B. ...ALORS QU'ILS REPOSENT SUR DES BASES ARTISANALES
En réalité, cette belle architecture technocratique dissimule une réalité beaucoup plus simple, tellement simple que votre rapporteur pourrait la qualifier d' artisanale .
En effet, si le ministère de l'emploi et de la solidarité ne parvient pas à distinguer les emplois créés et les emplois préservés par la réduction du temps de travail, c'est que ce décompte ne repose, contrairement à ce qu'il voudrait faire croire, sur rien de scientifique.
Au contraire, le bilan dressé chaque mois par le ministère s'appuie sur le dénombrement des accords et des conventionnements intervenus au sein des entreprises. Or, ce recensement n'aboutit qu'à additionner des données administratives telles qu'elles apparaissent dans les accords conclus au sein des entreprises entre la direction et les syndicats.
Si ces accords mentionnent la création ou la préservation d'un certain nombre d'emplois, ces informations purement indicatives seront avancées par le ministère comme autant de résultats à mettre au compte des 35 heures. Mais jamais la réalité du contenu des accords n'est vérifiée, car elle ne peut pas l'être, sauf à soumettre les entreprises à de multiples contrôles tatillons : à la limite, les emplois dont la création est prévue par les accords pourraient ne jamais être effectivement créés.
Comme l'a indiqué un haut-fonctionnaire auditionné par votre rapporteur, le bilan ministériel des 35 heures « ne donne que des chiffres apparents de créations d'emplois » : en réalité, il ne résulte pas de l'observation mais de la « spéculation ».
Il a d'ailleurs expliqué que ce phénomène était davantage marqué pour la « loi Aubry II », dont le suivi statistique est plus indicatif encore que celui de la première loi.
Il a ainsi pu conclure : « dans les faits, la réduction du temps de travail est moindre que dans les chiffres ».
Et il est à craindre qu'il n'en soit de même pour ses effets sur l'emploi...
D'ailleurs, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, dans ses hypothèses de travail, réduit de moitié le nombre des emplois apparemment créés ou préservés, pour approcher la connaissance des effets nets de la réduction du temps de travail. Ainsi, pour une entreprise de 100 salariés qui conclut un accord de réduction du temps de travail prévoyant la création de 6 emplois, Bercy considère que l'effet des 35 heures n'est pas de 6 %, mais de 3 % !
Ce ministère n'était d'ailleurs pas dupe , et cela de longue date, comme le montre une note de la direction de la prévision du 10 avril 2000 relatant l'opinion de 400 directeurs des ressources humaines sur les effets sur l'emploi de la réduction du temps de travail.
« Les taux de création d'emploi habituellement pris en compte dans l'évaluation des effets de la réduction du temps de travail pourraient être sensiblement surestimés » Une note de la direction de la prévision du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, en date du 10 avril 2000 , reprend les principales conclusions d'une enquête effectuée par l'Observatoire du dialogue social (ODIS) auprès de 400 directeurs des ressources humaines sur l'ensemble du territoire. Selon cette note, « cette étude donne également des évaluations quantitatives des effets de la RTT sur l'emploi ». « Ainsi, pour l'ensemble des 320 DRH interrogés en février 2000 et ayant effectivement répondu au questionnaire, le passage à 35 heures inciterait en moyenne à la création de 3,7 % d'emplois supplémentaires (en supposant que les DRH évaluent bel et bien les créations d'emplois nettes des effets d'aubaine). Ce taux moyen de création d'emplois [...] est globalement bien plus faible que les taux habituellement retenus ; les études quantitatives de la DARES aboutissent en effet à des taux de création nets de 6,6 % pour les entreprises bénéficiant de l'aide incitative et de 4,4 % pour les autres entreprises. Par ailleurs, la RTT n'aurait aucun effet sur l'emploi pour un tiers des entreprises interrogées ». Les résultats de l'étude menée par l'ODIS semblent « illustrer l'importance des effets d'aubaine : - les entreprises de grande taille, qui ont plus de facilité à absorber le choc de réorganisation lié au passage à 35 heures, affichent des taux de création d'emploi plus élevés. Ainsi, selon les DRH des entreprises de moins de 150 salariés, le passage à 35 heures inciterait à créer environ 3 % d'emplois en moyenne ; - les créations d'emploi sont apparemment bien plus importantes dans les entreprises éligibles aux aides incitatives, c'est-à-dire qui se sont engagées rapidement dans le processus de négociations ; ainsi le taux de création d'emploi serait de 4,4 % dans les entreprises ayant déjà signé un accord et de 2,8 % seulement dans les entreprises en cours de négociation ; - les taux de création d'emploi liés à la RTT sont beaucoup plus élevés dans les secteurs structurellement créateurs d'emplois (le taux serait de 5 % dans ces secteurs, contre 2,8 % dans les secteurs où l'emploi est plutôt stable et 2,4 % dans les secteurs globalement destructeurs d'emplois) ». Au total, « l'ensemble de ces résultats indiquerait que les taux de création d'emplois habituellement pris en compte dans l'évaluation des effets de la RTT pourraient être sensiblement surestimés (ou symétriquement les effets d'aubaine sous-estimés). Il faut par ailleurs noter que la composition de l'échantillon devrait a priori conduire à surestimer les taux de création d'emplois moyens affichés ci-dessus, puisque les grandes entreprises y sont sur-représentées par rapport à leur poids réel dans l'ensemble de l'économie ». |
Ainsi, comme l'affirme le Sénat depuis le début, sans malheureusement être écouté du gouvernement, le nombre d'emplois créés au titre des 35 heures ne sera jamais connu.