce n'est pas dans les bureaux de l'Elysée que l'on peut se rendre compte de l'incidence des remontées d'eau dans la Somme, en Bretagne ou ailleurs. J'ai donc interrogé les riverains. Or, ceux qui vivaient à 1,5 kilomètre de la source de la Somme étaient déjà inondés dans leurs sous-sols et dans leurs jardins. C'est logique dans le premier cas puisque les nappes phréatiques étaient saturées. En revanche, les nappes phréatiques ne peuvent pas inonder les jardins. J'ai donc cherché à comprendre.
Par la suite, j'ai découvert le fossé de Noirrieu, qui avait déjà été au centre d'une polémique. En effet, il avait été dit qu'il était impossible de transférer de l'eau de la Seine vers la Somme. C'est vrai. La polémique a simplement permis à certains journaux de prendre les gens pour des imbéciles, parce qu'ils ne savaient pas s'exprimer aussi clairement que les ingénieurs. En fait, un riverain m'a dit que des milliers de mètres cubes d'eau jaillissaient dans son jardin. Je me suis rendu sur place, accompagné d'un témoin afin de valider mes informations. Ce témoin a accepté de me fournir la cassette qu'il a filmée à l'occasion, à condition que je ne donne pas son identité pour éviter les représailles. En effet, il s'agit d'un fonctionnaire de l'Equipement, qui m'a dit qu'il avait le sentiment que l'on se moquait du monde. Des images ont donc été filmées, qui montrent un jaillissement d'eau que j'estime à plus de 8 m 3 /seconde, à 1,5 kilomètre de la source de la Somme.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Etes-vous d'accord pour dire que la pluviométrie est indéniablement à l'origine des inondations ?
M. Yvon Julian - C'est indiscutable. Les nappes phréatiques étaient saturées à cause de la pluviométrie. De plus, l'évapotranspiration était limitée parce que l'ensoleillement a été relativement réduit durant la période de pluie.
M. le Rapporteur - Toutefois, la pluviométrie n'est pas responsable à 100 % des inondations. Tout dysfonctionnement qui a pu se produire n'a donc fait qu'accentuer le phénomène. Quels sont ces dysfonctionnements ?
M. Yvon Julian - Le premier dysfonctionnement est la gestion de la crise elle-même. Dans tous les ouvrages de géologie et d'hydrogéologie, il est indiqué que la station de Lallu, créée en 1945 lors de la quinzaine mondiale de l'eau organisée par l'UNESCO, dispose de tous les matériels nécessaires à l'établissement d'une prévision de crue potentielle, par saturation du sous-sol.
M. le Rapporteur - Il n'y a pas de système d'alerte dans la Somme.
M. Yvon Julian - Non. Le BRGM possède une station à Daours, qui sert de référence au niveau mondial. Pourquoi ces personnes n'ont-elles pas été consultées, alors qu'elles sont parfaitement compétentes ? Pourquoi n'ont-elles pas donné l'alerte ?
Par ailleurs, j'ai en ma possession une lettre du préfet du département de la Somme, qui écrit le 15 février à tous les maires de la région, indiquant qu'il y a des risques d'inondation et que la DDE sera chargée d'intervenir. Comment est-il possible que le préfet ait été au courant, alors qu'aucune autorité administrative n'avait encore donné d'alerte ? Je pense connaître la réponse à cette question. La DDE a prétendu, notamment dans la presse, qu'elle n'était pas intervenue dans les inondations de la Somme, notamment au niveau du fossé du Noirrieu. Comment est-il possible d'affirmer cela, alors que je dispose d'images qui prouvent le contraire ?
En fait, les riverains étaient menacés de plaintes en diffamation ; c'est pour cela qu'ils hésitaient à donner des informations. On les accusait de faire courir des bruits. Il ne s'agissait pas de bruits ; les riverains avaient compris ce qui s'était passé. A mon niveau, je ne parvenais pas à obtenir des informations auprès des autorités administratives. Je ne demandais pourtant qu'à dédouaner toutes ces autorités ; toutefois, les moyens m'étaient refusés.
Ainsi, pourquoi ne m'a-t-on pas indiqué la hauteur de la Marne à un point donné lors du mois d'avril ou les cotes de l'Oise à un point donné ? Il était impossible d'obtenir ces informations. On me demandait notamment en quelle qualité j'agissais, question à laquelle je répondais que j'étais analyste, président de l'association France Avenir Assistance Environnement, dont l'objectif est de prévenir les crises et les pollutions en tout genre. Je constate que l'on a menti aux élus et aux riverains. Les élus ont été pris pour des imbéciles. Je le confirme sous serment.
M. le Président - Je propose de regarder la cassette dont vous avez parlé.
M. Yvon Julian - Auparavant, je tiens à attirer votre attention sur un élément très particulier. Hier, avec MM. Lottin et Leleu, j'ai pu constater sur le terrain le travail énorme des militaires. Toutefois, tout ce qui a été fait par les militaires est aujourd'hui fragilisé. Dans ces conditions, si dans les soixante-douze heures qui viennent, des précipitations de plus de 300 millimètres interviennent, il y a de très forts risques d'enregistrer des inondations ou des catastrophes d'un autre type. En effet, j'ai pu constater que des arbres étaient tombés du fait de la tempête. De plus des travaux d'élagages ont été effectués et les branchages sont restés sur place, ainsi que des troncs d'arbres. Il pourrait donc se constituer un barrage artificiel, comme ceux qui ont été à l'origine des catastrophes de Vaison-la-Romaine ou de Nîmes. Ce barrage bloquerait une masse d'eau, qui le ferait finalement céder au bout d'un certain temps. Une déferlante pourrait alors se produire vers Abbeville, aux conséquences bien plus désastreuses que celles que nous avons connues. De plus, les digues renforcées par l'armée commencent à suinter. Le phénomène de l'érosion s'accentue, du fait de la pression, ce qui pourrait conduire à un abaissement du barrage artificiel de l'armée. Il suffit pour cela d'un gros orage du type de ceux qui sont intervenus il y a quarante-huit heures.
Dans mon rapport, je mets en cause les ouvrages d'art (routes...) car ils sont mal conçus. Je dispose des compétences nécessaires dans ce domaine puisque je connais notamment les questions relatives aux poussées et à l'influence des courants et des précipitations. Mon rapport a été tapé il y a huit jours. Or récemment, l'autoroute A1 a été coupée à un endroit bien précis. Je l'avais prévu. Malheureusement, les fonctionnaires que je contacte dans de telles circonstances me demandent toujours de me mêler de mes affaires. Dans ce cas, un barrage artificiel s'est créé parce que l'ouvrage a été mal conçu. De même, l'eau a été bloquée par la nationale 17, ce qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques, comme à Vaison-la-Romaine, à Nîmes ou dans l'Aude. Les accumulations se font du fait de l'existence de voies de chemin de fer, de barrages artificiels, de routes... A un moment, la pression est telle que des déferlantes apparaissent.
Je précise que je n'ai pas contacté « Le courrier picard » pour qu'une photo soit prise de l'autoroute et qu'un article soit rédigé. Je l'indique car je sais que l'on pourrait m'accuser de l'avoir fait. En effet, par le passé, j'ai été la victime de pressions diverses, ainsi que de tentatives de corruption, notamment à l'époque du naufrage de l'Amoco Cadiz. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai été marginalisé durant une certaine période. Je reste toutefois à la disposition de l'administration. En effet, je pense disposer suffisamment de compétences pour le faire.
La vallée de la Somme est assez similaire avec les baies de Bretagne où j'ai grandi. Je connais de toute façon chaque kilomètre du littoral pour l'avoir parcouru à pieds. Les baies de Bretagne sont menacées de disparition du fait de la saturation du sable. De même, je me suis battu à une époque pour la préservation du Mont-Saint-Michel, ce qui m'a également coûté très cher. En effet, il était prévisible que le Couesnon, rivière qui passe au pied du site, ensable la presqu'île, suite à sa dérivation.
Dans la Somme, en Bretagne, du côté d'Arcachon ou dans l'étang de Berre, la situation est plus critique. La baie de Somme est donc l'un des derniers bastions de la faune aquatique traditionnelle. D'ailleurs, je tiens à souligner que sans la coopération des chasseurs, je ne pourrais pas vous donner toutes les informations que je vous livre aujourd'hui. Je disais tout à l'heure que les ouvrages d'art ne tenaient pas compte de l'environnement. Il est vrai que l'on construit tout et n'importe quoi. Ainsi, des centres commerciaux sont construits sur des marécages, sans prendre conscience que l'on supprime alors une zone tampon, qui permet d'accueillir les excédents d'eau en cas de montée des eaux. Les petits ruisseaux font pourtant les grandes inondations.
Personne ne vous a sans doute parlé de la fragilité du chemin de halage. Je vous conseille d'ailleurs de visiter une carrière, à quinze kilomètres d'Amiens, qui est la propriété de l'Etat ; vous constaterez à quel point le sous-sol est perméable. Je vous conseille aussi de vous rendre sur le terrain où, avec Messieurs Lottin, Butel et Leleu, nous avons pu constater hier la fragilité des berges de la Somme. Dans ce domaine, il n'est pas question de mettre en cause la DDE, le préfet ou les hommes politiques locaux, ces derniers étant pris de tout façon pour des « marionnettes ».
Comment se fait-il que le chemin de halage et les rives de la Somme aient été fragilisés au point de céder si facilement ? En fait, un câble de fibre optique a été installé jusqu'à Amiens, enterré dans le chemin de halage. Dans ces conditions, la digue séparant la rivière de son canal a été fragilisée ; ce n'était certainement pas le bon endroit où l'installer. En effet, le terrain avait été damé depuis des dizaines ou des centaines d'années et il était devenu dur comme la pierre. Après les travaux, il aurait donc dû être renforcé. Mais en réalité, on a rendu malléable une surface qui était devenue dure avec le temps.
Je ne sais pas qui a effectué la réception des travaux ou si une réception a bien été faite. Dans tous les cas, pourquoi les élus n'ont-ils pas été informés du « travail » effectué. Je vous conseille de visiter ce site car c'est ici que se produiront les prochains débordements. Qui a réceptionné ces travaux ? Comment a-t-on pu ne pas intervenir ? Je sais que les hommes politiques ne sont pas obligatoirement des techniciens, qui sont eux-mêmes souvent fonctionnaires ou énarques. Ceux-ci rappellent d'ailleurs souvent que les politiques passent mais que les fonctionnaires restent en place. En fait, nous avons la démonstration que l'exécutif prend le législatif pour quantité négligeable. Peut-être faut-il aussi mettre en évidence des complicités dans la médiocrité que je dénonce aujourd'hui.
M. le Président - Nous allons regarder la cassette que vous nous avez amenée.
M. Yvon Julian - Cette cassette a été filmée par un riverain, fonctionnaire des Ponts et Chaussées, qui m'a demandé de ne pas fournir son nom. Je vous rappelle que les images ont été filmées à un kilomètre en aval de la source de la Somme.
(Une cassette est diffusée montrant notamment le déversoir du Noirrieu s'écoulant sur le terrain du riverain, ainsi que dans la Somme par l'intermédiaire d'une vanne ouverte.)
M. le Président - Pouvez-vous nous laisser cette cassette ?
M. Yvon Julian - Non. La personne qui me l'a confiée est un fonctionnaire de l'Etat, qui travaille à la DDE à un haut niveau. Il souhaite conserver l'anonymat pour ne pas avoir de problèmes par la suite.
A l'entrée du village de Lesdins, un panneau indique clairement le fossé de Noirrieu. Tout le long des berges, on peut constater que l'eau a coulé pendant au moins un bon mois. Aujourd'hui, tout est arrêté, comme j'ai pu le constater hier encore. Au moment des inondations, le long des écluses, les déversoirs débordaient de partout. Les écluses du canal de Saint-Quentin, du canal de la Somme et du canal du Nord débordaient également. Si vous rajoutez le débit de la rigole du Noirrieu, il est normal que le débit ait atteint les 80 m 3 /seconde.
Dans un courrier de 1964, il est indiqué qu'il « est nécessaire de disposer d'un moyen permettant de résorber le trop plein en cas d'accident ou d'incident pouvant se produire sur le canal et pour pouvoir envoyer à ce moment les eaux dans la rivière. Ceci ne se produira que dans des circonstances tout à fait accidentelles, auquel cas le propriétaire et l'exploitant seront prévenus. » Voilà peut-être la raison de l'envoi de la lettre de Monsieur le Préfet le 15 février.
Dans Le Monde, M. Lefrou estime que « l'impact des pluies n'a pu être anticipé par les services administratifs ». De qui se moque-t-on ? Les services de la météorologie peuvent toujours donner des informations très précises.
Je vais vous laisser les photos prises par des riverains. Il apparaît qu'à certains endroits, la Somme n'a même pas un mètre de profondeur. De plus, le lit de la Somme est tellement saturé qu'il domine, à son niveau le plus bas, les marais qui sont situés en contrebas. Or une rivière ou un fleuve entraîne toutes les eaux qui sont situées au-dessus de son niveau et non en dessous. Je vous rappelle qu'il risque d'y avoir un accident très grave dans les jours à venir s'il se remet à pleuvoir. Dans tous les cas, si la pluviométrie n'atteint que la moitié de celle de cet hiver en novembre prochain, de nouvelles inondations vont apparaître. Dans certaines zones, malgré les millions consacrés à l'entretien de la rivière, la Somme n'a plus de lit ; son calibre est au moins trois fois inférieur à celui d'origine.
Aujourd'hui, on entend dire que la rapidité du courant provoque l'érosion des berges. C'est vrai. Toutefois, si la rivière est curée correctement, l'érosion disparaît. Lorsque je lis que « Mme Dominique Voynet s'était interrogée sur l'insuffisance du curage de la Somme à l'origine du débordement. Les experts estiment qu'il faut considérer comme tout à fait convenable l'entretien du canal », je me demande qui sont ces experts. Il s'agit de mensonge pur et simple.
Il est écrit également que « les affluents de la Somme ne semblent pas faire l'objet d'un entretien quelconque, ce qui explique la lenteur de la décrue ». Comment les affluents de la Somme peuvent-ils absorber le trop plein de la crue qui touche l'aval, près de l'écluse de Saint-Valéry et de ses environs ? C'est vraiment n'importe quoi ! On se moque du monde.
Je dispose d'un rapport du Conseil général où il est proposé d'investir 200 millions de francs. En revanche, rien n'est dit sur les dégâts qui ont été subis par les riverains. Tout le monde s'en fiche ! Deux pages du rapport remis au Conseil général sont consacrées aux inondations de la Somme et le reste concerne la demande de 200 millions pour réaliser des travaux qui permettront peut-être de résoudre le problème ! Si quelqu'un ici est capable de me prendre comme conseiller le temps qu'il faut, dans trois mois le problème aura été réglé, avec l'appui des riverains. Il ne s'agit pas d'une offre de service mais d'une suggestion...
M. Hilaire Flandre - A la demande de qui êtes-vous allé sur place ?
M. Yvon Julian - Je suis spécialiste des catastrophes naturelles. En France, les associations écologistes vivent actuellement grâce aux deniers de l'Etat. Elles sont totalement incompétentes. Pour ma part, j'ai besoin d'informations. Je ne peux pas parler de la baie de Somme, qui est en danger de mort dans certains endroits, si je ne me rends pas sur place. Il ne suffit pas de lire le journaux, qui sont de toute façon censurés.
En effet, comment se fait-il que l'on ne vous ait pas signalé les risques actuels ? Je répète que s'il pleut durant quarante-huit heures dans les jours qui viennent, le danger sera réel. Le barrage pourrait lâcher à n'importe quelle heure, à trois heures de l'après-midi ou à deux heures du matin. Nous avons remarqué hier des commencements de suintement sur les barrages mis en place par les militaires ; ils sont donc en phase d'affaissement. Depuis le début de la décrue il y a un mois et demi, personne n'a pris la précaution de renforcer les barrages artificiels, qui ne pouvaient être que provisoires.
Je vous donne ces informations de la manière la plus officielle. Je ne sors pas de Saint-Cyr ou de l'ENA mais je dispose d'une expérience de terrain qu'aucun technicien ou scientifique ne peut me contester. Si M. Lottin avait été écouté avec plus d'attention au début des inondations, certaines conséquences auraient pu être évitées. Malheureusement, ce conseiller général est aussi chasseur et ne bénéficie visiblement pas de ce fait d'une écoute très attentive.
M. Jean-François Picheral - D'autres délestages ont-ils été effectués, en dehors du fossé de Noirrieu ?
M. Yvon Julian - Evidemment ! Le fossé du Noirrieu n'explique pas tout. Tout le long, des déversoirs coulaient sans arrêt. Des riverains me l'ont confirmé. A Offroy, des personnes ont été inondées alors qu'elles habitent à cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer !
M. Hilaire Flandre - Cela ne me choque pas que des inondations se produisent à cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans les Ardennes, des inondations surviennent à 150 mètres d'altitude.
M. Yvon Julian - Dans le cas qui nous préoccupe, le réseau d'eau est censé être structuré. Pourquoi la circulation n'a-t-elle pas été arrêtée sur le Canal du Nord dès le mois de février ? A un moment, toutes les péniches étaient bloquées à Lesdins car elles ne parvenaient plus à passer sous les ponts tellement les canaux étaient saturés. Ce ne sont pas les nappes phréatiques qui sont responsables des dégâts ! Tout le monde savait que ces nappes étaient saturées ; l'eau n'est pas compressible.
Je suis peut-être « Monsieur Catastrophe » et en désaccord avec quelques fonctionnaires. Le rapport effectué pour le Conseil général prévoit des travaux de 200 millions. Pour ma part, je ne demande pas un franc. Il n'est pas besoin de 50 millions ou 50 milliards pour construire un réservoir de retenue d'eau. Quelques journées de bulldozer, quelques techniciens compétents et quelques riverains pourraient permettre de construire un réservoir de 10 millions de m 3 , sans modifier la structure du bassin de la Somme. Il suffit pour cela de boucher un élément de barrage détruit lors de certaines grandes marées.
Cela fait trente ans que je m'occupe des catastrophes et que je vais sur le terrain ; je n'ai jamais reçu aucune subvention de la part de l'Administration. Dans mon livre, écrit en 1979, « Le pétrole qui tue », j'écris : « Ne peut-on pas espérer demain la création d'une commission internationale de sécurité pour la protection de la mer, émanant par exemple des Nations-Unies ? Cette commission serait chargée d'élaborer et de veiller à l'application d'un règlement international en matière de sécurité, à tous les niveaux, qu'il s'agisse de forages, d'exploitations pétrolières, de circulation des navires, des rejets en mer de toute nature. A la disposition de cette commission, une force d'intervention, sorte de Casque bleu de la mer, bien équipée et parfaitement entraînée, chargée de surveiller et d'intervenir en haute mer et d'assister les unités nationales (...). Sa compétence pourrait s'étendre au domaine de la pêche, pour les contrevenants pêchant avec des filets aux mailles hors normes. »
Je n'ai jamais entendu les écologistes manifester contre ces gens-là. Pourtant, quelques écologistes prétentieux et politiques, y compris un énarque qui sera candidat à la prochaine élection présidentielle, ont fait leur cette proposition que j'ai effectuée en 1979 !
Dans la Somme, cela fait des années que de multiples projets sont prévus. Il est difficile d'en obtenir communication mais j'y parviens toujours parce que je suis un empêcheur de tourner en rond. En effet, je n'admets pas que l'on prenne les gens pour des imbéciles, au nom de la défense du budget de l'Etat. Je n'ai pas besoin de 2 milliards de francs pour régler le problème des inondations. J'ajoute que mon expérience, Monsieur le vice-président du conseil général, pourrait permettre au département de gagner de l'argent dans ce domaine.
M. le Président - Nous vous remercions.